Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard
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Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard
Salut!
pour ceux que cela intéresse, voici un extrait du témoignage du Dr Konrad Morgen devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg. Le temoignage étant particulièrement long et détaillé, j'ai choisi de retranscrire uniquement la partie concernant Christian Wirth et l'Aktion Reinhard. L'extrait est précédé par une courte bio du Dr Morgen, ainsi qu'une déclaration préalable faite sous serment.
(Documents originaux en anglais: "The International Military Tribunal for Germany - Trial of the Major War Criminals before the IMT, Trial Proceedings Vol. 20. La traduction et l'adaptation française sont de moi)
Georg Konrad Morgen (8.6.1909 - 4.2.1982), SS-Sturmbannführer et juge auprès des tribunaux de la SS et de la Police, fût chargé par le Reichsführer Himmler d'enquêter sur la corruption et les "meurtres non-authorisés" au sein des camps de concentration. Concernant l'Aktion Reinhard, Morgen enquêta sur des rumeurs selon lesquelles Christian Wirth – qui était alors Inspecteur des 3 centres de mise à mort immédiates de l'AR, à savoir Belzec, Sobibor et Treblinka II – aurait permis à des personnels SS de l'Einsatz Reinhard, de participer à un mariage juif près de Lublin. En enquêtant plus en profondeur, il découvrit que Wirth commandait un camp à Lublin où d'énormes quantités de vêtements et d’objets de valeur des victimes juives étaient stockés ("Alter Flugplatz lager" ou le camp du vieil aérodrome), et ou la corruption et le vol à grande échelle sévissaient. Lors d’une visite ultérieure à Lublin, Morgen fut témoin par hasard des conséquences de l’opération "Fête des Moissons" (Aktion Erntefest): la liquidation de 3 grands camps de travail (Lublin-Majdanek, Poniatowa et Trawniki) et de plusieurs petits camps de travail juifs dans la région de Lublin. L’opération, dirigé par Wirth de retour de Trieste sur ordre spécial, fût ordonnée par Himmler au motif que les juifs devenaient un danger trop grand - notamment après les révoltes dans les centres de mise à mort de Treblinka II et de Sobibor. Autour de 43000 juifs - hommes et femmes - furent fusillés sur une periode de quelques jours. Morgen arriva le lendemain de la fin du massacre et rédigea un rapport à partir de dépositions de témoins oculaires. Rapport dont une partie fut lue lors de l'interrogatoire préalable d'Ernst Kaltenbrunner à Nuremberg. Après la fin de la guerre, Morgen fut témoin à décharge lors du procès des criminels de guerre nazis au Tribunal Militaire International de Nuremberg, du procès du WVHA, et du procès d'Auschwitz en 1965 à Francfort-sur-le-Main.
Déclaration sous serment du docteur KONRAD MORGEN, en date du 19 juillet 1946.
Je m'appelle Konrad Morgen, né le 8 juin 1909 à Frankfort-sur-le-Main, juge de réserve de la SS et ancien SS-Sturmbannführer. Je déclare que:
- Au cours de mes enquêtes sur les crimes dans les camps de concentration, j'ai pu rencontrer à maintes reprises les organes exécuteurs de l'extermination de masse, et ai appris sur les donneurs d'ordres de différents niveaux ce qui suit.
1. Le médecin en chef de la SS, le SS-Gruppenführer Dr Grawitz, me déclara que Hitler lui-même lui avait donné l'ordre d'exterminer les juifs. (dans sa 1ère déclaration datée du 13 juillet 1946, Morgen affirmait que Grawitz avait été consulté par Himmler durant l'été 1941 pour savoir qu'elle était la meilleure façon de proceder à l'extermination massive des juifs - ajouté par moi)
2. Historiquement, l'extermination des juifs a débuté en Europe de l'est, en Pologne. Cela a été réalisé selon la même méthode, avec du gaz, et par l'équipe qui avait auparavant mené la destruction des malades mentaux incurables en Allemagne (Aktion T4 - ajouté par moi).
J'ai parlé à plusieurs reprises en détail avec cette équipe et son chef, le Kriminalkommissar Wirth. Wirth n'était pas un membre de la SS (Wirth, à l'époque de sa prise de commandement à Belzec, était SS-Oberstumrführer, en plus de son grade de Polizeihauptmann - ajouté par moi). Connu pour ses méthodes d'enquête peu scrupuleuses sur les homicides, il fut détaché de la police criminelles de Stuttgart (KRIPO) pour une mission spéciale ordonnée par le Führer. Celle-ci consista d'abord à exterminer en masse les malades mentaux. Puis vint le tour des juifs. Il dû mettre en place l'organisation technique et matérielle, et dissimuler complètement l'entreprise de l'extérieur. Son experience policière dans l'élucidation d'homicides a été ici utilisé pour effacer les traces des crimes. Wirth avait ses propres hommes. L'entreprise s'est déroulée en dehors de l'organisation et des services de la SS. Il avait ses entrées en permanence à la Chancellerie de Führer (Kanzlei des Führers KDF - ajouté par moi) à Berlin, Tiergartenstrasse (Tiergartenstrasse est l'adresse du QG de l'Aktion T4. L'adresse du KDF est initiallement sur le Lützowufer, puis tranféré Vosstrasse 4 à l'ouverture de la nouvelle Chancellerie du Reich - ajouté par moi). Wirth y recevait ses instructions directement, et y faisait ses rapports. Durant l'extermination des juifs, aucun changement n'est intervenu dans la chaine de commandement. Le lieu de décision est resté la Chancellerie du Führer. Le commando a reçu des uniformes et des papiers de la police de sécurité, juste pour pouvoir se déplacer dans la zone à la suite de l'armée. Le commando a été renforcé par des baltes qui avaient perdu leurs familles à cause des commissaires soviétiques juifs. Le personnel était en outre incroyablement peu nombreux. La destruction a été effectué par un important groupe de juifs qui vivaient presque en liberté, et recevaient toutes sortes de faveurs et de promesses.
J'ai des raisons de croire que même les authorités locales n'étaient pas informées de l'activité de cette organisation.
Le commando agissait soous le nom de code "Aktion Reinhard". Avant le début de l'action proprement dite, Himmler a reçu personnellement la prestation de serment de ses membres. À cette occasion, il leur a signifié qu'ils devraient rester absolument muets et observer le secret le plus absolu. Il s'agissait d'un ordre du Führer. Celui qui ferait la plus petite remarque sur cette opération serait un homme mort.
Le commando à dû finir son activité à l'automne 1943, et détruire jusqu'aux fondations, les camps d'extermination de l'Est (Belzec, Sobibor et Treblinka II - ajouté par moi). Il a ensuite (le commando) été employé pour le combat contre les partisans en Istrie (OZAK). Wirth y a été tué au printemps 1944 dans une embuscade (le 26 mai 1944 à Hrpelje-Kozina - ajouté par moi). La majorité des autres membres de ce commando sont eux aussi tombés au combat.
3. Höss a débuté l'extermination massive à Auschwitz à une date beaucoup plus tardive. Il détruisait seulement les juifs incapables de travailler. Ses méthodes - différentes - faisait dire à Wirth qu'il était son élève malhabile.
.../...
Dr Morgen
Signature du témoin sous serment
Transcrit et certifié devant moi ce 19 juillet 1946 à Nuremberg
Albert B Starnes, Capitaine
Tribunal Militaire International, Nuremberg
Audience du mercredi 7 août 1946
Le Président: Voulez-vous dire votre nom complet s'il vous plaît ?
GEORG KONRAD MORGEN (témoin): Georg Konrad Morgen.
Le Président: Vous pouvez vous asseoir.
M. Pelckmann: Témoin, vu l'importance de votre témoignage, je vais d'abord vous interroger en détail sur votre personne. Étiez-vous juge SS de réserve ?
K. MORGEN : Oui.
Q: Quelle formation avez-vous suivie ?
R: J'ai étudié le droit aux universités de Francfort-sur-le-Main, de Rome, de Berlin. J'ai étudié à l'Académie de droit international de La Haye et à l'Institut d'économie mondiale et de navigation maritime de Kiel. J'ai réussi le premier examen et l'examen d'État en droit. Avant la guerre, j'étais juge au tribunal de district de Stettin.
Q: Étiez-vous spécialiste en criminologie et en droit pénal?
R: Non, je me suis spécialisé en droit international. Plus tard pendant la guerre, lorsque j'ai dû m'occuper d'affaires criminelles et de droit pénal, j'ai fait un travail spécial dans ce domaine.
Q: Comment êtes-vous entré dans la SS?
R: J'ai été enrôlé d'office dans la SS générale (Allgemeine SS - ajouté par moi). En 1933, j'appartenais au "Reichskommando für Jugendschrift" (Commission du Reich pour la formation des jeunes - ajouté par moi), dont le groupe d'étudiants était entièrement intégré à la SS générale. Au début de la guerre, j'ai été enrôlé dans la Waffen-SS
Q: Quel grade aviez-vous?
R: Dans la SS générale, j'étais Staffelanwarter et SS-Rottenführer. Dans la Waffen-SS, j'étais SS-Sturmbannführer de réserve.
Q: Quel exemple pouvez-vous donner pour montrer que vous ne croyiez pas avoir participé à un complot lorsque vous êtes entré dans la SS - très brièvement, s'il vous plaît.
R: En 1936, j'ai publié un livre sur la propagande de guerre et la prévention de la guerre. Ce livre, à une époque où la guerre menaçait, montrait des moyens de prévenir la guerre et de prévenir l'incitation à l'hostilité entre les nations. Le livre a été examiné par le Parti et publié. Par conséquent, je ne pouvais pas supposer que les SS ou la politique du gouvernement du Reich étaient orientés vers la guerre.
Q: Comment en êtes-vous venu à faire des enquêtes dans les camps de concentration?
R: Sur ordre du Reichsführer-SS Himmler, et en raison de mes compétences particulières en criminologie, j'ai été affecté par le bureau central des tribunaux SS à la police criminelle du Reich à Berlin, ce qui équivalait à une mutation. Peu après mon arrivée, on m'a confié la tâche d'enquêter sur une affaire de corruption à Weimar. L'accusé était un membre du camp de concentration de Weimar-Buchenwald. Les investigations ont rapidement conduit à la personne de l'ancien commandant Koch (SS-Standartenführer Karl Otto Koch - ajouté par moi) et de plusieurs de ses subordonnés, et au-delà, elles ont concerné un certain nombre d'autres camps de concentration. Lorsque ces investigations ont pris de l'ampleur, j'ai reçu du Reichsführer-SS les pleins pouvoirs pour procéder à de telles investigations dans les camps de concentration.
Q: Pourquoi une procuration spéciale du Reichsführer était-elle nécessaire ?
R: Pour les gardiens des camps de concentration, les tribunaux de la SS et de police étaient compétents. C'est-à-dire dans chaque cas le tribunal local dans le district duquel se trouvait le camp de concentration. C'est pourquoi, en raison de la compétence limitée de son juge, le tribunal ne pouvait pas agir en dehors de son propre ressort. Dans ces enquêtes et leurs vastes ramifications, il était important de pouvoir travailler dans différents ressorts. En outre, il fallait faire appel à des spécialistes de la police judiciaire, c'est-à-dire à la police criminelle (KRIPO - ajouté par moi). Mais la police criminelle ne pouvait pas mener d'enquête directement avec les troupes, et c'est seulement en combinant les activités judiciaires et la police criminelle qu'il était possible d'éclaircir ces affaires. C'est donc à cette fin que j'ai reçu cette procuration spéciale du Reichsführer-SS.
Q: Maintenant, quelle a été l'ampleur de ces enquêtes?
R: J'ai enquêté sur Weimar-Buchenwald, Lublin, Auschwitz, Sachsenhausen, Oranienburg, Hertogenbosch, Cracovie, Plaszow, Varsovie et le camp de concentration de Dachau. Et d'autres ont été enquêtés après moi.
Q: Sur combien de cas avez-vous enquêté? Combien de condamnations ont été prononcées? Combien de condamnations à mort?
R: J'ai enquêté sur environ 800 cas. Environ 200 ont été jugés au cours de mon activité. Cinq commandants de camps de concentration ont été arrêtés par moi personnellement. Deux ont été fusillés après leur procès (Karl Koch et Hermann Florstedt, tous 2 commandant du KL Lublin-Majdanek à l'époque de leur arrestation - ajouté par moi)
Q: Vous les avez fait fusiller?
R. Oui.
Q: Avez-vous eu l'occasion de vous faire une idée personnelle des conditions de vie dans les camps de concentration ?
R: Oui, car j'avais l'autorisation de visiter les camps de concentration. Seules quelques personnes avaient cette autorisation. Avant de commencer une enquête, j'ai examiné de près le camp de concentration en question dans tous ses détails, en particulier les dispositions qui me semblaient particulièrement importantes. Je les ai visités à plusieurs reprises et sans préavis. J'ai travaillé principalement à Buchenwald même pendant 8 mois et j'y ai vécu. J'ai séjourné à Dachau pendant 1 ou 2 mois.
Q: Avez-vous eu l'impression, et à quel moment, que les camps de concentration étaient des lieux d'extermination d'êtres humains ?
R: Je n'ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n'est pas un lieu d'extermination d'êtres humains. Je dois dire que ma première visite dans un camp de concentration a été pour moi une grande surprise. Les installations étaient propres et fraîchement peintes. Il y avait beaucoup de pelouse et de fleurs. Les prisonniers étaient en bonne santé, normalement nourris, bronzés, travaillant...
.../...
Q: Comment avez-vous découvert la piste menant aux meurtres de masse?
R: Par hasard. En 1943, j'ai découvert 2 pistes en même temps, l'une menant à Lublin et l'autre à Auschwitz.
Q: Veuillez d'abord décrire la piste de Lublin.
R: Un jour, j'ai reçu un rapport du commandant de la police de sécurité de Lublin. Il m'a dit qu'un mariage juif avait eu lieu dans un camp de travail juif de son district. Il y avait eu plus de 1000 invités à ce mariage. Ce qui a suivi a été décrit comme tout à fait extraordinaire en raison de la consommation excessive de nourriture et de boissons alcoolisées. Parmi les juifs présents à cet évênement tout à fait inhabituel, se trouvaient également des membres de la garde du camp - c'est-à-dire des SS - qui ont participé à cette fête. Ce rapport ne m’est parvenu que par des détours quelques mois plus tard, parce que le commandant de la police de sécurité soupçonnait que les circonstances indiquaient que des actes criminels avaient été commis. C’était aussi mon impression, et je pensais que ce rapport me donnerait un indice sur une autre grande affaire de corruption criminelle. C’est dans cet esprit que je me suis rendu à Lublin et que j’ai appelé la police de sécurité. Mais ils m’ont tout simplement dit que les événements s’étaient déroulés dans un camp de la "Deutsche Ausrustungswerke" (ou DAW, Usine d'Armement Allemande - ajouté par moi). Mais on ne savait rien de tout cela. On m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’un camp plutôt étrange et caché (c’était le terme utilisé) dans les environs de Lublin. J’ai découvert le camp et le commandant, qui était le commissaire de police Wirth (Kriminalkommissar ou KK - ajouté par moi). J’ai demandé à Wirth si ce rapport était vrai, et ce qu’il signifiait. À ma grande surprise, Wirth l’a admis franchement. Je lui ai demandé pourquoi il permettait à des membres de son commandement de faire de telles choses, et Wirth m'a alors révélé que sur ordre du Führer, il devait procéder à l'extermination des juifs du Gouvernement Général. J'ai demandé à Wirth quel était le rapport avec le mariage juif. Wirth m'a alors décrit la méthode par laquelle il procédait à l'extermination des Juifs et il a dit quelque chose comme: "Il faut combattre les Juifs avec leurs propres armes", c'est-à-dire - pardonnez-moi d'utiliser cette expression - il faut les tromper.
