La répression des inciviques
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La répression des inciviques
L'histoire se répète.
Je pose ici volontairement un texte qui traite de l'épuration en Belgique
Laurence van Ypersele
Université Catholique de Louvain
Les figures du traître
I. Les imaginaires de la haine : la répression des inciviques belges, ... Introduction
On ne sort pas de quatre années de guerre comme d'un simple cauchemar, au son du dernier coup de canon. Au sortir de la Grande Guerre, la Belgique est ruinée. Les soldats et le roi qui rentrent du front sont acclamés. Les héros et les martyrs sont glorifiés. Et la population qui a quotidiennement souffert pendant quatre années d'occupation réclame des têtes. En effet, l'immédiat après guerre sera marqué d'un côté par une vague d'hommage aux < Morts pour la Patrie > et de l'autre par une explosion de haine réclamant le châtiment des < mauvais Belges >. Pour réclamer justice, la presse et les citoyens [1] en appellent a la mémoire de < nos grands morts >, aux souffrances subies par les < vrais Belges > et a la < Civilisation > pour laquelle on s'est battu. C'est toute l'image de la Belgique héroïque et martyre que l'on brandit pour justifier la répression : au nom des héros et des martyrs, a mort les traîtres ! Car, tous ces < mauvais Belges > sont présentés et perçus comme des traîtres a la Patrie. Encore faut-il s'interroger sur cette notion : que reproche-t-on a ces inciviques ? Qu'est-ce que trahir la Patrie ? Quelles sont les valeurs qui sous-tendent ces discours qui réclament vengeance ? Mais avant d'entamer l'analyse de la figure du traître, je commencerai par retracer rapidement les violences populaires qui se sont déchaînées au lendemain de l'armistice, parce qu'elles témoignent de l'importance des rancoeurs accumulées pendant la guerre.
1. Les violences populaires [2]
En novembre, au moment ou les troupes allemandes quittent la Belgique, les violences populaires se déchaînent contre les traîtres. Deux jours apres sa reparution, Le Peuple, journal socialiste, annonce qu'a Nivelles les représailles contre ceux qui ont trafiqué avec l'occupant ont commencé : des centaines de maisons, essentiellement des cafés < fréquentés par les Allemands ont eu leur vitrine défoncée et leur mobilier saccagé par la foule > [3] . Le meme jour, Le Matin d'Anvers, journal libéral, parle de cas de < justice populaire avec des soi-disant jugements et condamnations condamnations > [4] . Les journaux citent des listes entieres et tres précises de charcuteries, boulangerie, cafés et autres commerces pris d'assaut par la population. Ainsi, par exemple, la tres catholique Libre Belgique note : < A Tirlemont, a Tongres, dans d'autres localités encore, a peine le dernier Allemand disparu, que la foule s'est ruée a l'assaut des maisons des activistes et des traîtres. En dépit des efforts de la police, elle a tout saccagé. A Liege, la colere de la population a été terrible. Les premieres nouvelles arrivées de cette ville apres le rétablissement des communications nous apprennent que durant toute la nuit de lundi a mardi, la démolition des magasins allemands ou suspectés de bochisme a continué. La maison Tietz, rue de l'université a été vidée de fond en comble. (.) Il en a été de meme rue Léon Mignon (.). Aux destructeurs qu'anime une haine exaspérée se sont melés des individus qui pillent sans vergogne et qui operent généralement quand les premiers sont partis. La police en a arretés plusieurs. A Seraing et a Jemappes ont eu lieu les memes scenes qu'a Liege. Tous les magasins convaincus de trafic avec les Allemands ont reçu la visite de démolisseurs experts et prompts. Mobilier, linge, poele, tout a été jeté dans la rue et brisé. (.) > [5] . Dans le meme journal, on apprend qu'a Liege, cinq femmes < dont les relations avec les Allemands faisaient scandale (.) eurent la tete completement rasée > [6] . Des le 22 novembre, Le Peuple s'étend plus longuement sur ces débordements < populaires > contre les femmes. Ainsi : < [a Bruges et a Gand] des femmes notoirement connues pour s'etre livrées aux Allemands, ont été tondues, déshabillées et exposées en place publique. [. Tandis qu'aux environs de Bruxelles] les soldats rassemblerent une quinzaine de ces créatures connues pour leur inconduite avec les Boches. Apres leur avoir coupé a ras les cheveux, ils les promenerent en carrioles a travers le village ne leur ayant laissé que la chemise. Elles ne furent libérées qu'a proximité de Schaerbeek et durent regagner le