Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 13 mai 1940. La percée de Sedan...
A partir d'aujourd'hui, et jusqu'au 25 juin 1940 plus rien ne va aller pour les troupes franco-britanniques...
L'auditeur des postes de TSF français attend avec impatience de prendre connaissance des deux communiqués quotidiens de l'Etat-Major de l'Armée française :
* communiqué n° 505 (13 mai 1940 - matin) : « En Hollande et en Belgique, les attaques ennemies ont redoublé de violence, particulièrement dans la région située au nord du canal Albert, entre ce canal et le Rhin inférieur, ainsi que dans la région de Tirlemont et dans les ardennes belges.
A la frontière franco-luxembourgeoise, de Longwy à la Moselle, pas de changement notables, malgré des bombardements intenses.
Plus à l'Est, rien à signaler.
En fin de journée et au cours de la nuit, des colonnes allemandes ont été attaquées à la bombe et à la mitrailleuse par notre aviation. Douze avions allemands ont été abattus dans la soirée du 12 mai. »
L'auditeur français est rassuré après avoir entendu ce communiqué du 13 mai au matin : rien de grave ne se passe... Nous contenons aisément les forces allemandes !...
* communiqué n° 506 (13 mai 1940 - soir) : « Les troupes allemandes ont continué aujourd'hui leurs attaques massives, tant en Hollande qu'en Belgique.
En Hollande, elles ont réalisé une avance, notamment au sud du cours inférieur de la Meuse.
En Belgique, dans la région de Saint-Trond, des contre-attaques françaises, menées principalement par des chars de combat, ont infligé de fortes pertes à l'ennemi.
Les allemands ont fait un effort particulièrement important dans les Ardennes belges où ils ont pu progresser.
Nos éléments de cavalerie, après avoir rempli leur mission retardatrice, se sont repliés sur la Meuse que l'ennemi a atteinte sur une partie de son cours.
L'ennemi a exercé une forte pression sur Longwy. Ses attaques ont été repoussées, de même que celles qui ont été prononcées à l'est de la Moselle et dans la région de la Sarre.
Rien à signaler sur le Rhin.
Les aviations de bombardement alliées et ennemies ont poursuivi leurs actions d'appui des forces terrestres en attaquant les colonnes adverses.
Quinze avions ennemis ont été abattus au cours de ces engagements.
Sur les arrières, les actions de l'aviation ennemie, bien que répétées, n'ont causé que des dégâts peu importants au point de vue militaire. »
Après l'écoute de ce communiqué du 13 mai 1940 au soir l'auditeur est perplexe : on annonce bien que l'armée allemande progresse, mais c'est toujours en Hollande ou en Belgique... Combien de temps la frontière française restera-t-elle inviolée ?...
Le généralissime Maurice Gamelin fait parvenir dans la journée un nouvel ordre du jour aux troupes françaises :
« Il faut maintenant tenir tête à la ruée des forces mécaniques et motorisées de l'ennemi. L'heure est venue de se battre à fond sur les positions fixées par le Haut Commandement. On n'a plus le droit de reculer. Si l'ennemi fait localement brèche non seulement colmater, mais contre-attaquer et reprendre. »
En Hollande, Rotterdam s'est rendue à midi aux troupes allemandes... La résistance de l'armée hollandaise semble être arrivée à ses derniers retranchements...
A 16 heures l'attaque de Sedan commence... A 20 heures les Allemands ont réussi à occuper une tête de pont sur la rive Sud de la Meuse de 4 à 5 kilomètres de large et de 5 à 6 kilomètres de profondeur... A 21 heures c'est toute l'aile gauche de l'armée Huntziger qui lâche... C'est le début de la curée pour l'armée française...
En Hollande, la reine Wilhelmine a accepté, après beaucoup d'hésitation, de monter dans un destroyer britannique pour se réfugier en Angleterre. C'est à 17 heures qu'elle arrive au palais de Buckingham (avec toujours un casque lourd sur la tête...) où le roi George VI l'accueille. C'est en français que les deux souverains converseront...
Dans la soirée la reine Wilhelmine lance sur les ondes de la BBC son premier appel à la résistance du peuple hollandais : « Notre sympathie va à nos compatriotes qui, dans notre pays bien-aimé, auront à passer par de durs moments. Mais, en temps voulu, avec l'aide de Dieu, les Hollandais recouveront leur territoire européen ».
Quant à la famille Grand-Ducale du Luxembourg, elle quitte elle aussi son territoire national pour venir se réfugier en France. Elle est hébergée à la préfecture de Laon (Aisne).
Le double exil des souverains hollandais et luxembourgeois n'est-il pas un signe très inquiétant pour la suite des événements ?...
Les Français commencent à se demander combien de temps vont résister encore les troupes belges ?...
Et l'Italie dans tout ça ?... Eh bien, Benito Mussolini, voyant que les choses tournent dans le bon sens pour son allié allemand, déclare dans la soirée du 13 mai à son gendre, le comte Galeazzo Ciano (ministre italien des Affaires Étrangères) : « Il y a quelques mois j'ai dit que les Alliés avaient laissé échapper la victoire. Aujourd'hui, je dis, qu'ils ont perdu la guerre. Nous n'avons plus de temps à perdre. Avant la fin du mois, j'entrerai dans l'arène ».
Demain, mardi 14 mai 1940, de nombreux chefs de l'armée française vont hélas malheureusement prendre de très mauvaises décisions...
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 15/5/2009, 22:43, édité 4 fois
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 14 mai 1940. Le jour où la France a perdu la guerre...
Les auditeurs des postes de TSF sont impatients de prendre connaissance des deux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'Armée française :
* communiqué n° 507 (14 mai 1940 - matin) : « L'attaque allemande se développe avec une violence accrue. Rien d'important à signaler dans la Belgique centrale. L'ennemi a atteint la Meuse, de Liège à Namur et à Sedan. Cette dernière ville a été évacuée, et des combats particulièrement acharnés ont lieu dans les environs immédiats, ainsi que dans la région au nord de Dinant.
La bataille continue, des abords sud de Longwy à la Moselle. Des attaques ennemies ont été repoussées dans la région de Wissembourg.
Partout, nos troupes et les troupes alliées combattent avec vaillance contre l'ennemi qui déploie, notamment avec ses chars et son aviation, un effort d'une extrême intensité.
A la fin de la journée du 13 mai, seize avions ennemis ont été abattus. Ils doivent être ajoutés au chiffre donné dans le communiqué du 13, au soir.
Au cours de la nuit, notre aviation de renseignement a effectué de nombreuses reconnaissances. »
L'auditeur en retient qu'il n'y a pas eu un mot sur la Hollande, et que l'armée allemande a atteint la Meuse, la ville de Sedan ayant dû être évacuée... De plus, pour la première fois l'armée allemande a attaqué en Alsace, dans la région de Wissembourg... Tout cela n'augure rien de bon...
* communiqué n° 508 (14 mai 1940 - soir) : « En Belgique, au nord de la Meuse, nous avons poursuivi normalement nos mouvements et notre organisation. L'ennemi a attaqué en deux points notre front actuel. Il a été repoussé avec de lourdes pertes en chars de combat.
Sur la Meuse, au sud de Namur, les Allemands ont tenté en plusieurs endroits de franchir le fleuve. Nous avons lancé des contre-attaques et le combat continue, en particulier dans la région de Sedan où l'ennemi fait avec acharnement, et en dépit de pertes élevées, un effort très important.
Les troupes allemandes ont prononcé quelques attaques locales à l'ouest de la Moselle. Elles ont été repoussées avec pertes. Notre aviation est intervenue puissamment et d'une manière efficace dans la bataille. En outre, de nombreuses reconnaissances aériennes ont été faites au cours de la nuit du 13 au 14 et dans la matinée du 14.
Des missions de bombardement ont été exécutées avec succès sur des points stratégiques et sur des convois militaires. Au cours des engagements aériens, quinze avions ennemis ont été abattus sur notre territoire.
En Norvège, dans la région de Narvik, des opérations ont été conduites avec succès dont il est rendu compte dans le communiqué britannique. »
L'auditeur retient de ce bulletin du 14 mai au soir qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure : certes, les combats sont violents autour de Sedan, mais l'armée française contient l'armée allemande. Et puis, notre aviation fait toujours des merveilles en abattant plein d'avions ennemis !... Comme je vous le dis, il n'y a aucune raison que cet auditeur s'alarme au soir du 14 mai 1940...
Quant au fameux communiqué britannique indiqué à la fin du communiqué français du 14 mai au soir, voici ce qu'il déclare :
« Les forces alliées ont débarqué à Bjerkvik, à douze kilomètres au nord de Narvik.
Le débarquement a été effectué avec succès et on ne compte quelques blessés légers.
Bjerkvik se trouve en arrière des positions allemandes, dans la région de Gratangen où nos forces ont en même temps attaqué avec succès.
Un détachement ennemi qui avait débarqué à Hemnes, a été bombardé par un navire de guerre britannique.
L'ennemi a subi des pertes. »
L'auditeur du 14 mai 1940 est surpris que l'État-Major français n'évoque pas du tout un point très important : l'armée hollandaise a t-elle capitulé ou non ?...
Peut-être, s'il se porte à l'écoute du poste radiophonique de Sottens (radio suisse romande) pourra t-il prendre connaissance du communiqué hollandais du 14 mai 1940 :
La légation des Pays-Bas communique : le commandant en chef de l'armée néerlandaise, le général Wilkenman, a adressé une proclamation aux troupes que cela concerne pour que celles-ci reposent les armes.
La proclamation ajoute : « En Zélande le combat continue. » La décision fut prise le 14 mai à la fin de l'après-midi. Des troupes ennemies en très grand nombre avaient réussi à traverser les ponts de Wœrdyk et à reprendre Rotterdam après un violent bombardement de cette ville.
Par conséquent, le cœur du pays était ouvert à l'ennemi et le gros des forces armées derrière la ligne d'eau était menacé par des attaques immédiates dans le dos.
Dans ces circonstances, et pour éviter une destruction du pays, le commandant en chef était d'avis que toute résistance était devenue inutile et par conséquent devait être abandonnée.
Conformément à une décision prise par le gouvernement néerlandais à Londres, l'état de guerre entre les Pays-Bas et l'Allemagne continue d'exister.
L'auditeur de Sottens apprendra de plus que selon la légation des Pays-Bas à Londres : « La proclamation du général Wilkenman s'adressait uniquement aux troupes prenant part aux combats et ne s'adressait pas aux unités navales. »
Dans la soirée la reine des Pays-Bas Wilhelmine a adressé sur les ondes de la BBC un deuxième appel à son peuple déclarant : « Il ne faut voir dans le transfert de mon gouvernement en Angleterre aucune intention de capituler. Tous les pays faisant partie de la communauté néerlandaise : Hollande, Indes néerlandaises et Guyane hollandaise continuent de former un État souverain et participent comme tel aux délibérations communes des alliés.
Les Pays-Bas en dépit des calamités répétées ont toujours pu renaître, ils renaîtront encore. »
L'auditeur français se réjouit que la Hollande ait à sa tête une souveraine si énergique !...
En réalité, sur le front français, cette journée du mardi 14 mai 1940 sera catastrophique !... Il n'est pas question que je vous décrive tous les faits et gestes des différentes unités de l'armée française en ce jour décisif (il y a plein d'ouvrages sur la percée de Sedan...), mais je voudrais simplement vous signaler quatre points importants (pris dans l'ouvrage de Jacques Benoist-Méchain) :
* 1°) l'aviation française a héroïquement tenté de détruire le seul pont mis en service par le génie allemand pour franchir la Meuse, à Gaulier. Pendant toute la journée du 14 mai 1940 les aviateurs français ne cesseront d'attaquer pour le détruire. Sans arrêt, les "Potez" et les "Morane" se lanceront sur l'objectif avec un courage remarquable, au milieu de l'enfer déchaîné par la DCA allemande pour protéger ledit pont. Durant la journée du 14 mai l'aviation française perdra pas moins de quarante avions (dont vingt-huit abattus par la DCA) pour tenter d'empêcher les panzers de franchir la Meuse. Hélas, tout cela en vain... Je tenais à rendre ici justice à ces glorieux aviateurs français qui ont fait tout leur possible, et même au-delà...
* 2°) dans la soirée du 14 mai la défense de la rivière la Bar s'est effondrée. Pour garder une armée cohérente (la IIème armée française) le général Charles Huntziger doit se replier. Mais il hésite sur la direction à prendre. En reculant, il risque de découvrir soit la région de Paris, soit le flanc nord de la ligne Maginot. Il téléphone au Grand Quartier Général pour demander des instructions. Il ne reçoit pas de réponse... Quelques heures plus tard, le général Alphonse Georges (chef des opérations du front Nord Est de la France), a nouveau sollicité, lui répond enfin : « Faites pour le mieux... ». D'ailleurs, au sujet du général Georges, son supérieur hiérarchique, le généralissime Maurice Gamelin, écrira plus tard : « Le général Georges me paraissait à ce moment véritablement surmené et j'espérais, je l'avoue, que la dépression que je constatais chez lui - et que je n'étais pas le seul à remarquer - serait passagère et qu'elle se trouvait due à sa visible lassitude. »
* 3°) Le général Charles Huntziger décide alors que la IIème armée va se replier à l'ouest de la Meuse sur le Chesne et les hauteurs de la Stonne. Seule sa droite restera accrochée à la ligne Maginot.
* 4°) A 1h30 du matin, le général André Corap (Chef de la IXème armée), à la suite d'une conversation téléphonique avec son supérieur le général Gaston Billotte (chef du Groupe d'Armées n°1), prend la décision fatale d'abandonner tout le cours de la Meuse au nord de Sedan et de se replier sur la ligne Rocroi - Signy l'Abbaye.
A la trouée de 16 kilomètres de large que l'ennemi s'était frayée aux dépens de la IIème armée française (Huntziger) s'ajoute à présent une faille de 50 kilomètres dans le secteur jusqu'ici tenu par la IXème armée (Corap). Une brèche irréversible s'est donc ouverte par laquelle vont s'engouffrer les 1 800 blindés de Schmidt, de Reinhardt et de Guderian. Pas moins de sept sur les dix "Panzerdivisionen" de la Wehrmacht s'élancent, en direction de Péronne et de Cambrai, à l'assaut des ports de la Manche...
Dès la nuit du 14 au 15 mai 1940 les unités alliées qui combattent en Belgique sont menacées d'encerclement. Pour les sauver, il faudrait que l'État-Major français leur donne immédiatement l'ordre général de repli. Mais, hélas, le Haut commandement français ne saisit manifestement pas la pensée du Grand État Major allemand. Il sous-estime la portée stratégique des événements qui viennent de se dérouler sur la Meuse, dont il est insuffisamment informé. L'ordre de repli ne sera donné au Groupe d'Armées n°1 (Billotte) que dans 48 heures, donc bien trop tard pour le sauver du piège qui est en train de se refermer sur lui...
On peut raisonnablement affirmer que les armées alliées ont perdu la guerre dans la soirée du mardi 14 mai 1940...
Heureusement que notre auditeur de la TSF française n'en sait rien encore...
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mercredi 15 mai 1940. Le soir où les politiques français ont enfin su...
Comme durant les cinq jours précédents, les auditeurs des postes de TSF français sont impatients de prendre connaissance des deux habituels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'Armée française :
* communiqué n° 509 (15 mai 1940 - matin) : « Dans la Belgique centrale, en fin de journée, une attaque de chars ennemis a eu lieu dans la région de Gembloux. Nous avons contre-attaqué et rejeté l'adversaire.
Sur la Meuse, de Namur jusqu'au confluent de la Chiers, les efforts ennemis se sont encore accrus. La bataille est en cours.
Notre aviation et l'aviation britannique, agissant en coopération complète, continuent d'intervenir avec une grande vigueur.
Rien d'important à signaler sur le reste du front. »
L'auditeur de ce communiqué du matin est rassuré : partout les armées alliées, et leurs aviations, contiennent l'ennemi allemand. Il devrait toutefois être perplexe par le peu de détails mentionnés...