Wirth a mis en place une énorme manœuvre trompeuse. Il a d'abord sélectionné des juifs qui, pensait-il, serviraient de chefs de commandos, puis ces Juifs ont amené d'autres Juifs qui travaillaient sous leurs ordres. Et c'est avec ces détachements de juifs qu'il a commencé à constituer les camps d'extermination. Il a élargi ces commandos et avec leur aide, Wirth lui-même a procédé à l'extermination des juifs.
Wirth a déclaré qu'il avait 4 camps d'extermination (les 3 centres de mise à mort immédiate Belzec, Sobibor et Treblinka, 4 si on y inclut Lublin-majdanek qui faisait partie nominalement de Reinhard - ajouté par moi) et qu'environ 5 000 Juifs travaillaient à l'extermination de leurs coréligionnaires, et à la confiscation de leurs biens. Afin de gagner les juifs à cette entreprise d'extermination et de pillage de leurs frères de race et de croyance, Wirth leur a donné toute liberté et, pour ainsi dire, leur a donné un intérêt financier dans le pillage des victimes mortes. C'est à cause de cette attitude que ce somptueux mariage juif a eu lieu.
J'ai alors demandé à Wirth comment il tuait les juifs. Il Wirth m'a décrit toute la procédure qui se déroulait à chaque fois comme dans un film. Les camps d'extermination se trouvaient à l'est du Gouvernement Général, dans de grandes forêts ou des terrains vagues inhabités. Ils étaient construits comme un village Potemkine. Les gens qui y arrivaient avaient l'impression d'entrer dans une ville ou un bourg. Le train entrait dans une fausse gare. Après que les escortes et le personnel du train eurent quitté la zone, les wagons étaient ouverts et les juifs en sortaient. Ils étaient encerclés par ces détachements de travail juifs, et le commissaire de la police criminelle Wirth ou l'un de ses représentants prononçait un discours. Ils leur disaient: "juifs, vous avez été amenés ici pour être réinstallés, mais avant que nous organisions votre futur État juif, vous devez bien sûr apprendre à travailler. Vous devez apprendre un nouveau métier. C'est ce que nous vous apprendrons ici. Notre routine ici est que, tout d'abord, chacun doit se déshabiller pour que vos vêtements puissent être désinfectés, et de prendre un bain pour qu'aucune épidémie ne soit introduite dans le camp."
Après avoir prononcé ces mots apaisants aux futurs victimes, elles allèrent sur le chemin de la mort. Hommes, femmes et enfants étaient séparés. Au premier endroit, l'un devait livrer le chapeau, au suivant, le manteau, le col, la chemise, jusqu'aux chaussures et aux chaussettes. Ces endroits étaient de faux vestiaires, et les personnes recevaient un ticket à chaque fois pour leur faire croire qu'ils récupéreraient leurs affaires après la désinfection. Les juifs des commandos devaient recevoir les affaires et presser les nouveaux arrivants pour qu'ils n'aient pas le temps de réfléchir. Tout cela ressemblait à une chaîne de montage d'usine. Après la dernière étape, ils arrivaient dans une grande salle et on leur disait que c'était le bain. Lorsque le dernier était entré, les portes étaient fermées et le gaz entrait dans la pièce.
Aussitôt que la mort eut lieu, on mit en marche les ventilateurs. Lorsque l'air fut à nouveau respirable, on ouvrit les portes et les ouvriers juifs enlevèrent les corps. Grâce à un procédé spécial inventé par Wirth, ils furent brûlés à l'air libre sans utiliser de combustible.
Q: Wirth était-il membre de la SS?
R: Non, il était commissaire de la police criminelle à Stuttgart.
Q: Avez-vous demandé à Wirth comment il en était arrivé à ce système diabolique?
R: Lorsque Wirth prit en charge l'extermination des juifs, il était déjà spécialiste de la destruction massive d'êtres humains. Il avait déjà effectué auparavant la tâche d'exterminer les aliénés incurables (Aktion T4 - ajouté par moi). Sur ordre du Führer lui-même (par un ordre de Heydrich en date du 21 mars 1941, Wirth recu la protection speciale du Führer "Zugleich darf er des besonderen schutzes des führer sicher sein" - en clair, il devenait hors cadre et recevait ses ordres directement et exclusivement du KDF - ajouté par moi), ordre transmis par la Chancellerie du Führer (KDF Kanzlei des Führers, ajouté par moi) il avait, au début de la guerre, créé un détachement à cet effet, composé probablement de quelques fonctionnaires de son cru, le reste étant des agents et des espions de la police criminelle.
Wirth a décrit très clairement comment il s'y est pris pour mener à bien cette mission. Il n'a reçu aucune aide, aucune instruction, mais a dû tout faire tout seul. On ne lui a donné qu'un vieux bâtiment vide à Brandebourg (le centre d'euthanasie de Brandenbourg-sur-la-Havel - ajouté par moi). C'est là qu'il a fait ses premières expériences de gazage. Après mûre réflexion et de nombreuses expériences individuelles, il élabora son système ultérieur, qui fut ensuite utilisé à grande échelle pour exterminer les aliénés. Une commission médicale examinait au préalable les dossiers, et les aliénés qui étaient répertoriés par les asiles comme incurables furent inscrits sur une liste séparée. Puis, un jour, l'asile concerné fut chargé d'envoyer ces patients dans un autre asile. De cet asile, les patients furent transférés à nouveau, souvent plus d'une fois. Finalement, ils arrivèrent dans l'asile de Wirth, où il furent gazés et incinérés.
Ce système qui trompait les asiles et en faisait des complices inconscients, lui permit d'exterminer un grand nombre de personnes avec très peu d'aides, et Wirth l'utilisa ensuite avec quelques modifications et améliorations pour l'extermination des juifs en Pologne. Il en fut également chargé par la Chancellerie du Führer.
Q: Les déclarations que Wirth vous a faites doivent avoir dépassé l'imagination humaine. Avez-vous cru Wirth tout de suite?
R: Au début, la description de Wirth m'a semblé complètement fantastique, mais à Lublin, j'ai vu un de ses camps. C'était un camp où étaient recueillis les biens ou une partie des biens de ses victimes ("Alter Flugplatz lager" - ajouté par moi). À en juger par les montagnes de choses - il y avait une quantité astronomique de montres empilées - j'ai dû comprendre qu'il se passait ici quelque chose d'effroyable. On m'a montré les objets de valeur. Je peux dire que je n'ai jamais vu autant d'argent à la fois, surtout de l'argent étranger. Toutes sortes de pièces de monnaie, du monde entier. En outre, il y avait un four à or et de grandes quantités de lingots d'or. C'était vraiment prodigieux.
J'ai également vu que le quartier général d'où Wirth dirigeait ses opérations était très petit et discret (Wirth, en tant que "Inspekteur des SS-Sonderkommando Abteilung Reinhard beim SS und Polizeiführer Lublin", dirigait toute l'opération depuis la "Julius Schreck Kaserne" à Lublin - ajouté par moi). Il n'y avait que 3 ou 4 personnes qui travaillaient pour lui. J'ai aussi parlé avec eux.
J'ai vu et observé ses courriers arriver. Ils venaient en fait de Berlin, de la Tiergartenstrasse, de la Chancellerie du Führer, et y retournaient. J'ai examiné le courrier de Wirth et j'y ai trouvé confirmation de tout cela. Bien entendu, je n'ai pas pu faire ni voir tout cela lors de cette première visite. J'y suis allé souvent. J'ai poursuivi Wirth jusqu'à sa mort.
Q: Wirth vous a-t-il donné les noms de personnes qui étaient liées à cette opération?
R: Peu de noms ont été mentionnés, pour la simple raison que le nombre de ceux qui y ont participé se compte, pour ainsi dire, sur les doigts d'une main. Je me souviens d'un nom. Je crois que c'était Blankenburg, à Berlin.
Q: Blankenburg?
R: Werner Blankenburg, de la Chancellerie du Führer (Oberbereichsleiter, adjoint de Viktor Brack au bureau IIa - ajouté par moi).
Le Président: Bon, il vaut mieux lever la séance maintenant. Nous sommes déjà là depuis 50 minutes.
Audience du jeudi 8 août 1946
.../...
Q: Revenons, si vous le voulez bien, aux exterminations de masse, dont vous avez décrit un cas hier. Vous avez parlé du commissaire Wirth qui n'était pas membre de la SS et dont le personnel n'était pas composé de SS. Pourquoi cette mission lui a-t-elle été confiée?
R: J'ai déjà mentionné que Wirth était commissaire de la police criminelle de Stuttgart. Il était commissaire chargé d'enquêtes sur les crimes capitaux, en particulier les meurtres. Il avait une certaine réputation d'enqueteur et de découvreur d'indices et, avant la prise du pouvoir, il était connu du grand public pour ses méthodes d'enquête peu scrupuleuses qui ont même donné lieu à un débat au parlement du Wurtemberg (Wirth utilisait les "interrogatoires renforcés", c'est à dire la torture - ajouté par moi). Cet homme a ensuite été utilisé pour dissimuler les traces des massacres. On pensait que compte tenu de son expérience professionnelle antérieure, cet homme était suffisamment peu scrupuleux pour faire ce travail, et cela s'est avéré vrai par la suite.
Q: Vous avez mentionné les prisonniers juifs qui ont participé aux massacres. Qu'est-il advenu de ces personnes?
R: Wirth m'a dit qu'à la fin des opérations il ferait fusiller ces prisonniers et les dépouillerait des profits qu'il leur avait permis de réaliser durant les exterminations. Il ne l'a pas fait tout d'un coup, mais au moyen des méthodes trompeuses déjà décrites. il a attiré et séparé les prisonniers, et les a ensuite tués un par un.
Q: Avez-vous entendu parler de Höss (Rudolf) par Wirth?
R: Oui. Wirth l'appelait son disciple sans talent.
Q: Pourquoi?
R: Contrairement à Wirth, Höss utilisait des méthodes entièrement différentes. Je les décrirai mieux lorsque nous en viendrons à parler d'Auschwitz.
.../...
Q: Témoin, dans des circonstances normales, qu'auriez-vous dû faire après avoir appris toutes ces choses horribles?
R: Dans des circonstances normales, j'aurais dû faire arrêter le commissaire police Wirth et le commandant Höss et les accuser de meurtre.
Q: L'avez-vous fait?
R: Non.
Q: Pourquoi pas?
R: La réponse est déjà contenue dans la question. Les circonstances qui prévalaient en Allemagne pendant la guerre n'étaient plus normales au sens des garanties juridiques de l'État. En outre, il faut tenir compte de ce qui suit: je n'étais pas simplement juge, mais j'étais juge pénal militaire. Aucun conseil de guerre au monde ne pouvait traduire en justice le commandant en chef, et encore moins le chef de l'État.
Q: Ne discutez pas de problèmes juridiques, mais dites-nous pourquoi vous n'avez pas fait ce que vous auriez dû faire, à votre avis?
R: Je vous demande pardon. Je disais qu'il ne m'était pas possible, en tant que Sturmbannführer, d'arrêter Hitler qui, selon moi, était l'instigateur de ces ordres.
Q: Alors, qu'avez-vous fait?
R: Sur la base de cette constatation, j'ai compris qu'il fallait agir immédiatement pour mettre un terme à ces actions. Il fallait amener Hitler à retirer ses ordres. Dans ces conditions, cela ne pouvait être fait que par le Reichsführer Himmler en tant que ministre de l'Intérieur et chef de la Police. J'ai pensé à l'époque que je devais m'efforcer d'approcher Himmler par l'intermédiaire des chefs de département, et de lui faire comprendre que par ces méthodes, l'État était conduit tout droit dans l'abîme...
pour ceux que cela intéresse, voici un extrait du témoignage du Dr Konrad Morgen devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg. Le temoignage étant particulièrement long et détaillé, j'ai choisi de retranscrire uniquement la partie concernant Christian Wirth et l'Aktion Reinhard. L'extrait est précédé par une courte bio du Dr Morgen, ainsi qu'une déclaration préalable faite sous serment.
(Documents originaux en anglais: "The International Military Tribunal for Germany - Trial of the Major War Criminals before the IMT, Trial Proceedings Vol. 20. La traduction et l'adaptation française sont de moi)
Georg Konrad Morgen (8.6.1909 - 4.2.1982), SS-Sturmbannführer et juge auprès des tribunaux de la SS et de la Police, fût chargé par le Reichsführer Himmler d'enquêter sur la corruption et les "meurtres non-authorisés" au sein des camps de concentration. Concernant l'Aktion Reinhard, Morgen enquêta sur des rumeurs selon lesquelles Christian Wirth – qui était alors Inspecteur des 3 centres de mise à mort immédiates de l'AR, à savoir Belzec, Sobibor et Treblinka II – aurait permis à des personnels SS de l'Einsatz Reinhard, de participer à un mariage juif près de Lublin. En enquêtant plus en profondeur, il découvrit que Wirth commandait un camp à Lublin où d'énormes quantités de vêtements et d’objets de valeur des victimes juives étaient stockés ("Alter Flugplatz lager" ou le camp du vieil aérodrome), et ou la corruption et le vol à grande échelle sévissaient. Lors d’une visite ultérieure à Lublin, Morgen fut témoin par hasard des conséquences de l’opération "Fête des Moissons" (Aktion Erntefest): la liquidation de 3 grands camps de travail (Lublin-Majdanek, Poniatowa et Trawniki) et de plusieurs petits camps de travail juifs dans la région de Lublin. L’opération, dirigé par Wirth de retour de Trieste sur ordre spécial, fût ordonnée par Himmler au motif que les juifs devenaient un danger trop grand - notamment après les révoltes dans les centres de mise à mort de Treblinka II et de Sobibor. Autour de 43000 juifs - hommes et femmes - furent fusillés sur une periode de quelques jours. Morgen arriva le lendemain de la fin du massacre et rédigea un rapport à partir de dépositions de témoins oculaires. Rapport dont une partie fut lue lors de l'interrogatoire préalable d'Ernst Kaltenbrunner à Nuremberg. Après la fin de la guerre, Morgen fut témoin à décharge lors du procès des criminels de guerre nazis au Tribunal Militaire International de Nuremberg, du procès du WVHA, et du procès d'Auschwitz en 1965 à Francfort-sur-le-Main.
Déclaration sous serment du docteur KONRAD MORGEN, en date du 19 juillet 1946.
Je m'appelle Konrad Morgen, né le 8 juin 1909 à Frankfort-sur-le-Main, juge de réserve de la SS et ancien SS-Sturmbannführer. Je déclare que:
- Au cours de mes enquêtes sur les crimes dans les camps de concentration, j'ai pu rencontrer à maintes reprises les organes exécuteurs de l'extermination de masse, et ai appris sur les donneurs d'ordres de différents niveaux ce qui suit.
1. Le médecin en chef de la SS, le SS-Gruppenführer Dr Grawitz, me déclara que Hitler lui-même lui avait donné l'ordre d'exterminer les juifs. (dans sa 1ère déclaration datée du 13 juillet 1946, Morgen affirmait que Grawitz avait été consulté par Himmler durant l'été 1941 pour savoir qu'elle était la meilleure façon de proceder à l'extermination massive des juifs - ajouté par moi)
2. Historiquement, l'extermination des juifs a débuté en Europe de l'est, en Pologne. Cela a été réalisé selon la même méthode, avec du gaz, et par l'équipe qui avait auparavant mené la destruction des malades mentaux incurables en Allemagne (Aktion T4 - ajouté par moi).