village, coiffées de casques a pointe > [7] . Cette répression est donc le fait, non seulement de la population locale, mais également des soldats revenus de l'Yser. En outre, on assiste a tout un rituel, enraciné dans les charivaris d'Ancien Régime, qui assimile la femme tondue a la prostituée porteuse de maladies vénériennes [8] : la coupe des cheveux, le déshabillage plus ou moins complet et plus ou moins violent, le port de symboles allemands comme le casque, l'exposition publique sur une place ou la promenade en carriole. Partout, la foule est nombreuse. Partout, les gens applaudissent. La police semble débordée et impuissante. La population, apres avoir subi quatre ans d'occupation, peut enfin participer a ces tontes qui offrent < la possibilité a chacun de passer de l'événement subi a l'événement vécu > [9] . S'il n'est pas possible de dresser un tableau tout a fait précis des violences populaires, il est indéniable que, contrairement au Nord de la France, partout en Belgique, les populations se sont livrées a la vengeance. Cela témoigne-t-il de la faiblesse de l'État belge [10] ? Sans doute. Mais cela n'explique pas tout. En effet, les violences surgissent sur l'ensemble du territoire belge, au moment ou les troupes occupantes quittent les lieux [11] , y compris la ou l'armée occupe le terrain. En outre, les soldats eux-memes participent aux violences. L'explication par la vacance de pouvoir ne suffit donc pas. Un autre élément d'explication me paraît se situer au plan des représentations. Les départements du Nord de la France ont été soupçonnés de façon plus ou moins diffuse mais réelle de s'etre un peu trop facilement accommodés de la présence ennemie, c'est-a-dire de n'avoir pas tout a fait partagé les souffrances nationales. Le maintien de l'ordre par les héroiques et soupçonneux soldats se fera d'autant plus facilement. En revanche, la Belgique occupée est restée tout au long du conflit le symbole meme du martyre national : c'est bien au nom de la Belgique Martyre que les soldats s'étaient battus [12] . Pas de soupçon, donc. Au contraire, l'image qui domine est celle d'une population unanime souffrant héroiquement. Ceux qui ont trahi cette souffrance commune ne sont pas de vrais Belges, ils ne méritaient pas que l'on se sacrifie pour eux. La colere populaire et celle des soldats peuvent des lors se rejoindre dans une violence partagée et temporaire. Car, il faut noter que ces débordements de violence ne durent guere plus de deux semaines. A partir du moment ou l'appareil judiciaire prend les affaires en main, la colere des foules se dissipe. Des la mi-décembre, le retour a l'ordre semble réel.
Ceci se passait en 1918, j'ai volontairement ôté les dates et autres indices pour marquer les similitudes ...
La suite : http://www.phantasma.ro/caiete/caiete/caiete10/20.html
Je pose ici volontairement un texte qui traite de l'épuration en Belgique
Laurence van Ypersele
Université Catholique de Louvain
Les figures du traître
I. Les imaginaires de la haine : la répression des inciviques belges, ... Introduction
On ne sort pas de quatre années de guerre comme d'un simple cauchemar, au son du dernier coup de canon. Au sortir de la Grande Guerre, la Belgique est ruinée. Les soldats et le roi qui rentrent du front sont acclamés. Les héros et les martyrs sont glorifiés. Et la population qui a quotidiennement souffert pendant quatre années d'occupation réclame des têtes. En effet, l'immédiat après guerre sera marqué d'un côté par une vague d'hommage aux < Morts pour la Patrie > et de l'autre par une explosion de haine réclamant le châtiment des < mauvais Belges >. Pour réclamer justice, la presse et les citoyens [1] en appellent a la mémoire de < nos grands morts >, aux souffrances subies par les < vrais Belges > et a la < Civilisation > pour laquelle on s'est battu. C'est toute l'image de la Belgique héroïque et martyre que l'on brandit pour justifier la répression : au nom des héros et des martyrs, a mort les traîtres ! Car, tous ces < mauvais Belges > sont présentés et perçus comme des traîtres a la Patrie. Encore faut-il s'interroger sur cette notion : que reproche-t-on a ces inciviques ? Qu'est-ce que trahir la Patrie ? Quelles sont les valeurs qui sous-tendent ces discours qui réclament vengeance ? Mais avant d'entamer l'analyse de la figure du traître, je commencerai par retracer rapidement les violences populaires qui se sont déchaînées au lendemain de l'armistice, parce qu'elles témoignent de l'importance des rancoeurs accumulées pendant la guerre.