* communiqué n° 510 (15 mai 1940 - soir) : « En plusieurs points, violentes attaques ennemies avec chars sur les troupes belges, britanniques et françaises, d'Anvers au nord-ouest de Namur. Toutes ont été repoussées.
Sur la Meuse, entre Mézières et Namur, l'ennemi est parvenu à franchir le fleuve sur plusieurs points, et les combats continuent.
Dans la région de Sedan, l'ennemi avait fait quelques progrès. Des contre-attaques sont en cours avec chars et aviation de bombardement.
Plus à l'Est, action d'artillerie.
Notre aviation a poursuivi ses reconnaissances. La chasse est intervenue, notamment pour protéger les missions de bombardement.
Au cours des engagements, onze appareils ennemis ont été abattus. »
L'auditeur de ce communiqué du 15 mai au soir est définitivement rassuré : tout va bien pour les Alliés !...
De plus, il apprendra dans la soirée que les membres du Gouvernement français se sont réunis en Conseil des Ministres à l'Elysée, de 18h00 à 20h15, sous la Présidence d'Albert Lebrun (Président de la République). Au cours de ce conseil, Paul Reynaud (Président du Conseil et Ministre des Affaires Étrangères) a fait l'exposé de la situation diplomatique. Ensuite, Édouard Daladier (Ministre de la Défense Nationale et de la Guerre) a mis le Conseil au courant des dernières opérations militaires.
En Hollande, le général Winckelmann a capitulé. L'armée hollandaise est faite prisonnière toute entière avec son chef. Seules les forces hollandaises dans les îles de Zélande, placées sous les ordres de l'amiral van der Stadt, reçoivent l'ordre de poursuivre la lutte à côté des Français. Le gouvernement néerlandais a décidé de rejoindre la reine Wilhelmine en Angleterre.
En recevant Hubert Pierlot, Premier Ministre du gouvernement belge, à son quartier général de Breendonck, le roi Léopold III lui montre, sur une carte, la côte du Pas-de-Calais et lui dit : « Les Allemands arriveront là avant huit jours. »
Comme Hubert Pierlot lui indique que dans ce cas l'armée belge devrait retraiter vers l'ouest et le sud, le roi lui répond : « Non, pas vers le sud, vers le nord. »
Le fossé commence à se creuser entre le roi des Belges et son Premier Ministre...
Dans la brèche ouverte depuis la Meuse, les Panerdivisionen s'engagent dans une incroyable course de vitesse en direction de la Manche. Elles avancent à raison de 50 à 65 kilomètres par heure !!!...
Le général Corap est relevé de son commandement, et remplacé par le général Giraud.
Mais, ce qui est important c'est que ce soir les politiques français vont enfin découvrir l'ampleur du désastre... Nous le savons grâce à William Bullitt, l'ambassadeur des États-Unis en France, qui a sollicité un entretien avec Édouard Daladier. L'ambassadeur est arrivé au Ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique, à 19h45. A 20h20 il est enfin reçu par le ministre, tout juste de retour du Conseil des Ministres. Daladier commence par lui raconter l'évolution, très favorable selon lui, de la situation militaire : il a entièrement confiance dans le cours de la bataille. Le général Gamelin l'a pleinement rassuré. Mais, brusquement la sonnerie du téléphone retentit : c'est justement le général Gamelin qui l'appelle depuis le donjon du château de Vincennes. Le généralissime l'informe des toutes dernières informations en provenance du front. L'ambassadeur américain n'entend évidemment pas ce que dit Gamelin mais ce que lui répond Daladier. Et tout à coup ce dernier s'écrie : « Non ! Ce que vous dites n'est pas possible! Vous vous trompez ! Ce n'est pas possible ! »
Gamelin vient de lui apprendre qu'une colonne blindée allemande, ayant tout brisé sur son passage, croise entre Rethel et Laon. Daladier est haletant. Il trouve la force de crier :
- Il faut attaquer aussitôt !
- Attaquer ? Avec quoi ? Je n'ai plus assez de réserves. Entre Laon et Paris, je ne dispose pas d'un seul corps de troupes.
William Bullitt observe que le visage de Daladier se contracte de plus en plus. Il a l'impression qu'il diminue à vue d'œil.
Le sinistre dialogue entre Gamelin et Daladier s'achève sur cet échange de phrases :
- Alors, dit Daladier, c'est la destruction de l'armée française ?
- Oui, répond Gamelin, c'est la destruction de l'armée française.
William Bullitt quitte la rue Saint-Dominique à 21h05 et file immédiatement à l'ambassade des États-Unis pour câbler à son gouvernement l'extraordinaire dialogue auquel il vient d'assister.
Ce mercredi 15 mai 1940 vers 21h10, après avoir été informé par Daladier de l'ampleur du désastre, le Président du Conseil, Paul Reynaud, prononce devant Paul Baudouin (sous-secrétaire d’État à la Présidence du conseil, secrétaire du Cabinet de guerre et secrétaire du Comité de guerre), pour la première fois le nom du Maréchal Pétain : « Ah ! si le Maréchal était là ! Il pourrait agir sur Gamelin. Sa sagesse et son calme seraient d'un grand secours ! »
Sans tarder, Paul Reynaud fait venir le général de l'Armée de l'Air Bertrand Pujo et lui demande de prendre, le soir même, le train rapide "Sud-Express" pour aller chercher le Maréchal à Madrid.
Dans la nuit du 15 au 16 mai le général Gamelin se décide enfin à donner l'ordre de repli général à nos forces qui combattent en Belgique. Hélas, c'est beaucoup trop tard !...
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le jeudi 16 mai 1940. Le jour de la panique dans les milieux officiels à Paris.
Comme d'habitude, les auditeurs des postes de TSF français veulent savoir ce qui se passe sur le front. Aussi, sont-ils attentifs aux termes contenus dans les deux habituels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'Armée française :
* communiqué n° 511 (16 mai 1940 - matin) : « La bataille a pris, de la région de Namur à celle de Sedan, le caractère d'une guerre de mouvement, avec la participation, de part et d'autre, des éléments motorisés et de l'aviation.
L'intérêt supérieur de la conduite des opérations commande de ne pas fournir actuellement de renseignements précis sur les opérations en cours. »
L'affirmation, en apparence anodine, que la guerre a pris "le caractère d'une guerre de mouvement" est un aveu camouflé du désastre qui s'abat sur la France... Quant à la dernière phrase du communiqué, elle est particulièrement inquiétante, elle suggère fortement que les combats ne se déroulent pas dans le bon sens pour les armées alliées...
* communiqué n° 512 (16 mai 1940 - soir) : « La bataille continue, dans son ensemble, avec la même intensité.
Des engagements très vifs ont lieu sur certains points.
Notre aviation de bombardement, protégée par la chasse, a effectué avec succès des attaques vigoureusement menées sur des colonnes ennemies d'engins blindés signalés par notre aviation de reconnaissance. »
Ce communiqué du soir est tout aussi laconique que celui du matin... Notre auditeur commence sérieusement à s'inquiéter...
D'un point de vue militaire, la seule bonne nouvelle qui est parvenue cet après-midi au PC du général Gamelin à Vincennes est que la poussée allemande dans la région de Laon s'est ralentie.
Hélas, à la tombée du jour, vers 22 heures la division de Panzers du général Erwin Rommel a réussi à pénétrer subrepticement en plein cœur d'Avesnes-sur-Helpe (département du Nord) et à faire prisonniers des centaines d'officiers français, médusés de constater que les Allemands ont déjà atteint cette cité !...
Les équipages de toutes les divisions de Panzers sont fatigués par l'effort ininterrompu qu'ils fournissent depuis six jours... Plus grave : le ravitaillement peine à suivre l'avance frénétique des chars et les munitions commencent à manquer...
Plus inquiétant pour l'armée française : à partir d'aujourd'hui commence l'exode massif des populations civiles sur les routes. Des millions de réfugiés se sont enfuit de chez eux vers l'Ouest ou vers le Sud, quelques uns en automobiles, mais l'immense majorité en poussant des charrettes... Désormais, les soldats français auront beaucoup de mal à se frayer un chemin parmi ce flot ininterrompu de réfugiés. De plus, ces colonnes de fuyards font d'excellentes cibles pour l'aviation allemande...
Voici ce que Jacques Benoist-Méchain déclare sur cette journée du 16 mai :
Rejoint par une fraction de son État-Major, le colonel de Gaulle fait des reconnaissances à l'est du canal de Sissonne. Son impression est affreuse. Sur toutes les routes venant du nord, affluent de lamentables convois de réfugiés. On y voit aussi nombre de militaires désorganisés. Ils appartiennent aux troupes que les Panzers ont disloquées au cours des jours précédents. Rattrapés dans leur fuite par les détachements mécaniques de l'ennemi, ils en ont reçu l'ordre de jeter leurs fusils et de filer vers le sud pour ne pas encombrer les routes. « Nous n'avons pas le temps de vous faire prisonniers » leur a-t-on crié au passage.
« Au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute militaire, écrit de Gaulle [Mémoire de Guerre, tome I : "l'Appel" pages 30 et 31], au récit de cette insolence méprisante de l'adversaire, je me sens soulevé d'une fureur sans bornes. Ah ! C'est trop bête ! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu'elle continue. Il y a pour cela de l'espace dans le monde. Si je vis, je me battrais, où il faudra, tant qu'il le faudra, jusqu'à ce que l'ennemi soit défait et lavée la tache nationale. Ce que j'ai pu faire par la suite, c'est ce jour-là que je l'ai résolu. »
Voilà un fait très important, pour l'avenir !...
A 3h30 du matin, ce jeudi 16 mai 1940, Hubert Pierlot (Premier Ministre), Pierre-Henri Spaak (Ministre des Affaires Étrangères) et le général Henri Denis (Ministre de la Défense nationale) après avoir quitté Bruxelles un peu après minuit, se présentent au Grand Quartier Général de l'Armée belge à Saint-André. Ils s'inquiètent tout de suite des routes (et surtout des ponts) empruntables pour rejoindre rapidement la France...
A Paris, à 4h00 du matin le Président du Sénat Jules Jeanneney et le Président de la Chambre des Députés Édouard Herriot et les principales personnalités de l'État français sont réveillés par un coup de fil du Grand Quartier Général les informant du caractère dramatique de la situation du front.
A 6h00 Paul Reynaud (Président du Conseil) convoque le général Gamelin au Quai d'Orsay. Celui-ci l'informe que « Les Allemands peuvent être à Paris ce soir même ».
A 10 heures du matin le général Pierre Héring (Gouverneur militaire de Paris), informé par le G.Q.G. de l'importance de la brèche qui s'est ouverte dans le front, écrit à Paul Reynaud que « Dans les circonstances actuelles, j'estime prudent, pour éviter tout désordre, de vous suggérer d'ordonner l'évacuation du gouvernement, sauf les ministères de la Défense Nationale (ou au moins leur premier échelon), de la Chambre des députés et du Sénat, sur les zones de repli prévues. Je vous serais obligé de me communiquer au plus tôt votre décision. »
A 11 heures, Paul Reynaud réunit une partie des membres du gouvernement, les présidents du Sénat et de la Chambre, le général Pierre Héring, le préfet de police de Paris Roger Langeron, et quelques autres personnalités au hasard de leur présence. La panique s'est emparé de presque tout le monde. Seul, Jules Jeanneney (Président du Sénat) affirme haut et fort qu'il ne faut pas paniquer et tenter d'enrayer l'avance allemande. Quelqu'un suggéra même une mesure inapplicable en pratique : « Pourquoi des bateaux de guerre de faible tirant d'eau, ne remonteraient-ils pas la Seine et ne défendraient-ils pas la ville ? »
Paul Reynaud annonce finalement son verdict : le gouvernement va transférer son siège à Tours. Le départ est prévu cet après-midi à 16 heures. Le ministre des Travaux Publics (Anatole de Monzie) est convoqué à 15h30 afin d'arrêter toutes les dispositions utiles.
Sitôt la conférence terminée, Paul Reynaud câble directement (en court-circuitant toute la voise hiérarchique !...) au général Maxime Wegand (Chef des forces françaises au Moyen-Orient), à Beyrouth (Liban) :
« La gravité de la situation militaire sur le front occidental s'accentue. Je vous demande de vous rendre à Paris sans aucun retard. Prenez les dispositions utiles pour remettre vos fonctions à qui vous choisirez. Le secret de votre départ est souhaitable. »
Ensuite, Paul Reynaud câble, vers 12h30, au nouveau Premier Ministre britannique (depuis le 10 mai 1940, où il a remplacé sir Arthur Neville Chamberlain ; auparavant il était depuis le 3 septembre 1939 Premier Lord de l'Amirauté britannique) Winston Churchill : « Hier soir, nous avons perdu la bataille. La route de Paris est ouverte. Envoyez toutes les troupes et toute l'aviation que vous pourrez. » Effrayé par la lecture de ce télégramme alarmiste, Winston Churchill décide de se rendre en avion, pour la première fois depuis qu'il est Chef du gouvernement britannique, à Paris dès cet après-midi.
Durant la matinée un triste spectacle a lieu dans la cour du Quai d'Orsay (siège du Ministère français des Affaires Étrangères) : Paul Reynaud a ordonné dans la matinée à son Secrétaire Général, Alexis Léger (plus connu par son pseudonyme d'écrivain : Saint-John Perse) de faire jeter par les fenêtre dans la cour des tonnes de documents officiels et de les faire arroser par les huissiers avec de l'essence afin qu'ils ne tombent pas aux mains des Allemands. Les passants qui circulent sur les quais de la Seine s'étonneront de voir, par une belle journée radieuse, un nuage noir qui laisse retomber des fragments de papier noircis... Cela va accentuer la panique dans la population parisienne.
A 15h30 Paul Reynaud, pâle comme un mort, prononce un discours à la Chambre des députés : « J'ai peu de mots à vous dire. Depuis que la Chambre s'est séparée, l'Allemagne a décidé de jouer son va-tout.
Elle s'est jetée sur trois peuples libres, et aujourd'hui elle vise la France au cœur.
(...)
Hitler veut gagner la guerre en deux mois. S'il échoue, il est condamné, et il le sait... Le temps que nous allons vivre n'aura peut-être rien de commun avec celui que nous venons de vivre. Nous serons appelés à prendre des mesures qui auraient paru révolutionnaires, hier. Peut-être devrons-nous changer les méthodes, les hommes (vifs applaudissements). Il faut nous forger tout de suite une âme nouvelle. Nous sommes plein d'espoir. Nos vies ne comptent pour rien. Une seule chose compte : maintenir la France ! (les députés se lèvent et applaudissent longuement). »
Édouard Herriot, qui préside la séance, déclare ensuite : « La France sent la grandeur et le tragique de cette épreuve. Elle demeurera égale à son passé et à son destin... La Chambre voudra sans doute laisser à son Président le soin de la convoquer lorsque le gouvernement aura une communication à lui faire ? (Assentiment général). »
Cette dernière phrase prononcée par le Président Herriot est, sous son aspect anodin, d'une importance capitale. Mais on n'en mesurera la portée que dans quelques semaines... La Chambre se réunira plus en effet avant le 5 juillet 1940, au casino de Vichy, pour commencer à enterrer la Troisième République...
En quittant la Chambre, Paul Reynaud téléphone au PC du général Giraud. Celui-ci l'informe que la situation est un peu meilleure et que Paris ne semble plus immédiatement menacé. Du coup, le Président du Conseil annule la décision d'évacuation des pouvoirs publics pour Tours.
A 17h20, commence au quai d'Orsay une réunion franco-britannique qui durera jusqu'à 19 heures, suivie d'une réception privée au domicile personnel de Paul Reynaud. Churchill tente de nombreuses fois de remonter le moral des dirigeants français. Il finit par leur annoncer qu'il vient de télégraphier à Londres et a ordonné à la Royal Air Force de mettre dix squadrons supplémentaires à la disposition du Haut commandement franco-britannique, donc du général Gamelin. Tant Reynaud que Daladier le remercient très chaleureusement de ce geste très amical pour soutenir l'armée française.