J'ai parlé à plusieurs reprises en détail avec cette équipe et son chef, le Kriminalkommissar Wirth. Wirth n'était pas un membre de la SS (Wirth, à l'époque de sa prise de commandement à Belzec, était SS-Oberstumrführer, en plus de son grade de Polizeihauptmann - ajouté par moi). Connu pour ses méthodes d'enquête peu scrupuleuses sur les homicides, il fut détaché de la police criminelles de Stuttgart (KRIPO) pour une mission spéciale ordonnée par le Führer. Celle-ci consista d'abord à exterminer en masse les malades mentaux. Puis vint le tour des juifs. Il dû mettre en place l'organisation technique et matérielle, et dissimuler complètement l'entreprise de l'extérieur. Son experience policière dans l'élucidation d'homicides a été ici utilisé pour effacer les traces des crimes. Wirth avait ses propres hommes. L'entreprise s'est déroulée en dehors de l'organisation et des services de la SS. Il avait ses entrées en permanence à la Chancellerie de Führer (Kanzlei des Führers KDF - ajouté par moi) à Berlin, Tiergartenstrasse (Tiergartenstrasse est l'adresse du QG de l'Aktion T4. L'adresse du KDF est initiallement sur le Lützowufer, puis tranféré Vosstrasse 4 à l'ouverture de la nouvelle Chancellerie du Reich - ajouté par moi). Wirth y recevait ses instructions directement, et y faisait ses rapports. Durant l'extermination des juifs, aucun changement n'est intervenu dans la chaine de commandement. Le lieu de décision est resté la Chancellerie du Führer. Le commando a reçu des uniformes et des papiers de la police de sécurité, juste pour pouvoir se déplacer dans la zone à la suite de l'armée. Le commando a été renforcé par des baltes qui avaient perdu leurs familles à cause des commissaires soviétiques juifs. Le personnel était en outre incroyablement peu nombreux. La destruction a été effectué par un important groupe de juifs qui vivaient presque en liberté, et recevaient toutes sortes de faveurs et de promesses.
J'ai des raisons de croire que même les authorités locales n'étaient pas informées de l'activité de cette organisation.
Le commando agissait soous le nom de code "Aktion Reinhard". Avant le début de l'action proprement dite, Himmler a reçu personnellement la prestation de serment de ses membres. À cette occasion, il leur a signifié qu'ils devraient rester absolument muets et observer le secret le plus absolu. Il s'agissait d'un ordre du Führer. Celui qui ferait la plus petite remarque sur cette opération serait un homme mort.
Le commando à dû finir son activité à l'automne 1943, et détruire jusqu'aux fondations, les camps d'extermination de l'Est (Belzec, Sobibor et Treblinka II - ajouté par moi). Il a ensuite (le commando) été employé pour le combat contre les partisans en Istrie (OZAK). Wirth y a été tué au printemps 1944 dans une embuscade (le 26 mai 1944 à Hrpelje-Kozina - ajouté par moi). La majorité des autres membres de ce commando sont eux aussi tombés au combat.
3. Höss a débuté l'extermination massive à Auschwitz à une date beaucoup plus tardive. Il détruisait seulement les juifs incapables de travailler. Ses méthodes - différentes - faisait dire à Wirth qu'il était son élève malhabile.
.../...
Dr Morgen
Signature du témoin sous serment
Transcrit et certifié devant moi ce 19 juillet 1946 à Nuremberg
Albert B Starnes, Capitaine
Tribunal Militaire International, Nuremberg
Audience du mercredi 7 août 1946
Le Président: Voulez-vous dire votre nom complet s'il vous plaît ?
GEORG KONRAD MORGEN (témoin): Georg Konrad Morgen.
Le Président: Vous pouvez vous asseoir.
M. Pelckmann: Témoin, vu l'importance de votre témoignage, je vais d'abord vous interroger en détail sur votre personne. Étiez-vous juge SS de réserve ?
K. MORGEN : Oui.
Q: Quelle formation avez-vous suivie ?
R: J'ai étudié le droit aux universités de Francfort-sur-le-Main, de Rome, de Berlin. J'ai étudié à l'Académie de droit international de La Haye et à l'Institut d'économie mondiale et de navigation maritime de Kiel. J'ai réussi le premier examen et l'examen d'État en droit. Avant la guerre, j'étais juge au tribunal de district de Stettin.
Q: Étiez-vous spécialiste en criminologie et en droit pénal?
R: Non, je me suis spécialisé en droit international. Plus tard pendant la guerre, lorsque j'ai dû m'occuper d'affaires criminelles et de droit pénal, j'ai fait un travail spécial dans ce domaine.
Q: Comment êtes-vous entré dans la SS?
R: J'ai été enrôlé d'office dans la SS générale (Allgemeine SS - ajouté par moi). En 1933, j'appartenais au "Reichskommando für Jugendschrift" (Commission du Reich pour la formation des jeunes - ajouté par moi), dont le groupe d'étudiants était entièrement intégré à la SS générale. Au début de la guerre, j'ai été enrôlé dans la Waffen-SS
Q: Quel grade aviez-vous?
R: Dans la SS générale, j'étais Staffelanwarter et SS-Rottenführer. Dans la Waffen-SS, j'étais SS-Sturmbannführer de réserve.
Q: Quel exemple pouvez-vous donner pour montrer que vous ne croyiez pas avoir participé à un complot lorsque vous êtes entré dans la SS - très brièvement, s'il vous plaît.
R: En 1936, j'ai publié un livre sur la propagande de guerre et la prévention de la guerre. Ce livre, à une époque où la guerre menaçait, montrait des moyens de prévenir la guerre et de prévenir l'incitation à l'hostilité entre les nations. Le livre a été examiné par le Parti et publié. Par conséquent, je ne pouvais pas supposer que les SS ou la politique du gouvernement du Reich étaient orientés vers la guerre.
Q: Comment en êtes-vous venu à faire des enquêtes dans les camps de concentration?
R: Sur ordre du Reichsführer-SS Himmler, et en raison de mes compétences particulières en criminologie, j'ai été affecté par le bureau central des tribunaux SS à la police criminelle du Reich à Berlin, ce qui équivalait à une mutation. Peu après mon arrivée, on m'a confié la tâche d'enquêter sur une affaire de corruption à Weimar. L'accusé était un membre du camp de concentration de Weimar-Buchenwald. Les investigations ont rapidement conduit à la personne de l'ancien commandant Koch (SS-Standartenführer Karl Otto Koch - ajouté par moi) et de plusieurs de ses subordonnés, et au-delà, elles ont concerné un certain nombre d'autres camps de concentration. Lorsque ces investigations ont pris de l'ampleur, j'ai reçu du Reichsführer-SS les pleins pouvoirs pour procéder à de telles investigations dans les camps de concentration.
Q: Pourquoi une procuration spéciale du Reichsführer était-elle nécessaire ?
R: Pour les gardiens des camps de concentration, les tribunaux de la SS et de police étaient compétents. C'est-à-dire dans chaque cas le tribunal local dans le district duquel se trouvait le camp de concentration. C'est pourquoi, en raison de la compétence limitée de son juge, le tribunal ne pouvait pas agir en dehors de son propre ressort. Dans ces enquêtes et leurs vastes ramifications, il était important de pouvoir travailler dans différents ressorts. En outre, il fallait faire appel à des spécialistes de la police judiciaire, c'est-à-dire à la police criminelle (KRIPO - ajouté par moi). Mais la police criminelle ne pouvait pas mener d'enquête directement avec les troupes, et c'est seulement en combinant les activités judiciaires et la police criminelle qu'il était possible d'éclaircir ces affaires. C'est donc à cette fin que j'ai reçu cette procuration spéciale du Reichsführer-SS.
Q: Maintenant, quelle a été l'ampleur de ces enquêtes?
R: J'ai enquêté sur Weimar-Buchenwald, Lublin, Auschwitz, Sachsenhausen, Oranienburg, Hertogenbosch, Cracovie, Plaszow, Varsovie et le camp de concentration de Dachau. Et d'autres ont été enquêtés après moi.
Q: Sur combien de cas avez-vous enquêté? Combien de condamnations ont été prononcées? Combien de condamnations à mort?
R: J'ai enquêté sur environ 800 cas. Environ 200 ont été jugés au cours de mon activité. Cinq commandants de camps de concentration ont été arrêtés par moi personnellement. Deux ont été fusillés après leur procès (Karl Koch et Hermann Florstedt, tous 2 commandant du KL Lublin-Majdanek à l'époque de leur arrestation - ajouté par moi)
Q: Vous les avez fait fusiller?
R. Oui.
Q: Avez-vous eu l'occasion de vous faire une idée personnelle des conditions de vie dans les camps de concentration ?
R: Oui, car j'avais l'autorisation de visiter les camps de concentration. Seules quelques personnes avaient cette autorisation. Avant de commencer une enquête, j'ai examiné de près le camp de concentration en question dans tous ses détails, en particulier les dispositions qui me semblaient particulièrement importantes. Je les ai visités à plusieurs reprises et sans préavis. J'ai travaillé principalement à Buchenwald même pendant 8 mois et j'y ai vécu. J'ai séjourné à Dachau pendant 1 ou 2 mois.
Q: Avez-vous eu l'impression, et à quel moment, que les camps de concentration étaient des lieux d'extermination d'êtres humains ?
R: Je n'ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n'est pas un lieu d'extermination d'êtres humains. Je dois dire que ma première visite dans un camp de concentration a été pour moi une grande surprise. Les installations étaient propres et fraîchement peintes. Il y avait beaucoup de pelouse et de fleurs. Les prisonniers étaient en bonne santé, normalement nourris, bronzés, travaillant...
.../...
Q: Comment avez-vous découvert la piste menant aux meurtres de masse?
R: Par hasard. En 1943, j'ai découvert 2 pistes en même temps, l'une menant à Lublin et l'autre à Auschwitz.
Q: Veuillez d'abord décrire la piste de Lublin.
R: Un jour, j'ai reçu un rapport du commandant de la police de sécurité de Lublin. Il m'a dit qu'un mariage juif avait eu lieu dans un camp de travail juif de son district. Il y avait eu plus de 1000 invités à ce mariage. Ce qui a suivi a été décrit comme tout à fait extraordinaire en raison de la consommation excessive de nourriture et de boissons alcoolisées. Parmi les juifs présents à cet évênement tout à fait inhabituel, se trouvaient également des membres de la garde du camp - c'est-à-dire des SS - qui ont participé à cette fête. Ce rapport ne m’est parvenu que par des détours quelques mois plus tard, parce que le commandant de la police de sécurité soupçonnait que les circonstances indiquaient que des actes criminels avaient été commis. C’était aussi mon impression, et je pensais que ce rapport me donnerait un indice sur une autre grande affaire de corruption criminelle. C’est dans cet esprit que je me suis rendu à Lublin et que j’ai appelé la police de sécurité. Mais ils m’ont tout simplement dit que les événements s’étaient déroulés dans un camp de la "Deutsche Ausrustungswerke" (ou DAW, Usine d'Armement Allemande - ajouté par moi). Mais on ne savait rien de tout cela. On m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’un camp plutôt étrange et caché (c’était le terme utilisé) dans les environs de Lublin. J’ai découvert le camp et le commandant, qui était le commissaire de police Wirth (Kriminalkommissar ou KK - ajouté par moi). J’ai demandé à Wirth si ce rapport était vrai, et ce qu’il signifiait. À ma grande surprise, Wirth l’a admis franchement. Je lui ai demandé pourquoi il permettait à des membres de son commandement de faire de telles choses, et Wirth m'a alors révélé que sur ordre du Führer, il devait procéder à l'extermination des juifs du Gouvernement Général. J'ai demandé à Wirth quel était le rapport avec le mariage juif. Wirth m'a alors décrit la méthode par laquelle il procédait à l'extermination des Juifs et il a dit quelque chose comme: "Il faut combattre les Juifs avec leurs propres armes", c'est-à-dire - pardonnez-moi d'utiliser cette expression - il faut les tromper.
Wirth a mis en place une énorme manœuvre trompeuse. Il a d'abord sélectionné des juifs qui, pensait-il, serviraient de chefs de commandos, puis ces Juifs ont amené d'autres Juifs qui travaillaient sous leurs ordres. Et c'est avec ces détachements de juifs qu'il a commencé à constituer les camps d'extermination. Il a élargi ces commandos et avec leur aide, Wirth lui-même a procédé à l'extermination des juifs.
Wirth a déclaré qu'il avait 4 camps d'extermination (les 3 centres de mise à mort immédiate Belzec, Sobibor et Treblinka, 4 si on y inclut Lublin-majdanek qui faisait partie nominalement de Reinhard - ajouté par moi) et qu'environ 5 000 Juifs travaillaient à l'extermination de leurs coréligionnaires, et à la confiscation de leurs biens. Afin de gagner les juifs à cette entreprise d'extermination et de pillage de leurs frères de race et de croyance, Wirth leur a donné toute liberté et, pour ainsi dire, leur a donné un intérêt financier dans le pillage des victimes mortes. C'est à cause de cette attitude que ce somptueux mariage juif a eu lieu.
J'ai alors demandé à Wirth comment il tuait les juifs. Il Wirth m'a décrit toute la procédure qui se déroulait à chaque fois comme dans un film. Les camps d'extermination se trouvaient à l'est du Gouvernement Général, dans de grandes forêts ou des terrains vagues inhabités. Ils étaient construits comme un village Potemkine. Les gens qui y arrivaient avaient l'impression d'entrer dans une ville ou un bourg. Le train entrait dans une fausse gare. Après que les escortes et le personnel du train eurent quitté la zone, les wagons étaient ouverts et les juifs en sortaient. Ils étaient encerclés par ces détachements de travail juifs, et le commissaire de la police criminelle Wirth ou l'un de ses représentants prononçait un discours. Ils leur disaient: "juifs, vous avez été amenés ici pour être réinstallés, mais avant que nous organisions votre futur État juif, vous devez bien sûr apprendre à travailler. Vous devez apprendre un nouveau métier. C'est ce que nous vous apprendrons ici. Notre routine ici est que, tout d'abord, chacun doit se déshabiller pour que vos vêtements puissent être désinfectés, et de prendre un bain pour qu'aucune épidémie ne soit introduite dans le camp."
Après avoir prononcé ces mots apaisants aux futurs victimes, elles allèrent sur le chemin de la mort. Hommes, femmes et enfants étaient séparés. Au premier endroit, l'un devait livrer le chapeau, au suivant, le manteau, le col, la chemise, jusqu'aux chaussures et aux chaussettes. Ces endroits étaient de faux vestiaires, et les personnes recevaient un ticket à chaque fois pour leur faire croire qu'ils récupéreraient leurs affaires après la désinfection. Les juifs des commandos devaient recevoir les affaires et presser les nouveaux arrivants pour qu'ils n'aient pas le temps de réfléchir. Tout cela ressemblait à une chaîne de montage d'usine. Après la dernière étape, ils arrivaient dans une grande salle et on leur disait que c'était le bain. Lorsque le dernier était entré, les portes étaient fermées et le gaz entrait dans la pièce.
Aussitôt que la mort eut lieu, on mit en marche les ventilateurs. Lorsque l'air fut à nouveau respirable, on ouvrit les portes et les ouvriers juifs enlevèrent les corps. Grâce à un procédé spécial inventé par Wirth, ils furent brûlés à l'air libre sans utiliser de combustible.
Q: Wirth était-il membre de la SS?
R: Non, il était commissaire de la police criminelle à Stuttgart.
Q: Avez-vous demandé à Wirth comment il en était arrivé à ce système diabolique?
R: Lorsque Wirth prit en charge l'extermination des juifs, il était déjà spécialiste de la destruction massive d'êtres humains. Il avait déjà effectué auparavant la tâche d'exterminer les aliénés incurables (Aktion T4 - ajouté par moi). Sur ordre du Führer lui-même (par un ordre de Heydrich en date du 21 mars 1941, Wirth recu la protection speciale du Führer "Zugleich darf er des besonderen schutzes des führer sicher sein" - en clair, il devenait hors cadre et recevait ses ordres directement et exclusivement du KDF - ajouté par moi), ordre transmis par la Chancellerie du Führer (KDF Kanzlei des Führers, ajouté par moi) il avait, au début de la guerre, créé un détachement à cet effet, composé probablement de quelques fonctionnaires de son cru, le reste étant des agents et des espions de la police criminelle.