1. Les violences populaires [2]
En novembre, au moment ou les troupes allemandes quittent la Belgique, les violences populaires se déchaînent contre les traîtres. Deux jours apres sa reparution, Le Peuple, journal socialiste, annonce qu'a Nivelles les représailles contre ceux qui ont trafiqué avec l'occupant ont commencé : des centaines de maisons, essentiellement des cafés < fréquentés par les Allemands ont eu leur vitrine défoncée et leur mobilier saccagé par la foule > [3] . Le meme jour, Le Matin d'Anvers, journal libéral, parle de cas de < justice populaire avec des soi-disant jugements et condamnations condamnations > [4] . Les journaux citent des listes entieres et tres précises de charcuteries, boulangerie, cafés et autres commerces pris d'assaut par la population. Ainsi, par exemple, la tres catholique Libre Belgique note : < A Tirlemont, a Tongres, dans d'autres localités encore, a peine le dernier Allemand disparu, que la foule s'est ruée a l'assaut des maisons des activistes et des traîtres. En dépit des efforts de la police, elle a tout saccagé. A Liege, la colere de la population a été terrible. Les premieres nouvelles arrivées de cette ville apres le rétablissement des communications nous apprennent que durant toute la nuit de lundi a mardi, la démolition des magasins allemands ou suspectés de bochisme a continué. La maison Tietz, rue de l'université a été vidée de fond en comble. (.) Il en a été de meme rue Léon Mignon (.). Aux destructeurs qu'anime une haine exaspérée se sont melés des individus qui pillent sans vergogne et qui operent généralement quand les premiers sont partis. La police en a arretés plusieurs. A Seraing et a Jemappes ont eu lieu les memes scenes qu'a Liege. Tous les magasins convaincus de trafic avec les Allemands ont reçu la visite de démolisseurs experts et prompts. Mobilier, linge, poele, tout a été jeté dans la rue et brisé. (.) > [5] . Dans le meme journal, on apprend qu'a Liege, cinq femmes < dont les relations avec les Allemands faisaient scandale (.) eurent la tete completement rasée > [6] . Des le 22 novembre, Le Peuple s'étend plus longuement sur ces débordements < populaires > contre les femmes. Ainsi : < [a Bruges et a Gand] des femmes notoirement connues pour s'etre livrées aux Allemands, ont été tondues, déshabillées et exposées en place publique. [. Tandis qu'aux environs de Bruxelles] les soldats rassemblerent une quinzaine de ces créatures connues pour leur inconduite avec les Boches. Apres leur avoir coupé a ras les cheveux, ils les promenerent en carrioles a travers le village ne leur ayant laissé que la chemise. Elles ne furent libérées qu'a proximité de Schaerbeek et durent regagner le village, coiffées de casques a pointe > [7] . Cette répression est donc le fait, non seulement de la population locale, mais également des soldats revenus de l'Yser. En outre, on assiste a tout un rituel, enraciné dans les charivaris d'Ancien Régime, qui assimile la femme tondue a la prostituée porteuse de maladies vénériennes [8] : la coupe des cheveux, le déshabillage plus ou moins complet et plus ou moins violent, le port de symboles allemands comme le casque, l'exposition publique sur une place ou la promenade en carriole. Partout, la foule est nombreuse. Partout, les gens applaudissent. La police semble débordée et impuissante. La population, apres avoir subi quatre ans d'occupation, peut enfin participer a ces tontes qui offrent < la possibilité a chacun de passer de l'événement subi a l'événement vécu > [9] . S'il n'est pas possible de dresser un tableau tout a fait précis des violences populaires, il est indéniable que, contrairement au Nord de la France, partout en Belgique, les populations se sont livrées a la vengeance. Cela témoigne-t-il de la faiblesse de l'État belge [10] ? Sans doute. Mais cela n'explique pas tout. En effet, les violences surgissent sur l'ensemble du territoire belge, au moment ou les troupes occupantes quittent les lieux [11] , y compris la ou l'armée occupe le terrain. En outre, les soldats eux-memes participent aux violences. L'explication par la vacance de pouvoir ne suffit donc pas. Un autre élément d'explication me paraît se situer au plan des représentations. Les départements du Nord de la France ont été soupçonnés de façon plus ou moins diffuse mais réelle de s'etre un peu trop facilement accommodés de la présence ennemie, c'est-a-dire de n'avoir pas tout a fait partagé les souffrances nationales. Le maintien de l'ordre par les héroiques et soupçonneux soldats se fera d'autant plus facilement. En revanche, la Belgique occupée est restée tout au long du conflit le symbole meme du martyre national : c'est bien au nom de la Belgique Martyre que les soldats s'étaient battus [12] . Pas de soupçon, donc. Au contraire, l'image qui domine est celle d'une population unanime souffrant héroiquement. Ceux qui ont trahi cette souffrance commune ne sont pas de vrais Belges, ils ne méritaient pas que l'on se sacrifie pour eux. La colere populaire et celle des soldats peuvent des lors se rejoindre dans une violence partagée et temporaire. Car, il faut noter que ces débordements de violence ne durent guere plus de deux semaines. A partir du moment ou l'appareil judiciaire prend les affaires en main, la colere des foules se dissipe. Des la mi-décembre, le retour a l'ordre semble réel.
Ceci se passait en 1918, j'ai volontairement ôté les dates et autres indices pour marquer les similitudes ...
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Dernière édition par le 5/10/2007, 12:25, édité 1 fois
Phil642- Général (Administrateur)
- Nombre de messages : 7820
Age : 58
Localisation : La vie est Belge
Date d'inscription : 09/05/2006
Re: La répression des inciviques
Bonjour,
Impressionnant ! Tu aurais enleve les dates, on se serait cru en 45, effectivement...
Impressionnant ! Tu aurais enleve les dates, on se serait cru en 45, effectivement...
Invité- Général de Division
- Nombre de messages : 7342
Date d'inscription : 16/07/2006
Re: La répression des inciviques
salut,
je n'étais pas au courant de l'épuration post première guerre. l'" homme " reste un animal cruel.
@+, pegase001
je n'étais pas au courant de l'épuration post première guerre. l'" homme " reste un animal cruel.
@+, pegase001
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