Einsatzgruppen : Les Commandos de la Mort (Doc - 2009)
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Einsatzgruppen : Les Commandos de la Mort (Doc - 2009)
Documentaire français de Michael Prazan (2009) en 2 parties. Prazan est documentariste, journaliste et écrivain.
Partie 1 : Les fosses (juin-décembre 1941)
A travers des témoignages recueillis dans les pays Baltes, en Ukraine, en Allemagne mais aussi en Israël et aux Etats-Unis, ce documentaire révèle la réalité méconnue de l'extermination par fusillade dans les pays de l'Est pendant la Seconde Guerre mondiale. De ceux qui ont assisté à ces exécutions aux rares survivants sans oublier les bourreaux, chacun décrit avec ses mots l'assassinat de masse des juifs, des Tziganes et des prisonniers soviétiques. Des films et des images d'archives inédites permettent d'expliquer l'organisation mise en place. Quant aux spécialistes internationaux, ils tentent d'expliquer les motivations des personnes impliquées dans ces actes barbares.
Les Fosses relate l'amateurisme sanglant de la solution finale mise en oeuvre de juin à décembre 1941 dans le sillage de l'opération Barberousse (L'Express.Fr)
Partie 2 : Les Bûchers (1942-1945)
Les Bûchers (1942-1945) décrit l'implacable machine à tuer perfectionnée par Himmler à l'Est et dans les pays Baltes (L'Express.Fr)
Qui étaient les hommes qui organisèrent et pratiquèrent l’assassinat de masse des Juifs, des Tziganes et des prisonniers soviétiques ? D’où venaient-ils ? Quelles étaient leurs motivations ? Quel fut leur destin après la destruction des Juifs d’Europe et la débâcle allemande ? A travers des témoignages recueillis dans les pays Baltes, en Ukraine, en Allemagne, mais aussi en Israël et aux Etats-Unis, les témoins du crime, les rares survivants et leurs bourreaux, révèlent la réalité terrible et méconnue de l’extermination par fusillades — près de 1,5 million de Juifs assassinés — dans les pays de l’Est. Pour la première fois à l’écran, des films et des images d’archives inédites, des témoignages et des analyses des plus grands spécialistes internationaux, décrivent l’enfer qui, durant quatre ans, a établi son règne en Europe. (http://programmes.france2.fr/documentaires/index-fr.php?page=infrarouge)
Les images d'archives inédites, les photos, les témoignages de survivants, les analyses des meilleurs historiens composent un document implacable - et parfois insoutenable - sur la déshumanisation à l'oeuvre, la banalisation de l'horreur absolue au fil des progrès techniques. Le réalisateur, Michaël Prazan, a dû affronter ces anciens bourreaux ordinaires pour recueillir les témoignages tranquilles de ces serviteurs zélés de la barbarie. Les lecteurs des Bienveillantes, de Jonathan Littell, ou des Disparus, de Daniel Mendelsohn, mettront des images sur les mots et des visages sur les noms, qu'ils ne pourront jamais plus oublier (L'Express.Fr)
Les Intervenants (Source : http://programmes.france2.fr/documentaires/)
Historiens
Christopher Browning : historien américain, auteur de L’Origine de la Solution Finale et de Des Hommes ordinaires.
Christian Ingrao : chercheur au CNRS, il retrace le parcours des principaux commandants des Einsatzgruppen et en dresse le portrait psychologique.
Jürgen Matthaüs : historien allemand du United States Holocaust Memorial Museum (Washington DC) et coauteur de L’Origine de la Solution Finale avec Christopher Browning.
Martin Dean : historien britannique du United States Holocaust Memorial Museum (Washington DC) spécialiste de la collaboration en Ukraine et en Biélorussie.
Radu Ioanid : historien roumain, spécialiste de la Shoah en Roumanie.
Benjamin Ferencz : procureur au procès des Einsatzgruppen à Nuremberg.
