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Opération T4/Euthanasie : route vers le génocide

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Message  eddy marz 24/4/2008, 15:42

Bonjour à tous…
Absent depuis quelques jours, je vous ai tout de même concocté un petit précis (un peu long, désolé) sur le « Programme d’Euthanasie des Incurables », décrété par Hitler. Le sujet est d’actualité, comme vous le savez. Je pense que ce récit nous fait prendre conscience des questions liées au problème mais, par-dessus tout, nous révèle la filiation directe (parfaitement logique, malheureusement) entre « L’Euthanasie » et la « Solution Finale »…

Tant en concept qu’en pratique, l’« Euthanasie » Nationale Socialiste fut une démarche en opposition complète avec notre idée moderne d’un acte de charité (ou d’amour) médicalement assisté. La démarche nazie fut le produit de théories pseudo scientifiques, et d’une politique économique impitoyable. Les nazis assassinèrent les « vies indignes de vivre » (lebensunwertes Leben) non par compassion mais dans la stratégie délibérée de détruire les couches de la société les moins aptes à se défendre… Cette politique atteindra son apogée avec l’extermination des Juifs.

Cependant, il est important de comprendre que les nazis ne furent pas les inventeurs de leur vision criminelle de l’euthanasie. Ses racines naissent dans une lecture plutôt sélective des théories évolutionnistes de Darwin, ainsi que dans la pensée « scientifique » dévoyée qui en résulta. Le terme « Eugénisme », une thèse dénuée de tout fondement scientifique, fut apporté en 1881 par le mathématicien et naturaliste anglais Francis Galton. Elle fut décrite comme « la science pour l’amélioration de la race humaine par élevage contrôlé ». Bien entendu, ce concept sous-entendait la notion de « survie du plus apte », un élément fondamental de l’idéologie nazie. L’Eugénisme se développa au sein d’un courant plus large, le « Darwinisme Social », qui appliquait la théorie de Darwin de « lutte pour la vie » (Struggle for Life ) à la condition humaine. Le commandement fondamental de l’Eugénisme était qu’en empêchant les individus « inférieurs » de se reproduire tout en poussant la reproduction des plus « aptes », on rendait service à la société.

Les premières cibles furent les « faibles d’esprit » (un terme vague englobant tout, du retardé mental jusqu’à l’alcoolique), les idiots (âge mental 3 ans ; incapables d’apprendre à parler), les imbéciles (âge mental 7 ans ; capables d’activités supervisées), et les crétins (développement mental et physique interrompu ; dystrophie osseuse, nanisme, et déficience mentale). Il était suggéré qu’il existait une correspondance entre un bas niveau d’intelligence, l’immoralité, et le comportement criminel ; les problèmes sociaux de l’époque, la transgression des lois, la faiblesse, la pauvreté, étaient le résultat d’une dégénérescence raciale. La conclusion fut que « tous les criminels ne sont pas faibles d’esprit, mais que les faibles d’esprit sont tous des criminels potentiels. Que chaque femme faible d’esprit soit une prostituée potentielle est une réalité qui ne divisera personne »… Mais il n’y a pas que cela ; le racisme n’était pas loin : Les Slaves et les sud-Européens étaient considérés moins intelligents que les peuples blonds du Nord, quant aux Africains, ils étaient cantonnés « au bas de l’échelle de l’évolution ».

L’Eugénisme fut un mouvement international, mais plus particulièrement influent dans l’Allemagne du début du 20e siècle, où, dans un livre, « Le Droit à la Mort » (Das Recht auf den Tod), Adolf Jost argumentait que si l’État exigeait le sacrifice de milliers de personnes en temps de guerre, il avait le même droit de demander le sacrifice des « inaptes » et des « non productifs » qui « drainaient l’État de ses ressources ». Vingt ans plus tard, dans un livre intitulé « La permission de détruire la vie indigne de vie » (Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Leben), Karl Binding et Alfred Hoche proposèrent que les malades incurables, les enfants déformés ou retardés, et la plupart des malades souffrant d’une pathologie mentale, soient ajoutés à la liste. Tuer ces personnes, ces « existences encombrantes » (Ballastexistenzen), était un acte « permissible et utile ». Les décès ne créeraient aucun inconvénient, sauf « peut-être dans les sensibilités des mères ou des infirmières »… L’inimaginable se produisit : on encourageait les médecins à tuer, et non à guérir.