Avant de repartir pour Londres Churchill déclare à Messieurs Reynaud et Daladier cette phrase prophétique : « Si la France venait à succomber, l'Angleterre poursuivrait la lutte avec une aviation de plus en plus puissante et essaierait d'affamer l'Allemagne en brûlant ses forêts et ses récoltes. » A 22heures le Premier Ministre britannique quitte Paris et regagne Londres en avion.
L'auditeur de la radio française entend à 20 heures une déclaration de Paul Reynaud, enregistrée dans l'après-midi : « L'Allemagne s'est décidée à jouer son va-tout. Elle s'est jetée hier sur trois peuples libres.
Aujourd'hui, elle vise la France au cœur.
Sur la charnière de notre front, l'armée allemande fait peser toutes ses forces de destruction.
Hitler veut gagner la guerre en deux mois. Dans ces attaques désespérées, il est condamné et il le sait.
Ce péril, nous l'abordons unis, en France comme en Angleterre. C'est le jour où tout paraîtrait perdu que le monde verrait de quoi la France est capable.
Nos soldats se battent, nos soldats donnent leur vie pour nous. Que l'attitude de chacun de nous soit digne d'eux.
La fermeté d'âme, le mépris des rumeurs alarmistes, voilà le premier de nos devoirs à tous dans les jours qui viennent.
On a fait courir les bruits les plus absurdes. On a dit que le gouvernement voulait quitter Paris : c'est faux !
Le gouvernement est et demeure à Paris.
On a dit que l'ennemi se servait d'armes nouvelles et irrésistibles, alors que nos aviateurs se couvrent de gloire, alors que nos chars lourds surclassent les chars allemands de la même catégorie.
On a dit que l'ennemi était à Reims. On a même dit qu'il était à Meaux.
Il a seulement réussi à faire au sud de la Meuse une large poche que nos vaillantes troupes s'appliquent à colmater.
Nous en avons colmaté d'autres en 1918.
Vous, anciens combattants de la dernière guerre, camarades, vous ne l'avez pas oublié.
Mais, dites-moi. A qui tous ces mensonges profitent-ils ? A Hitler. Est-ce que tous ceux qui les colportent s'en rendent compte ?
Français, il y a exactement mille ans, des hordes germaniques déferlaient sur l'Europe. Depuis, trente générations de Français ont fait la France. La France est forte de ce passé de gloire. Elle n'est pas à la merci de la jactance de l'ennemi.
Dans les pleines du Nord, où s'est effondrée la puissance des barbares depuis Attila, jusqu'à Guillaume II, dix siècles de civilisation française sont aujourd'hui menacés. Nous sommes résolus, pour vaincre, à tous les sacrifices.
Un châtiment terrible frappera ceux qui n'auraient pas compris. Notre courage, notre ardeur, notre foi maintiendront intactes sur le monde les libertés de la civilisation latine et chrétienne.
Vive la France ! »
L'auditeur de la radio française se demande si la fameuse "large poche au sud de la Meuse" évoquée par Paul Reynaud est effectivement en voie de colmatage ?...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le vendredi 17 mai 1940. Le jour où le mot "armistice" est prononcé pour la première fois du côté français.
Il y a aujourd'hui exactement une semaine que l'attaque allemande contre la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas commençait. Déjà deux pays sur quatre (le Luxembourg et les Pays-Bas) ont capitulé, la Belgique n'en mène pas large, et la France commence à pressentir la défaite...
Raison de plus, pour les auditeurs des postes de TSF français, d'être très attentifs, afin de savoir ce qui se passe sur le front, aux termes utilisés dans les deux habituels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'Armée française :
* communiqué n° 513 (17 mai 1940 - matin) : « La bataille a continué hier et au cours de la nuit, entre la Sambre et la région au nord de Rethel, ainsi qu'au sud de Sedan.
Les combats ont été moins violents en Belgique.
Rien à signaler en Lorraine et en Alsace. »
L'auditeur de la radio française est perplexe après avoir entendu ce communiqué très bref, et qui ne donne guère d'indications sérieuses sur l'issue de la bataille.
* communiqué n° 514 (17 mai 1940 - soir) : « L'attaque allemande s'est développée aujourd'hui d'une manière massive, non seulement en Belgique, mais dans la région d'Avesnes et de Vervins. L'ennemi a engagé sur cet ensemble la plus grosse partie de ses divisions de chars lourds. La bataille a pris le caractère de véritable mêlée.
Plus à l'Est, l'ennemi a attaqué sans succès dans la région de Sedan et de Montmédy.
En coordination étroite avec l'aviation britannique, notre aviation a poursuivi son action énergique et efficace contre les troupes au sol, les nœuds de routes et les voies ferrées. Tout en assurant la couverture de nos troupes, notre aviation de chasse a livré de multiples combats aériens. De nombreux avions ennemis ont été abattus. Dans les circonstances actuelles de guerre de mouvement, il est impossible de les dénombrer exactement. »
L'auditeur de la TSF française, en retient que l'offensive allemande s'est encore intensifiée, de plus le communiqué du soir avoue enfin que les troupes allemandes évoluent en au moins deux points du territoire français (la région d'Avesnes-sur-Helpe et de Vervins, et la région de Sedan et de Montmédy). Tout cela n'est guère encourageant pour la suite de la guerre...
Aujourd'hui les troupes allemandes (VIème armée, général von Reichenau) entrent à Bruxelles. La 7ème Panzer, a cette nuit traversé les rue encombrées de Maroilles (la ville au célèbre fromage à l'odeur inoubliable...), et a atteint la Sambre, qu'elle a franchit sans difficulté. Elle s'arrête à 6h15 du matin juste à l'est du Cateau-Cambrésis. Le XIXème Corps blindé de Guderian est au contact des chars français dans la région de Montcornet. En effet, la IVème Division Cuirassée Française (avec à sa tête un certain colonel Charles de Gaulle...) attaque sur l'axe Laon-Montcornet le XIXème Corps blindé de Guderian. Hélas, cette attaque ne parvient pas à ralentir durablement l'avance des blindées de Guderian, que rien ne semble pouvoir arrêter. Et, oh surprise !... c'est Adolf Hitler en personne qui va l'arrêter !... En effet, le Führer s'inquiète d'une possible contre-attaque de l'armée française sur le flanc gauche du Corps blindé de Guderian, et ordonne qu'il stoppe son avance... Guderian est relevé de son commandement, puis finalement rétabli et même autorisé à reprendre sa marche en avant, mais uniquement pour des "reconnaissances de combat". Cet arrêt de la marche en avant a été providentiel pour que certaines troupes franco-britannique puissent s'échapper de justesse du piège qui allait se refermer sur elles !...
Maurice Gamelin annonce à Paul Reynaud qu'il ne garantit la sécurité de Paris que pour aujourd'hui 17 mai et pour le lendemain samedi 18 mai et pour la nuit du 18 au 19, mais pas au-delà... Il lui déclare : « Il convient dès à présent d'envisager l'armistice. »
Dans la soirée de ce vendredi 17 mai, Gamelin, informé que Paul Reynaud veut sa tête, adresse aux troupes françaises un ordre du jour, dont il pressent que se sera sans doute un des derniers : « Le sort de la patrie, celui des Alliés, les destins du monde dépendent de la bataille en cours.
Les soldats anglais, belges, polonais et volontaires étrangers luttent à nos côtés.
L'aviation britannique s'engage à fond comme la nôtre.
Toute troupe qui ne pourrait avancer doit se faire tuer sur place plutôt que d'abandonner la parcelle du sol national qui lui a été confiée.
Comme toujours, aux heures graves de notre histoire, le mot d'ordre aujourd'hui est : vaincre ou mourir. Il vaut vaincre. »
Côté politique, un Conseil des Ministres se tient à l'Élysée sous la présidence d'Albert Lebrun. Paul Reynaud veut fermement se séparer du général Gamelin. Mais il ne réussit pas à obtenir sa tête... Édouard Daladier défend encore le généralissime. En outre, certains ministres objectent que la disgrâce du général risque d'ébranler le moral de l'armée. Toutefois, avant de se séparer Reynaud et Daladier déclarent, pour une fois d'accord, qu'avant de prendre une décision définitive ils veulent recueillir l'avis d'une personnalité militaire incontestée : le Maréchal Pétain, qui doit arriver le lendemain de Madrid.
Paul Reynaud, pour faire reporter scandaleusement sur le seul Alexis Léger la destruction des archives du Quai d'Orsay d'hier après-midi, décide de le limoger et de le remplacer, comme Secrétaire Général du Ministère des Affaires Étrangères par Charles Roux, actuel ambassadeur de France auprès du Vatican.
A Washington, le Président Franklin Delano Roosevelt a dans la soirée un entretien à la Maison Blanche avec Lord Lothian, ambassadeur d'Angleterre. Compte tenu de la tournure dramatique qu'ont pris les événements sur le front français au cours des tous derniers jours, le Président américain lui fait savoir qu'il s'inquiète du sort réservé à la flotte britannique, en cas de défaite de l'Angleterre. Il lui indique qu'il souhaiterait que les navires de la Royal Navy soient mis en sécurité dans des ports américains avant que le gouvernement anglais n'engage des pourparlers avec les Allemands en vue d'une suspension des combats... Rentré à l'ambassade anglaise, Lord Lothian, extrêmement surpris par cette "suggestion", s'empresse de la câbler à Winston Churchill qui s'en trouvera très contrarié...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le samedi 18 mai 1940. Le jour où le Maréchal Pétain entre au gouvernement français comme Vice-Président du Conseil.
En ce samedi, les auditeurs des postes de TSF français tentent, en décortiquant les rares informations diffusées par l'État-Major de l'Armée française, dans ses deux communiqués quotidiens, de savoir ce qui se passe réellement sur le front :
* communiqué n° 515 (18 mai 1940 - matin) : « En France, la bataille continue violemment, dans les régions indiquées par le communiqué d'hier soir.
En Belgique, pour tenir compte de la situation générale, les troupes alliées ont exécuté un mouvement de repli et se sont reportées à l'ouest de Bruxelles.
Au cours de la nuit, notre aviation a attaqué violemment à la bombe les colonnes sur les routes et les points de passage obligés de l'ennemi. »
A l'audition de ce communiqué du matin l'auditeur constate que l'État-Major français reconnaît enfin un recul des armées alliées en Belgique, dont la capitale, Bruxelles, a été abandonnée aux troupes allemandes...
* communiqué n° 516 (18 mai 1940 - soir) : « Les combats ont continué toute la journée avec la même âpreté. Ils se sont déroulés principalement dans la région de Guise et Landrecies où l'ennemi, malgré des pertes considérables, attaque avec des moyens puissants dans la direction de l'ouest.
Sur le reste du front, rien d'important à signaler.
Notre aviation de bombardement a continué de harceler les colonnes motorisées ennemies qui ont beaucoup souffert de son action. De nombreuses reconnaissances ont été effectuées et de nombreux avions ennemis ont été abattus, tant par la D.C.A. que par notre aviation de chasse. »
L'auditeur a surtout retenu, de ce communiqué du soir, les noms de deux communes : Guise et Landrecies. S'il regarde une carte, il constatera que Landrecies (département du Nord) est située à 10 km à l'Ouest d'Avesnes-sur-Helpe, sur la rivière Sambre, et Guise (département de l'Aisne) est située à 25 km à l'Est de Saint-Quentin, tout près de la rivière Oise. Cela lui confirme bien que la guerre tourne à l'avantage des troupes allemandes...
Un des points important de cette journée du 18 mai est que l'armée allemande ose attaquer pour la première fois la fameuse ligne Maginot. Sa cible est l'ouvrage de la Ferté-sur-Chiers (Ardennes), à 12 km au Nord-Ouest de Montmédy, construit entre 1935 et 1938. Ce n'est qu'un petit ouvrage de la ligne Maginot (une garnison d'une centaine d'hommes seulement), mais construit exactement de la même façon que les forts les plus important de la ligne. L'attaque commence dans la matinée du 18 par un bombardement massif des casemates par un obusier spécial de 320, amené par voie ferrée. Ce bombardement massif dure tout l'après-midi. Après chaque série de bombardements, de petits groupes de sapeurs de la Wehrmacht se glissent pour atteindre les abords et le dessus de l'ouvrage. A l'aide de perches, ils placent des explosifs à proximité des embrasures des casemates. Sitôt l'explosion, c'est l'assaut général. Malgré une résistance désespérée, le fort de la Ferté succombera le dimanche 19 mai à 5 heures du matin...
Ce succès de la Wehrmacht, bien que local, n'en inquiète pas moins fortement le Haut Commandement français, qui craint désormais de voir attaqué de la même manière tous les ouvrages de la ligne Maginot. Ce succès local de l'armée allemande ébranle la confiance de l'État -Major de l'Armée française dans l'invulnérabilité de la ligne Maginot...
Le général Maurice Gamelin, envoie aujourd'hui un très long rapport (pas moins de quinze pages !!!...) à Édouard Daladier, Ministre de Défense nationale, sur les opérations qui se sont déroulées depuis le 10 mai. C'est un plaidoyer présentant sa défense, avant sa disgrâce, qu'il sent prochaine... Paul Reynaud, lorsqu'il en prendra connaissance, s'étonnera qu'en pleine bataille le général Gamelin ait passé une partie de son temps à rédiger un document si long !...
Le Maréchal Pétain, arrivé le matin même en train depuis Madrid, se rend en compagnie de Paul Reynaud et d'Édouard Daladier, d'abord à La Ferté-sous-Jouarre pour s'entretenir avec le général Georges, puis au château de Vincennes pour faire de même avec le général Gamelin. A chacun, il demande de lui exposer la situation. Rentré avec les deux ministres à l'Hôtel Matignon, il leur déclare que ces deux généraux sont « troublés au point qu'ils n'ont pas pu m'indiquer l'emplacement de leurs troupes... J'ai dit au général Gamelin : je vous plains de tout cœur. »
Paul Reynaud demande alors au Maréchal Pétain d'entrer dans son gouvernement, avec le rang de "Ministre d'État, vice-Président du Conseil". Le Maréchal Pétain accepte. Paul Reynaud en est très soulagé !... Il informe ensuite le Maréchal que c'est en principe demain matin que le général Weygand arrivera à Paris (il passe la nuit à Tunis), et qu'il va lui proposer de remplacer le général Gamelin.
En début de soirée, Paul Reynaud profite de l'arrivée du Maréchal Pétain dans gouvernement, pour le remédier assez profondément :
* lui-même prend la Défense nationale (jusqu'ici occupée par Édouard Daladier) ;
* Édouard Daladier passe de la Défense nationale aux Affaires Étrangères ;
* Georges Mandel passe des Colonies à l'Intérieur ;
* Louis Rollin passe du Commerce aux Colonies ;
* Henry Roy, jusqu'ici Ministre de l'Intérieur, quitte le gouvernement.
A 20h30, sur tous les postes de la radiodiffusion française, Paul Reynaud s'adresse une nouvelle fois aux Français :
« Je vous ai dit, avant-hier, que l'ennemi avait réussi à faire, au sud de la Meuse, une large poche. Depuis lors, cette poche s'est élargie vers l'ouest. La situation est grave. Elle n'est nullement désespérée. C'est dans des circonstances comme celles-ci que le peuple français montre ce qui est en lui. Les sacrifices des soldats sont ceux vers lesquels se tendent toutes nos pensées. Il y a aussi les souffrances morales et matérielles de leurs familles, des réfugiés, des victimes du bombardement de l'ennemi.
La grandeur de notre peuple est, dans des circonstances comme celles-ci, il oublie ses propres souffrances pour ne plus penser qu'au péril de la patrie.
Ce que le pays attend du gouvernement, ce ne sont pas des paroles, il n'en a que trop entendu depuis quelques années, ce sont des actes qu'il veut !...
