[film] Le liseur
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[film] Le liseur
Avec Kate Winslet, David Kross et Ralph Fiennes
Réalisation : Stephen Daldry
Scénario : David Hare
Ce film n'est pas encore distribué en France puisqu'il ne le sera qu'en avril 2009, cependant l'ayant vu en avant première, je vous encourage à le mettre dans vos tablettes, tant il prend à la gorge et pose des questions.
Synopsis :
Allemagne, au lendemain de la guerre. Un jeune adolescent de seize ans, Michaël, tombe malade et se réfugie sous un porche. Une jeune femme vient l'aider, le raccompagnant jusqu'au seuil de la maison familiale. Michaël a la scarlatine, qui va le tenir au lit pendant trois semaines, à l'issue desquelles il informe sa mère qu'une femme l'a aidé. Il retourne là ou il s'est abrité avec un bouquet de fleurs voir cette femme, puis devient un visiteur régulier. Ils deviennent amants et ponctuent leurs séances de galipettes de lecture : Michaël doit lire pour cette femme des livres entiers, qu'elle écoute avec délectation.
Cette femme, dont il ne connaît pas le nom, est une employée de la compagnie du tram de la ville. Son allure est assez stricte, limite pète-sec, mais elle est d'une tendresse et d'une affection presque sans limites pour le jeune homme. Lequel réussit enfin un jour à connaître son prénom, Anna.
A la faveur d'une idée de Michaël, les deux amants partent faire une longue randonnée cycliste, qui les conduit dans une église, ou il la contemple en train de pleurer alors qu'elle écoute des chants religieux. Quelques rendez-vous plus tard, Anna bénéficie d'une promotion, passant des fonctions de contrôleuse à un emploi dans un bureau. C'est ce qui va motiver son départ sans laisser de mots ou d'explication. Michaël renoue avec ses amis au gymnasium, puis entre à l'université ou il suit des études pour devenir avocat. Un jour, leur professeur les emmène suivre un procès dans lequel sont sur le banc des accusés plusieurs femmes, anciennes gardiennes du camp de concentration d'Auschwitz. Et parmi elles, il reconnait Anna, qui narre son parcours. Ancienne ouvrière chez Siemens, elle est devenue ss parce que, dit-elle, ils recrutaient. Le sang de Michaël se glace lorsqu'il entend que lorsque les sélections étaient effectuées, elle demandait à certaines déportées de lui lire des livres, après leur avoir apporté un fruit ou tout autre denrée consommable. Le procès avance, Michaël tombe de plus en plus bas en apprenant chaque détail du passé de la femme qu'il a eu entre ses bras. Il visite Auschwitz pour se rendre compte de lui-même de ce que c'était, prend conscience de l'étendue de la barbarie et de l'inhumanité de ce camp. Anna cache un secret qui va la conduire à subir une peine de prison à vie, sur laquelle elle effectuera 20 ans derrière les barreaux.
Volontairement je ne vous ai pas révélé le secret en question, puisqu'il faut voir le film pour comprendre comment on en vient à avoir des doutes au fur et à mesure. Le liseur (en anglais the reader, également sorti en allemand sous le titre Der vorleser) pose plusieurs questions. La première et la plus forte repose sur la question de la Shoah et la compréhension des générations (allemandes) postérieures au génocide. Au cours d'une des séquences se situant dans l'amphithéatre ou se tiennent les cours de droit, alors qu'ils ont suivi une partie du procès, l'un des étudiants a cette phrase on ne peut plus exacte "doit-on condamner seules ces femmes alors que tout le monde savait ce qui se passait dans ces camps, les cheminots, les fonctionnaires, nos parents, quel traitement était infligé aux juifs. Tout cette génération devrait être condamnée en fait".
Cela me rappelle un livre que j'ai lu il y a un an ou deux de cela qui s'intitule "What we knew" (ce que nous savions) et qui est relatif aux camps de concentration. La première partie est consacrée aux témoignages de déporté(e)s (toutes catégories confondues) qui expliquent point par point qu'aucun allemand de la génération ayant vécue sous Hitler n'a pu ignorer l'existence de ces camps. Ce qui est parfaitement vrai, puisque les camps de concentration n'ont pas reçu seulement et uniquement des juifs européens mais à la base des opposants politiques au nazisme, des droits communs, qui n'ont pas été enfermés jusqu'à ce que mort s'en suive pour certains d'entre-eux. Les premiers à avoir enduré le traitement infligé furent probablement les communistes allemands du KPD. Aussi parce que les camps de concentration ont constitué une menace pour les allemands eux-mêmes, ce que la gestapo pour ne citer qu'elle, a fréquemment employé contre les suspects en les menaçant de les y envoyer, tout au long de la guerre et même avant. Enfin, les rumeurs ont courru à cette époque, et on ne peut pas nier que dans toute rumeur aussi exagérée soit-elle, il existe un fond de vérité. Pour finir, il eut été difficile pour les allemands résidant à proximité des camps, qu'ils fussent d'extermination ou de "travail" d'ignorer l'odeur, de ne pas avoir vu ne serait-ce qu'une simple et unique fois les squelettes vivants en pyjamas rayés, ne pas avoir entendu coups de feu, hurlements des gardes ou encore aboiements des chiens, de ne pas avoir vu les wagons à bestiaux d'ou dépassaient des bras et mains, etc.