En Allemagne, le terme « Hygiène Raciale » fut utilisé longtemps avant que le label « Eugénisme » ne devienne à la mode. En 1931, deux ans avant l’avènement de Hitler, Fritz Lenz, professeur d’Hygiène à l’université de Munich, déclara : « Hitler est le premier politicien de grande influence à avoir reconnu que la mission centrale de toute politique est l’hygiène raciale, et à soutenir cette mission activement »… En 1934, le psychiatre Ernst Rüdin – auteur des lois sur la stérilisation de 1933 – déclarera : « Le psychiatre et l’individu sain sont alliés contre les dégénérescences génétiques. Le psychiatre doit tout mettre en œuvre pour atteindre le but ultime, une race supérieure et vaillante à l’hérédité pure ». Au Rallye du Parti de 1929, Hitler annonce :

« Si l’Allemagne produisait un million d’enfants par an et se débarrassait 700-800 des plus faibles, le résultat final serait une augmentation des forces vives. La chose la plus dangereuse pour nous serait d’interrompre le processus naturel de sélection et ainsi de nous priver de la possibilité de nous procurer des individus sains. Le résultat de notre humanisme moderne est que nous tentons de soutenir les faibles aux dépends des individus sains ». Suite à la prise du pouvoir de 1933, les nazis entamèrent une grande campagne de propagande dans le but de « sensibiliser » le peuple Allemand aux avantages de l’« Euthanasie ». Par la radio, la presse, les films, il était suggéré que la vie des personnes productives pouvait être améliorée si les non productifs étaient tout simplement « écartés ». Et puis, après tout, n’était-il pas plus charitable de mettre un terme à leur souffrance ?

Mais le chemin vers le « meurtre légalisé » fut long et tortueux… Le 8 octobre 1935, Hitler introduisit la « Loi pour la Prévention des Maladies Génétiques Héréditaires », qui décrétait la stérilisation obligatoire pour toute personne atteinte par l’une ou l’autre d’un éventail très large de maladies. On estime qu’en 1939, entre 200.000 et 350.000 personnes avait déjà été stérilisées, dont plusieurs devinrent par la suite des victimes du programme d’euthanasie. La nouvelle loi prévoyait également l’avortement en cas de grossesses lorsqu’un des deux parents souffrait de maladies congénitales. La même année, les nazis passèrent une loi contre « les criminels dangereux », qui gommait la distinction entre le comportement criminel et les comportements sociaux inappropriés qui caractérisent souvent les personnes atteintes de handicaps mentaux.

La loi stipulait que ces « criminels asociaux » (asozialen) seraient internés dans des établissements d’État pendant des périodes indéterminées et, dans les cas de crimes sexuels, officiellement castrés. Cette loi, parmi d’autres, pavait la route pour les Lois Raciales de Nuremberg (1935) qui, bien qu’essentiellement dirigées contre les Juifs, régulèrent également les mariages entre individus souffrants de handicaps. La « Loi pour la Santé Matrimoniale » interdisait à un couple de se marier si l’un des deux intéressés souffrait d’une forme ou d’une autre de handicap mental, de « maladie héréditaire » (telles que définies par la loi), ou de maladie contagieuse comme la tuberculose ou les maladies vénériennes. Dès 1935, et selon ses croyances tenaces exprimées dans Main Kampf, Hitler dévoile à son proche entourage que si une guerre devait éclater, il en profiterais pour camoufler le meurtre des aliénés ; car la guerre fournirait non seulement une « distraction », mais également une justification pour se débarrasser des « bouches inutiles ».