Wirth a décrit très clairement comment il s'y est pris pour mener à bien cette mission. Il n'a reçu aucune aide, aucune instruction, mais a dû tout faire tout seul. On ne lui a donné qu'un vieux bâtiment vide à Brandebourg (le centre d'euthanasie de Brandenbourg-sur-la-Havel - ajouté par moi). C'est là qu'il a fait ses premières expériences de gazage. Après mûre réflexion et de nombreuses expériences individuelles, il élabora son système ultérieur, qui fut ensuite utilisé à grande échelle pour exterminer les aliénés. Une commission médicale examinait au préalable les dossiers, et les aliénés qui étaient répertoriés par les asiles comme incurables furent inscrits sur une liste séparée. Puis, un jour, l'asile concerné fut chargé d'envoyer ces patients dans un autre asile. De cet asile, les patients furent transférés à nouveau, souvent plus d'une fois. Finalement, ils arrivèrent dans l'asile de Wirth, où il furent gazés et incinérés.
Ce système qui trompait les asiles et en faisait des complices inconscients, lui permit d'exterminer un grand nombre de personnes avec très peu d'aides, et Wirth l'utilisa ensuite avec quelques modifications et améliorations pour l'extermination des juifs en Pologne. Il en fut également chargé par la Chancellerie du Führer.
Q: Les déclarations que Wirth vous a faites doivent avoir dépassé l'imagination humaine. Avez-vous cru Wirth tout de suite?
R: Au début, la description de Wirth m'a semblé complètement fantastique, mais à Lublin, j'ai vu un de ses camps. C'était un camp où étaient recueillis les biens ou une partie des biens de ses victimes ("Alter Flugplatz lager" - ajouté par moi). À en juger par les montagnes de choses - il y avait une quantité astronomique de montres empilées - j'ai dû comprendre qu'il se passait ici quelque chose d'effroyable. On m'a montré les objets de valeur. Je peux dire que je n'ai jamais vu autant d'argent à la fois, surtout de l'argent étranger. Toutes sortes de pièces de monnaie, du monde entier. En outre, il y avait un four à or et de grandes quantités de lingots d'or. C'était vraiment prodigieux.
J'ai également vu que le quartier général d'où Wirth dirigeait ses opérations était très petit et discret (Wirth, en tant que "Inspekteur des SS-Sonderkommando Abteilung Reinhard beim SS und Polizeiführer Lublin", dirigait toute l'opération depuis la "Julius Schreck Kaserne" à Lublin - ajouté par moi). Il n'y avait que 3 ou 4 personnes qui travaillaient pour lui. J'ai aussi parlé avec eux.
J'ai vu et observé ses courriers arriver. Ils venaient en fait de Berlin, de la Tiergartenstrasse, de la Chancellerie du Führer, et y retournaient. J'ai examiné le courrier de Wirth et j'y ai trouvé confirmation de tout cela. Bien entendu, je n'ai pas pu faire ni voir tout cela lors de cette première visite. J'y suis allé souvent. J'ai poursuivi Wirth jusqu'à sa mort.
Q: Wirth vous a-t-il donné les noms de personnes qui étaient liées à cette opération?
R: Peu de noms ont été mentionnés, pour la simple raison que le nombre de ceux qui y ont participé se compte, pour ainsi dire, sur les doigts d'une main. Je me souviens d'un nom. Je crois que c'était Blankenburg, à Berlin.
Q: Blankenburg?
R: Werner Blankenburg, de la Chancellerie du Führer (Oberbereichsleiter, adjoint de Viktor Brack au bureau IIa - ajouté par moi).
Le Président: Bon, il vaut mieux lever la séance maintenant. Nous sommes déjà là depuis 50 minutes.
Audience du jeudi 8 août 1946
.../...
Q: Revenons, si vous le voulez bien, aux exterminations de masse, dont vous avez décrit un cas hier. Vous avez parlé du commissaire Wirth qui n'était pas membre de la SS et dont le personnel n'était pas composé de SS. Pourquoi cette mission lui a-t-elle été confiée?
R: J'ai déjà mentionné que Wirth était commissaire de la police criminelle de Stuttgart. Il était commissaire chargé d'enquêtes sur les crimes capitaux, en particulier les meurtres. Il avait une certaine réputation d'enqueteur et de découvreur d'indices et, avant la prise du pouvoir, il était connu du grand public pour ses méthodes d'enquête peu scrupuleuses qui ont même donné lieu à un débat au parlement du Wurtemberg (Wirth utilisait les "interrogatoires renforcés", c'est à dire la torture - ajouté par moi). Cet homme a ensuite été utilisé pour dissimuler les traces des massacres. On pensait que compte tenu de son expérience professionnelle antérieure, cet homme était suffisamment peu scrupuleux pour faire ce travail, et cela s'est avéré vrai par la suite.
Q: Vous avez mentionné les prisonniers juifs qui ont participé aux massacres. Qu'est-il advenu de ces personnes?
R: Wirth m'a dit qu'à la fin des opérations il ferait fusiller ces prisonniers et les dépouillerait des profits qu'il leur avait permis de réaliser durant les exterminations. Il ne l'a pas fait tout d'un coup, mais au moyen des méthodes trompeuses déjà décrites. il a attiré et séparé les prisonniers, et les a ensuite tués un par un.
Q: Avez-vous entendu parler de Höss (Rudolf) par Wirth?
R: Oui. Wirth l'appelait son disciple sans talent.
Q: Pourquoi?
R: Contrairement à Wirth, Höss utilisait des méthodes entièrement différentes. Je les décrirai mieux lorsque nous en viendrons à parler d'Auschwitz.
.../...
Q: Témoin, dans des circonstances normales, qu'auriez-vous dû faire après avoir appris toutes ces choses horribles?
R: Dans des circonstances normales, j'aurais dû faire arrêter le commissaire police Wirth et le commandant Höss et les accuser de meurtre.
Q: L'avez-vous fait?
R: Non.
Q: Pourquoi pas?
R: La réponse est déjà contenue dans la question. Les circonstances qui prévalaient en Allemagne pendant la guerre n'étaient plus normales au sens des garanties juridiques de l'État. En outre, il faut tenir compte de ce qui suit: je n'étais pas simplement juge, mais j'étais juge pénal militaire. Aucun conseil de guerre au monde ne pouvait traduire en justice le commandant en chef, et encore moins le chef de l'État.
Q: Ne discutez pas de problèmes juridiques, mais dites-nous pourquoi vous n'avez pas fait ce que vous auriez dû faire, à votre avis?
R: Je vous demande pardon. Je disais qu'il ne m'était pas possible, en tant que Sturmbannführer, d'arrêter Hitler qui, selon moi, était l'instigateur de ces ordres.
Q: Alors, qu'avez-vous fait?
R: Sur la base de cette constatation, j'ai compris qu'il fallait agir immédiatement pour mettre un terme à ces actions. Il fallait amener Hitler à retirer ses ordres. Dans ces conditions, cela ne pouvait être fait que par le Reichsführer Himmler en tant que ministre de l'Intérieur et chef de la Police. J'ai pensé à l'époque que je devais m'efforcer d'approcher Himmler par l'intermédiaire des chefs de département, et de lui faire comprendre que par ces méthodes, l'État était conduit tout droit dans l'abîme...
PJ- Sergent-chef
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Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard Empty Konrad Morgen - Témoignage
Bonjour,
Dans le tout dernier alinéa les questions réponses (surtout les questions) me semblent stupides.
En dehors d'une non participation aux massacres, quelle action pouvait t'il entreprendre pour les stopper?? Aucune !!!
Ce qui n'exclut pas sa part de culpabilité en adhérant à la SS.
ARG
Dans le tout dernier alinéa les questions réponses (surtout les questions) me semblent stupides.
En dehors d'une non participation aux massacres, quelle action pouvait t'il entreprendre pour les stopper?? Aucune !!!
Ce qui n'exclut pas sa part de culpabilité en adhérant à la SS.
ARG
Aldebert - 2- Caporal-chef
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Re: Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard
Salut,
le Dr Horst Pelckmann, avocat allemand, était le défenseur de la SS en tant qu'organisation au procès de Nuremberg. Ses questions peuvent sembler naives de prime abord, mais sa stratégie de défense reposait sur le fait que la SS était un conglomérat d'organisations distinctes n'ayant rien à voir les unes avec les autres, et dont le seul tangible et visible lien était Himmler. En d'autre termes, la Waffen-SS était un corps miltaire comme un autre - avec certes quelques excès, mais seulement imputables à quelques individus indisciplinés - et qui n'avait strictement rien à voir avec les camps de concentration. Et ainsi de suite. Aujourd'hui nous savons que cela est totalement faux. La SS était une organisation homogène, ayant un seul but: la conquête et la destruction. Mais à l'époque du procès, la bureaucratie nazie et l'organisation tentaculaire de la SS faisait qu'il était très difficile de faire la part des choses. Les bureaux des différents procureurs dûrent examiner et trier des centaines de milliers de documents dans un laps de temps relativement court en prévision du procès. Cela permettait aux avocats de la défense de jouer les candides et de dire: "vous voyez, tous ces SS était des hommes décents n'ayant fait que leurs devoirs. C'est Himmler et sa clique des camps qui étaient les criminels..."
Quand à Konrad Morgen, comme beaucoup d'autres juges SS - son collègue Gerhard Wiebeck qui enquêta avec lui à Auschwitz par exemple - je dirais qu'il avait une personalité schizophrénique, à défaut d'autres qualificatifs. D'un côté c'était l'allemand typique des années 30, membre du Parti (joint 1.4.1933 No2532232) et des SS (joint 1.3.1933 No124940), et dont l'adhésion à l'idéologie nazie ne fait aucun doute. De l'autre, c'était le serviteur du droit et de la justice, et dont la foi en cet idéal ne fait aucun doute non plus. Et ces hommes (au pluriel) se sont trouvés devant un problème insoluble: tenter de faire appliquer le droit dans un état de non droit où la justice n'existait plus, et où le meurtre de masse était érigé en politique d'état et sanctionné par les plus hautes authorités du pays. En effet, comment enquêter sur quelques dizaines meurtres quand, à quelques centaines de mètres plus loin, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfant étaient exterminés chaques jours de la façon la plus bestiale qui soit. D'où une situation schizophrénique. Morgen probablement abhorrait ce qu'il voyait, mais n'avait aucun moyen - humain ou juridique - pour stopper la machine de mort. Himmler, au vu de la corruption galopante dans les KL, lui permit de mettre un pied dans la porte en lui donnant la possibilté, bien qu'infime en regard des crimes commis à grandes échelles, d'enquêter sur les abus supposés dans les KL. Ce que Himmler n'avait pas anticipé, c'est que Morgen, tel un chien de chasse sentant le sang, multiplia les investigations dans une multitude d'affaires de corruption (Buchenwald, Lublin-Majdanek, Auschwitz...) et par ricochet, de "meurtres illégaux ou non authorisés". Pour Himmler, cela alla probablement trop loin car Morgen fût "recadré" à de nombreuses reprises. De plus, des affaire furent étouffées (Höss), un adjoint de Morgen disparu sans laisser de trace, des pièces à convictions furent détruites, Morgen lui-même reçu des menaces de mort, et fut même rétrogradé... Au final, je pense que Morgen avait un reste de décence humaine dand un monde de corruption morale généralisée.
Pour ceux qui voudraient prolonger le sujet:
- Herlinde Pauer-Studer "Konrad Morgen, the conscience of a nazi juge"
- Kevin Prenger "A nazi juge in Auschwitz, Konrad Morgen's crusade against SS corruption and illegal murder"
le Dr Horst Pelckmann, avocat allemand, était le défenseur de la SS en tant qu'organisation au procès de Nuremberg. Ses questions peuvent sembler naives de prime abord, mais sa stratégie de défense reposait sur le fait que la SS était un conglomérat d'organisations distinctes n'ayant rien à voir les unes avec les autres, et dont le seul tangible et visible lien était Himmler. En d'autre termes, la Waffen-SS était un corps miltaire comme un autre - avec certes quelques excès, mais seulement imputables à quelques individus indisciplinés - et qui n'avait strictement rien à voir avec les camps de concentration. Et ainsi de suite. Aujourd'hui nous savons que cela est totalement faux. La SS était une organisation homogène, ayant un seul but: la conquête et la destruction. Mais à l'époque du procès, la bureaucratie nazie et l'organisation tentaculaire de la SS faisait qu'il était très difficile de faire la part des choses. Les bureaux des différents procureurs dûrent examiner et trier des centaines de milliers de documents dans un laps de temps relativement court en prévision du procès. Cela permettait aux avocats de la défense de jouer les candides et de dire: "vous voyez, tous ces SS était des hommes décents n'ayant fait que leurs devoirs. C'est Himmler et sa clique des camps qui étaient les criminels..."
Quand à Konrad Morgen, comme beaucoup d'autres juges SS - son collègue Gerhard Wiebeck qui enquêta avec lui à Auschwitz par exemple - je dirais qu'il avait une personalité schizophrénique, à défaut d'autres qualificatifs. D'un côté c'était l'allemand typique des années 30, membre du Parti (joint 1.4.1933 No2532232) et des SS (joint 1.3.1933 No124940), et dont l'adhésion à l'idéologie nazie ne fait aucun doute. De l'autre, c'était le serviteur du droit et de la justice, et dont la foi en cet idéal ne fait aucun doute non plus. Et ces hommes (au pluriel) se sont trouvés devant un problème insoluble: tenter de faire appliquer le droit dans un état de non droit où la justice n'existait plus, et où le meurtre de masse était érigé en politique d'état et sanctionné par les plus hautes authorités du pays. En effet, comment enquêter sur quelques dizaines meurtres quand, à quelques centaines de mètres plus loin, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfant étaient exterminés chaques jours de la façon la plus bestiale qui soit. D'où une situation schizophrénique. Morgen probablement abhorrait ce qu'il voyait, mais n'avait aucun moyen - humain ou juridique - pour stopper la machine de mort. Himmler, au vu de la corruption galopante dans les KL, lui permit de mettre un pied dans la porte en lui donnant la possibilté, bien qu'infime en regard des crimes commis à grandes échelles, d'enquêter sur les abus supposés dans les KL. Ce que Himmler n'avait pas anticipé, c'est que Morgen, tel un chien de chasse sentant le sang, multiplia les investigations dans une multitude d'affaires de corruption (Buchenwald, Lublin-Majdanek, Auschwitz...) et par ricochet, de "meurtres illégaux ou non authorisés". Pour Himmler, cela alla probablement trop loin car Morgen fût "recadré" à de nombreuses reprises. De plus, des affaire furent étouffées (Höss), un adjoint de Morgen disparu sans laisser de trace, des pièces à convictions furent détruites, Morgen lui-même reçu des menaces de mort, et fut même rétrogradé... Au final, je pense que Morgen avait un reste de décence humaine dand un monde de corruption morale généralisée.
Pour ceux qui voudraient prolonger le sujet:
- Herlinde Pauer-Studer "Konrad Morgen, the conscience of a nazi juge"
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PJ- Sergent-chef
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Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard
Bonjour,
Quand on lit ce témoignage on a envie de pleurer de rage.
Si le camp de concentration n'était pas un lieu d'extermination, il n'était néanmoins pas prévu de donner un bon de sortie à ceux qui s'y trouvaient. Mauthausen et son grand escalier des carrières, n'était pas un lieu de détente.
Le témoin Morgen : Je n’ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n’a jamais été un lieu d’extermination. Je dois dire que dès la première visite que j’ai faite dans un camp de concentration – j’ai dit que c’était celui de Weimar-Buchenwald –, cela a pour moi été un profond étonnement. Le camp est situé sur une hauteur boisée ; la vue y est magnifique ; les bâtiments sont extrêmement propres, fraîchement peints. Il y a beaucoup de pelouses et de fleurs. Les détenus étaient bien portants, normalement alimentés ; ils avaient la peau hâlée ; quant au rythme du travail…
Le témoin Morgen : Les installations du camp étaient en ordre parfait, surtout le bâtiment pour les malades ; la direction du camp était aux mains du commandant Diester. Elle s’efforçait d’offrir aux détenus des conditions de vie tout à fait normales. Ils pouvaient correspondre et recevoir des envois postaux ; ils possédaient une grande bibliothèque dans le camp, avec des ouvrages en plusieurs langues. Il y avait des séances de music-hall, des films, des concours de sport et une maison close. Tous les autres camps de concentration étaient installés à peu près comme Buchenwald.