La deuxième question que pose ce film est comment les femmes (je laisse volontairement de côté les hommes) qui ont été gardiennes de camp de concentration ont pu vivre après la 2GM. La question se pose parce que par définition une femme est une mère potentielle, certaines de ces femmes ont très sûrement vécu en couple ensuite, mené une vie de famille d'apparence normale, eurent des enfants similaires à ceux qu'elles envoyèrent à la chambre à gaz pour ne parler que d'eux.
Qu'est-ce qu'il leur est passé par la tête, est-ce que leurs convictions nazies se sont taries ou sont-elles restées sur leur fanatisme en s'excusant à la manière de certains officiers ss, arguant qu'elles ne faisaient qu'obéïr à des ordres venant de plus haut. C'est ici que le bas blesse et c'est probablement le point le plus criticable du film. Sans vous réveler le détail qui tue, on en vient à penser qu'en fait selon le scénariste (ce film est tiré d'un roman éponyme) les gardiennes de camp -du moins Anna- auraient été d'une culture plus que moyenne et victimes des circonstances, ce qui est selon moi pertinament faux et totalement inexact. Si le cas s'est réellement présenté, il n'a du concerner qu'un nombre infirme de gardiennes, et au demeurant le manque de savoir et les carences culturelles n'empêchent en aucun cas de comprendre par soi-même la différence entre le bien et le mal -ce qui dans le cas présent va bien au delà de ces simples notions-.
Je crois qu'au contraire, les gardiens et gardiennes de camps savaient parfaitement ou avaient au moins une idée de la nature du travail auquel ils et elles furent confrontés, pire, certaines d'entre-elles s'en sont vantées. C'st notamment le cas de Traudi Schneider, ex gardienne de camp à Auschwitz et Ravensbruck, qui fut impliquée dans les expériences "médicales" menées sur des déportées (sa fille Helga raconte en 149 pages dans "Let me go" -laisse moi partir- foule de détails de ce genre, comment sa mère a également caché des bijoux et diamants ayant appatenu à des déportés, sa considération vis-à-vis des juifs qui ne furent pour elle que des animaux, des sous-hommes).
Je ne vais pas faire d'un cas une généralité mais j'ai du mal à croire qu'en fin de compte, chaque gardienne se soit repenti de ce qu'elle a fait ou ait à un moment exprimé un repentir sincère. Il eut peut-être été préférable de ne pas loger une histoire d'amour dans ce film, mais après tout c'est ce qui fait qu'il est aussi marquant.
Le trailer est ici (en anglais) : http://fr.youtube.com/watch?v=8tCqSm4Phug
Réalisation : Stephen Daldry
Scénario : David Hare
Ce film n'est pas encore distribué en France puisqu'il ne le sera qu'en avril 2009, cependant l'ayant vu en avant première, je vous encourage à le mettre dans vos tablettes, tant il prend à la gorge et pose des questions.
Synopsis :
Allemagne, au lendemain de la guerre. Un jeune adolescent de seize ans, Michaël, tombe malade et se réfugie sous un porche. Une jeune femme vient l'aider, le raccompagnant jusqu'au seuil de la maison familiale. Michaël a la scarlatine, qui va le tenir au lit pendant trois semaines, à l'issue desquelles il informe sa mère qu'une femme l'a aidé. Il retourne là ou il s'est abrité avec un bouquet de fleurs voir cette femme, puis devient un visiteur régulier. Ils deviennent amants et ponctuent leurs séances de galipettes de lecture : Michaël doit lire pour cette femme des livres entiers, qu'elle écoute avec délectation.
Cette femme, dont il ne connaît pas le nom, est une employée de la compagnie du tram de la ville. Son allure est assez stricte, limite pète-sec, mais elle est d'une tendresse et d'une affection presque sans limites pour le jeune homme. Lequel réussit enfin un jour à connaître son prénom, Anna.