À la fin de 1938, le régime Nazi commence à recevoir nombre de demandes de la part des parents de nouveaux-nés ou de très jeunes enfants atteints de handicaps ou difformités sévères, sollicitant une autorisation de « Mort Miséricordieuse » (Gnadentod). En février 1939, une pétition particulière fut adressée concernant un nourrisson nommé Gerhard Kretschmar, né aveugle, unijambiste, manchot, et considéré « idiot ». Hitler ordonna à Karl Brandt, son médecin personnel, d’aller voir l’enfant. À Nuremberg, en 1945, Karl Brandt déclara que si les descriptions de l’enfant s’avéraient exactes, il était chargé d’informer le médecin traitant de procéder à « l’euthanasie » ; ce qui fut fait. De retour à Berlin, Brandt reçu l’autorisation d’Hitler de procéder de façon analogue avec toute situation similaire. On pourrait toujours argumenter que le cas « Kretschmar » (plus connu sous le terme « cas Knauer ») fut un catalyseur pour tout ce qui suivit ; mais il semble plus probable que l’obsession d’Hitler pour l’euthanasie était telle qu’il devint inévitable qu’elle fut institutionnalisée sous sa dictature.

à suivre...
Eddy


Images :
- Propagande pro-eugéniste (source USHMM)
- Propagande pro-euthanasie (l'argument est le coût) (source USHMM)

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Message  eddy marz 24/4/2008, 15:55

Suite...

En avril 1939, alors qu’il est en poste à Vienne, le dossier SS du Kriminalkommissar Christian Wirth est annoté « z. V. Führer » (« à la disposition du Führer »). En clair, Wirth vient d’être sélectionné pour d’éventuelles tâches « spéciales » pour le Führer… Au mois de mai, Hitler ordonne au Dr. Karl Brandt de planifier l’assassinat des enfants en fondant un organisme nommé « Comité du Reich pour l’Enregistrement Scientifique des Maladies Héréditaires et Congénitales ». Par un décret du 18 août, médecins et sages-femmes sont tenus de dénoncer toute naissance « difforme ».

Dans un rapport de l’été 1939 à l’intention du Führer, le Dr. Theodor Morell – un autre médecin personnel d’Hitler – écrit : « Nombre de parents ont exprimés le point de vue : ‘Si seulement vous l’aviez fait (l’euthanasie) et vous étiez bornés à nous dire que l’enfant était mort de maladie…’ Il y a une leçon à tirer de ceci. Nous n’avons pas besoin de supposer qu’il nous est impossible de procéder à des mesures salutaires sans le consentement du Peuple souverain ». Il était clair pour Hitler qu’il n’y avait aucune réaction négative de grande ampleur à craindre de la part de la population. D’ailleurs, un sondage (conduit en avril 1941) confirme que 80% des familles des patients assassinés acceptaient les décisions ; 10% étaient contre, et 10% étaient indifférents.

Il a été suggéré que cette politique de « secret officiel », où les individus « savaient, tout en prétendant ne pas savoir, et où seulement quelques-uns protestèrent » était une invitation au déni et à l’indifférence morale, et qu’elle posa les fondements d’une réaction similaire à la « Solution Finale ». Si les individus ne se rebellaient pas contre les meurtres de leurs proches, il était peu probable qu’ils le fissent lorsque les assassinats s’étendraient aux Juifs, Tziganes, et autres Untermenschen…

Le 1er septembre 1939, Hitler signe donc l’ordre autorisant le Chef de la Chancellerie du Führer (KdF), le Reichsleiter Philip Bouhler, et le Dr. Karl Brandt, à « élargir le pouvoir décisionnaire de chaque docteur pour le but de leur permettre – après des examens les plus critiques possibles – d’administrer une mort miséricordieuse aux malades incurables »… En d’autres termes, de mettre en place un « Programme d’Euthanasie » (l’ordre fut rétrodaté au 1er septembre afin de coïncider avec le début de la guerre). Tenu de ne rendre des comptes qu’à Hitler en personne, Bouhler obtient cependant l’autorisation d’administrer le programme par le biais de son second : Viktor Brack.