Survivants
Sonia Palty : déportée en Transnistrie à l’âge de 14 ans, elle survit au plus terrible des camps roumains, Bogdanovka.
Raisa Davydovna : Sauvée par sa mère, elle se rappelle en détails l’occupation de Lubny par les nazis.
Leon Wells : déporté au camp de Yanovska dans la banlieue de Lviv, il est affecté aux commandos 1005 qui sont chargés de brûler les cadavres des déportés et d’effacer toute trace de la Shoah.
Marger Westermans : séparé de sa famille, enfermée dans le grand ghetto de Riga, il accepte de transporter les cadavres des juifs tués par les nazis et leurs collaborateurs dans l’espoir de rejoindre ses parents.
Edward Anders : raflé en décembre 1941, il est sauvé par sa mère alors que les habitants du ghetto de Liepaja sont exterminés sur la plage de Skhede.
Anna Stepanovna Stolyarchuk : survivante des fusillades de masse à Kamenets-Podolski à la frontière entre l’Ukraine, la Roumanie et la Hongrie.
Alexander Bergmann : rescapé des camps de Kaiserwald, de Stutthof et de Magdebourg, annexe de Buchenwald.
Aleks Faitelson : résistant à l’intérieur du ghetto de Kaunas, il est arrêté par des policiers lituaniens alors qu’il tente de rejoindre les partisans. Ils le conduisent au fort IX où on l’oblige à exhumer des fosses les cadavres des juifs fusillés par les nazis et à les brûler.
Nina Lysistsyn : Elle survit à l’âge de 5 ans à une fusillade dans l’un des derniers massacres de masse de Crimée en 1944.
Henri Zadjenwergier : il est déporté depuis Drancy par le convoi 73 en direction des pays baltes en mai 1944.
Témoins oculaires
Volodymyr Viznyak : adolescent, il assiste à l’arrivée de la Wehrmacht dans la ville, aux pogroms puis aux fusillades de masse derrière le cimetière de Yanovska.
Adolf Kazimirovich Vislovskiy : il a assisté aux exécutions dans la forêt de Lysynychi entre 1941 et 1944 et aux bûchers de l’opération 1005.
Evgenia Mikhailovna : enfant, elle a vu depuis le toit de sa maison le massacre de Babi Yar les 29 et 30 septembre 1941.
Halina Jankovska : son père, garde-barrière dans la forêt de Ponary, revendait les biens des juifs assassinés. Elle a assisté aux exécutions perpétrées selon ses mots par les “rabatteurs”.
Regina Jablonskaja : embauchée comme cuisinière, elle fait le service pour les tueurs lituaniens qui, chaque jour, fusillent les juifs de Lituanie dans la forêt de Ponary.
Anatoli Constantinovitch Lipinski : enfant il est chargé de jouer de l’accordéon pour les nazis et leurs collaborateurs dans les forêts de Ponary.
Kazymyr Vychnevsky : il est réquisitionné au mois de juillet 42 avec sa charrue pour ramasser les corps des juifs qui avaient tenté de s’enfuir.
Nazis et les collaborateurs
Heinrich Wulfes : membre du 1er régiment de cavalerie SS commandé par Hermann Fegelein, le beau-frère d’Hitler, il assiste au discours de Himmler à Minsk à l’été 1941 qui marque le basculement dans la violence génocidaire.
Lukas Reiter : Hongrois d’origine allemande, il s’engage dans la Waffen SS à l’été 1943. Il est affecté à la surveillance des prisonniers qui brûlent les cadavres.
Juozas Aleksynas : membre du 10e bataillon de police lituanienne, il est ensuite envoyé en Biélorussie pour exécuter les femmes, les vieillards et les enfants.
Bibliographie (http://programmes.france2.fr/documentaires/)
La destruction des Juifs d’Europe par Raul Hilberg, Edition Editions Gallimard, Collection : Folio Histoire en 3 tomes et en format poche (septembre 2006).