Quand on lit ce témoignage on a envie de pleurer de rage.
Si le camp de concentration n'était pas un lieu d'extermination, il n'était néanmoins pas prévu de donner un bon de sortie à ceux qui s'y trouvaient. Mauthausen et son grand escalier des carrières, n'était pas un lieu de détente.
Le témoin Morgen : Je n’ai pas eu cette impression. Un camp de concentration n’a jamais été un lieu d’extermination. Je dois dire que dès la première visite que j’ai faite dans un camp de concentration – j’ai dit que c’était celui de Weimar-Buchenwald –, cela a pour moi été un profond étonnement. Le camp est situé sur une hauteur boisée ; la vue y est magnifique ; les bâtiments sont extrêmement propres, fraîchement peints. Il y a beaucoup de pelouses et de fleurs. Les détenus étaient bien portants, normalement alimentés ; ils avaient la peau hâlée ; quant au rythme du travail…
Le témoin Morgen : Les installations du camp étaient en ordre parfait, surtout le bâtiment pour les malades ; la direction du camp était aux mains du commandant Diester. Elle s’efforçait d’offrir aux détenus des conditions de vie tout à fait normales. Ils pouvaient correspondre et recevoir des envois postaux ; ils possédaient une grande bibliothèque dans le camp, avec des ouvrages en plusieurs langues. Il y avait des séances de music-hall, des films, des concours de sport et une maison close. Tous les autres camps de concentration étaient installés à peu près comme Buchenwald.
Aldebert - 2- Caporal-chef
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Re: Konrad Morgen - Témoignage sur Christian Wirth & l'Aktion Reinhard
La dénazification de Christian Wirth
Article original de Michael Tregenza: "Incriminated but not guilty as charged: The Denazification of Kriminalkommissar Christian Wirth Inspector of the Aktion Reinhardt death camps, 1946‑1949" (traduction de moi)
À la suite du procès et des différents articles de presse parus par la suite, le procureur de Stuttgart ouvrit une enquête afin de déterminer si le Kriminalkommissar Wirth, pointé du doigt à Nuremberg, était le Christian Wirth qui avait auparavant dirigé le Kommissariat 5 et sa brigade criminelle de la Büchsenstrasse, le quartier général de la KRIPO - la police criminelle de Stuttgart.
S’il s’agissait bien du même homme, alors il était légitimement suspecté d’être soit "un grand criminel de guerre ayant personnellement commis des actes inhumains", soit "un suiveur ou un militant actif ayant obtenu des avantages matériels conséquents grâce à des connexions politiques avec le parti nazi".
Il fallut donc passer à la loupe le passé, la carrière et les affiliations politiques de Wirth pendant la période nazie, mais également la situation passée et présente de sa femme et de ses 2 fils, âgés de 35 et 24 ans en 1946.
Le tribunal de dénazification 10 se réunit au numéro 8 de la Waldstrasse, à Stuttgart-Degerloch. Originaire de cette localité, Christian Wirth y était aussi propriétaire. Stuttgart-Degerloch était donc le dernier endroit où l’accusé avait résidé. Le tribunal se composait en outre de 3 juristes qualifiés – un président et 2 adjoints – qui connaissent bien les lieux. Le président du tribunal disposait de pouvoirs considérables. Il était par exemple habilité à signer des ordonnances temporaires visant la confiscation de biens et le gel d’avoirs financiers, ce qui était d’ailleurs la seule punition envisageable dans le cas de Wirth, puisque l’accusé était mort depuis plus de 2 ans.
Le 6 novembre 1946, le tribunal de dénazification 10 signa une ordonnance provisoire (Einstweilige Anordnung) gelant les actifs et le compte courant de Wirth (No 10773) à la Stadtbank de Stuttgart, soit 70436 marks, jusqu’à ce que soit rendue une décision juridique finale définissant la catégorie dans laquelle devait être placé Wirth. Cette décision provisoire reposait sur des soupçons suffisamment fondés à l’encontre du Kriminalkommissar Christian Wirth.
Le 5 juin 1947, soit presque 7 mois après ce verdict provisoire, le tribunal de dénazification 10 reçu un communiqué officiel de la direction de la police de Stuttgart concernant les années de service de Wirth avant le début de la guerre:
"Dans la police, Wirth était connu comme le pire des nazis. Il usait de tous les moyens pour recruter des partisans, et est par conséquent responsable de l’adhésion au parti nazi de nombreux officiers de police qui n’avaient auparavant aucune appartenance politique. Ses activités de prospection pour le Parti étaient intensives. Il était prêt à employer toutes les méthodes nécessaires et ne reculait devant rien. Il avait recours à la violence et à la menace pour obtenir ce qu’il voulait. Il était le représentant du Parti au sein de la police. Il s’est également révélé brutal dans l’exercice de ses fonctions policières. Nous ne savons rien des antennes et organes du Parti avec lesquels Wirth était en contact, mais il occupait clairement une position importante. De tous les officiers de police, c’est lui qui avait la pire réputation. Il était communément considéré comme un homme sans morale. En 1943 ou 1944, il est parti en mission en Pologne et il y est décédé. D’après ce que nous savons, il a été abattu en Pologne."
Cette déclaration officielle aussi accablante que vague constitua la base même des arguments avancés contre Wirth lors des principales audiences de dénazification. 6 mois plus tard, le 21 novembre 1947, le tribunal demanda au ministère de l’Intérieur du Wurtemberg - basé à Stuttgart, de lui remettre le dossier personnel d’avant-guerre du Kriminalkommissar Christian Wirth. Il s’avèra alors que la teneur de ce dossier diffèrait considérablement de celle du communiqué de la police. Wirth y était en effet dépeint en des termes élogieux:
"Impeccable et correct, enthousiaste, rigoureux, intelligent, avec une volonté et une résilience remarquables, un grand dynamisme et d’excellentes facultés; extrêmement fiable, un modèle de dévouement, mentalement et physiquement agile, persévérant et plein d’énergie. Aucune faille ou faiblesse particulière. Un officier avec de remarquables aptitudes au service, une discipline admirable et d’excellentes capacités administratives; un criminologue particulièrement compétent. Un officier énergique et digne de confiance, avec de vastes connaissances générales, qui a toujours exercé ses fonctions avec une détermination de fer, et à la réputation de résoudre les affaires les plus complexes qui ont eu raison des autres officiers. Son dévouement est inspirant, et ses accomplissements sont un exemple. Son apparence en service comme au repos est sobre et soldatesque. Son comportement est normal, adéquat et approprié, avec une vivacité spirituelle rafraîchissante. Nationaliste, philosophe vis-à-vis de la vie, et politiquement conforme à ce que l’on attend d’un officier national-socialiste, avec un caractère franc et décent et une allure agressive. Projette une aura professionnelle digne d’être imitée".
Difficile de croire qu’un tel dossier pouvait être celui d’un officier à présent jugé "sans morale et avec la pire réputation" par ses anciens employeurs, et désavoué par un département qui fut de toute évidence fier de le compter dans ses rangs. Le dossier fut restitué au ministère de l’Intérieur le 10 janvier 1948.
Quand l’enquête sur le passé de Wirth fut lancée au début de l’automne 1948, les cas soumis aux tribunaux de dénazification furent traités avec une nonchalance croissante, et les procédures sommaires débouchaient généralement sur des verdicts contestables basés sur des enquêtes bâclées. L’affaire Wirth, jugée par le tribunal de dénazification 10 de Stuttgart-Degerloch ne fit pas exception. Dans ce dossier, le tribunal eu la responsabilité de déterminer si: "1. de par ses activités zélées au nom du parti nazi, Wirth a obligé ses collègues et d’autres citoyens à rejoindre le Parti contre leur gré, usant pour ce faire de moyens de pression violents et illégaux; 2. de par ses activités zélées au nom du parti nazi, Wirth a ensuite obtenu un avantage en étant privilégié pour l’octroi de promotions et d’attributions particulières, ainsi qu’un avantage financier; 3. les héritiers de Wirth ont hérité de ses gains mal acquis; 4. en tant que membre d’organisations criminelles, à savoir la SS et le SD, Wirth a mené des expériences médicales illégales sur des êtres humains". Au vu de ces accusations, il aurait dû être classé dans la Catégorie I, et donc condamné en tant que grand criminel de guerre. En vertu du point 3, les avoirs de Wirth, qui incluent 3 propriétés à Stuttgart, étaient estimés à 123000 marks (17186 sont déposés sur un compte en banque), dont une partie provenant présumément de ces gains mal acquis.
Afin d’accélérer les procédures judiciaires, les tribunaux de dénazification acceptèrent les déclarations de témoins sur l’attitude et l’engagement politique des personnes accusées de nazisme. Pendant la première semaine de septembre 1948, 4 personnes qui avaient personnellement connu Christian Wirth avant la guerre déposèrent un témoignage écrit au tribunal. Les 2 premières sont 2 dames sans affiliation avec le parti nazi : Else Kippenberger qui a loué à Wirth sa maison du 22 Kauzenhecke depuis avant la guerre, et Lina Bock, ancienne voisine de Wirth du 20 Kauzenhecke. D’après leurs déclarations, Wirth était un homme "très discret, qui vivait en marge de la société avec sa femme et ses enfants, tous très respectables. Il semblait ferme, comme un sergent-major, mais poli. Personne n’a jamais eu de soupçon à son égard". Les 2 autres témoins, Franz Lung et Paul Scheffel, côtoyèren Wirth avant la guerre au sein de la KRIPO de Stuttgart. Lung fut interrogé chez lui, à Stuttgart, au 11 Möhringstrasse. Les déclarations des 2 hommes corroborèrennt en partie le communiqué émis en juin 1946 par la direction de la police de Stuttgart. À leurs yeux, Wirth était un "vrai soldat" ("Alter Kämpfer" vieux combattant), "un homme violent qui n’avait peur de rien, était prêt à tout, et faisait chanter ses collègues pour les forcer à rejoindre le Parti. Il n’avait aucun scrupule à utiliser les méthodes les plus honteuses". Cependant, lorsque Scheffel refusa de rejoindre le Parti "Wirth ne m’a rien fait personnellement alors qu’il savait parfaitement que nos avis étaient opposés". Wirth a également continué de travailler avec Lung, son expérience dans la police comptant davantage que ses convictions politiques. Lung et Scheffel mentionnèrennt tous 2 le fait qu’en 1939, Wirth avait été le seul officier de la KRIPO de Stuttgart à être envoyé à Vienne pour une mission spéciale. En revanche, ses promotions n’avaient, à leurs yeux, rien d’anormal. Aucun des 2 n’était au courant des détails de sa mission en Pologne. Ces témoignages furent joints au Dossier No37/40167 du tribunal de dénazification 10.
Le 25 octobre 1948, Frau Maria Wirth - la veuve de Christian Wirth, fit appel à un avocat pour défendre ses intérêts devant le tribunal de dénazification 10. Son choix se porta sur le Dr Ottmar Häfele, issu du cabinet du Dr Helmuth Fischinger de l’Alexanderstrasse, à Stuttgart. Début novembre, 6 autres témoins intervinrent par écrit en faveur de Wirth. 4 d’entre eux avaient également servi avec lui avant la guerre. Le premier, le Kriminalkommissar Hermann Schaaf, travailla avec Wirth pendant près de 20 ans, et était d’ailleurs toujours en service actif. Il fut interrogé chez lui, à Tübingen. Schaaf déclara ce qui suit:
"Wirth était un criminologue hors pair, énergique et méthodique. Il était inflexible dans sa lutte contre le crime et était l’homme le plus détesté des organisations criminelles. S’il était si déterminé, c’est parce qu’il voulait enrayer l’influence des milieux criminels. Extrêmement exigeant envers lui-même, il a sacrifié d’innombrables soirées et week-ends à sa lutte contre le crime. Il a ainsi su gagner la confiance de la police criminelle de Stuttgart, que ce soit dans le Wurtemberg, dans d’autres régions, et même à l’étranger. Il était toujours à l’affût, et cela lui a valu une solide réputation. Il insistait toujours sur l’importance d’une gestion administrative scrupuleuse du commissariat".
Schaaf mit un point d’honneur à préciser que Wirth adoptait la même attitude avec les criminels qu’avec ses propres subalternes. Ses mesures disciplinaires lui avaient souvent valu les foudres des membres de la KRIPO. D’après Schaaf, Wirth n’avait fait montre d’aucune appartenance politique particulière avant la montée au pouvoir des nazis en 1933. Après cela, il s’était toutefois révélé être un nazi convaincu, et s’était mis à user de son influence en tant que liaison entre la police fédérale de Berlin et la police d’État du Wurtemberg, pour pousser ses subalternes à rejoindre le Parti. Schaaf était convaincu que les promotions de Wirth étaient méritées et qu’il n’a reçu aucun traitement de faveur.
Le lendemain, le 3 novembre, Hedwig Roller, une secrétaire de la direction de la police de Stuttgart, fut à son tour interrogée chez elle, à Stuttgart-Feuerbach. Elle avait passé 27 ans à la KRIPO de Stuttgart, et même brièvement travaillé comme secrétaire de Christian Wirth: "J’ai travaillé plusieurs années juste devant le bureau de notre chef, là où Wirth devait attendre qu'il puisse le recevoir. Puisque Wirth était à la tête d’un département, il se présentait quotidiennement au bureau du chef, car il devait lui signaler chaque arrestation ou affaire particulière". À l’instar de Schaaf, Frau Roller était d’avis que, dans le cadre de ses fonctions officielles, Wirth écoutait toujours son sens du devoir, peu importe l’apparence de la personne concernée. Lorsqu’il disposait de preuves, il dénonçait même au procureur d’État les chefs de la SS et de la SA qui avaient commis des actes criminels. Bien qu’occupant un poste de confiance, Frau Roller n’avait pas rejoint le Parti. Elle savait en outre que Wirth a été tué en Italie en 1944, puisque c’est elle qui a annoncé le décès de son mari à Frau Wirth.
Le lendemain, ce fut au tour du Kriminalobersekretär Georg Ziegler, ancien adjoint de Wirth qui avait rejoint le parti nazi en 1933. Interrogé à son domicile de Stuttgart, Ziegler déclara:
"qu’en plus d’être un soldat qui se pliait sans broncher aux ordres de ses supérieurs, Wirth était altruiste et toujours prêt à défendre le bien-être et les griefs de ses camarades et subalternes. Dans sa lutte contre le crime, Wirth avait atteint d’incroyables résultats grâce à son ingéniosité et son habileté, et avait ainsi fait briller la KRIPO de Stuttgart bien au-delà des frontières de l’État".
Concernant l’implication politique de Wirth, il déclara:
"Il a rejoint le parti nazi et la SA très tôt – probablement à cause de sa mentalité de soldat. Après la prise du pouvoir, il a encouragé les autres officiers de police à rejoindre le Parti, et leur a dit que tout le monde avait intérêt à y adhérer, car le Parti était à présent l’État, et l’État le Parti, et que ceux qui refusaient de rejoindre le Parti devraient en assumer les conséquences. Après la prise du pouvoir, cela lui a valu bon nombre de conflits avec la SS, la SA et les chefs locaux du Parti. Wirth arrêtait les hommes de la SS et de la SA qui se rendaient coupables de dégradation de biens publics, de détention illégitime ou de coups et blessures graves sur des civils. Je l’ai accompagné à plusieurs reprises lors de ces arrestations, et il m’a chaque fois ordonné d’utiliser nos armes en cas de résistance armée".
Ziegler conclut en se disant prêt à déclarer sous serment que Wirth avait toujours agi dans le seul et unique but de faire régner la loi et la justice.