Toutefois, Adolf Hitler, parfaitement conscient des donnants et des aboutissants de sa démarche, ne tient pas à ce que son nom soit associé à l’Euthanasie. Dés le début du programme, il avertit Philip Bouhler et Victor Brack que : « la Chancellerie du Führer ne doit en aucune circonstance être perçue comme active dans cette affaire » (Cité par Gerald Fleming. Hitler and the Final Solution University of California Press, Los Angeles, 1984). Les responsables de l’euthanasie tentent tout de même de faire passer des décrets rendant l’euthanasie légale, mais ces propositions sont refusées par Hitler qui estime (très justement) que cela fournirait aux Alliés un outil de propagande inacceptable. Il faut attendre la victoire totale avant de « légaliser » l’opération.

Aux environs de la fin octobre 1939, Christian Wirth, convoqué au KdF, est chargé de mettre en place la bureaucratie de l’euthanasie; l’Opération « T4 », ainsi nommée en raison de ses bureaux situés dans une villa au 4 de la Tiergartenstrasse, à Berlin. La villa est louée par le KdF sous le nom « Groupe de Travail du Reich pour les Sanatoriums et Maisons de Convalescence » (Reichsarbeitsgemeinschaft Heil- und Pflegeanstalten, ou R.A.G).

L’autorité ultime pour « T4 » est le Hauptamt II (Office Central II) du KdF. En la personne de Viktor Brack, cette agence gère toutes les décisions en matière d’euthanasie (et plus tard de l’Aktion Reinhard – les camps d’extermination du Palatinat de Lublin). Bien qu’il dirige « officiellement » toute l’opération, Brack n’a pas grand-chose à faire si ce n’est imposer son autorité lorsque « T4 » traite avec une autre agence gouvernementale ; Werner Blankenburg, second de Brack, supervise les assassinats d’enfants, quant au Dr. Karl Brandt il ne s’occupe que de l’aspect médical, et continue à gérer son cabinet. L’ensemble des membres du personnel du KdF, tout en continuant à occuper leurs fonctions, se retrouvent immergés dans l’assassinat médicalisé de masse. Alarmé, Hans Lammers, Chef de la Chancellerie se plaint du manque de légalité de l’opération et sollicite le Führer afin d’obtenir des mesures officielles. Hitler refuse net.

Aux individus recrutés pour « T4 », on demande s’ils sont disposés à participer ; aucun ne subit de pression. Les docteurs ne reçoivent jamais d’ordre direct de « tuer » les patients psychiatriques ou enfants handicapés. Néanmoins, tous les participants doivent confirmer d’une manière ou d’une autre leur compréhension de la nécessité de maintenir le secret absolu. À certains on raconte qu’une loi existe mais qu’on ne peut la leur montrer – toujours pour des raisons de secret. Peu de ceux abordés déclinent l’invitation. Il est possible de refuser de participer aux meurtres eux-mêmes, ou de démissionner. Tous les membres de l’opération sont personnellement interviewés par Brack ou Blankenburg ; tous, jusqu’aux cuisinières. Dans un discours, Viktor Brack déclare : « Trouvez des hommes avec le courage de mettre en place, et les nerfs assez solides pour encaisser ».

À juger par leur parcours, la majorité de l’échelon inférieur du staff recruté pour le programme sont des individus (hommes et femmes) d’intelligence moyenne, jouissant d’une éducation standard correcte, et n’ont ni les qualités requises ni l’inclinaison pour s’engager à la SS ou dans la Police. Nombre d’entre eux sont a priori surpris d’êtres sélectionnés car aucun ne s’est porté volontaire pour « T4 ». Ils ont été convoqués, et n’ont aucune idée de ce que l’on attend d’eux. Ils sont d’abord employés comme aides-soignantes, charpentiers, photographes, chauffeurs, plombiers, portiers, téléphonistes, techniciens de surface etc… Débutant pratiquement toujours comme « brûleurs », assignés aux crématoires des centres, ce n’est que graduellement que le personnel masculin est introduit dans l’engrenage des tueries. Il y a, bien entendu, des exceptions pour qui tuer est « naturel », mais de façon générale le KdF – à travers son représentant, Christian Wirth – forme sa propre équipe de « tueurs-spécialistes » sans scrupules ou cas de consciences. En tout cas, s’ils « éprouvent des difficultés », ils continuent tout de même de tuer.