Les chasseurs noirs : La brigade Dirlewanger par Christian Ingrao, Librairie Académique Perrin, (septembre 2006)
Les Einsatzgruppen : Les groupes d’intervention et la "genèse de la solution finale" par Ralf Ogorreck, Editions Calmann-Lévy, Collection Histoire, (avril 2007).
Les origines de la solution finale : L’évolution de la politique antijuive des nazis, septembre 1939-mars 1942 par Christopher R. Browning, Jürgen Matthäus, Editions Belles Lettres, Collection Histoire (octobre 2007).
Le livre noir, par Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg, Editions Le livre de poche en 2 tomes.
Cartea Neagra , Le livre noir sur les souffrances des juifs de Roumanie (1940-1944) , par Matatias Carp, Editions Denoel, Collection Mediations (février 2009).
Purifier et détruire , Usages politiques des massacres et génocides, par Jacques Semelin, Editions Seuil, Collection Couleur Des Idees (octobre 2005).
L’écriture génocidaire, L’antisémitisme en style et en discours, par Michaël Prazan, Editions Calmann-Levy (mars 2005).
Le texte figurant en début de film est extrait du poème "Fugue de mort" de Paul Celan.
Dernière édition par Colleville le 20/4/2009, 20:52, édité 1 fois
Re: Einsatzgruppen : Les Commandos de la Mort (Doc - 2009)
INTERVIEW DE MICHAEL PRAZAN
- Pourquoi avoir intitulé le documentaire Einsatzgruppen ?
Les Einsatzgruppen sont les “commandos mobiles de tueries” qui pratiquent et organisent l’extermination sur le terrain. Il s’agit de 3000 hommes, répartis en quatre groupes d’action rayonnant chacun sur une zone géographique prédéfinie. Leur mission, qui a quelque peu évolué au cours des premiers mois, est l’extermination des Juifs et des opposants politiques, notamment les partisans communistes. Ce sont ces hommes, et ce qu’ils ont fait, que décrit mon film.
- Comment expliquer que ce volet de l’Histoire n’ait jamais été traité ?
On s’est avant tout préoccupé de l’extermination des Juifs de l’ouest de l’Europe. Les événements de l’Est sont méconnus pour des raisons géographiques et historiques.
Jusqu’en 1989 — la chute du mur de Berlin — on ne pouvait accéder aux archives. Il n’y a jamais eu, même à l’Est, une vision générale sur
l’extermination mise en oeuvre par les commandos Einsatzgruppen. Pourtant sans ce volet, on ne peut pas comprendre les chambres à gaz. Tout fait sens.
- Qu’est-ce qui a été pour vous le déclencheur ?
Un film précédent que j’avais consacré au massacre de Nankin, perpétré en 1937 par les Japonais en Chine. J’avais rencontré d’anciens soldats. Et je me suis dit “après tout, c’était en 1937, ils sont encore là et ils parlent. Pourquoi les Allemands ne le feraient-ils pas ?”. Il y a aussi la conscience du temps qui passe, il faut faire vite. Dans cinq ans, les derniers témoins des Einsatzgruppen ne seront plus en vie.
- Comment avez-vous procédé ?
J’ai fait un premier choix, épluchant toutes les archives. Ensuite j’ai travaillé d’arrache-pied avec une documentaliste, Kristine Sniedze, qui a l’avantage d’être lettone et qui parle russe et ukrainien. Elle connaît extraordinairement bien la région, les gens et les adresses. Les archives sont à Moscou, à Riga et en Allemagne... Et j’ai trouvé des images que je ne rêvais même pas d’avoir, par exemple le massacre de Babi Yar. J’ignorais totalement l’existence de ce petit bout de film absolument saisissant.
J’ai eu d’énormes surprises en fouillant dans les archives de l’Est.
- Et les intervenants ?