A la faveur d'une idée de Michaël, les deux amants partent faire une longue randonnée cycliste, qui les conduit dans une église, ou il la contemple en train de pleurer alors qu'elle écoute des chants religieux. Quelques rendez-vous plus tard, Anna bénéficie d'une promotion, passant des fonctions de contrôleuse à un emploi dans un bureau. C'est ce qui va motiver son départ sans laisser de mots ou d'explication. Michaël renoue avec ses amis au gymnasium, puis entre à l'université ou il suit des études pour devenir avocat. Un jour, leur professeur les emmène suivre un procès dans lequel sont sur le banc des accusés plusieurs femmes, anciennes gardiennes du camp de concentration d'Auschwitz. Et parmi elles, il reconnait Anna, qui narre son parcours. Ancienne ouvrière chez Siemens, elle est devenue ss parce que, dit-elle, ils recrutaient. Le sang de Michaël se glace lorsqu'il entend que lorsque les sélections étaient effectuées, elle demandait à certaines déportées de lui lire des livres, après leur avoir apporté un fruit ou tout autre denrée consommable. Le procès avance, Michaël tombe de plus en plus bas en apprenant chaque détail du passé de la femme qu'il a eu entre ses bras. Il visite Auschwitz pour se rendre compte de lui-même de ce que c'était, prend conscience de l'étendue de la barbarie et de l'inhumanité de ce camp. Anna cache un secret qui va la conduire à subir une peine de prison à vie, sur laquelle elle effectuera 20 ans derrière les barreaux.
Volontairement je ne vous ai pas révélé le secret en question, puisqu'il faut voir le film pour comprendre comment on en vient à avoir des doutes au fur et à mesure. Le liseur (en anglais the reader, également sorti en allemand sous le titre Der vorleser) pose plusieurs questions. La première et la plus forte repose sur la question de la Shoah et la compréhension des générations (allemandes) postérieures au génocide. Au cours d'une des séquences se situant dans l'amphithéatre ou se tiennent les cours de droit, alors qu'ils ont suivi une partie du procès, l'un des étudiants a cette phrase on ne peut plus exacte "doit-on condamner seules ces femmes alors que tout le monde savait ce qui se passait dans ces camps, les cheminots, les fonctionnaires, nos parents, quel traitement était infligé aux juifs. Tout cette génération devrait être condamnée en fait".
Cela me rappelle un livre que j'ai lu il y a un an ou deux de cela qui s'intitule "What we knew" (ce que nous savions) et qui est relatif aux camps de concentration. La première partie est consacrée aux témoignages de déporté(e)s (toutes catégories confondues) qui expliquent point par point qu'aucun allemand de la génération ayant vécue sous Hitler n'a pu ignorer l'existence de ces camps. Ce qui est parfaitement vrai, puisque les camps de concentration n'ont pas reçu seulement et uniquement des juifs européens mais à la base des opposants politiques au nazisme, des droits communs, qui n'ont pas été enfermés jusqu'à ce que mort s'en suive pour certains d'entre-eux. Les premiers à avoir enduré le traitement infligé furent probablement les communistes allemands du KPD. Aussi parce que les camps de concentration ont constitué une menace pour les allemands eux-mêmes, ce que la gestapo pour ne citer qu'elle, a fréquemment employé contre les suspects en les menaçant de les y envoyer, tout au long de la guerre et même avant. Enfin, les rumeurs ont courru à cette époque, et on ne peut pas nier que dans toute rumeur aussi exagérée soit-elle, il existe un fond de vérité. Pour finir, il eut été difficile pour les allemands résidant à proximité des camps, qu'ils fussent d'extermination ou de "travail" d'ignorer l'odeur, de ne pas avoir vu ne serait-ce qu'une simple et unique fois les squelettes vivants en pyjamas rayés, ne pas avoir entendu coups de feu, hurlements des gardes ou encore aboiements des chiens, de ne pas avoir vu les wagons à bestiaux d'ou dépassaient des bras et mains, etc.
La deuxième question que pose ce film est comment les femmes (je laisse volontairement de côté les hommes) qui ont été gardiennes de camp de concentration ont pu vivre après la 2GM. La question se pose parce que par définition une femme est une mère potentielle, certaines de ces femmes ont très sûrement vécu en couple ensuite, mené une vie de famille d'apparence normale, eurent des enfants similaires à ceux qu'elles envoyèrent à la chambre à gaz pour ne parler que d'eux.