Contrairement aux enfants, qui sont majoritairement assassinés par injections létales ou par famine, le nombre beaucoup plus important (et croissant) d’adultes exige une méthode plus efficace. Suite aux conseils « éclairés » du Dr. Widmann, il est décidé d’utiliser du monoxyde de carbone en bouteilles avec des chambres à gaz fixe. Ces chambres sont situées dans six centres d’assassinats médicalisés :

- Grafeneck
- Brandenburg
- Bernburg
- Hadamar
- Hartheim
- Pirna-Sonnenstein

À chaque centre est assigné un code à utiliser dans toute conversation téléphonique et communication écrite auprès de l’office central de « T4 ».

Début janvier 1940, Christian Wirth supervise l’installation d’une chambre à gaz et d’un four crématoire dans la prison abandonnée de Brandenburg, près de Berlin. Dans cette institution, à la mi-janvier, en présence de Philip Bouhler et Viktor Brack, Wirth inaugure le premier essai de gazage connu, utilisant le monoxyde de carbone. Les « spectateurs » observent les victimes « s’endormir », et repartent satisfaits ; l’expérience est considérée un succès. La chambre à gaz homicide devient ainsi une invention spécifique de l’Allemagne nazie ; et une fois la méthode testée, Wirth s’emploie à créer un dispositif de déception des victimes afin de les y faire entrer le plus calmement possible.

Le même mois, dans les territoires occupés du Warthegau, débute l’euthanasie des « inaptes » Polonais. Ils sont gazés par camions à gaz itinérants sous la direction de l’Obersturmführer SS Herbert Lange. Pendant les cinq mois qui suivent, le commando de Lange sillonne la Pologne occidentale avec un camion affichant un panneau : « `Kaiser’s Kaffeegeschäft’ (Compagnie des Cafés du Kaiser). Le commando se rend également en Prusse où, en à peine 3 semaines, plus de 1.800 malades Allemands et Polonais sont gazés… ce chiffre atteindra, pour cette seule région, le total de 7.700 assassinats. Plus tard, lors de l’invasion de l’URSS, un très grand nombre de malades mentaux ou incurables seront exterminés à Riga, Mogilev, Kiev, Aglona, Dvinsk, Poltava…
à suivre...

Photos (USHMM):
- Philip Bouhler
- Viktor Brack
- Christian Wirth

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Message  eddy marz 24/4/2008, 16:02

Suite... et fin.

En Allemagne, la situation se dégrade. Les habitants d’Hadamar et de Grafeneck se plaignent de l’odeur de chair brûlée et des particules de cendres qui flottent dans l’air ; le sérieux des « employés » des centres « T4 » fléchit ; ils organisent des soirées sur les lieux des crimes, fêtent le « 1000ème incinéré », se saoulent, commettent des erreurs de diagnostics, d’avis de décès… Dans une lettre, un Kreisleiter (Chef de District) du nom de Waltz interpelle les autorités :

« Il apparaît que les commissions travaillent trop hâtivement et que plusieurs erreurs ont été commises. On ne peut pas empêcher des cas individuels d’être connus :
1. Une famille a reçu deux urnes.
2. Un avis indiquait une mort par appendicite alors que l’appendice avait été retiré 10 ans auparavant.
3. Un autre avis mentionnait une maladie de la moelle épinière, alors que 8 jours plus tôt le malade était en pleine forme.
4. Une famille a reçu l’avis de décès d’une personne encore en vie aujourd’hui.
Le médecin-chef de la ville de Nuremberg a rendu compte que deux plaintes pour meurtre ont été déposées par des parents de malades.
Heil Hitler
Kreisleiter Waltz »