Je voulais absolument Christopher Browning et Christian Ingrao* qui est le meilleur spécialiste de la psychologie des bourreaux. Le moins difficile a été de trouver les survivants des massacres, ils avaient pour la plupart écrit ou été cités dans des livres. Mais la plus grande difficulté a été de retrouver les témoins et les bourreaux. On a énormément travaillé avec des fixeurs en Ukraine et dans les pays baltes notamment.
L’Allemagne a été le dernier lieu de tournage et restait le plus délicat. J’avais réussi à récupérer une liste de nazis qui avaient été inquiétés pendant les années 60. Il a donc fallu faire une enquête sur place pour les retrouver et les appeler un par un.
- Comment avez-vous réussi ?
En leur mentant. Avec un ami Allemand, nous nous sommes présentés en tant que petit-fils d’un membre de la division SS Charlemagne et le petit-fils d’un soldat des Einsatzgruppen. Ils ne se sont pas fait prier pour se confier.
- Pourquoi la caméra cachée ?
Je n’avais pas le choix. Autrement, ils n’auraient jamais parlé. En Ukraine, j’ai rencontré des bourreaux, je connaissais leur histoire mais, une fois devant la caméra ils me répondaient : “Ah non c’était pas moi. Moi j’ai rien fait, j’ai sauvé des Juifs”. La confi ance est instaurée dès lors qu’ils ne voient pas de caméra et c’est ainsi que les Allemands déballent tout. Il n’y a aucune culpabilité sur ce qu’ils ont fait, ils ont la nostalgie de leur jeunesse. Ils ont tout gardé : leurs albums photos, leurs écussons SS. Je n’ai pas rencontré des gens qui étaient dans la culpabilité.
- Et les autres témoignages d’anciens soldats face caméra ?
Il y a le soldat Lituanien qui est tout à fait particulier, c’est un cas d’exception. Il a massacré, tous les jours et pendant six mois de sa vie, des femmes et des enfants. Il a passé vingt ans dans un goulag. C’est le salaud absolu mais je lui suis redevable parce qu’il parle ouvertement.
- Le documentaire débute en 1941. Que se passe-t-il entre 1939 et 1941 ?
Ces deux années sont consacrées à un genre “d’essais en laboratoire” en Pologne avec les premières ghettoïsations, les premières exterminations. Le pays est divisé en deux : une partie sous domination nazie, une autre sous domination soviétique. Les premiers commandos Einsatzgruppen sont créés dans la Pologne occupée par les nazis, c’est la préfi guration de ce qui va suivre en 1941. On essaye de trouver la bonne pratique si je puis dire, du génocide.
Ensuite les Allemands procèdent simultanément, aux quatre coins de l’Europe de l’Est, à des exterminations pour que tout se déroule très vite et que l’information n’ait pas le temps de circuler. Evidemment, aujourd’hui, on réalise que ça allait arriver mais pour les gens de l’époque, c’était invraisemblable. Et l’un des intervenants dans le fi lm le dit très bien “Qui pouvait imaginer qu’on allait mettre les gens dans des fosses et tirer sur eux par rangées ?”.
- Il faut des gens pour ça, comment ont-ils été recrutés ?
Les chefs des commandos ont tous fait de hautes études. Les hommes de main viennent des classes populaires, pour beaucoup de la police et de la gendarmerie. Mais les Einsatzgruppen sont trop peu nombreux. Dans certains pays, tels qu’en Lituanie, les Allemands délèguent intégralement les tueries aux locaux. Si bien qu’à la fi n 1942, on ne compte plus qu’un Allemand pour 10 auxiliaires locaux.
- La décision de déléguer n’est pas anodine non plus…
A partir de 1942, on se rend compte des dommages psychologiques chez les chefs commandos. Il y a un effondrement psychique mais ce n’est pas pour autant qu’ils ressentent de la culpabilité. Ils étaient au service d’une machine de destruction et ils en étaient absolument convaincus. Aussi, pour y remédier, les nazis emploient des locaux et plus tard des prisonniers pour effectuer “le travail” dans les camps afi n de ne plus être en contact avec les victimes.