Qu'est-ce qu'il leur est passé par la tête, est-ce que leurs convictions nazies se sont taries ou sont-elles restées sur leur fanatisme en s'excusant à la manière de certains officiers ss, arguant qu'elles ne faisaient qu'obéïr à des ordres venant de plus haut. C'est ici que le bas blesse et c'est probablement le point le plus criticable du film. Sans vous réveler le détail qui tue, on en vient à penser qu'en fait selon le scénariste (ce film est tiré d'un roman éponyme) les gardiennes de camp -du moins Anna- auraient été d'une culture plus que moyenne et victimes des circonstances, ce qui est selon moi pertinament faux et totalement inexact. Si le cas s'est réellement présenté, il n'a du concerner qu'un nombre infirme de gardiennes, et au demeurant le manque de savoir et les carences culturelles n'empêchent en aucun cas de comprendre par soi-même la différence entre le bien et le mal -ce qui dans le cas présent va bien au delà de ces simples notions-.
Je crois qu'au contraire, les gardiens et gardiennes de camps savaient parfaitement ou avaient au moins une idée de la nature du travail auquel ils et elles furent confrontés, pire, certaines d'entre-elles s'en sont vantées. C'st notamment le cas de Traudi Schneider, ex gardienne de camp à Auschwitz et Ravensbruck, qui fut impliquée dans les expériences "médicales" menées sur des déportées (sa fille Helga raconte en 149 pages dans "Let me go" -laisse moi partir- foule de détails de ce genre, comment sa mère a également caché des bijoux et diamants ayant appatenu à des déportés, sa considération vis-à-vis des juifs qui ne furent pour elle que des animaux, des sous-hommes).
Je ne vais pas faire d'un cas une généralité mais j'ai du mal à croire qu'en fin de compte, chaque gardienne se soit repenti de ce qu'elle a fait ou ait à un moment exprimé un repentir sincère. Il eut peut-être été préférable de ne pas loger une histoire d'amour dans ce film, mais après tout c'est ce qui fait qu'il est aussi marquant.
Le trailer est ici (en anglais) : http://fr.youtube.com/watch?v=8tCqSm4Phug
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Patrie, Courage, Foi. Regarde Saint Michel et saute rassuré.
Wenn de net wellcht metkommen, los es stehn !
Membre du club des survivants du péril thaïlandais, du canon de 88 sulfateur de l'infâme colonel Olrik (rebus: oui russe, non russe, liquide, vomi)
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Ming- Général (Administrateur)
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Re: [film] Le liseur
Bonjour , et un grand merci Ming , cela est intéressant comme film , attendons sa sortie .
amicalement, le ronin.
Semper fidelis.
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le ronin- Police militaire (Modérateur)
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Date d'inscription : 25/06/2008
Re: [film] Le liseur
Ming a écrit:Sans vous réveler le détail qui tue, on en vient à penser qu'en fait selon le scénariste (ce film est tiré d'un roman éponyme) les gardiennes de camp -du moins Anna- auraient été d'une culture plus que moyenne et victimes des circonstances, ce qui est selon moi pertinament faux et totalement inexact. Si le cas s'est réellement présenté, il n'a du concerner qu'un nombre infirme de gardiennes, et au demeurant le manque de savoir et les carences culturelles n'empêchent en aucun cas de comprendre par soi-même la différence entre le bien et le mal -ce qui dans le cas présent va bien au delà de ces simples notions-.
Je crois qu'au contraire, les gardiens et gardiennes de camps savaient parfaitement ou avaient au moins une idée de la nature du travail auquel ils et elles furent confrontés, pire, certaines d'entre-elles s'en sont vantées. C'st notamment le cas de Traudi Schneider, ex gardienne de camp à Auschwitz et Ravensbruck, qui fut impliquée dans les expériences "médicales" menées sur des déportées (sa fille Helga raconte en 149 pages dans "Let me go" -laisse moi partir- foule de détails de ce genre, comment sa mère a également caché des bijoux et diamants ayant appatenu à des déportés, sa considération vis-à-vis des juifs qui ne furent pour elle que des animaux, des sous-hommes).
Je ne vais pas faire d'un cas une généralité mais j'ai du mal à croire qu'en fin de compte, chaque gardienne se soit repenti de ce qu'elle a fait ou ait à un moment exprimé un repentir sincère. Il eut peut-être été préférable de ne pas loger une histoire d'amour dans ce film, mais après tout c'est ce qui fait qu'il est aussi marquant.
Le trailer est ici (en anglais) : http://fr.youtube.com/watch?v=8tCqSm4Phug
C’est une question extrêmement complexe que tu pose, mon cher Ming... Si l’on prend comme base d’argumentation la conclusion d’Hannah Arendt concernant Eichmann, on se rend compte que cette fameuse notion de « Banalité du Mal » a été domestiquée par nombre d’éditorialistes et de journalistes, et propagée dans le grand public qui, faute de mieux, en a fait l’étalon de son analyse du problème. Elle est en fin de compte plus rassurante… Mais reflète-t-elle la réalité ? C’est vrai que beaucoup de nazis, (hommes et femmes), et en particulier ceux/celles impliqués dans les crimes les plus abjects furent non seulement banals, mais souvent plutôt limités… Mais ce qui est important de retenir c’est que leurs actes, eux, ne le furent pas. Nous assistons donc au spectacle de gens banals commettant des actes Diaboliques. Pour pouvoir les commettre ils ont dû se changer, ou ont changé en les commettant. Nous essayons de comprendre quelque chose qui n’est pas vraiment compréhensible.