Voici les décisions que je viens de prendre :
Le vainqueur de Verdun, celui grâce à qui les assaillants de 1916 n'ont pas passé, celui grâce à qui le moral de l'armée française, en 1917, s'est ressaisi pour la victoire, le Maréchal Pétain, est revenu ce matin de Madrid, où il a rendu tant de services à la France.
Il est désormais à mes côtés comme Ministre d'État, Vice-Président du Conseil, mettant toute sa sagesse et toute sa force au service du pays. Il y restera jusqu'à la victoire.
Dans les circonstances actuelles, il fallait aussi que le chef du gouvernement fût placé au poste le plus exposé, il fallait qu'il prît les responsabilités les plus lourdes. J'ai donc assumé la direction de la défense nationale. Le Président Daladier reprend le portefeuille des Affaires Étrangères. Quant au ministère de l'Intérieur, dont la tâche vient de s'accroître brusquement, Monsieur Georges Mandel, disciple de Clemenceau, le prend en main.
J'ajoute qu'un mouvement diplomatique va paraître qui donnera à la politique extérieure de la France et à sa représentation à l'étranger son maximum d'efficacité.
Toute l'administration de la France doit s'adapter à la guerre. Il faut qu'un esprit de guerre circule dans les bureaux comme ailleurs. Toute faute sera punie sans délai.
Chaque Français, qu'il soit aux armées ou à l'intérieur, doit faire, ce soir, avec moi, le serment solennel de vaincre. »
Après avoir entendu, pour la deuxième fois en trois jours, Paul Reynaud à la radio, l'auditeur se dit deux choses :
* qu'il est très inquiet que le Président du Conseil reconnaisse que la "large poche au Sud de la Meuse" s'est élargie vers l'Ouest ;
* qu'il fait confiance au Maréchal Pétain pour inspirer aux responsables du gouvernement et aux chefs de l'armée française les bonnes décisions à prendre en ces heures très difficiles pour la France...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le dimanche 19 mai 1940. Le jour où le général Maxime Weygand devient le nouveau commandant en chef de l'armée française.
En ce dixième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, les auditeurs des postes de TSF français prennent connaissance, comme d'habitude, mais sans grande illusion sur leur véracité, des deux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 517 (19 mai 1940 - matin) : « La bataille continue dans la même région avec autant d'acharnement.
Notre aviation a continué pendant la nuit les bombardements sur les arrières de l'ennemi. »
L'auditeur se dit que décidément, les nouvelles réelles du front ne doivent pas être excellentes pour que le communiqué de ce dimanche matin soit si bref...
* communiqué n° 518 (19 mai 1940 - soir) : « Les principaux combats ont eu lieu dans la région du nord-est de Saint-Quentin, où nos troupes opposent à l'ennemi une résistance acharnée.
De violentes attaques ont été repoussées par nous dans la région de Montmédy avec de fortes pertes pour l'ennemi.
Grosse activité aérienne. Notre aviation de chasse et notre D.C.A. se sont opposées aux incursions de bombardement ennemies, leur infligeant de très lourdes pertes. En particulier, une expédition ennemie comptant quinze appareils a perdu les deux tiers de son effectif. »
L'auditeur des postes de TSF français s'étonne que les communiqués ne mentionnent plus ce qui se passe en Belgique...
Dans la nuit du 18 au 19, l'État-Major britannique commence à envisager sérieusement un ré-embarquement de ses troupes en Belgique et dans le Nord de la France pour l'Angleterre...
A 7 heures du matin le généralissime Maurice Gamelin (Commandant en chef de l'armée française) quitte en voiture son PC de Vincennes pour aller à la Ferté-sous-Jouarre, siège du PC du général Alphonse Georges (Commandant en chef du front du Nord-Est) pour évoquer avec lui la manœuvre qu'il préconise. Mais, il trouve le général Georges très ému et si déprimé qu'il le juge incapable de tenir la barre dans des circonstances aussi dramatiques. Aussi, ne s'entretient-il qu'avec les généraux Doumenc et Vuilemin. Il rédige ensuite une "instruction personnelle et secrète n°12" adressée au général Vuillemin, commandant en chef des forces aériennes, et au général Georges, commandant en chef du front du nord-est. Cette "instruction" commence curieusement ainsi : « Sans vouloir intervenir dans la conduite de la bataille en cours, qui relève de l'autorité du commandant en chef sur le front nord-est, et approuvant toutes les dispositions qu'il a prises, j'estime qu'actuellement : (...) »
Après l'avoir signée, le général Gamelin adresse une copie de cette "instruction" à Paul Reynaud, à Édouard Daladier et au Maréchal Pétain.
Cette "instruction", qui n'est toutefois pas un "ordre", aura surtout pour conséquence de perturber tout l'État-Major autour du général Georges...
Le général Maxime Weygand arrive à Paris à 10h30. Durant la matinée il se rend au PC du général Georges à la Ferté-sous-Jouarre où il pourra constater lui-même la stupidité du commandement bicéphale de l'armée française...
Le premier Conseil des Ministres du gouvernement Paul Reynaud, remanié, se tient à l'Elysée en fin de matinée, sous la présidence d'Albert Lebrun, Président de la République. Paul Reynaud déclare qu'il va rencontrer cet après-midi le général Weygand à qui il envisage de confier la charge de généralissime de l'armée française, en remplacement du général Gamelin.
Et puis, à l'issue de ce Conseil des Ministres, un événement à peine croyable se produit : le gouvernement au grand complet se rend à la cathédrale Notre-Dame de Paris, où une cérémonie religieuse a été organisée, afin d'y prier Dieu pour qu'il accorde la victoire à la France... Le public, médusé, voit passer ce curieux cortège composé principalement de personnalités connues pour leur militantisme laïc se placer spontanément sous la protection du Sacré-cœur. Il se dit sur le passage du cortège : « Il faut vraiment que les choses aillent mal pour qu'ils en soient arrivés là !... »
A 19h30 Paul Reynaud reçoit, au ministère de la guerre, rue Saint-Dominique, le général Maxime Weygand. Il l'informe qu'il désire qu'il assume désormais la charge de commandant en chef de l'armée française. Après un moment de silence, Weygand répond au Président du Conseil : « J'accepte la lourde charge que vous me demandez de prendre. Je ferai ce que je pourrai, mais je ne garantis pas de réussir. »
Le général Weygand demande à Paul Reynaud que ses pouvoirs de commandement soient étendues par rapport à ceux de ses prédécesseurs, et aussi que la diplomatie française fasse l'impossible pour dissuader l'Italie d'entrer en guerre.
Paul Reynaud serre avec émotion la main de Maxime Weygand, il le remercie « de sa décision courageuse, dont la France saura apprécier toute la valeur » et l'assure que tout sera fait pour empêcher Mussolini de participer au conflit.
Tout de suite après cet entretien, Paul Reynaud file à l'Élysée où il fait signer deux décrets à Albert Lebrun :
* Le premier supprime les fonctions de "Commandant en chef", prévues par la loi du 11 juillet 1939 sur la nation en temps de guerre.
* Le second nomme le général Weygand au poste de chef d'Etat-Major de la Défense nationale et commandant en chef sur l'ensemble des théâtres terrestres, maritimes et aériens.
La stupide "bi-céphalité" du Haut Commandement français est enfin supprimée !... Mais, n'est-il pas déjà beaucoup trop tard ?...
De retour au ministère de la guerre, Paul Reynaud rédige la lettre suivante au général Gamelin, qui la reçoit vers 20h45 : « J'ai l'honneur de porter à votre connaissance deux décrets que vient de signer Monsieur le Président de la République. Je vous adresse les remerciements du gouvernement pour les services que vous avez rendus au pays au cours d'une longue et brillante carrière. »
Le général Maurice Gamelin note que son successeur reçoit sur la Marine et l'Aviation une autorité qu'il n'a jamais pu obtenir... Quant à la dernière phrase de la lettre de Paul Reynaud il la trouve « cruellement ironique ».
Côté militaire, la situation devient dramatique du côté du front français, ainsi le général Giraud, commandant de la IXème armée est fait prisonnier par les Allemands...
Les divisions de Panzer n'ont qu'un seul et même but : rassemblées au nord et au sud de la ligne Cambrai, Péronne et Ham, elles foncent le long du fleuve la Somme pour arriver le plus vite possible à Abbeville afin de couper définitivement tout espoir de retraite à toutes les troupes alliées encore en Belgique ou dans le Nord de la France.
Le premier acte du nouveau commandant en chef, Maxime Weygand, est de suspendre l'exécution de la fameuse "Instruction personnelle et secrète n°12" du général Gamelin. Avant de se lancer dans une opération d'une telle envergure, il veut aller en personne demain, par un autorail spécial, rencontrer en Belgique et dans le Nord le roi des Belges, lord Gort (le chef des troupes britanniques), ainsi que les généraux français Gaston Billotte (chef du 1er groupe d'armées) et Blanchard (commandant de la 1ère armée française).
Maxime Weygand arrivera-t-il à redresser la situation des armées françaises, qui semble à ce moment déjà désespérée ?...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Bonjour à toutes et bonjour à tous,
Voilà, j'ai terminé de poster sur ce fil les dix premières journées de ces "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident".
Avant de continuer, je vous laisse la parole (après tout, un "forum" n'est-il pas un lieu où l'on doit échanger ?... ) pour que vous fassiez part de vos réactions sur ces dix premières journées de l'offensive allemande sur le front de l'Ouest, à partir du vendredi 10 mai 1940.
Roger le Cantalien.
Voilà, j'ai terminé de poster sur ce fil les dix premières journées de ces "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident".
Avant de continuer, je vous laisse la parole (après tout, un "forum" n'est-il pas un lieu où l'on doit échanger ?... ) pour que vous fassiez part de vos réactions sur ces dix premières journées de l'offensive allemande sur le front de l'Ouest, à partir du vendredi 10 mai 1940.
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Merci, c'est très intéressant de pouvoir "revivre" les sensations des Français de 1940!
A noter que c'est à partir du 20 mai 1940 qu'à la radio, les stations d'Etat (le service public, c'est à dire Radio-Paris, le Poste de la Tour Eiffel, etc.) et les radios privées (Radio-Cité, Poste Parisien, etc.) reçoivent l'interdiction d'emettre des émissions de variétés. A partir de cette date, seules les émission d'informations en français et en langues étrangères sont autorisées sur les ondes françaises.
A noter que c'est à partir du 20 mai 1940 qu'à la radio, les stations d'Etat (le service public, c'est à dire Radio-Paris, le Poste de la Tour Eiffel, etc.) et les radios privées (Radio-Cité, Poste Parisien, etc.) reçoivent l'interdiction d'emettre des émissions de variétés. A partir de cette date, seules les émission d'informations en français et en langues étrangères sont autorisées sur les ondes françaises.
david885- Adjudant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Wouaw merci beaucoup Roger pour ton topic; je pensais être bien informé avec ce que je considère comme ma bible (les deux ouvrages de Raymond Cartier), mais je cours acheter ton livre
Quel dommage que l'Armée Francaise fut dirigée ainsi; forte de son histoire militaire bien remplie, elle aurait pu faire bien mieux...
Quel dommage que l'Armée Francaise fut dirigée ainsi; forte de son histoire militaire bien remplie, elle aurait pu faire bien mieux...
Alexarp- Major
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Date d'inscription : 22/03/2009
Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Alexarp a écrit:Wouaw merci beaucoup Roger pour ton topic; je pensais être bien informé avec ce que je considère comme ma bible (les deux ouvrages de Raymond Cartier), mais je cours acheter ton livre
Quel dommage que l'Armée Francaise fut dirigée ainsi; forte de son histoire militaire bien remplie, elle aurait pu faire bien mieux...
Bonjour Alexarp,
J'ai moi aussi commencé, dans ma jeunesse, l'étude de la Seconde guerre mondiale avec l'ouvrage en deux tomes de Raymond Cartier, "La Seconde guerre mondiale". C'est un excellent livre de référence. Il a l'avantage de couvrir entièrement les six années de ce conflit, entre le 1er septembre 1939 et le 2 septembre 1945.
L'ouvrage de Jacques Benoist-Méchain "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident" est limité à la période du 10 mai au 10 juillet 1940. Donc, c'est un ouvrage très spécialisé sur une très courte période, contrairement au livre de Raymond Cartier.
Enfin, je précise que l'ouvrage de Benoist-Méchain ne reproduit pas les communiqués militaires de l'armée française. Je les ai trouvés dans la reproduction numérisée par "Gallica" du quotidien "Le Matin" : voir par exemple http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k586700r.zoom.f1.langFR pour l'exemplaire du lundi 20 mai 1940.
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 20 mai 1940. Le jour où le piège s'est refermé sur les armées alliées du Nord de la France et en Belgique.
En ce onzième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, comme chaque jour les auditeurs des postes de TSF français prennent connaissance des deux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 519 (20 mai 1940 - matin) : « Nos troupes combattent vigoureusement dans la région au nord de Saint-Quentin pour contenir la poussée de l'ennemi. Aux environs de Rethel, des éléments ennemis qui avaient réussir à franchir l'Aisne ont été rejetés au cours de la nuit.
Dans la région de Montmédy, les attaques allemandes se sont renouvelées avec la même intensité. Elles ont été repoussées.
Au cours de la nuit, notre aviation de bombardement a poursuivi avec acharnement son plan de désorganisation du ravitaillement ennemi. »
L'auditeur retient de ce communiqué du matin que l'armée française ne fait que subir la pression de l'armée allemande au Nord de Saint-Quentin. Tout cela reste assez inquiétant...
* communiqué n° 520 (20 mai 1940 - soir) : « La poussée allemande est toujours très vive dans la région au nord et à l'ouest de Saint-Quentin.
De nouvelles attaques ennemies ont été repoussées dans la région de Montmédy.
Rien d'important sur le reste du front.
La grande activité de notre aviation s'est poursuivie au cours de la journée.
De nombreuses reconnaissances ont préparé l'engagement des formations de bombardement sur les éléments cuirassés ennemis. De forts tonnages ont été lancés sur les colonnes retardant leur progression et leur infligeant des pertes sévères. »
L'auditeur retient de ce communiqué du soir l'aveu (certes à demi-mots) que les colonnes blindées allemandes progressent, mais prudemment l'État-Major de l'armée française ne dit pas vers où ?...
Cette journée est en réalité celle où l'armée allemande a quasiment gagné la guerre contre les armées alliées !...
De bon matin, Maxime Weygand, nouveau généralissime de l'armée française se rend au donjon du château de Vincennes où il va y rencontrer son prédécesseur, Maurice Gamelin. Après un entretien entre les deux hommes, Gamelin quitte vers 8 heures, sans avoir adressé la moindre parole à ses collaborateurs, pour toujours l'endroit d'où il a dirigé jusqu'à présent les troupes françaises...
Le général Weygand va passer la plus grande partie de la journée à préparer, avec ses collaborateurs immédiats, le voyage en autorail spécial pour aller voir le front Nord et rencontrer le roi des Belges Léopold III. Il a décidé de le repousser d'une journée (heureusement pour lui !...) et de l'entreprendre seulement demain mardi...
Durant cette journée la coupure entre les armées alliées dans le Nord et en Belgique et celles qui opèrent au Sud de la Somme atteint déjà 90 kilomètres de profondeur !...
A 20 heures, ce lundi 20 mai 1940, les panzers de Guderian atteignent enfin la côte à l'Ouest de Montreuil sur-Mer (Pas-de-Calais). Guderian établit aussitôt trois "secteurs de sécurité", sur le fleuve la Somme pour prévenir toute éventuelle attaque des Français en provenance du Sud. Trois têtes de pont sont également établies sur la rive gauche de la Somme : à Abbeville, à Amiens et à Péronne. A minuit le dispositif allemand est achevé. Les armées alliées du Nord sont prises au piège... Les autres panzers foncent vers Calais et Dunkerque...