- Aucun refus, pourtant, aucune révolte que ce soit du côté des victimes ou de celui des Allemands ?
Il faut bien comprendre que les nazis sont les maîtres de la désinformation, ils mentent. Les situations sont bien contrôlées, bien encadrées, on dit aux prisonniers qu’ils vont être réinstallés ailleurs. Ils ne savent absolument pas ce qui va leur arriver, ils le réalisent une fois arrivés sur le lieu de leur extermination. Ils se révoltent, ils essaient de s’enfuir, quatre ou cinq réussissent. Il faut aussi savoir que tous les maillons industriels, politiques, individuels de la société allemande ont travaillé, à un niveau ou à un autre, à l’extermination des Juifs, des handicapés, des opposants... C’est vrai que c’est un manque dans le fi lm de ne pas traiter de la question de la conscience allemande à ce moment-là. Mais je ne pouvais pas tout traiter.
- Mais vous prenez position…
C’est une façon de trancher sur le débat historique, qui a encore cours, concernant la bascule de juillet 1941. Avant cette période, on ne tue que les hommes en âge de combattre. C’est une logique sécuritaire qu’on peut comprendre, c’est horrible mais compréhensible.
A partir de juillet 1941, les nazis tuent les femmes et les enfants. Pourquoi ? Et là, deux écoles historiques s’opposent. D’un côté, on pense qu’il y a eu un ordre d’Hitler qui s’est perdu ou a été détruit. D’un autre côté, on fait remarquer que Himmler sillonne tous les fronts et partout où il passe, on extermine femmes et enfants… Mon fi lm tranche quand Wulfes, le soldat SS interviewé, dit que “Dès qu’Himmler part, on extermine”. Himmler ne donne pas d’ordre direct, plutôt des consignes, c’est plus subtil. C’est un nazi qui me permet, intellectuellement et individuellement, de trancher sur la question.
- Einsatzgruppen devait, à l’origine, être un unitaire de 90 minutes…
Pour moi, il était très clair qu’il y avait deux phases, je ne pouvais pas parler d’une chose et pas de l’autre. En rentrant d’Ukraine, il m’est apparu qu’il était impossible de tout traiter en 90 minutes. Il fallait le temps de dire les choses. Sur un sujet pareil, je ne voulais pas courir, parler trop vite par manque de temps.
(Source : http://programmes.france2.fr/documentaires/index-fr.php?page=infrarouge&id_rubrique=431&id_article=410)
- Pourquoi avoir intitulé le documentaire Einsatzgruppen ?
Les Einsatzgruppen sont les “commandos mobiles de tueries” qui pratiquent et organisent l’extermination sur le terrain. Il s’agit de 3000 hommes, répartis en quatre groupes d’action rayonnant chacun sur une zone géographique prédéfinie. Leur mission, qui a quelque peu évolué au cours des premiers mois, est l’extermination des Juifs et des opposants politiques, notamment les partisans communistes. Ce sont ces hommes, et ce qu’ils ont fait, que décrit mon film.
- Comment expliquer que ce volet de l’Histoire n’ait jamais été traité ?
On s’est avant tout préoccupé de l’extermination des Juifs de l’ouest de l’Europe. Les événements de l’Est sont méconnus pour des raisons géographiques et historiques.
Jusqu’en 1989 — la chute du mur de Berlin — on ne pouvait accéder aux archives. Il n’y a jamais eu, même à l’Est, une vision générale sur
l’extermination mise en oeuvre par les commandos Einsatzgruppen. Pourtant sans ce volet, on ne peut pas comprendre les chambres à gaz. Tout fait sens.