Le 5 novembre 1948, le secrétaire de police criminelle Helmuth Pfeiffer qui n’était pas membre du Parti, mais louait depuis longtemps la maison de la Kauzenhecke de Wirth, fournit au tribunal une déclaration écrite étonnamment brève et superficielle pour un collègue policier qui a passé 4 ans sous le même toit que Wirth:
"Je soussigné déclare vivre depuis 1935 dans la maison de feu Christian Wirth, au 22 Kauzenhecke. Herr Wirth m’a toujours semblé irréprochable. Il n’a jamais fait de propagande d’aucune sorte pour le parti nazi".
Toujours le même jour, dans la bourgade de Korb-bei-Waiblingen, où Eugen, le fils aîné de Wirth, vit avec sa femme Joanna, les enquêteurs interrogèrent 2 amis de la famille Wirth, à savoir Karl Ade, entrepreneur dans le secteur de la construction, et associé de longue date d’Eugen Wirth, et qui n’appartenait pas au parti nazi. Et Friedrich Ellwangen, un membre du Parti qui venait à peine d’être amnistié par un tribunal de dénazification. Ils parlèrent ouvertement des moments passés avec Christian Wirth au début des années 1930, quand il rendait visite régulièrement à son fils et aidait Ade à construire une nouvelle maison pour ce dernier. Ade se souvient notamment de la pingrerie dont il fait preuve lors de ses visites à Korb:
"Il emmenait souvent son thé pour l’après-midi afin d’économiser de l’argent, ce que le jeune homme que j’étais avait du mal à comprendre".
Ade et Ellwangen savaient que Wirth devait être haut placé au sein du Parti, mais aucun des 2 n’avaient le souvenir d’avoir un jour parlé de politique avec lui. Ils ne savaient rien de ses faits et gestes pendant la guerre, et n’avaientt rien de négatif à dire à son encontre. La pingrerie de Wirth deviendra par la suite l’un des arguments de la plaidoirie du Dr Häfele.
L’audience principale se tint finalement le 15 novembre 1948 – soit plus de 2 ans après les premières allégations formulées à l’encontre de Christian Wirth – devant le tribunal de dénazification 15, installé dans l’ancienne caserne de la Rotebühlplatz de Stuttgart. Le tribunal, composé de 3 hommes de loi, fut chargé d’examiner les accusations portées contre Christian Wirth à la lumière des preuves avancées dans les déclarations écrites des témoins, et de la défense écrite présentée le 8 novembre par le Dr Ottmar Häfele, l’avocat de Frau Wirth.
Ce dernier entama son plaidoyer en affirmant que son client ne pouvai être accusé d’avoir pris part à l’organisation criminelle qu’était la SS, car il n’avait rejoint ni l’Allgemeine-SS ni la Waffen‑SS:
"En réalité, il avait, au début de la guerre, été envoyé en mission spéciale avec une unité qui fut ensuite placée sous l’autorité du SD. En 1944, il fut également intégré à un Einsatzkommando du SD qui menait des opérations anti-partisans en Italie; opérations au cours desquelles il n’a porté que son uniforme de police. À partir de 1933 et jusqu’au début de la guerre, il était impliqué à temps plein dans les activités civiles de la police criminelle. Il faisait plus précisément partie de la brigade criminelle, et s’est d’ailleurs forgé une excellente réputation. Il n’a jamais travaillé pour un département politique".
Häfele souligna également les qualités et la moralité exemplaire de Wirth. Un excellent officier de police et criminologue qui n’a que rarement porté l’uniforme de la SA en public, n’a jamais propagé de propagande nazie dans ses cercles d’amis proches, et n’a jamais poussé ses connaissances à rejoindre le Parti. Il ne parlait presque jamais de politique, et bon nombre de ses amis et connaissances ne savaient même pas qu’il avait adhéré au Parti. Le Dr Häfele affirma que Wirth ne pouvait être un fanatique nazi, puisque ni sa femme, Frau Maria Wirth, ni leur fils Eugen n’étaient membres d’une organisation nazie. Seul leur fils cadet Kurt avait intégré la Jungvolk (la version junior des Jeunesses hitlériennes) avant d’entrer dans la Waffen-SS. Il a toutefois été pardonné en vertu de l’amnistie de la jeunesse prononcée par le gouvernement militaire américain en août 1946. Häfele argumenta que si Wirth avait vraiment été un nazi zélé capable de faire pression sur les autres pour les forcer à rejoindre le Parti, il aurait commencé par ses proches. Or, ni Maria et Eugen n’étaient membres d’aucune organisation nazie. Il fallait donc en conclure que Wirth n’était pas un fanatique.
Le Dr Häfele présenta ensuite les déclarations des anciens camarades de police de Wirth, qui contestèrent que Wirth eût usé de méthodes discutables pour forcer des officiers de police à rejoindre le Parti. Il ajouta en outre que Wirth n’avait pénalisé aucun des officiers qui avaient refusé de rejoindre le Parti.
Häfele répondit également aux allégations formulées à Nuremberg, selon lesquelles Wirth aurait réalisé des expériences médicales sur des citoyens allemands dans le Brandebourg et mené une "mission spéciale" dans les centres d’extermination en Pologne, comme relayé par la presse. Il avanca ainsi, assez sincèrement au vu des preuves disponibles à l’époque:
"Les héritiers de Wirth n’ont jamais rien su des missions qui lui furent confiées – à l’exception de celle pour laquelle il fut envoyé à Vienne. Aucun document ne précise ce que Wirth fit là-bas. Rien ne dit non plus que Wirth fut chargé d’une telle mission, à savoir tuer les personnes considérées comme racialement inacceptables. Ces allégations n'étaient pas fondées, et étayées par aucune preuve. Il en allait de même pour les accusations portées au procès de Nuremberg".
Suivant cet argument, le rôle clé joué par Christian Wirth dans le massacre des Juifs au sein des centres d’extermination en Pologne de l’Aktion Reinhardt fut rayé de l’affaire, et ne fut plus mentionné par la suite. Häfele conclut sa défense en affirmant que si le tribunal condamnait Wirth en tant que grand criminel de guerre, tous ses actifs seraient saisis, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour ses héritiers, puisque Frau Maria Wirth se retrouverait en effet sans ressources, et deviendrait dépendante de l’aide publique. L’avocat appella donc le tribunal à tenir compte des faits suivants:
"Wirth était un homme extrêmement économe, voire même avare, ce qui explique ses nombreux actifs. Il possédait bien avant la période nazie, une maison au 13 Neugereut Strasse, qu’il a vendue en 1926 pour acheter une autre maison. Cette autre maison a toutefois été achetée à l’aide des moyens financiers de Frau Wirth. Après la Première Guerre mondiale, Maria Wirth possédait environ 10000 marks qu’elle a mis à la disposition de son mari pour acheter cette maison. En 1932, Frau Wirth a en outre hérité d’environ (illisible dans le texte original, mais un nombre à 5 chiffres) marks, qu’elle a également mis à la disposition de son mari. Par conséquent, Frau Wirth a le droit de récupérer son argent, puisque la propriété a été achetée grâce à ses fonds personnels".
Selon Häfele, le seul moyen d’éviter de réduire Maria Wirth à la pauvreté était de lui laisser la majeure partie des biens qu’elle avait partagés avec son mari. Le tribunal dut en outre tenir compte du fait que Kurt, le fils cadet des Wirth, suivait alors une formation professionnelle. Au vu de cette situation financière critique, Häfele demanda que Christian Wirth soit classé dans la Catégorie II "criminel de guerre", et que seule une partie de ses biens soit confisquée.
Malgré tout, le président du tribunal de dénazification et ses 2 assistants accablèrent Wirth sur la base d’arguments pour le moins fragiles. À savoir qu’il était membre du Parti nazi et détenteur de l'insigne d’honneur en or, et qu’il avait, en tant que Kriminalkommissar, été assigné au SD pour exécuter des tâches spéciales (dont le tribunal ignorait toutefois la nature). Le tribunal juga également que les articles de presse indiquant que le nom de Wirth avait été cité à Nuremberg "ne jouaient pas en sa faveur". D’après les membres du tribunal, son implication dans la SD était "incriminante", et la mission spéciale de Vienne lui avait sans doute été attribuée parce que les autorités nazies lui faisaient confiance. Le tribunal de dénazification 15 conclut ainsi que Christian Wirth devai être déclaré coupable de toutes les charges, et considéré comme un "grand criminel de guerre". Le tribunal choisit toutefois d’accéder à la demande de l’avocat de la défense, et de placer Wirth dans une catégorie inférieure, à savoir la Catégorie II "criminel de guerre". Le tribunal ordonna donc la confiscation des biens de Wirth après déduction des dettes et charges dues, mais il décida que les actifs de Maria Wirth ne faisait pas partie des biens de son défunt mari. Frau Wirth eu ainsi droit à une allocation de subsistance, et ses 2 fils reçurent une indemnité rétroactive. Les frais de justice furent fixés à 9170 marks et imputés à l’État du Wurtemberg.
Maria Wirth disposa d’1 mois pour faire appel du verdict pour invoquer une erreur judiciaire due à une interprétation erronée des faits pendant l’audience, et demander un nouveau verdict au motif que son mari avait été placé dans la mauvaise catégorie, et que la saisie des biens était injustifiée. Le tribunal d’appel avait le pouvoir de modifier ou de valider le verdict initial, ou de demander un nouveau procès.
Le 8 décembre 1948, l’avocat de Frau Wirth soumit une demande d’appel au tribunal de dénazification central VII de Ludwigsburg. Dans cette demande écrite, il remetait en question la légalité de l’audience et du verdict rendu par le tribunal de dénazification 15, ce dernier ne reposant selon lui que sur des preuves peu convaincantes dont aucune ne condamnait univoquement l’accusé. Häfele soulignait également le manque de fiabilité du communiqué rédigé en 1947 par la direction de la police de Stuttgart: "un document à traiter avec la plus grande circonspection, puisque la direction de la police s’est avérée incapable de détailler les circonstances du décès de Christian Wirth". Selon la défense, la décision du tribunal de dénazification 15 de saisir les biens de Wirth n’était légalement pas justifiée car:
"Il est tout à fait inconcevable que la confiscation des biens de l’inculpé soit considérée comme une méthode d’expiation. Il n’y aurait alors aucune distinction entre l’inculpé et un grand criminel de guerre. D’après la loi, seule une partie des biens de l’inculpé pourrait être saisie. Techniquement, la confiscation de l’intégralité des biens est non seulement tout à fait injustifiée, mais également illégale. La confiscation intégrale des biens punit en outre toute la famille, ce qui est inacceptable d’un point de vue démocratique, car ceux qui souffrent le plus sont la veuve et les enfants. les héritiers perdraient tout et seraient punis pour quelque chose dont ils ne pouvaient, avec la meilleure volonté du monde, rien savoir".
Le Dr Häfele revint ensuite sur les arrangements financiers entre Wirth et sa femme; arrangements qui avaient mené à l’achat d’une propriété. Selon lui, les biens n’auraient pas dû être saisis dans leur ensemble puisqu’ils appartenaient conjointement aux 2 époux. Le tribunal de dénazification 15 avait donc, une fois de plus, agi illégalement. Häfele déplora enfin le fait que Frau Maria Wirth n’ait eu droit à aucune pension malgré les 24 années de bons et loyaux services de son mari au sein de la police d’État, en tant qu’officier expérimenté et irréprochable. L’avocat recommanda donc une confiscation de 20% des biens de Wirth.
Le tribunal central de Ludwigsburg accepta la procédure d’appel au motif que "la provenance des actes n’avait pas été essentiellement définie en droit, et que les actes définis ne justifiaient pas la décision". Une nouvelle audience fut donc ordonnée afin de faire définitivement la lumière sur les faits. Le Dr Häfele soumit une liste de personnes qu’il souhaitait appeler à témoigner en faveur du défunt Christian Wirth. Cette audience ne se tint toutefois que près d’un 1 plus tard.
Le procès en appel de Frau Maria Wirth se tient finalement du 1er au 19 novembre 1949, devant le tribunal de dénazification central VII de Ludwigsburg. À ce moment-là, soit plus de 3 ans après les premières accusations à l’encontre du Kriminalkommissar Christian Wirth, les tribunaux d’appel limitaient déjà leurs efforts, se contentant généralement d’écouter les preuves fournies par les appelants et leurs témoins – bien souvent des déclarations attestant de la moralité de l’accusé. S’il existait des preuves que l’accusé était coupable, le tribunal se contentait d’établir le degré de culpabilité. La défense produisit 7 témoins, y compris la veuve et les 2 fils de Wirth. En plus des témoignages verbaux de ces témoins, le tribunal lit 11 dépositions écrites, et examina les déclarations fiscales d’avant-guerre de Wirth. La maison familiale du 22 Kauzenhecke, endommagée par un raid aérien britannique en 1944, était estimée à 39000 marks. Une seconde propriété, située dans la Gebelsberger Strasse et également endommagée par un bombardement allié, fut réestimée à 12000 marks (au lieu des 19000 initialement).
Le Kriminalobersekretär Georg Ziegler qui fut l’adjoint de Wirth avant la guerre, déclara au sujet de son ancien supérieur:
"Il ne parlait absolument jamais de ses missions. Je sais qu’il s’est rendu en Pologne, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il y a fait. Il a toujours refusé de répondre à mes questions".
Interrogé au sujet des commentaires critiques de Franz Lung au sujet de Wirth, Ziegler répondit que Lung venait d’une autre ville, sous-entendant ainsi que l’officier ne faisait pas partie du cercle rapproché de Wirth. Ziegler ajouta également de manière assez désobligeante, que Lung était "très religieux". Il déclara ensuite:
"Il n’est pas vrai que Wirth était prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Il n’a jamais obligé personne à rejoindre le Parti. La vérité, c’est qu’après 1933, beaucoup de gens voulaient rejoindre le Parti. Beaucoup s’en voulaient même d’avoir attendu aussi longtemps".
Le Kriminal Obersekretär Paul Frech qui côtoya Wirth pendant plus de 30 ans, nia lui aussi catégoriquement que Wirth eût été "prêt à tout" – un témoignage que rejoint celui du Kriminal Sekretär Albert Mühleisen, selon qui la personne qui avait forcé des officiers à rejoindre les nazis n’était pas Wirth, mais bien leur supérieur du quartier général de la KRIPO. Le tribunal d’appel cita ensuite à la barre les témoins qui avaient connu Christian Wirth sur le plan privé. Tous témoignèrent en sa faveur – et en particulier le Dr Hohenstatt qui déclara "je n’ai jamais vu en lui que de l’humanité".
Dans son plaidoyer final, le Dr Häfele recommanda que Wirth soit placé dans la Catégorie III "inculpé", mais que l’accusé étant décédé, l’ordre d’expropriation prononcé soit ramené à 10 % des biens – un chiffre que Frau Wirth jugeait acceptable. Le tribunal de dénazification central VII rendit son verdict le 19 novembre 1949. Il rejetta le communiqué de police de 1947, et se ranga à l’avis de l’avocat de la défense, concluant que le verdict du tribunal de dénazification 15 était infondé et constituait une grave erreur de jugement. D’après le tribunal d’appel, au vu des preuves existantes, Christian Wirth ne pouvait être formellement accusé que d’avoir été membre du parti nazi de 1933 à 1944, de la SA de 1933 à 1939 et du SD de 1933 à 1944, et de s’être vu remettre une décoration pour services rendus (Verdienstauszeichen im silber - crois du mérite en argent). Wirth ne pouvait être accusé d’avoir été membre d’une organisation criminelle, à savoir la SS, puisqu’il n’avait reçu un grade dans celle-ci que par assimilation de son grade dans la police. Quant aux missions de Wirth avant et pendant la guerre, le tribunal décrètait ce qui suit:
"Aucun fait n’a pu être catégoriquement établi, et Wirth a selon toute vraisemblance été cité lors du Procès de Nuremberg en raison de rumeurs infondées, aucun élément concret ne pointant dans cette direction. Les éléments présentés dans le verdict original à la défaveur de Wirth, sont à tout le moins incorrects, car ils reposent au mieux sur des suppositions sans aucun fondement".