Informé de ces excellentes nouvelles dans la soirée, Adolf Hitler laisse enfin éclater sa joie auprès de son entourage !... Il leur déclare : « Les négociations d'armistice s'engageront dans la forêt de Compiègne, comme en 1918, et le wagon historique sera transféré à Berlin !... Le traité devra rendre à l'Allemagne tous les territoires qui lui ont été volés depuis quatre cents ans. Quant à l'Angleterre, elle obtiendra la paix quand elle le voudra, à condition qu'elle nous rende nos anciennes colonies. »
Grisé par sa victoire, Hitler prend alors une décision qui va sauver la ligne Maginot : afin d'éviter des pertes allemandes inutiles il annule l'attaque projetée dans les jours suivants des casemates de la ligne Maginot par le groupe d'armée C de Ritter von Leeb (1ère armée allemande, von Witzleben, et 7ème armée allemande, Dollmann). Les soldats français, retranchés dans les casemates de la ligne Maginot ignoreront qu'ils devront leur tranquillité (jusqu'au 25 juin 1940) à Hitler en personne... L'assaut contre le fort de la Ferté (le 18 mai 1940) restera donc la seule tentative allemande contre la ligne Maginot.
Dans la soirée le général Weygand est informé par un coup de téléphone que toutes les liaisons par route ou par chemin de fer sont désormais impossibles avec le Nord de la France... C'est donc en avion qu'il se rendra là-bas demain...
Winston Churchill, adresse ce 20 mai 1940 au Président américain un télégramme suite à la conversation que celui-ci a eu avec l'ambassadeur britannique le 17 mai, lui suggérant d'envoyer, avant toute négociation avec les Allemands, les bâtiments de la Royal Navy dans des ports américains :
« En ce qui concerne la dernière partie de votre entretien avec Lothian, nous avons l'intention, quoi qu'il arrive, de lutter jusqu'au bout dans cette île et, si nous ne pouvons obtenir les secours que nous demandons, nous espérons que notre supériorité individuelle nous permettra de tenir tête à l'ennemi dans les combats aériens. Les membres de l'actuel gouvernement risqueraient fort de sombrer dans la tourmente, si la lutte tournait à notre désavantage, mais nous n'accepteront jamais de nous rendre, quelles que puissent être les circonstance.
Si les membres de l'actuel gouvernement étaient balayés et que leurs successeurs fussent disposés à engager des pourparlers parmi les ruines, vous ne devez pas perdre de vue que notre seule monnaie d'échange serait la flotte et, au cas où les États-Unis abandonneraient l'Angleterre à son sort, nul n'aurait le droit de blâmer les responsables de l'heure, d'avoir obtenu les meilleures conditions possibles pour les survivants.
Excusez-moi, Monsieur le Président, d'évoquer brutalement ce cauchemar. Il est évident que je ne saurais répondre de mes successeurs qui, au comble du désespoir et de l'impuissance, pourraient bien être contraints de se plier aux exigences de l'Allemagne... »
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 21/5/2009, 23:27, édité 1 fois
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 21 mai 1940. Le jour où il devient évident pour tout le monde que l'Allemagne a gagné la guerre.
En ce douzième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici les deux fameux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 521 (21 mai 1940 - matin) : « Malgré de nombreux engagements, la nuit n'a pas apporté de changements importants à la situation qui reste confuse entre la Somme et la région de Cambrai.
Des attaques ennemies ont été repoussées en divers autres points du front, notamment sur l'Aisne, dans la région de Rethel.
Notre aviation a continué de nuit ses bombardements intenses sur les arrières de l'ennemi. »
* communiqué n° 522 (21 mai 1940 - soir) : « Dans la région au nord de la Somme, l'ennemi continuant sa pression, a réussi à pousser des éléments avancés jusqu'à Amiens et à Arras.
Sur le reste du front, situation sans changement, malgré des efforts locaux de l'ennemi.
Intense activité de notre aviation de renseignement et de nos formations de bombardement qui, avec la collaboration des unités de bombardement en piqué de la marine, ont harcelé sans répit les troupes ennemies au sol.
Le nombre minimum des avions ennemis que l'aviation française et notre D.C.A. ont à elles seules abattus dans nos lignes, pendant la période du 10 au 19 mai, s'établit actuellement à trois cent trois. »
En revanche, les auditeurs français de radio Sottens (Suisse romande) pourront entendre le bulletin victorieux de l'armée allemande d'aujourd'hui : « Dans l'ouest, la plus grande opération offensive de tous les temps obtient, après une série de succès partiels, son premier effet stratégique : nos troupes ont atteint la mer. (...) Les forces allemandes, divisions cuirassées en tête, ont commencé le refoulement, sur les côtes de la Manche, de toutes les forces française, anglaises et belges qui se trouvent au nord de la Somme. »
Le général Weygand s'est envolé ce matin du Bourget à 8h35. Ce n'est qu'à 15 heures, après un voyage des plus mouvementé, qu'il arrive en automobile à Ypres où va se dérouler une importante conférence interalliée. Y assistent : du côté belge le roi Léopold III, les généraux Michiels et Overstraeten ; du côté français : les généraux Weygand, Billotte, Falgade, Champon et l'amiral Jean-Marie Abrial ; du côté anglais : le seul amiral Keyes. Aucun représentant de la RAF ni le chef du Corps expéditionnaire britannique sur le front français... Cette conférence, qui durera jusqu'à 19 heures, n'apportera pas grand chose de concret, car si les Français et les Belges veulent dès que possible lancer une opération afin de tenter de percer le corridor creusé par les Allemands pour s'échapper vers le Sud, les Anglais (sans encore vouloir l'avouer officiellement) ne cherchent qu'à vouloir ré-embarquer à Dunkerque...
Weygand regagne justement Dunkerque où l'attend le torpilleur français "La Flotte" qui le ramène à Cherbourg. L'amiral Jean-Marie Abrial l'accompagne dans cette traversée. Weygand est conquis par son sang-froid et son rayonnement, aussi songe-t-il à lui confier la défense du camp retranché de Dunkerque si les projets de percés des armées alliées encerclées vers le Sud ne se réalisaient pas.
Un nouveau malheur va s'abattre sur l'armée française encerclée dans le Nord : le général Gaston Billotte, Chef du Premier groupe d'armées, en quittant la réunion d'Ypres a un grave accident d'automobile... Le général tombe immédiatement dans le comas et décèdera le 23 mai sans avoir repris connaissance. Pendant un jour et demi les troupes françaises du Nord n'auront plus de chef !...
Paul Reynaud prononce à 15h10 un discours au Sénat. Il commence d'une manière dramatique : « La patrie est en danger. Le premier de mes devoirs est de dire la vérité au Sénat et au pays. »
Il flétrit le général Corap (ancien chef de la IXème armée française) qu'il rend seul responsable du désastre actuel dans le Nord.
Il annonce aux Sénateurs, médusés, que ce matin à huit heures l'État-Major l'a informé qu'Arras et Amiens sont occupés par l'ennemi.
Il termine son discours de façon solennelle : « La France ne peut mourir. Pour moi, si l'on venait me dire un jour que seul un miracle peut sauver la France, ce jour-là je dirais : je crois au miracle, parce que je crois en la France ! »
On trouvera sur le corps d'un officier de l'armée Corap (IXème armée française) qui vient de se suicider, une carte postale adressée à Paul Reynaud : « Je me tue pour vous faire savoir, Monsieur le Président, que tous mes hommes étaient des braves, mais on n'envoie pas des gens se battre avec des fusils contre des chars d'assaut ! »
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mercredi 22 mai 1940. Le jour où Winston Churchill vient à Paris pour renforcer la coopération anglo-française.
En ce treizième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce que peuvent entendre les auditeurs français sur la situation du front en entendant les deux fameux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 523 (22 mai 1940 - matin) : « La pression de l'ennemi a continué de s'exercer dans la direction de la côte, sous la forme de raids exécutés par de petits détachements motorisés.
Arras est actuellement entre nos mains.
En Lorraine, l'ennemi ayant exécuté des tirs sur trois villes à l'arrière de notre front, nous avons riposté sur trois villes à l'arrière du front allemand. ».
L'auditeur français est perplexe : hier Paul Reynaud annonce à la tribune du Sénat qu'Arras est occupé par l'ennemi, et le communiqué de ce matin dit exactement le contraire !...
* communiqué n° 524 (22 mai 1940 - soir) : « Au cours de la journée, les combats ont continué dans le Nord et en Belgique.
Rien d'important à signaler sur le reste du front. »
Le caractère excessivement succinct du communiqué du soir ne fait rien pour remonter le moral de l'auditeur français...
A midi s'ouvre, au château de Vincennes, un Conseil de Guerre interallié. Des témoins diront : « La séance, tenue dans le bureau du général Weygand, est lugubre !... ». Y participent :
* du côté anglais : Winston Churchill ("dont le visage est morne et sérieux"), le général Sir John Dill, le vice-ministre de l'Air Peirse, et le général Ismay ;
* du côté français : Paul Reynaud accompagné du capitaine de Margeride, le général Weygand accompagné de quelques officiers de son État-Major.
A la demande du général Weygand, le colonel Simon commence par faire un exposé de la situation militaire. Le général Weygand expose ensuite la manœuvre qu'il préconise : lancer une opération alliée d'envergure vers la Somme, donc vers le Sud.
Le Premier Ministre britannique approuve le plan de Weygand. Il précise que les forces britanniques encerclées n'ont plus que pour quatre jours de vivres...
La conférence prend fin à 13h15. Ensuite, en privé, Winston Churchill se plaint auprès de Paul Reynaud et du général Weygand de l'attitude du général Billotte qui a laissé le général Gort (chef du corps expéditionnaire britannique) sans instruction pendant quatre journées consécutives !... Reynaud et Weygand informent alors Churchill de l'accident survenu au général Billotte, et de son remplacement par le général Blanchard. Ils assurent le Premier Ministre anglais que désormais le général Blanchard et lord Gort travailleront la main dans la main.
Rentré à Londres à 22h30, Winston Churchill convoque le général Edward Spears à l'Amirauté. Le bref séjour qu'il vient de faire à Paris lui a laissé une impression de malaise, et il pense qu'il serait utile de resserrer les liens entre le gouvernement français et le gouvernement britannique. Il lui déclare : « J'ai décidé de vous envoyer à Paris comme mon représentant personnel auprès de Paul Reynaud. Vous aurez le rang de Major général. La situation est très grave. »
Le général Edward Spears écrira à ce sujet dans ses mémoires :
« Je fus heureux de constater que Winston ne trouvait pas nécessaire de définir exactement ma mission, ni de me dire ce que j'aurais à faire. Cela me donna confiance en moi-même de penser qu'il se fiait suffisamment à moi pour m'envoyer, sans ordre précis, dans ce tourbillon incompréhensible, dans cette situation de cauchemar. »
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le jeudi 23 mai 1940. Le jour où le plan Weygand est rejeté de fait par les Britanniques.
En ce quatorzième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce que les auditeurs français apprennent sur la situation du front en entendant les deux fameux communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 525 (23 mai 1940 - matin) : « Dans le nord la lutte se poursuit avec la plus grande violence. Il est confirmé que nous avons progressé jusqu'aux abords de Cambrai.
Le combat d'artillerie est devenu violent en divers autres points du front, notamment dans les régions d'Attigny, de Longuyon et au nord de la Nied. »
L'auditeur français est dubitatif concernant cette progression jusqu'aux abords de Cambrai...
* communiqué n° 526 (23 mai 1940 - soir) : « De multiples combats ont eu lieu en divers points de la région du nord. Nos éléments avancés ont atteint les faubourgs d'Amiens.
Une attaque ennemie, précédée d'une forte préparation d'artillerie, a échoué au sud de Sedan.
Lutte d'artillerie entre Longuyon et la Moselle.
Intense activité de notre aviation de bombardement, de jour et de nuit.
Au cours de la soirée du 22 mai, notre aviation de chasse a fait battre en retraite quatre groupes de bombardiers ennemis composés chacun d'une vingtaine d'appareils qui s'efforçaient d'attaquer en piqué notre front de bataille. Huit avions ennemis, au moins, ont été abattus au cours de ce combat. Tous nos appareils sont rentrés. »
Tout comme pour le communiqué du matin, l'auditeur français est dubitatif concernant cette progression jusqu'aux faubourgs d'Amiens...
Au matin, le général Weygand donne l'ordre d'avertir tous les chefs de corps de la manœuvre prescrite : « Dans le carré fermé à l'ouest par la mer, au sud par la Somme, au sud-est par les actions convergentes Frère et Blanchard, à l'est par les Belges, le gros des Panzerdivisionen doit trouver sa mort par inanition. L'ennemi s'est placé dans une situation qu'il faut exploiter sans retard. Que tous comprennent la manœuvre et s'y donnent avec initiative, résolution, fermeté inébranlable. »
Ce soir les forces allemandes ont atteint la ligne Béthune-Aire-Saint-Omer.
Les Panzers de Rommel contournent les faubourgs ouest d'Arras et menacent les arrières des troupes anglaises qui y sont engagées. Cela rend Lord Gort extrêmement perplexe. Il constate que sa position s'aggrave d'heure en heure, et qu'il n'a qu'une confiance limitée dans le plan Weygand. Sur les instances de Churchill, il accepte de rencontrer le général Blanchard. Mais, il s'y résigne à contre-cœur et repart déçu de l'entrevue...
Lord Gort dira dans ses mémoires : « Je ne reçus de qui que ce fût, aucun renseignement sur la position exacte de nos forces, ni sur celles de l'ennemi sur l'autre bord de la brèche. Je ne reçus non plus, ni précisions, ni horaires sur les projets d'attaque dans cette région. »
A partir de ce moment, Lord Gort, irrité et déçu, se désintéresse du plan Weygand. Il décide de replier ses troupes au nord d'Arras dans le courant de la nuit. Cette manœuvre porte le coup de grâce aux plans du Commandant en chef français. Elle surprendra d'autant plus le général Blanchard que lord Gort ne juge pas utile de l'en prévenir...
Tard dans la soirée, Paul Reynaud demande à Paul Baudouin (Secrétaire du Comité de guerre) de téléphoner au général Weygand pour l'inviter à faire venir d'urgence en métropole les divisions algériennes et tunisiennes. Paul Baudouin lui fait remarquer qu'il ne faut pas sous-estimer le danger italien possible. « Oui, répond le Président du Conseil, mais il faut tout lancer dans la bataille pour contenir les Allemands. Mon point de vue est très net : je suis d'avis que le général Weygand dégarnisse l'Afrique au profit de la métropole. »
Paul Baudouin communique aussitôt ce désir au Commandant en chef.
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 22/5/2009, 10:23, édité 2 fois
roger15- Commandant
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Date d'inscription : 04/05/2008
Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Merci pour tout ce travail passionant!
A ce moment, le civil français commence sans doute à être très inquiet. En plus de l'arrêt des émissions de variétés à la radio, il peut entendre les radios noires allemandes, qui démoralisent aussi bien les troupes que les civils à l'arrière, par exemple Radio-Stuttgart avec Paul Ferdonnet.
Voici un extrait du Pathé-Journal diffusé dans les salles de cinéma entre le 23 et le 30 mai 1940. On peut voir y voir Weygand. C'est bien entendu de la propagande.
A ce moment, le civil français commence sans doute à être très inquiet. En plus de l'arrêt des émissions de variétés à la radio, il peut entendre les radios noires allemandes, qui démoralisent aussi bien les troupes que les civils à l'arrière, par exemple Radio-Stuttgart avec Paul Ferdonnet.
Voici un extrait du Pathé-Journal diffusé dans les salles de cinéma entre le 23 et le 30 mai 1940. On peut voir y voir Weygand. C'est bien entendu de la propagande.
david885- Adjudant
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Date d'inscription : 23/12/2008
Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Bonjour David 885,
Merci beaucoup pour cette vidéo très intéressante du "Pathé Journal" du 23 mai 1940.