Une personne « travaillant » à Auschwitz ne peut plus se permettre d’entretenir (même secrètement) des sentiments humanitaires, à moins de sombrer dans la dépression et la réalisation consciente (que plus rien ne peut absoudre) de sa participation impardonnable (du point de vue moral) au crime – ce qui ne serait ni fonctionnel du point de vue d’Auschwitz, ni supportable du côté psychologique de l’individu en question. Une seule solution : s’adapter. S’adapter pour survivre, non seulement dans l’univers exterminatoire, mais pour survivre également à ses propres yeux. Le chercheur Robert J. Lifton propose une théorie selon laquelle un « doublement » de la personnalité intervient. Je dis bien un « doublement » et non un « dédoublement ».
Il ne s’agit pas de schizophrénie (une personnalité non consciente des autres personnalités ; une personnalité chassant l’autre), mais de deux personnalités distinctes habitant une personne lucide. Ces deux personnalités sont interchangeables à souhait, mais non de façon consciente, l’une remplace automatiquement l’autre en cas de nécessité. C’est-à-dire que pendant le service à Auschwitz l’individu adopte le « mode Auschwitz » ; tout autre comportement étant évidemment non fonctionnel. La journée de travail terminé, l’individu adopte la personnalité « normale », et retrouve l’intimité familiale ou la solitude, mais de toute façon en n’y amenant pas la « personnalité Auschwitz » qui, bien entendu, serait non fonctionnelle dans le cadre privé. La personnalité normale se sent (inconsciemment) dégagée de sa responsabilité en sachant que c’est la « personnalité Auschwitz » fait le sale boulo. Une sorte d’ankylose mentale. Ce n’est qu’une théorie psychologique de plus.
Je pense aussi aux déclarations d’Himmler, lors du début des tueries, qui adjurait son auditoire de « se hisser au-dessus de soi-même » pour pouvoir accomplir ce devoir sacré. La notion de sacrifice personnel, c’est-à-dire d’aller consciemment à l’encontre de ses convictions pour le seul but d’accomplir une œuvre plus grande que soi, est lancée. Je pense qu’aucun être humain ne naît mauvais, tueur, ou nettoyeur ethnique. Mais nous savons aussi que, dépendant de certaines conditions ou pressions, presque n’importe qui peut le devenir. Les capacités individuelles pour de telles actions sont toujours influencées par des courants idéologiques dans l’environnement, et on note aussi que la réponse à de tels courants dépend largement de structures de pensées de nature collectives, c’est à dire de mentalités partagées, plutôt que de pensées individuelles… Rudolf Höss affirma après guerre que plusieurs sous-officiers à Auschwitz vinrent le voir pour « vider leurs cœurs » concernant la difficulté de leur travail (la « personnalité normale »), mais qu’ils « continuèrent leur travail » (personnalité fonctionnelle Auschwitz). Höss décrivit les choix d’Auschwitz : « Ou devenir cruel, sans cœur, et ne plus respecter la vie humaine, ou être faible et arriver au point de la dépression nerveuse » (voir K. Buckheim « Command and Compliance » - Anatomy of the SS State New York, 1968), c’est à dire s’accrocher à la personnalité normale, ce qui, à Auschwitz, était non fonctionnel…
Nous pourrions continuer à l'infini sans jamais trouver de réponse il me semble...
Eddy
eddy marz- Membre légendaire
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Age : 69
Localisation : England/France/Italia
Date d'inscription : 24/03/2008
Re: [film] Le liseur
Eddy je souhaitais que tu interviennes, je ne suis pas déçu comme d'habitude
Je partage cette idée de doublement de personnalité, je crois que d'une certaine manière et sans vouloir tomber dans le cliché, cela va bien avec le dressage de cerveaux que subit chaque (engagé) militaire pour le mettre en conformité avec ce qu'il est censé être ou plutôt devenir. Cela me rappelle un de mes amis ayant fait partie d'une unité d'élite qui m'avait raconté le début de sa mise en condition, de la voix de son instructeur disant "je vais vous briser pour mieux vous reconstruire". Il y a de cela quelque part, certainement.