En conséquence, le tribunal d’appel de Ludwigsburg annula le verdict initial du tribunal de dénazification 15 de Stuttgart, et placa Wirth dans la Catégorie III "inculpé", en ajoutant la mention "non condamné". L’enquête dura plus de 3 ans, et une fois encore, les frais de justice furent assumés par l’État du Wurtemberg.
À l’époque, aucun autre verdict n’était envisageable car les seules preuves soumises au tribunal furent les déclarations des témoins de moralité de la défense, témoins qui ne savaient absolument rien de la carrière et des activités de Wirth après 1939.
L’étendue et la nature des crimes commis par Christian Wirth ne fut révélée – et largement relayée par la presse allemande – qu’au lancement des procès de l’Aktion Reinhardt en 1963, soit 14 ans après que l’officier fut officiellement déclaré "inculpé, mais non coupable".
(tombe de Christian Wirth au cimetière militaire allemand d'Opicina)
Article original de Michael Tregenza: "Incriminated but not guilty as charged: The Denazification of Kriminalkommissar Christian Wirth Inspector of the Aktion Reinhardt death camps, 1946‑1949" (traduction de moi)
À la suite du procès et des différents articles de presse parus par la suite, le procureur de Stuttgart ouvrit une enquête afin de déterminer si le Kriminalkommissar Wirth, pointé du doigt à Nuremberg, était le Christian Wirth qui avait auparavant dirigé le Kommissariat 5 et sa brigade criminelle de la Büchsenstrasse, le quartier général de la KRIPO - la police criminelle de Stuttgart.
S’il s’agissait bien du même homme, alors il était légitimement suspecté d’être soit "un grand criminel de guerre ayant personnellement commis des actes inhumains", soit "un suiveur ou un militant actif ayant obtenu des avantages matériels conséquents grâce à des connexions politiques avec le parti nazi".
Il fallut donc passer à la loupe le passé, la carrière et les affiliations politiques de Wirth pendant la période nazie, mais également la situation passée et présente de sa femme et de ses 2 fils, âgés de 35 et 24 ans en 1946.
Le tribunal de dénazification 10 se réunit au numéro 8 de la Waldstrasse, à Stuttgart-Degerloch. Originaire de cette localité, Christian Wirth y était aussi propriétaire. Stuttgart-Degerloch était donc le dernier endroit où l’accusé avait résidé. Le tribunal se composait en outre de 3 juristes qualifiés – un président et 2 adjoints – qui connaissent bien les lieux. Le président du tribunal disposait de pouvoirs considérables. Il était par exemple habilité à signer des ordonnances temporaires visant la confiscation de biens et le gel d’avoirs financiers, ce qui était d’ailleurs la seule punition envisageable dans le cas de Wirth, puisque l’accusé était mort depuis plus de 2 ans.
Le 6 novembre 1946, le tribunal de dénazification 10 signa une ordonnance provisoire (Einstweilige Anordnung) gelant les actifs et le compte courant de Wirth (No 10773) à la Stadtbank de Stuttgart, soit 70436 marks, jusqu’à ce que soit rendue une décision juridique finale définissant la catégorie dans laquelle devait être placé Wirth. Cette décision provisoire reposait sur des soupçons suffisamment fondés à l’encontre du Kriminalkommissar Christian Wirth.
Le 5 juin 1947, soit presque 7 mois après ce verdict provisoire, le tribunal de dénazification 10 reçu un communiqué officiel de la direction de la police de Stuttgart concernant les années de service de Wirth avant le début de la guerre:
"Dans la police, Wirth était connu comme le pire des nazis. Il usait de tous les moyens pour recruter des partisans, et est par conséquent responsable de l’adhésion au parti nazi de nombreux officiers de police qui n’avaient auparavant aucune appartenance politique. Ses activités de prospection pour le Parti étaient intensives. Il était prêt à employer toutes les méthodes nécessaires et ne reculait devant rien. Il avait recours à la violence et à la menace pour obtenir ce qu’il voulait. Il était le représentant du Parti au sein de la police. Il s’est également révélé brutal dans l’exercice de ses fonctions policières. Nous ne savons rien des antennes et organes du Parti avec lesquels Wirth était en contact, mais il occupait clairement une position importante. De tous les officiers de police, c’est lui qui avait la pire réputation. Il était communément considéré comme un homme sans morale. En 1943 ou 1944, il est parti en mission en Pologne et il y est décédé. D’après ce que nous savons, il a été abattu en Pologne."
Cette déclaration officielle aussi accablante que vague constitua la base même des arguments avancés contre Wirth lors des principales audiences de dénazification. 6 mois plus tard, le 21 novembre 1947, le tribunal demanda au ministère de l’Intérieur du Wurtemberg - basé à Stuttgart, de lui remettre le dossier personnel d’avant-guerre du Kriminalkommissar Christian Wirth. Il s’avèra alors que la teneur de ce dossier diffèrait considérablement de celle du communiqué de la police. Wirth y était en effet dépeint en des termes élogieux:
"Impeccable et correct, enthousiaste, rigoureux, intelligent, avec une volonté et une résilience remarquables, un grand dynamisme et d’excellentes facultés; extrêmement fiable, un modèle de dévouement, mentalement et physiquement agile, persévérant et plein d’énergie. Aucune faille ou faiblesse particulière. Un officier avec de remarquables aptitudes au service, une discipline admirable et d’excellentes capacités administratives; un criminologue particulièrement compétent. Un officier énergique et digne de confiance, avec de vastes connaissances générales, qui a toujours exercé ses fonctions avec une détermination de fer, et à la réputation de résoudre les affaires les plus complexes qui ont eu raison des autres officiers. Son dévouement est inspirant, et ses accomplissements sont un exemple. Son apparence en service comme au repos est sobre et soldatesque. Son comportement est normal, adéquat et approprié, avec une vivacité spirituelle rafraîchissante. Nationaliste, philosophe vis-à-vis de la vie, et politiquement conforme à ce que l’on attend d’un officier national-socialiste, avec un caractère franc et décent et une allure agressive. Projette une aura professionnelle digne d’être imitée".
Difficile de croire qu’un tel dossier pouvait être celui d’un officier à présent jugé "sans morale et avec la pire réputation" par ses anciens employeurs, et désavoué par un département qui fut de toute évidence fier de le compter dans ses rangs. Le dossier fut restitué au ministère de l’Intérieur le 10 janvier 1948.
Quand l’enquête sur le passé de Wirth fut lancée au début de l’automne 1948, les cas soumis aux tribunaux de dénazification furent traités avec une nonchalance croissante, et les procédures sommaires débouchaient généralement sur des verdicts contestables basés sur des enquêtes bâclées. L’affaire Wirth, jugée par le tribunal de dénazification 10 de Stuttgart-Degerloch ne fit pas exception. Dans ce dossier, le tribunal eu la responsabilité de déterminer si: "1. de par ses activités zélées au nom du parti nazi, Wirth a obligé ses collègues et d’autres citoyens à rejoindre le Parti contre leur gré, usant pour ce faire de moyens de pression violents et illégaux; 2. de par ses activités zélées au nom du parti nazi, Wirth a ensuite obtenu un avantage en étant privilégié pour l’octroi de promotions et d’attributions particulières, ainsi qu’un avantage financier; 3. les héritiers de Wirth ont hérité de ses gains mal acquis; 4. en tant que membre d’organisations criminelles, à savoir la SS et le SD, Wirth a mené des expériences médicales illégales sur des êtres humains". Au vu de ces accusations, il aurait dû être classé dans la Catégorie I, et donc condamné en tant que grand criminel de guerre. En vertu du point 3, les avoirs de Wirth, qui incluent 3 propriétés à Stuttgart, étaient estimés à 123000 marks (17186 sont déposés sur un compte en banque), dont une partie provenant présumément de ces gains mal acquis.
Afin d’accélérer les procédures judiciaires, les tribunaux de dénazification acceptèrent les déclarations de témoins sur l’attitude et l’engagement politique des personnes accusées de nazisme. Pendant la première semaine de septembre 1948, 4 personnes qui avaient personnellement connu Christian Wirth avant la guerre déposèrent un témoignage écrit au tribunal. Les 2 premières sont 2 dames sans affiliation avec le parti nazi : Else Kippenberger qui a loué à Wirth sa maison du 22 Kauzenhecke depuis avant la guerre, et Lina Bock, ancienne voisine de Wirth du 20 Kauzenhecke. D’après leurs déclarations, Wirth était un homme "très discret, qui vivait en marge de la société avec sa femme et ses enfants, tous très respectables. Il semblait ferme, comme un sergent-major, mais poli. Personne n’a jamais eu de soupçon à son égard". Les 2 autres témoins, Franz Lung et Paul Scheffel, côtoyèren Wirth avant la guerre au sein de la KRIPO de Stuttgart. Lung fut interrogé chez lui, à Stuttgart, au 11 Möhringstrasse. Les déclarations des 2 hommes corroborèrennt en partie le communiqué émis en juin 1946 par la direction de la police de Stuttgart. À leurs yeux, Wirth était un "vrai soldat" ("Alter Kämpfer" vieux combattant), "un homme violent qui n’avait peur de rien, était prêt à tout, et faisait chanter ses collègues pour les forcer à rejoindre le Parti. Il n’avait aucun scrupule à utiliser les méthodes les plus honteuses". Cependant, lorsque Scheffel refusa de rejoindre le Parti "Wirth ne m’a rien fait personnellement alors qu’il savait parfaitement que nos avis étaient opposés". Wirth a également continué de travailler avec Lung, son expérience dans la police comptant davantage que ses convictions politiques. Lung et Scheffel mentionnèrennt tous 2 le fait qu’en 1939, Wirth avait été le seul officier de la KRIPO de Stuttgart à être envoyé à Vienne pour une mission spéciale. En revanche, ses promotions n’avaient, à leurs yeux, rien d’anormal. Aucun des 2 n’était au courant des détails de sa mission en Pologne. Ces témoignages furent joints au Dossier No37/40167 du tribunal de dénazification 10.
Le 25 octobre 1948, Frau Maria Wirth - la veuve de Christian Wirth, fit appel à un avocat pour défendre ses intérêts devant le tribunal de dénazification 10. Son choix se porta sur le Dr Ottmar Häfele, issu du cabinet du Dr Helmuth Fischinger de l’Alexanderstrasse, à Stuttgart. Début novembre, 6 autres témoins intervinrent par écrit en faveur de Wirth. 4 d’entre eux avaient également servi avec lui avant la guerre. Le premier, le Kriminalkommissar Hermann Schaaf, travailla avec Wirth pendant près de 20 ans, et était d’ailleurs toujours en service actif. Il fut interrogé chez lui, à Tübingen. Schaaf déclara ce qui suit:
"Wirth était un criminologue hors pair, énergique et méthodique. Il était inflexible dans sa lutte contre le crime et était l’homme le plus détesté des organisations criminelles. S’il était si déterminé, c’est parce qu’il voulait enrayer l’influence des milieux criminels. Extrêmement exigeant envers lui-même, il a sacrifié d’innombrables soirées et week-ends à sa lutte contre le crime. Il a ainsi su gagner la confiance de la police criminelle de Stuttgart, que ce soit dans le Wurtemberg, dans d’autres régions, et même à l’étranger. Il était toujours à l’affût, et cela lui a valu une solide réputation. Il insistait toujours sur l’importance d’une gestion administrative scrupuleuse du commissariat".
Schaaf mit un point d’honneur à préciser que Wirth adoptait la même attitude avec les criminels qu’avec ses propres subalternes. Ses mesures disciplinaires lui avaient souvent valu les foudres des membres de la KRIPO. D’après Schaaf, Wirth n’avait fait montre d’aucune appartenance politique particulière avant la montée au pouvoir des nazis en 1933. Après cela, il s’était toutefois révélé être un nazi convaincu, et s’était mis à user de son influence en tant que liaison entre la police fédérale de Berlin et la police d’État du Wurtemberg, pour pousser ses subalternes à rejoindre le Parti. Schaaf était convaincu que les promotions de Wirth étaient méritées et qu’il n’a reçu aucun traitement de faveur.
Le lendemain, le 3 novembre, Hedwig Roller, une secrétaire de la direction de la police de Stuttgart, fut à son tour interrogée chez elle, à Stuttgart-Feuerbach. Elle avait passé 27 ans à la KRIPO de Stuttgart, et même brièvement travaillé comme secrétaire de Christian Wirth: "J’ai travaillé plusieurs années juste devant le bureau de notre chef, là où Wirth devait attendre qu'il puisse le recevoir. Puisque Wirth était à la tête d’un département, il se présentait quotidiennement au bureau du chef, car il devait lui signaler chaque arrestation ou affaire particulière". À l’instar de Schaaf, Frau Roller était d’avis que, dans le cadre de ses fonctions officielles, Wirth écoutait toujours son sens du devoir, peu importe l’apparence de la personne concernée. Lorsqu’il disposait de preuves, il dénonçait même au procureur d’État les chefs de la SS et de la SA qui avaient commis des actes criminels. Bien qu’occupant un poste de confiance, Frau Roller n’avait pas rejoint le Parti. Elle savait en outre que Wirth a été tué en Italie en 1944, puisque c’est elle qui a annoncé le décès de son mari à Frau Wirth.
Le lendemain, ce fut au tour du Kriminalobersekretär Georg Ziegler, ancien adjoint de Wirth qui avait rejoint le parti nazi en 1933. Interrogé à son domicile de Stuttgart, Ziegler déclara:
"qu’en plus d’être un soldat qui se pliait sans broncher aux ordres de ses supérieurs, Wirth était altruiste et toujours prêt à défendre le bien-être et les griefs de ses camarades et subalternes. Dans sa lutte contre le crime, Wirth avait atteint d’incroyables résultats grâce à son ingéniosité et son habileté, et avait ainsi fait briller la KRIPO de Stuttgart bien au-delà des frontières de l’État".
Concernant l’implication politique de Wirth, il déclara:
"Il a rejoint le parti nazi et la SA très tôt – probablement à cause de sa mentalité de soldat. Après la prise du pouvoir, il a encouragé les autres officiers de police à rejoindre le Parti, et leur a dit que tout le monde avait intérêt à y adhérer, car le Parti était à présent l’État, et l’État le Parti, et que ceux qui refusaient de rejoindre le Parti devraient en assumer les conséquences. Après la prise du pouvoir, cela lui a valu bon nombre de conflits avec la SS, la SA et les chefs locaux du Parti. Wirth arrêtait les hommes de la SS et de la SA qui se rendaient coupables de dégradation de biens publics, de détention illégitime ou de coups et blessures graves sur des civils. Je l’ai accompagné à plusieurs reprises lors de ces arrestations, et il m’a chaque fois ordonné d’utiliser nos armes en cas de résistance armée".
Ziegler conclut en se disant prêt à déclarer sous serment que Wirth avait toujours agi dans le seul et unique but de faire régner la loi et la justice.
Le 5 novembre 1948, le secrétaire de police criminelle Helmuth Pfeiffer qui n’était pas membre du Parti, mais louait depuis longtemps la maison de la Kauzenhecke de Wirth, fournit au tribunal une déclaration écrite étonnamment brève et superficielle pour un collègue policier qui a passé 4 ans sous le même toit que Wirth:
"Je soussigné déclare vivre depuis 1935 dans la maison de feu Christian Wirth, au 22 Kauzenhecke. Herr Wirth m’a toujours semblé irréprochable. Il n’a jamais fait de propagande d’aucune sorte pour le parti nazi".