En mai de la même année, Wirth est promu Läuterungsinspektor (contrôleur itinérant) des instituts d’euthanasie. L’objectif est de remédier aux erreurs commises par l’administration « T4 », considérée responsable de l’ébruitement de l’opération au sein de la population civile, mais surtout de mettre un terme à l’effondrement moral et au laxisme des participants. Candidat à l’Académie Sipo-SD de Berlin en juin 1940, Wirth est remarqué pour son idée de camoufler les chambres à gaz « T4 » en salles de douche, et obtient le diplôme sans difficulté.

L’église Catholique, qui évitait jusqu’alors toute confrontation avec le régime nazi, s’émeut enfin. En août 1940, le Cardinal Bertram dénonce un programme qui « viole non seulement la moralité Chrétienne, mais la moralité du peuple Allemand et menace la réputation de l’Allemagne à l’étranger ». Le Cardinal Faulhaber se plaint par courrier directement au gouvernement. Le malaise s’installe, de plus en plus de plaintes se font entendre, mais l’opération continue…

Un « Gekrat » est créé pour transporter les victimes vers les centres. Une flottille de bus (3 par centre) est louée à la Poste du Reich. Les chauffeurs des bus sont tous des sous-officiers SS recrutés dans les camps de concentrations. Le gaz est fourni par une branche de l’I.G. FARBEN (de nos jours BASF) au KdF qui acquiert le produit sous les prête-noms de « Jennerwein » (Brack) et « Brenner » (Blankenburg). Plus tard, afin de maintenir le secret, les victimes ne sont plus amenées directement aux centres d’assassinats, mais transitent préalablement par d’autres institutions…

Toutes ces méthodes de tromperie, de dissimulation, et de secret de l’opération « T4 » furent utilisées plus tard dans les camps d’extermination de l’Aktion Reinhard. Par exemple, à Hadamar, une carte postale destinée aux familles (afin de les rassurer) étaient remises aux malades capables de les remplir, quelques minutes avant d’être gazés. L’opération prenait environ 15 minutes. Puis, au bout d’une heure, les chambres étaient aérées. Avant d’êtres incinérés, les cadavres étaient « fouillés », et les organes, surtout les cerveaux, prélevés pour étude. Ces cerveaux étaient pris en charge par L’Institut Kaiser Wilhelm de Recherche Neurologique de Berlin ainsi que par L’Institut Kaiser Wilhelm de Psychiatrie de Munich (aujourd’hui Instituts Max Planck).

En juillet 1941, une lettre pastorale est circulée dans toutes les églises dénonçant les mises à mort. Côté protestant, l’évêque Clemens comte Von Galen dénonce publiquement « T4 » et, courageusement, envoie un télégramme à Hitler réclamant « au Führer de défendre le peuple contre la Gestapo ». Bien entendu, les sermons de Von Galen sont censurés dans la presse. Certains nazis exigent l’arrestation de Von Galen, mais Goebbels, prudent, dissuade Hitler d’y procéder. Le pasteur Paul Braune proteste à son tour, mais la plupart des religieux luthériens n’émettent maintenant de réserves qu’en privé.

En août 1941, les protestations gagnent la Bavière. Comprenant qu’avec une guerre sur deux fronts à gérer, le régime ne peut se permettre une confrontation en force avec les églises, Hitler ronge son frein et ordonne l’arrêt de l’opération « T4 ». Mais l’euthanasie ne s’arrêtera pas pour autant. Plus discrète, moins systématique, elle se poursuivra jusqu’à la fin de la guerre, sous l’impulsion d’initiatives locales de la part de directeurs d’Instituts et de leaders du NSDAP.