Elle m'a fait penser que j'ai oublié de citer, à la date du mardi 21 mai 1940, un événement important (et qui ne se trouve point dans l'ouvrage de Benoist-Méchain, et pour cause, vu que ce livre a été publié, je le rappelle, en 1957, car on ne l'a retrouvé qu'en 1985 ["Le Figaro" du 30 octobre 1985] grâce aux recherches lancées par Alain Peyrefitte dans la revue "Historia" n° 336 de novembre 1974, qui en donne le détail dans son ouvrage "C'était de Gaulle" aux pages 25 à 29) : le tout premier appel de Charles de Gaulle (alors colonel) à Savigny sur Ardres (département de la Marne, arrondissement de Reims, canton de Ville-en-Tardenois) à la radio-diffusion nationale française dans le cadre de l'émission d'Alex Surchamp "Le quart d'heure du soldat". Voir : http://www.crdp-reims.fr/memoire/LIEUX/2GM_CA/plaques/savigny.htm.
Voici le texte, reconstitué, de ce tout premier appel de Charles de Gaulle le mardi 21 mai 1940 à Savigny-sur-Ardres (Marne) :
« C'est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l'air et sur la terre, l'engin mécanique - avion ou char - est l'élément principal de la force.
L'ennemi a remporté sur nous un avantage initial. Pourquoi ? Uniquement parce qu'il a plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité.
Ses succès lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d'autre chose !
Eh bien ? nos succès de demain et notre victoire - oui ! notre victoire - nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d'attaque. Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France.
Le chef qui vous parle a l'honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement - sans nulle vantardise - que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d'un tel instrument.
C'est cela qu'il nous faut pour vaincre. Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne.
Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne. »
Alain Peyrefitte a interrogé le général de Gaulle, le 22 avril 1963, sur cet appel :
« Avez-vous gardé le souvenir, mon général, d'avoir parlé à la radio, après l'engagement de Montcornet, quand vous étiez encore colonel ?
- Oui, c'était l'Etat-Major qui m'avait envoyé un correspondant de guerre. On voulait faire parler quelqu'un qui puisse remonter le moral des Français. Il n'y avait pas l'embarras du choix. »
Alain Peyrefitte sent qu'il l'agace, il se hâte de changer de sujet.
Le futur académicien déclare ensuite : « Pendant plusieurs années, je n'ai pas osé lui reparler de cet épisode. Il aurait été capable de m'asséner un "Je vous l'ai déjà dit". Beaucoup plus tard, je saisis l'occasion d'une conversation détendue, en avion, pour le relancer. »
« Retour de Cherbourg, en Caravelle, 17 mars 1967.
- Pourquoi parle-t-on toujours de votre appel du 18 juin, et jamais de votre appel de mai, après Montcornet, qui était encore plus prémonitoire ?
- Ce n'était pas un appel, c'était une interview, comme on dit.
- Dans mon souvenir, c'était le même ton, le même thème : "Nous avons reculé devant les chars et les avions, un jour nous l'emporterons avec davantage de chars et d'avions". N'avez-vous pas gardé le texte ?
- Je ne sais pas si on l'a conservé... Ce qui est vrai, c'est que, dans la confusion générale, le devoir m'est apparu, alors, clair comme la lumière du jour. J'ai été submergé par la fureur devant le désastre. Penser que tout ça n'était dû qu'à l'aveuglement de nos gouvernements et de nos grands chefs militaires ! Tandis qu'un peu de clairvoyance nous aurait épargné la défaite - et même la guerre !
Une maigre division blindée, formée à la hâte, sans encadrement et sans entraînement, venait de retourner la débâcle en succès sur un point du front. Oui ! Nous aurions pu gagner la bataille. Nous aurions même évité la guerre, si nous avions disposé de cet instrument au moment de la remilitarisation par Hitler de la rive gauche du Rhin ! C'était trop bête ! C'est à Montcornet que j'ai forgé ma résolution. »
Alain Peyrefitte " C'était de Gaulle" tome I , éditions Fayard 1994, pages 26 et 27.
Roger le Cantalien.
Merci beaucoup pour cette vidéo très intéressante du "Pathé Journal" du 23 mai 1940.
Elle m'a fait penser que j'ai oublié de citer, à la date du mardi 21 mai 1940, un événement important (et qui ne se trouve point dans l'ouvrage de Benoist-Méchain, et pour cause, vu que ce livre a été publié, je le rappelle, en 1957, car on ne l'a retrouvé qu'en 1985 ["Le Figaro" du 30 octobre 1985] grâce aux recherches lancées par Alain Peyrefitte dans la revue "Historia" n° 336 de novembre 1974, qui en donne le détail dans son ouvrage "C'était de Gaulle" aux pages 25 à 29) : le tout premier appel de Charles de Gaulle (alors colonel) à Savigny sur Ardres (département de la Marne, arrondissement de Reims, canton de Ville-en-Tardenois) à la radio-diffusion nationale française dans le cadre de l'émission d'Alex Surchamp "Le quart d'heure du soldat". Voir : http://www.crdp-reims.fr/memoire/LIEUX/2GM_CA/plaques/savigny.htm.
Voici le texte, reconstitué, de ce tout premier appel de Charles de Gaulle le mardi 21 mai 1940 à Savigny-sur-Ardres (Marne) :
« C'est la guerre mécanique qui a commencé le 10 mai. En l'air et sur la terre, l'engin mécanique - avion ou char - est l'élément principal de la force.
L'ennemi a remporté sur nous un avantage initial. Pourquoi ? Uniquement parce qu'il a plus tôt et plus complètement que nous mis à profit cette vérité.
Ses succès lui viennent de ses divisions blindées et de son aviation de bombardement, pas d'autre chose !
Eh bien ? nos succès de demain et notre victoire - oui ! notre victoire - nous viendront un jour de nos divisions cuirassées et de notre aviation d'attaque. Il y a des signes précurseurs de cette victoire mécanique de la France.
Le chef qui vous parle a l'honneur de commander une division cuirassée française. Cette division vient de durement combattre ; eh bien ! on peut dire très simplement, très gravement - sans nulle vantardise - que cette division a dominé le champ de bataille de la première à la dernière heure du combat.
Tous ceux qui y servent, général aussi bien que le plus simple de ses troupiers, ont retiré de cette expérience une confiance absolue dans la puissance d'un tel instrument.
C'est cela qu'il nous faut pour vaincre. Grâce à cela, nous avons déjà vaincu sur un point de la ligne.
Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne. »
Alain Peyrefitte a interrogé le général de Gaulle, le 22 avril 1963, sur cet appel :
« Avez-vous gardé le souvenir, mon général, d'avoir parlé à la radio, après l'engagement de Montcornet, quand vous étiez encore colonel ?
- Oui, c'était l'Etat-Major qui m'avait envoyé un correspondant de guerre. On voulait faire parler quelqu'un qui puisse remonter le moral des Français. Il n'y avait pas l'embarras du choix. »
Alain Peyrefitte sent qu'il l'agace, il se hâte de changer de sujet.
Le futur académicien déclare ensuite : « Pendant plusieurs années, je n'ai pas osé lui reparler de cet épisode. Il aurait été capable de m'asséner un "Je vous l'ai déjà dit". Beaucoup plus tard, je saisis l'occasion d'une conversation détendue, en avion, pour le relancer. »
« Retour de Cherbourg, en Caravelle, 17 mars 1967.
- Pourquoi parle-t-on toujours de votre appel du 18 juin, et jamais de votre appel de mai, après Montcornet, qui était encore plus prémonitoire ?
- Ce n'était pas un appel, c'était une interview, comme on dit.
- Dans mon souvenir, c'était le même ton, le même thème : "Nous avons reculé devant les chars et les avions, un jour nous l'emporterons avec davantage de chars et d'avions". N'avez-vous pas gardé le texte ?
- Je ne sais pas si on l'a conservé... Ce qui est vrai, c'est que, dans la confusion générale, le devoir m'est apparu, alors, clair comme la lumière du jour. J'ai été submergé par la fureur devant le désastre. Penser que tout ça n'était dû qu'à l'aveuglement de nos gouvernements et de nos grands chefs militaires ! Tandis qu'un peu de clairvoyance nous aurait épargné la défaite - et même la guerre !
Une maigre division blindée, formée à la hâte, sans encadrement et sans entraînement, venait de retourner la débâcle en succès sur un point du front. Oui ! Nous aurions pu gagner la bataille. Nous aurions même évité la guerre, si nous avions disposé de cet instrument au moment de la remilitarisation par Hitler de la rive gauche du Rhin ! C'était trop bête ! C'est à Montcornet que j'ai forgé ma résolution. »
Alain Peyrefitte " C'était de Gaulle" tome I , éditions Fayard 1994, pages 26 et 27.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
On pourrait continuer ici sur Mechin? Ensuite je donnerai la version anglaise des évènements à partir de Churchill mais dans un autre fil. Il serait intéressant de comparer dans un troisième fil.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le vendredi 24 mai 1940. Le jour où Adolf Hitler prend une décision capitale qui va lui faire perdre la guerre, qu'il est pourtant sur le point de gagner !...
En ce quinzième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici les deux traditionnels communiqués quotidiens diffusés sur les postes de TSF français par l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 527 (24 mai 1940 - matin) : « Dans la région du Nord, l'ennemi s'efforce d'accentuer sa pression.
Sur la ligne de la Somme, nos troupes occupent solidement les positions conquises.
Au sud de Sedan, l'ennemi a poursuivi ses attaques sans progresser de façon appréciable, malgré les moyens mis en œuvre. »
L'auditeur français se sent un peu plus rassuré : l'ennemi continue certes d'attaquer, mais il ne progresse plus...
* communiqué n° 528 (24 mai 1940 - soir) : « Les violents combats qui se sont déroulés depuis plusieurs jours dans le Nord, notamment dans les régions de Cambrai et d'Arras et qui se sont étendus jusqu'aux régions de Saint-Omer et de Boulogne, n'ont pas permis jusqu'à présent de rétablir la continuité de l'ensemble de notre front.
Au sud de Sedan, l'attaque allemande signalée ce matin a été menée avec des moyens puissants. Notre contre-attaque a été marquée par un succès très net.
Opérations très actives de nos aviations de reconnaissance et de bombardement, qui poursuivent le harcèlement des arrières ennemis.
Notre aviation de chasse, tout en continuant son action de couverture, a attaqué au canon avec succès, des éléments blindés et motorisés ennemis. »
L'auditeur français se sent beaucoup plus inquiet après avoir entendu le communiqué de ce soir : l'État-Major français reconnaît que l'ennemi a étendu son action jusqu'aux régions de Saint-Omer et de Boulogne-sur-Mer... S'il regarde une carte, il comprend très vite l'objectif des Allemands : prendre le plus rapidement possible les ports de Calais et de Dunkerque !...
Au cours de la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 mai 1940 les deux divisions britanniques qui la défendaient évacuent la ville d'Arras. De plus, trois autres divisions britanniques dans la région de Lille replient elles aussi vers les ports de Calais et de Dunkerque.
Le général Weygand écrira dans ses mémoires : « La coupure entre les armées du Nord et celles opérant au sud vers la Somme était auparavant de 30 kilomètres. J'espérais la réduire fortement et même la combler lorsque, par le retrait des Britanniques, cette distance fut portée de 30 à 70 kilomètres. »
De ce fait le plan Weygand devient inexécutable.
De plus, l'Etat-Major anglais donne aux unités britanniques et au matériel lourd l'ordre de se préparer à évacuer le port du Havre. Cela confirme que les responsables de l'armée britanniques s'attendent à la défaite prochaine de l'armée française...
La VIIème armée française, commandée par le général Robert Altmayer attaque violemment les forces allemandes vers le sud, en direction d'Amiens. Hélas, très vite elle s'essoufflera devant la résistance des troupes allemandes...
Histoire de désorganiser un peu plus le moral des Alliés, l'aviation allemande lance des tracts sur l'armée belge lui annonçant : « Le roi a abandonné ses troupes pour s'enfuire à l'étranger. » Léopold III riposte en faisant immédiatement diffuser la proclamation suivante : « Officiers, sous-officiers, soldats ! Quoi qu'il puisse arriver, mon sort sera celui de mes troupes ! Je vous demande de résister avec fermeté, discipline et confiance. »
Mais, ce qui est très important pour cette journée du vendredi 24 mai 1940, c'est le Conseil de Guerre que préside Adolf Hitler à son Grand Quartier Général de Charleville (chef-lieu du département des Ardennes). Le Führer va en effet prendre une décision capitale... qui va lui faire perdre la guerre qu'il est pourtant en train de gagner !..
Ce Conseil de guerre réunit autour d'Adolf Hitler le général Wilhelm Keitel (Chef de l'O.K.W. [Oberkommando der Wehrmacht]), le général Alfred Jodl (Chef des opération), le général Walther von Brauchitsch (Commandant en chef des forces terrestres), le général Karl Rudolph von Rundstedt (Commandant le groupe d'armée A) et plusieurs autres généraux appartenant au Grand État-Major allemand.
Le général Walther von Brauchitsch commence par proposer une attaque de grand style des forces blindées allemandes dans la région Vimy-Saint-Omer-Graveline. Son intention est de presser brutalement sur la poche de Dunkerque, d'isoler de la côte les troupes du Groupe d'armées alliées n°1 qui font retraite vers la mer, et de parachever leur investissement. Le général Wilhelm Keitel ajoute : « La plus grande bataille d'encerclement de l'Histoire doit se terminer par l'anéantissement de toutes les troupes anglaises, françaises et belges qui combattent encore dans les Flandres. »
Tous les généraux présents approuvent le plan Brauchitsch. Cependant, Adolf Hitler va le repousser !... En effet, il représente à ses yeux une perte de temps inutile. Pour lui le sort des forces alliées qui combattent dans les Flandres est déjà scellé. Qu'importe si quelques contingents s'échappent ? Ils n'en devront pas moins abandonner en totalité leurs armes et leur matériel. Ce qui compte, c'est de préparer sans délai les opérations le long de la ligne allant de la Somme à la ligne Maginot, pour ne pas laisser au Haut Commandement français le temps de reprendre haleine. Il ne doit y avoir aucun hiatus entre la bataille des Flandres et la bataille de France.
En conséquence, Hitler prescrit au général von Rundstedt les deux ordres suivants :
* -1°) Ne plus pousser les Panerdivisionen vers le nord-est, mais les regrouper dans la région de Saint-Quentin, en vue de la deuxième phase des opérations, dont le déclenchement est fixé au vendredi 31 mai 1940.
* -2°) Confier à l'infanterie et à l'aviation seules, le soin de terminer la bataille des Flandres.