D'autre part je disais ne pas sombrer dans le cliché c'est au sens ou je trouve que cela va bien avec la mentalité "discipline" des allemands. On ne peut pas nier qu'ils ont toujours aimé une certaine forme d'ordre et de classement, de hiérarchie, je me suis fréquemment demandé si ceux qui prétendaient obéir aux ordres de leurs supérieurs ne l'ont pas fait simplement parce qu'il s'agissait d'un ordre, se robotisant à l'extrême en oubliant toute forme et toute sorte de sentiments humains par définition, un abrutissement volontaire en fait. "J'ai fait ceci parce qu'on me l'a demandé, point". Il y a une scène du film au tribunal qui illustre parfaitement cette manière d'agir, lorsqu'on demande à Anna pour quelle raison est-ce que les portes d'un batiment en flammes suite à un bombardement n'ont pas été ouvertes, alors qu'il contenait des détenus qui finirent par mourir, carbonisés. Elle commence par expliquer qu'ayant la garde des déportés, ce batiment lui a paru comme étant le plus approprié pour y réunir les déportés puis finit par s'énerver en claquant brutalement la main sur la table et déclarant "j'étais responsable des détenus et ne pouvait envisager de les voir partir dans la nature et courir après". Je souligne ce passage parce que les scènes du tribunal sont directement inspirées de celles qui se sont produites en 1964-65 et d'ailleurs certains membres de la justice allemande y ayant participé à l'époque ont participé au tournage du film. On a donc les principaux ingrédients réunis dans cette scène : quelqu'un d'à priori normal qui tente de maladroitement s'exprimer, qui redevient celle qu'elle a été dans ce cadre spécifique en se basant sur les notions d'ordre, de discipline jusqu'à l'abrutissement, en fait jusqu'au non-sens. La manière dont cela est tourné donne parfaitement l'impression d'avoir une bergère autoritaire limite hystérique parlant de ses moutons enfermés dans une grange, je pense que c'est également à ce moment là qu'on perçoit pleinement l'expression employée par Himmler le "matériel humain". Ce ne sont pas des êtres existants en tant que tels, mais des choses qui revêtent l'apparence d'êtres, la définition même du sous-homme.
De la sorte la théorie que tu professes me parait comme la plus réaliste. J'imagine difficilement comment est-ce qu'à un moment ou un autre le pire des bourreaux ayant existé ne s'est pas demandé s'il arrivait aux confins de ses propres limites morales et psychologiques, de son acceptation de la barbarie. Cela s'est très sûrement produit mais je pense que cette idée a du être chassée comme tu le soulignes pour des raisons de conservation ou de survie, d'apparence. Cela veut donc dire qu'il y a un mode ON et un mode OFF, mais que par ailleurs chaque gardien ou gardienne gère ceci avec plus ou moins d'acceptation ou de gène (tu nous avais parlé du commandant d'Auschwitz et de ses chevaux, de l'absence de relations sexuelles avec sa femme, de ceux qui abusaient de l'alcool, etc.).
Il y a aussi le rapport avec la faiblesse, exprimé par Himmler d'une manière digne de n'importe quel attaché de presse (ou comment enjoliver ou sublimer plutôt, sacraliser une des pires actions humaines) qui fait également qu'il se peut que certains ont adopté cette attitude par besoin de cohésion ou d'esprit de groupe, en clair de ne pas passer pour un faible. Mais en dépit des honneurs, de la mission considérée alors comme historique, etc. force est de reconnaître qu'à priori chacune des personnes ayant travaillé pour la machine concentrationnaire en a gardé des séquelles ou l'a mal vécu d'une manière ou d'une autre. Parce qu'en fin de compte, même le plus robotisé de tous les gardiens ne peut pas effacer de sa mémoire certains détails comme on formaterait un disque dur, puisque ces actions vont à l'opposé de toute forme d'éducation, de religion, tout simplement de vie normale.
C'est l'ensemble des raisons qui font que je ne considère pas les gardiens et chefs de camp comme des gens idiots, abrutis ou simples d'esprit, puisque pour isoler sa vraie personnalité et faire preuve d'un degré particulièrement élevé de barbarie et d'inhumanité, il faut l'accepter, le vouloir, faire preuve de force morale (dans le mauvais sens du terme) et lutter contre soi-même à un degré plus ou moins élevé. Je crois qu'en fait les décrire ou les considérer comme des gens abrutis est une lourde erreur qui reviendrait à séparer d'un côté les bons et de l'autre les méchants, alors que le tableau est bien plus complexe, comme tu le soulignes, qu'il ne paraît. Qui plus est, depuis 1945 on sait parfaitement que le génocide est une pratique à la portée de n'importe quel être humain, pourvu qu'il soit suffisamment haineux, fanatique ou intéressé. Et en ce qui concerne son acceptation de ses actes, il se peut fort que celui qui ait trempé dedans soit capable de se mentir à lui-même voir de persévérer dans son fanatisme, en justifiant ses actes selon son propre bréviaire haineux : "ils l'ont mérité, ils l'ont cherché, ce sont eux qui nous ont entraîné vers la défaite, etc."