Mais les « cadres » de l’Euthanasie ne se retrouvent pas au chômage pour autant… À partir de janvier 1942 (soit 5 mois après la clôture officielle du programme), une équipe « T4 », dirigée par Christian Wirth, est expédiée au camp d’extermination « expérimental » de Belzec afin de peaufiner la technique de gazage. Six mois plus tard, une seconde équipe « T4 » est dépêchée sur place, et formera le noyau (80%) du personnel de civils revêtu d’un uniforme SS destiné à administrer les 3 camps de l’Aktion Reinhard : Belzec, Sobibor, Treblinka…

Cheers
Eddy

Photos :
- Personnel féminin de Hadamar
- Les cars destinés aux malades (les vitres sont peintes)

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euthanasie) - Opération T4/Euthanasie : route vers le génocide Euthan13


Sources :

- Browning, Christopher R. 1992. « The Path to Genocide: Essays on Launching the Final Solution » Cambridge University Press ; Cambridge, 1992

- Friedlander, Henry « The Origins of Nazi Genocide from Euthanasia to the Final Solution » Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1995

- Joffroy, Pierre. « L’Espion de Dieu ; la passion de Kurt Gerstein » (ré-édition) – Seghers, Paris, 1992.

- Kogon, E., Langbein, H., & Rückerl, A. « Les chambres à gaz secret d’Etat » – Editions de Minuit, Paris, 1984.

- Krausnick, Helmut & Broszat, Martin. « Anatomy of the SS State » – Granada Publishing Ltd, London, 1970

- Lewy, Günter. « L’Église Catholique et l’Allemagne Nazie » – Stock, 1964.

- Lifton, Robert Jay. « The Nazi Doctors ; a study in the psychology of evil » – Papermac, 1987

- Bédarida, François. « La politique nazie d’extermination » (ouvrage collectif présenté par F. Bédarida) – Albin Michel, Paris, 1989.


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Message  babou 25/4/2008, 09:01

Merci Eddy pour ce texte très intéressant. Ca me fait penser que les idées dans le genre de l'eugénisme étaient plutôt "à la mode" à la fin du 19e siècle. C'est à ce moment là qu'est arrivé Cesare Lombroso (1835-1909) avec ses théories sur les profils criminels. Suite à l'étude de crânes de criminels, il a déduit que les délinquants avaient des caractéristiques physiques particulières et que la délinquence est innée (!).
Voir Wikipédia pour la biographie du monsieur.

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Message  eddy marz 25/4/2008, 09:43

Thank you Babou pour ton appréciation et pour cet apport. Oui, Cesare Lombroso (au sujet duquel je ne suis pas très au courant) fut un de ces pseudo-scientifiques produits par l'Europe de ces années, mélangeant théories raciales et/ou morphologiques et comportements (au lieu de différences culturelles et/ou sociales)... Dieu sait si la liste et longue (France, Angleterre, et surtout l'Allemagne); Ces théories marquent le zénith d'un changement radical dans les pensées.

Eddy

clin doeil gri


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Message  Invité 25/4/2008, 09:55

Officiellemt, le programme d'extermination à éte arrêté le 24 Août 1941, suite à la dénonciation publique, en chaire ,de ce programme par l'Evêque de Münster, Klement von Galen, qui avait déposé plainte en vertu de l'Artice 211 du Code Pénal allemand punissant le meurtre avec préméditation. Adolf voulait faire pendre le prélat !, Mais l'émotion et le scandale que cette déclaration à provoqué l'a obligé à mettre fin à ce programme. Dans les faits, les exterminations continuerons mais à échelle plus petite et surtout plus discrètement.

