La Shoah vue par le régime stalinien

Grossman comprit très vite que les autorités soviétiques n'appréciaient que modérément ses rapports sur ce qu'on appellerait plus tard l'Holocauste. La ligne stalinienne refusait de créer des catégories dans la souffrance. Les victimes du nazisme sur le sol soviétique recevaient la qualification de « citoyens de l'Union soviétique », sans autre précision. Le mot « juif » n'apparaissait jamais dans les rapports officiels sur les atrocités, même ceux évoquant des cadavres portant l'étoile jaune. Fin 1943, Grossman rejoignit Ehrenbourg dans une commission chargée de collecter des détails sur les crimes allemands pour le compte du CAJ [Comité Juif Antifasciste], une association qui attira plus tard les soupçons des autorités staliniennes. Ehrenbourg et Grossman voulaient que tous les témoignages soient réunis en un « Livre noir ». Il sera supprimé après la guerre à cause de la politique stalinienne sur les crimes de guerre – « Ne pas diviser les morts » –, mais aussi parce que l’implication des Ukrainiens dans les persécutions antisémites embarrassait les autorités. Il fallut attendre la chute du communisme pour commencer à parler de la collaboration pendant la Grande Guerre patriotique.