Je partage cette idée de doublement de personnalité, je crois que d'une certaine manière et sans vouloir tomber dans le cliché, cela va bien avec le dressage de cerveaux que subit chaque (engagé) militaire pour le mettre en conformité avec ce qu'il est censé être ou plutôt devenir. Cela me rappelle un de mes amis ayant fait partie d'une unité d'élite qui m'avait raconté le début de sa mise en condition, de la voix de son instructeur disant "je vais vous briser pour mieux vous reconstruire". Il y a de cela quelque part, certainement.
D'autre part je disais ne pas sombrer dans le cliché c'est au sens ou je trouve que cela va bien avec la mentalité "discipline" des allemands. On ne peut pas nier qu'ils ont toujours aimé une certaine forme d'ordre et de classement, de hiérarchie, je me suis fréquemment demandé si ceux qui prétendaient obéir aux ordres de leurs supérieurs ne l'ont pas fait simplement parce qu'il s'agissait d'un ordre, se robotisant à l'extrême en oubliant toute forme et toute sorte de sentiments humains par définition, un abrutissement volontaire en fait. "J'ai fait ceci parce qu'on me l'a demandé, point". Il y a une scène du film au tribunal qui illustre parfaitement cette manière d'agir, lorsqu'on demande à Anna pour quelle raison est-ce que les portes d'un batiment en flammes suite à un bombardement n'ont pas été ouvertes, alors qu'il contenait des détenus qui finirent par mourir, carbonisés. Elle commence par expliquer qu'ayant la garde des déportés, ce batiment lui a paru comme étant le plus approprié pour y réunir les déportés puis finit par s'énerver en claquant brutalement la main sur la table et déclarant "j'étais responsable des détenus et ne pouvait envisager de les voir partir dans la nature et courir après". Je souligne ce passage parce que les scènes du tribunal sont directement inspirées de celles qui se sont produites en 1964-65 et d'ailleurs certains membres de la justice allemande y ayant participé à l'époque ont participé au tournage du film. On a donc les principaux ingrédients réunis dans cette scène : quelqu'un d'à priori normal qui tente de maladroitement s'exprimer, qui redevient celle qu'elle a été dans ce cadre spécifique en se basant sur les notions d'ordre, de discipline jusqu'à l'abrutissement, en fait jusqu'au non-sens. La manière dont cela est tourné donne parfaitement l'impression d'avoir une bergère autoritaire limite hystérique parlant de ses moutons enfermés dans une grange, je pense que c'est également à ce moment là qu'on perçoit pleinement l'expression employée par Himmler le "matériel humain". Ce ne sont pas des êtres existants en tant que tels, mais des choses qui revêtent l'apparence d'êtres, la définition même du sous-homme.
De la sorte la théorie que tu professes me parait comme la plus réaliste. J'imagine difficilement comment est-ce qu'à un moment ou un autre le pire des bourreaux ayant existé ne s'est pas demandé s'il arrivait aux confins de ses propres limites morales et psychologiques, de son acceptation de la barbarie. Cela s'est très sûrement produit mais je pense que cette idée a du être chassée comme tu le soulignes pour des raisons de conservation ou de survie, d'apparence. Cela veut donc dire qu'il y a un mode ON et un mode OFF, mais que par ailleurs chaque gardien ou gardienne gère ceci avec plus ou moins d'acceptation ou de gène (tu nous avais parlé du commandant d'Auschwitz et de ses chevaux, de l'absence de relations sexuelles avec sa femme, de ceux qui abusaient de l'alcool, etc.).
Il y a aussi le rapport avec la faiblesse, exprimé par Himmler d'une manière digne de n'importe quel attaché de presse (ou comment enjoliver ou sublimer plutôt, sacraliser une des pires actions humaines) qui fait également qu'il se peut que certains ont adopté cette attitude par besoin de cohésion ou d'esprit de groupe, en clair de ne pas passer pour un faible. Mais en dépit des honneurs, de la mission considérée alors comme historique, etc. force est de reconnaître qu'à priori chacune des personnes ayant travaillé pour la machine concentrationnaire en a gardé des séquelles ou l'a mal vécu d'une manière ou d'une autre. Parce qu'en fin de compte, même le plus robotisé de tous les gardiens ne peut pas effacer de sa mémoire certains détails comme on formaterait un disque dur, puisque ces actions vont à l'opposé de toute forme d'éducation, de religion, tout simplement de vie normale.