- Qu’est-ce qui a été pour vous le déclencheur ?
Un film précédent que j’avais consacré au massacre de Nankin, perpétré en 1937 par les Japonais en Chine. J’avais rencontré d’anciens soldats. Et je me suis dit “après tout, c’était en 1937, ils sont encore là et ils parlent. Pourquoi les Allemands ne le feraient-ils pas ?”. Il y a aussi la conscience du temps qui passe, il faut faire vite. Dans cinq ans, les derniers témoins des Einsatzgruppen ne seront plus en vie.
- Comment avez-vous procédé ?
J’ai fait un premier choix, épluchant toutes les archives. Ensuite j’ai travaillé d’arrache-pied avec une documentaliste, Kristine Sniedze, qui a l’avantage d’être lettone et qui parle russe et ukrainien. Elle connaît extraordinairement bien la région, les gens et les adresses. Les archives sont à Moscou, à Riga et en Allemagne... Et j’ai trouvé des images que je ne rêvais même pas d’avoir, par exemple le massacre de Babi Yar. J’ignorais totalement l’existence de ce petit bout de film absolument saisissant.
J’ai eu d’énormes surprises en fouillant dans les archives de l’Est.
- Et les intervenants ?
Je voulais absolument Christopher Browning et Christian Ingrao* qui est le meilleur spécialiste de la psychologie des bourreaux. Le moins difficile a été de trouver les survivants des massacres, ils avaient pour la plupart écrit ou été cités dans des livres. Mais la plus grande difficulté a été de retrouver les témoins et les bourreaux. On a énormément travaillé avec des fixeurs en Ukraine et dans les pays baltes notamment.
L’Allemagne a été le dernier lieu de tournage et restait le plus délicat. J’avais réussi à récupérer une liste de nazis qui avaient été inquiétés pendant les années 60. Il a donc fallu faire une enquête sur place pour les retrouver et les appeler un par un.
- Comment avez-vous réussi ?
En leur mentant. Avec un ami Allemand, nous nous sommes présentés en tant que petit-fils d’un membre de la division SS Charlemagne et le petit-fils d’un soldat des Einsatzgruppen. Ils ne se sont pas fait prier pour se confier.
- Pourquoi la caméra cachée ?
Je n’avais pas le choix. Autrement, ils n’auraient jamais parlé. En Ukraine, j’ai rencontré des bourreaux, je connaissais leur histoire mais, une fois devant la caméra ils me répondaient : “Ah non c’était pas moi. Moi j’ai rien fait, j’ai sauvé des Juifs”. La confi ance est instaurée dès lors qu’ils ne voient pas de caméra et c’est ainsi que les Allemands déballent tout. Il n’y a aucune culpabilité sur ce qu’ils ont fait, ils ont la nostalgie de leur jeunesse. Ils ont tout gardé : leurs albums photos, leurs écussons SS. Je n’ai pas rencontré des gens qui étaient dans la culpabilité.
- Et les autres témoignages d’anciens soldats face caméra ?
Il y a le soldat Lituanien qui est tout à fait particulier, c’est un cas d’exception. Il a massacré, tous les jours et pendant six mois de sa vie, des femmes et des enfants. Il a passé vingt ans dans un goulag. C’est le salaud absolu mais je lui suis redevable parce qu’il parle ouvertement.
- Le documentaire débute en 1941. Que se passe-t-il entre 1939 et 1941 ?
Ces deux années sont consacrées à un genre “d’essais en laboratoire” en Pologne avec les premières ghettoïsations, les premières exterminations. Le pays est divisé en deux : une partie sous domination nazie, une autre sous domination soviétique. Les premiers commandos Einsatzgruppen sont créés dans la Pologne occupée par les nazis, c’est la préfi guration de ce qui va suivre en 1941. On essaye de trouver la bonne pratique si je puis dire, du génocide.