Toujours le même jour, dans la bourgade de Korb-bei-Waiblingen, où Eugen, le fils aîné de Wirth, vit avec sa femme Joanna, les enquêteurs interrogèrent 2 amis de la famille Wirth, à savoir Karl Ade, entrepreneur dans le secteur de la construction, et associé de longue date d’Eugen Wirth, et qui n’appartenait pas au parti nazi. Et Friedrich Ellwangen, un membre du Parti qui venait à peine d’être amnistié par un tribunal de dénazification. Ils parlèrent ouvertement des moments passés avec Christian Wirth au début des années 1930, quand il rendait visite régulièrement à son fils et aidait Ade à construire une nouvelle maison pour ce dernier. Ade se souvient notamment de la pingrerie dont il fait preuve lors de ses visites à Korb:
"Il emmenait souvent son thé pour l’après-midi afin d’économiser de l’argent, ce que le jeune homme que j’étais avait du mal à comprendre".
Ade et Ellwangen savaient que Wirth devait être haut placé au sein du Parti, mais aucun des 2 n’avaient le souvenir d’avoir un jour parlé de politique avec lui. Ils ne savaient rien de ses faits et gestes pendant la guerre, et n’avaientt rien de négatif à dire à son encontre. La pingrerie de Wirth deviendra par la suite l’un des arguments de la plaidoirie du Dr Häfele.
L’audience principale se tint finalement le 15 novembre 1948 – soit plus de 2 ans après les premières allégations formulées à l’encontre de Christian Wirth – devant le tribunal de dénazification 15, installé dans l’ancienne caserne de la Rotebühlplatz de Stuttgart. Le tribunal, composé de 3 hommes de loi, fut chargé d’examiner les accusations portées contre Christian Wirth à la lumière des preuves avancées dans les déclarations écrites des témoins, et de la défense écrite présentée le 8 novembre par le Dr Ottmar Häfele, l’avocat de Frau Wirth.
Ce dernier entama son plaidoyer en affirmant que son client ne pouvai être accusé d’avoir pris part à l’organisation criminelle qu’était la SS, car il n’avait rejoint ni l’Allgemeine-SS ni la Waffen‑SS:
"En réalité, il avait, au début de la guerre, été envoyé en mission spéciale avec une unité qui fut ensuite placée sous l’autorité du SD. En 1944, il fut également intégré à un Einsatzkommando du SD qui menait des opérations anti-partisans en Italie; opérations au cours desquelles il n’a porté que son uniforme de police. À partir de 1933 et jusqu’au début de la guerre, il était impliqué à temps plein dans les activités civiles de la police criminelle. Il faisait plus précisément partie de la brigade criminelle, et s’est d’ailleurs forgé une excellente réputation. Il n’a jamais travaillé pour un département politique".
Häfele souligna également les qualités et la moralité exemplaire de Wirth. Un excellent officier de police et criminologue qui n’a que rarement porté l’uniforme de la SA en public, n’a jamais propagé de propagande nazie dans ses cercles d’amis proches, et n’a jamais poussé ses connaissances à rejoindre le Parti. Il ne parlait presque jamais de politique, et bon nombre de ses amis et connaissances ne savaient même pas qu’il avait adhéré au Parti. Le Dr Häfele affirma que Wirth ne pouvait être un fanatique nazi, puisque ni sa femme, Frau Maria Wirth, ni leur fils Eugen n’étaient membres d’une organisation nazie. Seul leur fils cadet Kurt avait intégré la Jungvolk (la version junior des Jeunesses hitlériennes) avant d’entrer dans la Waffen-SS. Il a toutefois été pardonné en vertu de l’amnistie de la jeunesse prononcée par le gouvernement militaire américain en août 1946. Häfele argumenta que si Wirth avait vraiment été un nazi zélé capable de faire pression sur les autres pour les forcer à rejoindre le Parti, il aurait commencé par ses proches. Or, ni Maria et Eugen n’étaient membres d’aucune organisation nazie. Il fallait donc en conclure que Wirth n’était pas un fanatique.
Le Dr Häfele présenta ensuite les déclarations des anciens camarades de police de Wirth, qui contestèrent que Wirth eût usé de méthodes discutables pour forcer des officiers de police à rejoindre le Parti. Il ajouta en outre que Wirth n’avait pénalisé aucun des officiers qui avaient refusé de rejoindre le Parti.
Häfele répondit également aux allégations formulées à Nuremberg, selon lesquelles Wirth aurait réalisé des expériences médicales sur des citoyens allemands dans le Brandebourg et mené une "mission spéciale" dans les centres d’extermination en Pologne, comme relayé par la presse. Il avanca ainsi, assez sincèrement au vu des preuves disponibles à l’époque:
"Les héritiers de Wirth n’ont jamais rien su des missions qui lui furent confiées – à l’exception de celle pour laquelle il fut envoyé à Vienne. Aucun document ne précise ce que Wirth fit là-bas. Rien ne dit non plus que Wirth fut chargé d’une telle mission, à savoir tuer les personnes considérées comme racialement inacceptables. Ces allégations n'étaient pas fondées, et étayées par aucune preuve. Il en allait de même pour les accusations portées au procès de Nuremberg".
Suivant cet argument, le rôle clé joué par Christian Wirth dans le massacre des Juifs au sein des centres d’extermination en Pologne de l’Aktion Reinhardt fut rayé de l’affaire, et ne fut plus mentionné par la suite. Häfele conclut sa défense en affirmant que si le tribunal condamnait Wirth en tant que grand criminel de guerre, tous ses actifs seraient saisis, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour ses héritiers, puisque Frau Maria Wirth se retrouverait en effet sans ressources, et deviendrait dépendante de l’aide publique. L’avocat appella donc le tribunal à tenir compte des faits suivants:
"Wirth était un homme extrêmement économe, voire même avare, ce qui explique ses nombreux actifs. Il possédait bien avant la période nazie, une maison au 13 Neugereut Strasse, qu’il a vendue en 1926 pour acheter une autre maison. Cette autre maison a toutefois été achetée à l’aide des moyens financiers de Frau Wirth. Après la Première Guerre mondiale, Maria Wirth possédait environ 10000 marks qu’elle a mis à la disposition de son mari pour acheter cette maison. En 1932, Frau Wirth a en outre hérité d’environ (illisible dans le texte original, mais un nombre à 5 chiffres) marks, qu’elle a également mis à la disposition de son mari. Par conséquent, Frau Wirth a le droit de récupérer son argent, puisque la propriété a été achetée grâce à ses fonds personnels".
Selon Häfele, le seul moyen d’éviter de réduire Maria Wirth à la pauvreté était de lui laisser la majeure partie des biens qu’elle avait partagés avec son mari. Le tribunal dut en outre tenir compte du fait que Kurt, le fils cadet des Wirth, suivait alors une formation professionnelle. Au vu de cette situation financière critique, Häfele demanda que Christian Wirth soit classé dans la Catégorie II "criminel de guerre", et que seule une partie de ses biens soit confisquée.
Malgré tout, le président du tribunal de dénazification et ses 2 assistants accablèrent Wirth sur la base d’arguments pour le moins fragiles. À savoir qu’il était membre du Parti nazi et détenteur de l'insigne d’honneur en or, et qu’il avait, en tant que Kriminalkommissar, été assigné au SD pour exécuter des tâches spéciales (dont le tribunal ignorait toutefois la nature). Le tribunal juga également que les articles de presse indiquant que le nom de Wirth avait été cité à Nuremberg "ne jouaient pas en sa faveur". D’après les membres du tribunal, son implication dans la SD était "incriminante", et la mission spéciale de Vienne lui avait sans doute été attribuée parce que les autorités nazies lui faisaient confiance. Le tribunal de dénazification 15 conclut ainsi que Christian Wirth devai être déclaré coupable de toutes les charges, et considéré comme un "grand criminel de guerre". Le tribunal choisit toutefois d’accéder à la demande de l’avocat de la défense, et de placer Wirth dans une catégorie inférieure, à savoir la Catégorie II "criminel de guerre". Le tribunal ordonna donc la confiscation des biens de Wirth après déduction des dettes et charges dues, mais il décida que les actifs de Maria Wirth ne faisait pas partie des biens de son défunt mari. Frau Wirth eu ainsi droit à une allocation de subsistance, et ses 2 fils reçurent une indemnité rétroactive. Les frais de justice furent fixés à 9170 marks et imputés à l’État du Wurtemberg.
Maria Wirth disposa d’1 mois pour faire appel du verdict pour invoquer une erreur judiciaire due à une interprétation erronée des faits pendant l’audience, et demander un nouveau verdict au motif que son mari avait été placé dans la mauvaise catégorie, et que la saisie des biens était injustifiée. Le tribunal d’appel avait le pouvoir de modifier ou de valider le verdict initial, ou de demander un nouveau procès.
Le 8 décembre 1948, l’avocat de Frau Wirth soumit une demande d’appel au tribunal de dénazification central VII de Ludwigsburg. Dans cette demande écrite, il remetait en question la légalité de l’audience et du verdict rendu par le tribunal de dénazification 15, ce dernier ne reposant selon lui que sur des preuves peu convaincantes dont aucune ne condamnait univoquement l’accusé. Häfele soulignait également le manque de fiabilité du communiqué rédigé en 1947 par la direction de la police de Stuttgart: "un document à traiter avec la plus grande circonspection, puisque la direction de la police s’est avérée incapable de détailler les circonstances du décès de Christian Wirth". Selon la défense, la décision du tribunal de dénazification 15 de saisir les biens de Wirth n’était légalement pas justifiée car:
"Il est tout à fait inconcevable que la confiscation des biens de l’inculpé soit considérée comme une méthode d’expiation. Il n’y aurait alors aucune distinction entre l’inculpé et un grand criminel de guerre. D’après la loi, seule une partie des biens de l’inculpé pourrait être saisie. Techniquement, la confiscation de l’intégralité des biens est non seulement tout à fait injustifiée, mais également illégale. La confiscation intégrale des biens punit en outre toute la famille, ce qui est inacceptable d’un point de vue démocratique, car ceux qui souffrent le plus sont la veuve et les enfants. les héritiers perdraient tout et seraient punis pour quelque chose dont ils ne pouvaient, avec la meilleure volonté du monde, rien savoir".
Le Dr Häfele revint ensuite sur les arrangements financiers entre Wirth et sa femme; arrangements qui avaient mené à l’achat d’une propriété. Selon lui, les biens n’auraient pas dû être saisis dans leur ensemble puisqu’ils appartenaient conjointement aux 2 époux. Le tribunal de dénazification 15 avait donc, une fois de plus, agi illégalement. Häfele déplora enfin le fait que Frau Maria Wirth n’ait eu droit à aucune pension malgré les 24 années de bons et loyaux services de son mari au sein de la police d’État, en tant qu’officier expérimenté et irréprochable. L’avocat recommanda donc une confiscation de 20% des biens de Wirth.
Le tribunal central de Ludwigsburg accepta la procédure d’appel au motif que "la provenance des actes n’avait pas été essentiellement définie en droit, et que les actes définis ne justifiaient pas la décision". Une nouvelle audience fut donc ordonnée afin de faire définitivement la lumière sur les faits. Le Dr Häfele soumit une liste de personnes qu’il souhaitait appeler à témoigner en faveur du défunt Christian Wirth. Cette audience ne se tint toutefois que près d’un 1 plus tard.
Le procès en appel de Frau Maria Wirth se tient finalement du 1er au 19 novembre 1949, devant le tribunal de dénazification central VII de Ludwigsburg. À ce moment-là, soit plus de 3 ans après les premières accusations à l’encontre du Kriminalkommissar Christian Wirth, les tribunaux d’appel limitaient déjà leurs efforts, se contentant généralement d’écouter les preuves fournies par les appelants et leurs témoins – bien souvent des déclarations attestant de la moralité de l’accusé. S’il existait des preuves que l’accusé était coupable, le tribunal se contentait d’établir le degré de culpabilité. La défense produisit 7 témoins, y compris la veuve et les 2 fils de Wirth. En plus des témoignages verbaux de ces témoins, le tribunal lit 11 dépositions écrites, et examina les déclarations fiscales d’avant-guerre de Wirth. La maison familiale du 22 Kauzenhecke, endommagée par un raid aérien britannique en 1944, était estimée à 39000 marks. Une seconde propriété, située dans la Gebelsberger Strasse et également endommagée par un bombardement allié, fut réestimée à 12000 marks (au lieu des 19000 initialement).
Le Kriminalobersekretär Georg Ziegler qui fut l’adjoint de Wirth avant la guerre, déclara au sujet de son ancien supérieur:
"Il ne parlait absolument jamais de ses missions. Je sais qu’il s’est rendu en Pologne, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il y a fait. Il a toujours refusé de répondre à mes questions".
Interrogé au sujet des commentaires critiques de Franz Lung au sujet de Wirth, Ziegler répondit que Lung venait d’une autre ville, sous-entendant ainsi que l’officier ne faisait pas partie du cercle rapproché de Wirth. Ziegler ajouta également de manière assez désobligeante, que Lung était "très religieux". Il déclara ensuite:
"Il n’est pas vrai que Wirth était prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Il n’a jamais obligé personne à rejoindre le Parti. La vérité, c’est qu’après 1933, beaucoup de gens voulaient rejoindre le Parti. Beaucoup s’en voulaient même d’avoir attendu aussi longtemps".
Le Kriminal Obersekretär Paul Frech qui côtoya Wirth pendant plus de 30 ans, nia lui aussi catégoriquement que Wirth eût été "prêt à tout" – un témoignage que rejoint celui du Kriminal Sekretär Albert Mühleisen, selon qui la personne qui avait forcé des officiers à rejoindre les nazis n’était pas Wirth, mais bien leur supérieur du quartier général de la KRIPO. Le tribunal d’appel cita ensuite à la barre les témoins qui avaient connu Christian Wirth sur le plan privé. Tous témoignèrent en sa faveur – et en particulier le Dr Hohenstatt qui déclara "je n’ai jamais vu en lui que de l’humanité".
Dans son plaidoyer final, le Dr Häfele recommanda que Wirth soit placé dans la Catégorie III "inculpé", mais que l’accusé étant décédé, l’ordre d’expropriation prononcé soit ramené à 10 % des biens – un chiffre que Frau Wirth jugeait acceptable. Le tribunal de dénazification central VII rendit son verdict le 19 novembre 1949. Il rejetta le communiqué de police de 1947, et se ranga à l’avis de l’avocat de la défense, concluant que le verdict du tribunal de dénazification 15 était infondé et constituait une grave erreur de jugement. D’après le tribunal d’appel, au vu des preuves existantes, Christian Wirth ne pouvait être formellement accusé que d’avoir été membre du parti nazi de 1933 à 1944, de la SA de 1933 à 1939 et du SD de 1933 à 1944, et de s’être vu remettre une décoration pour services rendus (Verdienstauszeichen im silber - crois du mérite en argent). Wirth ne pouvait être accusé d’avoir été membre d’une organisation criminelle, à savoir la SS, puisqu’il n’avait reçu un grade dans celle-ci que par assimilation de son grade dans la police. Quant aux missions de Wirth avant et pendant la guerre, le tribunal décrètait ce qui suit:
"Aucun fait n’a pu être catégoriquement établi, et Wirth a selon toute vraisemblance été cité lors du Procès de Nuremberg en raison de rumeurs infondées, aucun élément concret ne pointant dans cette direction. Les éléments présentés dans le verdict original à la défaveur de Wirth, sont à tout le moins incorrects, car ils reposent au mieux sur des suppositions sans aucun fondement".
En conséquence, le tribunal d’appel de Ludwigsburg annula le verdict initial du tribunal de dénazification 15 de Stuttgart, et placa Wirth dans la Catégorie III "inculpé", en ajoutant la mention "non condamné". L’enquête dura plus de 3 ans, et une fois encore, les frais de justice furent assumés par l’État du Wurtemberg.
À l’époque, aucun autre verdict n’était envisageable car les seules preuves soumises au tribunal furent les déclarations des témoins de moralité de la défense, témoins qui ne savaient absolument rien de la carrière et des activités de Wirth après 1939.
L’étendue et la nature des crimes commis par Christian Wirth ne fut révélée – et largement relayée par la presse allemande – qu’au lancement des procès de l’Aktion Reinhardt en 1963, soit 14 ans après que l’officier fut officiellement déclaré "inculpé, mais non coupable".
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