A l'issue de la conférence, Hitler, au grand étonnement de tous les assistants, se met à parler en termes admiratifs de l'Empire britannique, de l'utilité de son existence et de la valeur de la civilisation introduite par la Grande-Bretagne dans le monde. Il compare l'empire britannique à l'Église catholique, les estimant tous deux des éléments indispensables à la stabilité générale. Le Führer déclare : « Je demanderai seulement à la Grande-Bretagne de reconnaître la position prééminente de l'Allemagne sur le continent. Le retour de nos colonies serait évidemment souhaitable, mais ce n'est pas essentiel. Les colonies ne constituent qu'une question de prestige, puisqu'on ne peut pas les garder pendant une guerre et que, de toute façon, peu d'Allemands supportent le climat des tropiques. Je suis même prêt à offrir à l'Angleterre, si elle se trouve en difficulté où que se soit, le soutien de nos armées. »
Pour terminer Adolf Hitler affirme désirer une paix avec l'Angleterre « sur des bases que celle-ci accepterait comme compatibles avec son honneur. »
L'ordre d'arrêter l'avance des blindés allemands est transmis aux commandants de corps, pour exécution. Cet ordre, inattendu, consterne les généraux. Le colonel Schmundt, aide de camp du Führer chargé de leur transmettre cette décision, déclarera : « Ils ressemblaient à une meute de chiens de chasse, arrêtés en plein élan juste avant la curée et qui voient s'échapper leur proie. »
Le général von Kleist déclarera : « Le XLIème Corps cuirassé de Reinhardt avait déjà atteint la ligne Aire-Saint-Omer, à 30 kilomètres de Dunkerque. Les blindés allemands étaient donc plus près de ce port que le gros des armées anglaises. »
Le XLIème Corps cuirassé allemand (colonel Reinhart) n'est en effet plus qu'à 30 kilomètres de Dunkerque quand il reçoit l'ordre d'arrêter sa progression. Il envoie alors un message de protestation, mais il reçoit très rapidement en réponse un télégramme très sec lui disant : « Les divisions blindées doivent rester à portée moyenne de canon de Dunkerque (13 à 15 kilomètres). Les mouvements de reconnaissance et de protection sont seuls autorisés. »
Reinhart déclarera : « Cet ordre me semblait incohérent. Je décidais de l'ignorer et de traverser le canal d'Hazebrouck. Mes autos blindées entrèrent même à Hazebrouk, coupant les voies de de la retrair britannique. J'appris plus tard que le Commandant en chef anglais, Lord Gort, se trouvait justement à Hazebrouk, à ce moment-là. Je reçus un ordre, plus impératif encore me sommant de me retirer de l'autre côté du canal. Mes chars furent stoppés là pendant trois jours. »
Bien sûr, tout le monde se demande, depuis 69 ans, pourquoi Hitler a-t-il donné un ordre aussi surprenant ?... Deux thèses s'affrontent :
- pour certain il n'a pas voulu, en l'écrasant militairement, créer l'irréparable entre le Reich et l'Angleterre, espérant qu'un arrangement surviendrait entre ces deux pays. C'est volontairement qu'il a laissé échapper le gros du Corps expéditionnaire britannique, afin de faciliter les pourparlers de paix ;
- pour d'autres, il a voulu permettre à la Luftwaffe de son ami Hermann Gœring, d'écraser les forces alliées encerclées dans la poche de Dunkerque. Gœring avait en effet supplié Hitler de ne pas accorder l'honneur de régler le sort de Dunkerque à la seule armée de terre, mais à la Luftwaffe, faisant ainsi de la bataille de Dunkerque une victoire du régime.
A vous de choisir la thèse que vous préférez, pour ma part, je croirais assez qu'Hitler était favorable aux deux...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le samedi 25 mai 1940. Le jour où Paul Reynaud ose enfin prononcer, en "Comité de Guerre", le mot (jusqu'ici tabou) "Armistice".
En ce seizième jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 529 (25 mai 1940 - matin) : « En fin de journée, hier, nous avons consolidé nos positions sur la Somme, et fait, au cours de ces opérations, un certain nombre de prisonniers.
Au cours de la nuit, rien à signaler sur l'ensemble du front. »
L'auditeur français se sent assez rassuré après avoir entendu ce communiqué du matin. Les opérations militaires marquent un répit, mais pour combien de temps ?...
* communiqué n° 530 (25 mai 1940 - soir) : « Au nord, la situation est sans changement important. Nos troupes se battent avec vigueur et une résolution que souligne l'intensité des efforts ennemis et infligent aux Allemands, dans toutes les rencontres, de lourdes pertes.
Entre l'Aisne et la Somme, l'activité est toujours très vive, et nous avons, au cours des dernières journées, dominé l'ennemi. »
L'auditeur français se sent complètement rassuré après avoir entendu ce communiqué du samedi 25 mai 1940 au soir : l'ennemi a été complètement "dominé" lors des combats des dernières journées !...
La réalité est hélas toute autre...
Dans la nuit de vendredi à samedi la Wehrmacht enlève Audenarde et progresse dans les faubourgs de Courtait. Elle se trouve en même temps sur l'Escaut et sur la Lys. La 2ème Panzer constitue à Saint-Omer une tête de pont. La chute de Calais n'est plus qu'une question d'heures...
A 4 heures du matin Hubert Pierlot (Premier Ministre belge), accompagné par trois ministres (Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères, Herman van der Poorten, et du général Denis, ministre de la défense nationale), arrivent en avion au PC du roi Léopold III au château de Wynendaele. Ils l'informent qu'ils partent pour Londres et invitent le roi des Belges à les imiter. Léopold III décline l'invitation et leur déclare : « J'ai décidé de rester. Je dois, quel qu'il soit, partager le sort de mon peuple. C'est en demeurant auprès de lui que je pourrai le mieux le protéger. Je l'ai déjà dit dans une lettre que j'adresse ce jour au roi d'Angleterre. »
A l'instant du départ les quatre ministres demandent au roi combien de temps l'armée belge pourra encore tenir ? Léopold III leur répond : « Tout au plus vingt-quatre heures. » En réalité, l'armée belge ne capitulera que le mardi 28 mai 1940, donc trois jours plus tard.
Le général Weygand fait adresser à 19h35 au général Blanchard le télégramme suivant : « Vous demeurez seul juge des décisions à prendre pour sauver ce qui peut être sauvé, et avant tout l'honneur des drapeaux dont vous êtes le gardien. »
Côté politique, un "Comité de guerre" se réunit à l'Élysée à 19 heures sous la présidence d'Albert Lebrun, Président de la République. Y prennent part :
* Paul Reynaud, Président du Conseil et Ministre de la Défense nationale ;
* le Maréchal Philippe Pétain, vice-Président du Conseil ;
* César Campinchi, Ministre de la Marine ;
* Victor-André Laurent-Eynac, Ministre de l'Air ;
* Louis Rollin, Ministre des Colonies ;
* le général Maxime Weygan, Commandant en chef des armées françaises ;
* François Darlan, Amiral de la Flotte ;
* le général Joseph Vuillemin, chef des forces aériennes françaises ;
* le général Jules Bührer ;
* Paul Baudouin, Sous-secrétaire d’État à la Présidence du conseil, Secrétaire du "Comité de guerre".
Le général Maxime Weygand commence par faire l'historique des opérations militaires depuis le 10 mai 1940, jusqu'à l'encerclement du Groupe d'Armée n°1 dans le Nord et en Belgique..
Le général Weygand examine ensuite la situation sur le reste du front. La ligne tenue par les troupes françaises comprend la ligne Maginot, les fortifications qui suivent jusqu'à Montmédy, l'Aisne, l'Ailette, le canal Crozat et la Somme jusqu'à la mer. Le long de cette ligne, le Haut Commandement français est en train de masser toutes les forces dont il dispose encore, y compris ses ultimes réserves. Il déclare : « Une ligne de défense nouvelle d'environ 280 kilomètres de long est en voie de formation. Pour la tenir quelles sont nos disponibilités ?
Il nous reste actuellement 48 divisions. En y ajoutant sept divisions récupérées parmi les débris de l'Armée Corap, une division prélevée sur l'Armée des Alpes et trois divisions puisées parmi nos forces d'Afrique du Nord, l'armée française disposera en tout s'une soixantaine de divisions.
Devant nous, nous avons 130 à 150 divisions allemandes, dont neuf divisions blindées. Nous somme donc appelés à lutter à un contre trois. D'autre part, nos unités de chars sont réduites des quatre cinquièmes. Nos disponibilités en chasse et en avions de bombardement sont appelées à se réduire rapidement au cours des semaines à venir, puisque, actuellement, la bataille consomme 30 à 40 avions par jour.
Que faire, dans ces conditions ? Chercher une ligne plus courte. Laquelle ? Trois possibilités se présentent :
- 1°) Une ligne qui va de la mer à la Loire, en couvrant Paris. Mais alors il faut abandonner la ligne Maginot et les 150 000 combattants qui l'occupent.
- 2°) Une ligne plus courte englobant la ligne Maginot. Mais, alors, il faut abandonner Paris.
- 3°) Défendre une ligne transversale, constituée par la Basse-Seine, la position de Paris, l'Oise, la Nonette, la Marne, l'Argonne, Verdun, Metz et la ligne Maginot. Après une bataille sur le front actuel Somme-Aisne, l'armée devrait se regrouper derrière cette position, qui a le mérite de couvrir Paris. Mais nous n'aurons pas les réserves voulues pour opérer en bon ordre, sous la pression de l'ennemi, une retraite de la ligne Somme-Aisne, vers la ligne Basse-Seine-Marne. Il n'y a pas de retraite méthodique possible, avec une pareille infériorité numérique.
Ces trois possibilités sont donc à écarter. Il ne lui reste plus qu'une solution, et une seule : tenir sur la position actuelle Somme-Amiens, et nous y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Cette position présente de nombreux points faibles, en particulier le canal Crozat et l'Ailette. Nous pourrons y être crevés. Dans ce cas les fragments constitueront des môles. Chacune des parties de l'armée devra se battre jusqu'à épuisement pour sauver l'honneur du pays. »
Le général Weygand termine son exposé par un violent réquisitoire contre les autorités politiques françaises qui ont déclaré la guerre à l'Allemagne sans se soucier de l'état réel de l'armée française : « La France a commis l'immense erreur d'enter en guerre en n'ayant ni le matériel qu'il fallait, ni la doctrine adéquate. Il est probable qu'elle devra payer cher cette coupable imprudence. Mais on ne doit penser qu'au redressement du pays, et le courage avec lequel il sera défendu sera un élément du redressement futur. »
Un silence pesant succède à ces paroles.
Paul Reynaud est en effet d'avis qu'il va falloir engager les négociations avec les Allemands. Mais à quel moment conviendra-t-il d'entamer les pourparlers ? Avant ou après la chute de Paris ? Avant ou après la destruction de nos armées ? Il déclare alors : « Il n'est pas certain que notre adversaire nous accordera un armistice immédiat. N'est-il pas indispensable d'éviter la capture du gouvernement, si l'ennemi entre à Paris ? »
César Campinchi, Ministre de la Marine, fait alors allusion aux accords franco-anglais du 28 mars 1940 (accords par lesquels La France et le Royaume Uni se sont engagés réciproquement à ne pas signer de paix séparée avec l'ennemi allemand), et demande si ceux-ci ne subordonnent pas la conclusion d'un armistice séparé à l'accord préalable de l'Angleterre ?
Une longue discussion suit cette question.
C'est alors que le Maréchal Pétain, jusqu'ici silencieux, prend la parole : « A mon avis, les engagements conclus entre la France et l'Angleterre, ne seraient applicables à la lettre que s'il y avait réciprocité absolue entre les deux signataires. Or tel n'est pas le cas. Chaque nation a des devoirs vis-à-vis de l'autre dans la proportion de l'aide que l'autre lui a donnée. Or, actuellement, l'Angleterre n'a jeté dans la lutte que dix divisions, alors que 80 divisions françaises se battent sans discontinuer, depuis le premier jour. De plus, la comparaison ne doit pas se limiter aux efforts militaires des deux pays : il faut l'étendre aux souffrances déjà subies, et à celles qui les attendent. »
Pour terminer, le Comité de guerre décide que le Président du Conseil se rendra à Londres dans le plus bref délai pour mettre Monsieur Churchill au courant de la situation tragique où se trouve le gouvernement français. Paul Reynaud demande au général Weygand de lui rédiger une note sur la situation militaire, telle qu'il vient de l'exposer aux membres du Comité de guerre, afin de s'appuyer sur elle au cours des pourparlers avec le gouvernement britannique.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le dimanche 26 mai 1940. Le jour où Mussolini s'impatiente de rentrer enfin dans le conflit.
En ce 17ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 531 (26 mai 1940 - matin) : « L'ennemi a prononcé plusieurs attaques sur le front du Nord. Ces attaques ont échoué.
Les actions locales que nous avons engagées sur le front de la Somme ont tourné à notre avantage, et nous nous sommes emparés de nouveaux points de passage sur la rivière.
Entre l'Aisne et la Meuse, vive activité des deux artilleries.
Une forte attaque ennemie a été repoussée dans la région de Montmédy. »
L'auditeur français se sent de plus en plus rassuré après avoir entendu ce communiqué du matin. Les opérations militaires semblent tourner à l'avantage de l'armée française.
* communiqué n° 532 (26 mai 1940 - soir) : « La lutte est toujours violente sur la Somme, où nous avons accentué notre progression, et sur le front du Nord.
L'ennemi, qui au cours des derniers jours avait accumulé des moyens importants dans la région de Boulogne, est parvenu, après une lutte acharnée qui s'est poursuivie dans les rues, à s'emparer de la ville.
Dans les derniers combats qui ont eu lieu entre l'Aisne et la Meuse, il se confirme, notamment par les dires des prisonniers, que les pertes infligées à l'ennemi par nos tirs d'artillerie et d'armes automatiques sont très élevées. Au cours de l'action, nous avons trouvé des sections entières d'infanterie allemande fauchées sur place.
Nos avions de chasse et notre D.C.A., prenant à partie violemment des formations ennemies venues à l'attaque de quelques uns de nos terrains, les ont dispersées en leur infligeant des pertes élevées. »
L'auditeur français se sent pleinement rassuré après avoir entendu ce communiqué du dimanche 26 mai 1940 au soir : l'armée française accentue sa progression sur la Somme, les pertes allemandes sont considérables, et nous dominons l'aviation ennemie. Seul bémol : la perte du port de Boulogne-sur-Mer...
La réalité est hélas très différente...
Le périmètre du "camp retranché" vers lequel se replient les Français, les Anglais et les Belges, mesure un peu plus de 200 kilomètres.
Les nouvelles du front belge sont de plus en plus mauvaises. La poche faite par les Allemands à Courtrai s'élargit. Le roi Léopold III lance aux Anglais et aux Français des appels à l'aide réitérés. Le général Blanchard en est si alarmé qu'il donne aux unités de la 1ère armée française l'ordre de brûler leurs drapeaux.
Le général Guderian, qui a encerclé Calais la veille, s'apprête à donner l'assaut à la ville. Il somme le général anglais Nicholson, qui commande la place, de se rendre. Le général Nicholson lui fait répondre : « La réponse est non, combattre étant un devoir pour l'armée britannique, comme pour l'armée allemande. » Pourtant, sa résistance ne sera que de courte durée, malgré les efforts acharnés des troupes françaises qui défendent Calais, commandées par les capitaines de frégate Charles de Lambertye (qui meurt d’une crise cardiaque pendant un violent combat près du pont Henri Hénon) et Loïc Petit. A 16h45 le général Nicholson capitule avec 20 000 hommes.
Après la chute de Calais, les trois seuls ports qui restent à la disposition des Alliés sont Gravelines, Dunkerque et Ostende. Guderian s'apprête à foncer sur Dunkerque, lorsqu'il reçoit un nouvel ordre d'arrêt qui confirme celui de l'avant-veille. On lui interdit de franchir le fleuve côtier Aa. Guderian a le souffle coupé en apprenant cette nouvelle. A quoi bon avoir forgé l'armée blindée, si c'est pour ne pas s'en servir au moment décisif ?
Hitler donne dans la journée l'ordre à la Luftwaffe de "liquider la poche de Dunkerque". Cette consigne est immédiatement transmise à la IIème flotte aérienne (général Albert Kesselring) et à la IIIème (général Hugo Sperrle). Ces deux généraux alertent le Maréchal Hermann Gœring lui disant que c'est une opération impossible à réaliser par la seule aviation, mais le Maréchal s'obstine car il s'est engagé auprès d'Hitler à ce que l'aviation allemande liquide seule la poche de Dunkerque...
Côté politique, Paul Reynaud, suite aux délibérations du "Comité de guerre" d'hier, se rend en fin de matinée à Londres, accompagné du colonel Paul de Villelume, et du capitaine Roland de Margerie, son chef de Cabinet. Paul Reynaud déjeune en tête à tête avec Winston Churchill et Lord Halifax (Ministre anglais des Affaires Étrangères). Durant l'après-midi Reynaud informe Churchill que le gouvernement français envisage la possibilité d'un armistice. Churchill s'y oppose fermement !...
Paul Reynaud quitte Londres à 18h15 pour Paris, sans qu'aucune des questions essentielles qui avaient motivé son voyage à Londres n'aient été posées, ni à plus forte raison résolues. Reynaud atterrit à 19h30 au Bourget. Paul Baudouin est venu l'attendre. Il lui demande la réaction de Londres sur la nécessité où nous serons peut-être prochainement d'arrêter la bataille ? Paul Reynaud lui répond qu'il n'a pas pu aborder cette question. Baudouin lui fait alors remarquer que cette omission est regrettable, car plus on attendra pour régler cette question, plus il sera difficile de lui trouver une solution.