C'est l'ensemble des raisons qui font que je ne considère pas les gardiens et chefs de camp comme des gens idiots, abrutis ou simples d'esprit, puisque pour isoler sa vraie personnalité et faire preuve d'un degré particulièrement élevé de barbarie et d'inhumanité, il faut l'accepter, le vouloir, faire preuve de force morale (dans le mauvais sens du terme) et lutter contre soi-même à un degré plus ou moins élevé. Je crois qu'en fait les décrire ou les considérer comme des gens abrutis est une lourde erreur qui reviendrait à séparer d'un côté les bons et de l'autre les méchants, alors que le tableau est bien plus complexe, comme tu le soulignes, qu'il ne paraît. Qui plus est, depuis 1945 on sait parfaitement que le génocide est une pratique à la portée de n'importe quel être humain, pourvu qu'il soit suffisamment haineux, fanatique ou intéressé. Et en ce qui concerne son acceptation de ses actes, il se peut fort que celui qui ait trempé dedans soit capable de se mentir à lui-même voir de persévérer dans son fanatisme, en justifiant ses actes selon son propre bréviaire haineux : "ils l'ont mérité, ils l'ont cherché, ce sont eux qui nous ont entraîné vers la défaite, etc."
_________________
Patrie, Courage, Foi. Regarde Saint Michel et saute rassuré.
Wenn de net wellcht metkommen, los es stehn !
Membre du club des survivants du péril thaïlandais, du canon de 88 sulfateur de l'infâme colonel Olrik (rebus: oui russe, non russe, liquide, vomi)
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Ming- Général (Administrateur)
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Localisation : MingLouffie occidentale
Date d'inscription : 04/10/2007
Re: [film] Le liseur
J'ai vu ce film magnifique qui en dehors de nous offrir Kate Winslet a poil (je m'etonne d'ailleurs que Ming n'ai pas relevé ce détail important), nous offre une vision de ce a quoi peut nous pousser la honte de soi...
Hannah part de Siemens suite a une promotion... rappelons qu'elle ne sait ni lire ni ecrire, Hannah s'enfuit dans les années 50 suite a une promotion... elle ne sait toujours pas lire ni écrire.
Elle assume la totalitée des actes des gardiennes parce qu'elle...
Je reste pantois toutefois devant le procès ou ses copines gardienne interviennent durant l'interrogatoire... ca me laisse perplexe.
D'ou ma conclusion... ils auraient du prendre une moche avec des verrues... ben non pas possible... "il est etrange et a la fois bizarre que le mal soit si beau"...
Hannah part de Siemens suite a une promotion... rappelons qu'elle ne sait ni lire ni ecrire, Hannah s'enfuit dans les années 50 suite a une promotion... elle ne sait toujours pas lire ni écrire.
Elle assume la totalitée des actes des gardiennes parce qu'elle...
Je reste pantois toutefois devant le procès ou ses copines gardienne interviennent durant l'interrogatoire... ca me laisse perplexe.
D'ou ma conclusion... ils auraient du prendre une moche avec des verrues... ben non pas possible... "il est etrange et a la fois bizarre que le mal soit si beau"...
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Dien bien Phù, 7 mai 1954, 13h00
"C'est fini Padre...Pour nous c'est ici que tout fini... drôle d'endroit hein? ... Le soldat doit s'efforcer de calquer son action sur le morpion, cet animal sublime qui meurt mais ne décroche jamais... C'est le vieux Joffre qui disait ca"
Membre du club des survivants du péril thaïlandais, du canon de 88 sulfateur de l'infâme colonel Olrik (rebus: oui russe, non russe, liquide, vomi)
"Joseph; je sais que nous ne nous connaissons pas très bien, mais il me semble que devant tant d'insistance issue d'un désir unanime de te voir assurer la continuité de tes prestations au sein du forum, il serait d'une forme regrettable que de ne pas y consentir. Un peu de sérieux, enfin !"
Eddy Marz
Je le serai mec.
Joseph_Porta- Général (Administrateur)
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Localisation : Dans Ta Chambre
Date d'inscription : 14/04/2010
Re: [film] Le liseur
Joseph_Porta a écrit:"il est etrange et a la fois bizarre que le mal soit si beau"...
Mais non voyons.
source : Wikimedia Commons
Jules- Général de Division
- Nombre de messages : 2070
Age : 44
Localisation : ici
Date d'inscription : 04/01/2009
Re: [film] Le liseur
Très bon film. Admirablement interprété.
eddy marz- Membre légendaire
- Nombre de messages : 3953
Age : 69
Localisation : England/France/Italia
Date d'inscription : 24/03/2008
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