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Message  furie 10/5/2008, 18:38

Bonjour à tous.
j'ai une question a poser en rapport avec l'Aktion T4, mais si elle n'a pas sa place ici, que les modos n'hesitent pas a la deplacer ou a la supprimer.
Voilà, je viens de (re)voir cette semaine les 4 volets de "Shoah" de Claude Lanzmann.
Il a interviewé un SS du nom de Franz Suchomel qui était en poste a Treblinka.
Aprés une rapide recherche, je suis tombé sur ceci : http://sonderkommando.info/proces/treblinka.html

Il est dit :

Franz SUCHOMEL (1907- ? ), Unterscharführer.
Participe à l’Aktion T4 de 40 à 42 à Berlin et Hadamar. A Treblinka d’août 42 à octobre 43. D’abord en poste à l’arrivée des trains puis à la baraque de déshabillage des femmes avant le Schlauch, et enfin en charge des « Goldjuden ». Il est ensuite envoyé à Sobibor. Arrêté en juillet 63, il est condamné à 6 ans de prison. Libéré en 1969.


J'ai plusieurs questions :

-quelles ont été les responsabilités de Suchomel a l'Aktion T4 ?

-comment quelqu'un (je n'ose pas employer le mot "homme") qui a été mélé a T4 puis en poste a Treblinka et a Sobibor ne soit condamné qu'a 6 ans de prison ?

Bien evidemment, je ne connais pas les faits exacts qui lui sont reproché, mais je reste quand étonné par la clemence de la sentence.
Et au delà de T4, que faisaient ces "braves" SS dans les camps ?
En ecoutant son recit qu'il fait sur un ton detaché, on en apprend peu sur lui.
Donc meme question que pour T4, que faisait Suchomel a Treblinka et Sobibor ?
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Message  eddy marz 10/5/2008, 19:18

Salut Furie;

Franz Suchomel était Scharführer SS (sergent).

Tailleur de profession, il travailla de 1940 à 1942 dans la section photographique de T4, à Berlin, puis dans la clinique d’Hadamar. Il fut expédié à Treblinka le 20 août 1942. Il est équipé d’un uniforme SS (comme tous les civils de T4 parachutés dans l’Aktion Reinhard), et supervise d’abord les descentes de trains à la rampe, puis l’acheminement des victimes dans le « boyau » menant à la section n° 3 du camp, la clairière de gazage. Puis il est muté aux « Goldjuden » (déportés Juifs employés au triage de l’or dépouillé des cadavres des victimes gazées) ; poste prévoyant également la lutte contre les vols d’or et bijoux commis par les Auxiliaires Ukrainiens travaillant dans le camp. Il est également chargé (vu son ancien métier) du baraquement « Tailleurs ».

Après la révolte de Sobibor, il y fut envoyé pour aider à démonter le camp. À la fin d’Aktion Reinhard, il fut Muté à Trieste avec tous les autres membres de l’Aktion. Capturé par les américains, il fut relâché et s’installa à Altotting, en Bavière, où il fut arrêté le 11 juillet 1963

La raison pour laquelle il fut condamné à une peine légère est tout simplement le fait qu’il ne travailla jamais dans la section n° 3 du camp (chambres à gaz et fosses), et qu’il n’était qu’un subalterne.

Même chose pour le procès de Belzec, une seule personne fut condamnée : Josef Oberhauser - également dans le film de Lanzmann.

Cheers
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Message  furie 10/5/2008, 19:34

un grand merci pour ta réponse rapide et detaillée. pouce
j'imaginais que tous les SS qui avaient un "CV" aussi lourd, étaient une cible de choix pour les tribunaux idoines et que les peines encourues (meme pour qqun qui n'etait en somme si j'ai bien compris qu'un temoin ayant peu participé) étaient trés lourdes.
je comprends mieux sa peine de prison maintenant.

pour Oberhauser, si mes souvenirs sont bons, c'est celui qui travaille dans la brasserie et qui remplit les verres de bierre dans "Shoah".
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Message  eddy marz 10/5/2008, 19:40

De rien, Furie

"pour Oberhauser, si mes souvenirs sont bons, c'est celui qui travaille dans la brasserie et qui remplit les verres de bierre dans "Shoah".
Exact. Josef Oberhauser était l'adjoint du terrible Christian Wirth, dont la tombe fut retrouvée en 1988 à Costermano, sur les rives du lac de Garda.

Eddy


Dernière édition par eddy marz le 10/9/2010, 18:51, édité 1 fois
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