Des lettres d'amour, sorties de l'antichambre d'Auschwitz
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Des lettres d'amour, sorties de l'antichambre d'Auschwitz
L'Obs : Des lettres d'amour, sorties de l'antichambre d'Auschwitz
L'Obs a écrit:De 1941 à 1942, Paul Zuckermann a envoyé 180 lettres à sa fiancée depuis Drancy.
Avec 4231 hommes juifs arrêtés comme lui à Paris entre le 20 et le 24 août, il «inaugure» la cité de la Muette de Drancy, vaste bâtiment en U, désormais camp d’internement pour les juifs.
Deux mois avant, il diffusait clandestinement des photos du général de Gaulle. Ce beau garçon déborde d’énergie. Il connait la sténo dactylo, se propose assez vite pour aider à l’organisation du camp où rien n’a été prévu pour cette arrivée massive. Il est jeune, 28 ans, éclatant de vitalité et très amoureux de Berthe, sa fiancée. Il signe ironiquement cette première lettre de Drancy adressée à sa mère «Adolf».
Cannes, juillet 2003. Dans un placard de l’appartement de ses parents décédés, Suzanne, 53 ans, déniche, stupéfaite, nouées avec un ruban, les 180 lettres envoyées clandestinement du camp pendant un an par Paul, la plupart adressées à sa fiancée. Suzanne, fille de Paul et Berthe qui ont survécu à l’occupation, ignorait la vie de ses parents pendant la guerre. Elle découvre une étonnante histoire d’amour. Paul écrivait longuement, souvent, fiévreusement, amoureusement, de longues lettres. Puis caché derrière une fenêtre, il attendait les réponses de Berthe venue devant le camp faire avec les bras des grands gestes, signaux convenus d’avance.
Les lettres de Paul constituent un témoignage saisissant sur la vie au camp de Drancy pendant cette période, un document historique essentiel. D’abord, il y a ces interminables instructions données par Paul à Berthe sur le contenu, la taille, l’organisation des colis (qui arrivent encore par la Croix Rouge). On devine le poids de la faim, du manque d’hygiène, de la promiscuité. Une dose de Viandox, une chemise propre, un tube de dentifrice rempli de confiture prennent une importance démesurée.
Ensuite dans les premières lettres, Drancy n’est pas encore un lieu de transit vers les camps de la mort. Certains gardiens français sont même «chics». Déjà, pourtant, des prisonniers se suicident, des malades meurent. La lecture de la page spectacle d’un journal bouleverse Paul. Car à Paris, la vie continue, on y fait la fête, les théâtres et les cinémas sont pleins.
Révolte, colère, sentiment que le sort des milliers de juifs de Drancy n’intéresse personne. «Je suis prisonnier, je ne sais même pas pourquoi.» Paul reste confiant, malgré tout: le camp n’abrite que des hommes, ceux-ci vont sans doute être envoyés en camp de travail. En outre, des prisonniers âgés et des handicapés ont été libérés. Certains seront à nouveau raflés plus tard, mais Paul à cette date là, l’ignore. Il semble encore exister des critères «humains». La conférence de Wannsee (janvier 1942) sur l’organisation de la solution finale n’a pas encore eu lieu.
Et puis tout change. Paul apprend que 800 hommes vont être envoyés prochainement «on ne sait pas où ». C’est le premier convoi pour Auschwitz, le 27 mars 1942. Le jeune homme s’accroche à l’idée que les partants vont aller «dans les Ardennes pour des travaux forestiers et des travaux des champs.»
Drancy, été 42. Les espérances de Paul s’effritent définitivement au fil des lettres. La cadence des convois s’accélère. Le camp est désormais l’antichambre de la déportation. En tant que sténo dactylo, Paul tape des listes. Il essaye d’agir quand il le peut pour retarder un départ, regrouper des proches. Des vieillards, de grands malades partent avec les autres.
Avec l’arrivée massive de femmes, d’enfants, l’horreur s’amplifie. Paul est atterré. Il pressent le pire. «Le but à atteindre est de tous nous exterminer», puis il recule: «Mais il ne le sera pas, j’en suis certain.» Formidable témoignage sur la difficulté de l’esprit humain à imaginer le pire. Les stratégies de survie se révèlent dérisoires. Il faut porter l’étoile jaune, supplie Paul dans une lettre à Berthe, car des gens ont été raflés pour ne pas l’avoir arborée. Et puis ensuite: «Des jeunes ont été arrêtés pour avoir porté l’étoile.» Tout est absurde. «Je suis retranché du genre humain.»
Très appliqué dans son travail d’organisation, Paul a perdu ses repères: il est content lorsque les collabos français, responsables du camp, le félicitent, «sans mesurer ce qu’a d’anormal son travail», comme le notera plus tard l’historienne Annette Wieviorka.
On le sent surtout soucieux d’adoucir comme il peut le sort des uns et des autres. Mais il ne dort plus, ne pense plus qu’«aux listes, aux départs», se raccroche à la rumeur selon laquelle ces femmes et ces enfants, séparés dans d’atroces conditions, doivent se retrouver pour créer des communautés juives, dans les pays Baltes ou en Pologne, et y vivre «en autarcie d’agriculture, d’artisanat». Impossible de penser l’inconcevable.
Narduccio- Général (Administrateur)
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