Ensuite les Allemands procèdent simultanément, aux quatre coins de l’Europe de l’Est, à des exterminations pour que tout se déroule très vite et que l’information n’ait pas le temps de circuler. Evidemment, aujourd’hui, on réalise que ça allait arriver mais pour les gens de l’époque, c’était invraisemblable. Et l’un des intervenants dans le fi lm le dit très bien “Qui pouvait imaginer qu’on allait mettre les gens dans des fosses et tirer sur eux par rangées ?”.
- Il faut des gens pour ça, comment ont-ils été recrutés ?
Les chefs des commandos ont tous fait de hautes études. Les hommes de main viennent des classes populaires, pour beaucoup de la police et de la gendarmerie. Mais les Einsatzgruppen sont trop peu nombreux. Dans certains pays, tels qu’en Lituanie, les Allemands délèguent intégralement les tueries aux locaux. Si bien qu’à la fi n 1942, on ne compte plus qu’un Allemand pour 10 auxiliaires locaux.
- La décision de déléguer n’est pas anodine non plus…
A partir de 1942, on se rend compte des dommages psychologiques chez les chefs commandos. Il y a un effondrement psychique mais ce n’est pas pour autant qu’ils ressentent de la culpabilité. Ils étaient au service d’une machine de destruction et ils en étaient absolument convaincus. Aussi, pour y remédier, les nazis emploient des locaux et plus tard des prisonniers pour effectuer “le travail” dans les camps afi n de ne plus être en contact avec les victimes.
- Aucun refus, pourtant, aucune révolte que ce soit du côté des victimes ou de celui des Allemands ?
Il faut bien comprendre que les nazis sont les maîtres de la désinformation, ils mentent. Les situations sont bien contrôlées, bien encadrées, on dit aux prisonniers qu’ils vont être réinstallés ailleurs. Ils ne savent absolument pas ce qui va leur arriver, ils le réalisent une fois arrivés sur le lieu de leur extermination. Ils se révoltent, ils essaient de s’enfuir, quatre ou cinq réussissent. Il faut aussi savoir que tous les maillons industriels, politiques, individuels de la société allemande ont travaillé, à un niveau ou à un autre, à l’extermination des Juifs, des handicapés, des opposants... C’est vrai que c’est un manque dans le fi lm de ne pas traiter de la question de la conscience allemande à ce moment-là. Mais je ne pouvais pas tout traiter.
- Mais vous prenez position…
C’est une façon de trancher sur le débat historique, qui a encore cours, concernant la bascule de juillet 1941. Avant cette période, on ne tue que les hommes en âge de combattre. C’est une logique sécuritaire qu’on peut comprendre, c’est horrible mais compréhensible.
A partir de juillet 1941, les nazis tuent les femmes et les enfants. Pourquoi ? Et là, deux écoles historiques s’opposent. D’un côté, on pense qu’il y a eu un ordre d’Hitler qui s’est perdu ou a été détruit. D’un autre côté, on fait remarquer que Himmler sillonne tous les fronts et partout où il passe, on extermine femmes et enfants… Mon fi lm tranche quand Wulfes, le soldat SS interviewé, dit que “Dès qu’Himmler part, on extermine”. Himmler ne donne pas d’ordre direct, plutôt des consignes, c’est plus subtil. C’est un nazi qui me permet, intellectuellement et individuellement, de trancher sur la question.
- Einsatzgruppen devait, à l’origine, être un unitaire de 90 minutes…
Pour moi, il était très clair qu’il y avait deux phases, je ne pouvais pas parler d’une chose et pas de l’autre. En rentrant d’Ukraine, il m’est apparu qu’il était impossible de tout traiter en 90 minutes. Il fallait le temps de dire les choses. Sur un sujet pareil, je ne voulais pas courir, parler trop vite par manque de temps.
(Source : http://programmes.france2.fr/documentaires/index-fr.php?page=infrarouge&id_rubrique=431&id_article=410)
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