A Rome, Benito Mussolini reçoit les Maréchaux Badoglio et Balbo au palais de Venise. Il leur déclare : « J'ai envoyé à Hitler une déclaration écrite pour lui faire savoir que je n'ai pas l'intention de me croiser les bras et qu'à dater du 5 juin je serai en mesure de déclarer la guerre à la France et à l'Angleterre. » Le maréchal Badoglio lui fait remarquer que l'armée italienne n'est pas prête à entrer en campagne. Le Duce lui répond : « Le temps presse. En septembre, il sera trop tard. La France est en train de s'écrouler. Les hostilités seront courtes. A peine quelques milliers de morts, et l'Italie pourra s'asseoir en puissance victorieuse à la table de la conférence de la paix. Il serait insensé de ma part de ne pas saisir l'occasion au vol. »
Dans la nuit, les ministres belges, venant de Londres, arrivent à Paris, où sont déjà installés la plupart de leurs services.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 27 mai 1940. Le jour où la France fait à l'Italie d'importantes propositions de cession de ses territoires d'Outre-Mer pour dissuader Mussolini de rentrer dans le conflit.
En ce 18ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 533 (27 mai 1940 - matin) : « Dans le Nord, l'ennemi poursuit ses attaques, notamment dans la région de Menin. Les troupes françaises et alliées contiennent son avance. Les combats sont d'une extrême violence, les Allemands mettant en jeu, sans égard aux pertes qu'ils subissent, des effectifs nombreux et puissamment armés.
Dans la région de Valenciennes, nous avons au cours de la nuit, replié sur une position prévue, les troupes qui étaient établies sur l'Escaut.
Sur le front de la Somme, de l'Aisne et dans l'Est, pas d'événement important. »
L'auditeur français se sent beaucoup moins rassuré après avoir entendu ce communiqué du lundi 27 mai 1940 au matin. Les soldats allemands poursuivent violemment leurs attaques contre les troupes françaises. Nos troupes ont dû se replier dans la région de Valenciennes... Les opérations militaires tourneraient-elles à l'avantage de l'armée allemande ?...
* communiqué n° 534 (27 mai 1940 - soir) : « Dans le Nord, des attaques allemandes ont été exécutées contre le front de l'armée belge, entre la mer du Nord et la région de Menin, et les troupes britanniques ont attaqué avec succès un ennemi supérieur en nombre dans la région d'Aire-sur-la-Lys.
Sur la Somme, des actions locales ont été brillamment conduites par nos troupes, efficacement appuyées par l'aviation.
A l'est de l'Aisne, l'ennemi a attaqué avec insistance. Le combat d'artillerie et d'infanterie, commencé la nuit dernière, s'est prolongé pendant une grande partie de la journée. Il a coûté cher à l'ennemi et nous avons maintenu nos positions. »
L'auditeur français se sent beaucoup plus rassuré après avoir entendu ce communiqué du lundi 27 mai 1940 au soir : l'armée française contient toujours les troupes allemandes qui ne progressent plus. L'armée allemande a de plus en plus de pertes humaines...
La réalité est hélas beaucoup plus cruelle pour les troupes alliées : cette journée du lundi 27 mai 1940 verra trois événements importants survenir :
-1°) le début du bombardement massif du camp retranché de Dunkerque par l'aviation allemande ;
-2°) la fin de la résistance héroïque de l'armée belge ;
-3°) les énormes portions de territoires français d'Outre-Mer que la France propose à Mussolini pour qu'il s'abstienne de lui déclarer la guerre.
Les unités d'infanterie allemandes progressent dangereusement à l'Ouest d'Hazebrouck et arrivent jusqu'à 7 kilomètres seulement de Dunkerque, au Sud-Ouest de Bergues. Elles sont arrêtées le long du canal de Mardyck par les troupes françaises.
Un bombardement aérien massif commence sur Dunkerque :
30 000 bombes incendiaires transforment cette cité en brasier...
Les troupes britanniques, en évacuant Lille, détruisent son central téléphonique. Cette stupide décision produit l'effet d'un cyclone sur l'ensemble des communications interalliées. Il ne reste plus que deux circuits téléphoniques de disponibles avec Londres, au lieu des quinze ou vingt dont on dispose habituellement. De ce fait, toutes les liaisons sont coupées et le service d'information est réduit à néant.
Depuis la veille, les troupes britanniques affluent à Dunkerque, pour embarquer. Sous le feu des bombes, avec des installations portuaires en partie détruites, les opérations d'évacuation sont très difficiles. Il faut abandonner matériel et armement pour sauver les hommes. Seul, le môle extérieur est praticable. Un moment, il semble que le port va devenir complètement inutilisable.
Arrivée à l'extrême limite de ses possibilités de résistance, l'armée belge va cesser les combats dans la soirée...
A 16 heures, un communiqué officiel du commandement belge déclare : « L'armée belge, a totalement épuisé sa capacité de résistance. Ses unités sont incapables de reprendre le combat demain. Une retraite vers l'Yser ne peut s'envisager. Elle porterait le comble à la congestion des Alliés, déjà mortellement resserrés entre l'Yser, Calais et Cassel. »
A 17 heures le roi des Belges, Léopold III, envoie le général Champon au Quartier Général de la VIème armée allemande. Il en revient à 22 heures avec la réponse suivante : « Le Führer exige que l'armée belge dépose les armes, sans conditions. »
A 23 heures, le roi Léopold III décide de se soumettre et propose la cessation du feu pour le lendemain mardi 28 mai 1940 à 4 heures du matin. A 00h20 un protocole militaire de reddition est signé entre le général von Reichenau pour la Wehrmacht et le général Desrousseaux pour l'armée belge. L'heure de cessation du feu est fixée à 5 heures du matin (heure allemande, soit 4 heures du matin, heure belge).
A Rome le comte Galeazzo Ciano, Ministre italien des Affaires Étrangères a dans l'après-midi un très long entretien avec André François-Poncet, ambassadeur de France. Ce dernier, afin d'éviter que l'Italie rentre dans le conflit en déclarant la guerre à la France, lui fait de très avantageuses promesses de cession de territoires d'Outre-Mer jusqu'ici français. Il commence par lui dire qu'il est hors de question que la France rétrocède la Corse à l'Italie, « car elle fait partie du corps même de la France », mais, qu'en revanche la France peut envisager de céder à l'Italie la Côte française des Somalis (Djibouti), la Tunisie et peut-être même une partie de l'Algérie (le Constantinois). Ciano lui répond qu'il est trop tard... Il lui déclare : « Les Français ont été, comme dit Machiavel, plus avares que prudents ». En clair, Ciano lui fait comprendre que l'Italie entrera bientôt en guerre contre la France !...
A Paris, à 22 heures un Conseil des Ministres se réunit à l'Élysée sous la présidence d'Albert Lebrun, Président de la République.
Dans une atmosphère lourde d'angoisse, le Président du Conseil, Paul Reynaud, annonce la capitulation imminente de l'armée belge et stigmatise, en termes véhéments, « l'attitude inqualifiable du roi Léopold ».
Ensuite, Édouard Daladier, Ministre français des Affaires Etrangères, informe le Conseil des Ministres des moyens qu'il envisage pour tenter de dissuader l'Italie d'entrer dans le conflit :
- cession à l'Italie de la Côte française des Somalis, ainsi que l'exploitation du chemin de fer d'Addis-Abbeba à Djibouti, avec réserve d'un droit, sinon d'une zone de relâche, dans le port de Djibouti ;
- rectification de la frontière franco-libyenne en ce qui concerne tant le tronçon visé par les accords du 7 janvier 1935 que la ligne comprise entre Tummo et Ghadamès ;
- cession territoriale à l'Italie d'une très grande amplitude entre l'hinterland de la Libye et la côte congolaise.
Édouard Daladier ajoute : « Dans le cas où cette dernière concession ne suffirait pas à assurer le succès de la négociation, nous nous résoudrions à y substituer, en échange, la proposition d'une réforme du statut de la Tunisie, en vue d'assurer une collaboration confiante de l'Italie et de la France dans le Protectorat français de la Régence. »
Notons qu'il n'est plus question ce soir de céder à l'Italie le Constantinois... Et qu'il n'a jamais été envisagé de rendre à l'Italie le Comté de Nice et la Savoie, devenus français en 1860.
Avant de terminer pour cette journée, voici le communiqué du Grand Quartier Général britannique, de ce lundi 27 mai 1940, beaucoup plus sympathique envers l'héroïque résistance des troupes du roi des Belges Léopold III que ne l'indiquera demain matin Paul Reynaud à la radio française : « L'ennemi a attaqué aujourd'hui violemment les troupes françaises et belges qui se trouvaient sur les flancs du corps expéditionnaire britannique. L'infanterie britannique a contre-attaqué avec succès en collaboration avec les chars français.
En Belgique, les forces britanniques ont combattu côte à côte avec l'armée belge et ont fait face à des attaques de puissantes forces ennemies. Le front britannique demeure intact. D'importants bombardements des zones arrières ont été exécutés. L'infanterie antiaérienne et les armes automatiques légères ont abattu de nombreux avions ennemis. »
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 25/5/2009, 19:57, édité 2 fois
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Toujours aussi intéressant! Merci beaucoup pour tout ce travail.
david885- Adjudant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 28 mai 1940. Le jour où Paul Reynaud trouve un excellent bouc-émissaire pour expliquer la défaite française : le roi des belges Léopold III, qui devient soudainement pour tous les médias français "le roi félon"...
En ce 19ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 535 (28 mai 1940 - matin) : « La situation militaire s'est aggravée d'une manière imprévue dans le Nord, par suite de la capitulation du roi des Belges dont l'armée était engagée aux côtés des troupes britanniques et françaises.
Celles-ci font face à cette nouvelle situation et continuent à combattre.
Rien d'important à signaler sur le reste du front. »
L'auditeur français sait, après avoir entendu ce communiqué du mardi 28 mai 1940 au matin, à cause de qui la situation va s'aggraver d'une manière imprévue dans le Nord : c'est à cause du "roi félon" Léopold III...
* communiqué n° 536 (28 mai 1940 - soir) : « La décision prise par le roi des Belges a permis à l'ennemi de renforcer sa pression dans le Nord, où les troupes britanniques et françaises combattent toujours avec la même résolution.
Des combats, qui se développent favorablement pour nos troupes, continuent sur la Somme.
Rien d'important à signaler sur le reste du front. »
L'auditeur français se sent un plus rassuré après avoir entendu ce communiqué du mardi 28 mai 1940 au soir : les combats sur la Somme se développent favorablement pour nos troupes, malgré la capitulation du roi des Belges.
La réalité est hélas toujours beaucoup plus cruelle pour les troupes alliées.
Les troupes allemandes occupent sans combattre Ostende. Du coup, les troupes britanniques évacuent la ligne de la Lys pour gagner celle Poperinghe-Ypres. Les troupes allemandes prennent Cassel et ses collines environnantes d'où ils peuvent aisément pilonner les troupes françaises. Le général Blanchard va trouver Lord Gort à son PC de Houtkerque. Il le supplie de surseoir pendant 24 heures au replis de ses troupes, il s'y refuse !... Dès le général Blanchard parti, Lord Gort s'empresse de transférer son PC à La Panne, sur la côte...
Au Sud d'Abbeville, les 100 chars français du général de brigade (il vient d'y être nommé à titre temporaire) Charles de Gaulle vont attaquer vers 18 heures les 28 kilomètres de la tête de pont allemande au Sud de la Somme. A 23 heures la ligne principale de défense allemande est sérieusement entamée...
Côté politique, Paul Reynaud (qui au cours de la nuit a réussi à obtenir du gouvernement belge d'Hubert Pierlot qu'il désavoue son roi...) s'adresse aux Français à 8h30 à la TSF : « Je dois annoncer au peuple français un événement grave. Cet événement s'est produit cette nuit : la France ne peut plus compter sur l'armée belge.
Depuis 4 heures du matin, l'armée française et l'armée britannique combattent seules dans le Nord contre l'ennemi.
(...)
Il y a dix-huit jours, le même roi qui, jusque là avait affecté d'attacher à la parole de l'Allemagne la même valeur qu'à celle des alliés, nous avait adressé un appel au secours. A cet appel, nous avions répondu suivant un plan arrêté depuis décembre dernier par les États-Majors alliés.
Or, voici qu'en pleine bataille, le roi Léopold III de Belgique, sans prévenir le général Blanchard, sans un regard, sans un mot pour les soldats français et anglais qui, à son appel angoissé, étaient venus au secours de son pays, le roi Léopold III de Belgique a mis bas les armes.
C'est un fait sans précédent dans l'histoire.
Le gouvernement belge m'a fait savoir que la décision du roi a été prise contre le sentiment unanime des ministres responsables. Il a ajouté qu'il est décidé à mettre au service de la cause commune toutes les forces de ce pays dont il peut encore disposer, que notamment il veut lever une nouvelle armée et collaborer à l'œuvre d'armement de la France. »
Tous les journaux français vont stigmatiser "le roi félon Léopold" !...
Après le général Corap, rendu responsable de la percée allemande à Sedan, Paul Reynaud a trouvé un deuxième bouc-émissaire pour expliquer pourquoi les troupes franco-britanniques du Nord vont bientôt devoir, soit capituler, soit s'enfuire dans des embarcations, c'est à cause du roi des Belges Léopold III...
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Date d'inscription : 04/05/2008
Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
le mercredi 29 mai 1940. Le jour où commence l'opération d'embarquement de Dunkerque.
En ce 20ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 537 (29 mai 1940 - matin) : « Nos troupes résistent dans le nord avec une admirable vaillance aux efforts acharnés de l'ennemi. Des renseignements certains permettent d'affirmer que les pertes subies par les Allemands au cours des combats d'hier et de cette nuit sont particulièrement élevées.
Sur la Somme et sur l'Aisne, des actions locales ont été conduites avec succès. Un coup de main ennemi a été rejeté au sud-ouest de Château-Porcien. A l'est de l'Aisne, il n'y a pas eu d'activité au cours de la nuit. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du mercredi 29 mai 1940 au matin, est pleinement rassuré : dans le Nord les troupes alliées résistent avec succès et infligent aux Allemands des pertes humaines considérables... Sur la Somme et sur l'Aisne, nous effectuons des actions couronnées de succès !...
* communiqué n° 538 (29 mai 1940 - soir) : « Les troupes françaises et britanniques qui combattent dans le nord de la France soutiennent avec un héroïsme digne de leurs traditions une lutte d'une exceptionnelle intensité.
Depuis quinze jours, elles livrent bataille, séparées du gros de nos armées par des formations allemandes constamment renforcées ; sans cesse attaquées sur leurs deux flancs à l'est et à l'ouest, elles disputent le terrain à l'ennemi, s'accrochant au sol ou contre-attaquant avec autant d'opiniâtreté que de vaillance. »
Pendant qu'elles faisaient face à ces assauts, l'armée alliée, sous le commandement direct du roi Léopold III, défendait les positions de l'Escaut et de la côte au nord-est d'Ostende, a reçu de son roi l'ordre de cesser le feu, ouvrant à l'ennemi la route d'Ypres, de Furnes et de Dunkerque.
Dès lors, nos troupes, sous le commandement des généraux Blanchard et Prioux, et en étroite collaboration avec l'armée britannique du général Gort, ont dû faire face à un danger accru. Montrant dans ces graves circonstances une indomptable résolution, elles s'efforcent de manœuvrer vers la côte au prix des plus durs combats.
La marine française, dans la défense des ports et des voies de communication, leur apporte un puissant appui. Sous l'autorité de l'amiral Abrial, elle s'emploie avec un très grand nombre de bâtiments à ravitailler le camp retranché de dunkerque et les troupes qui en dépendent.
La coopération des aviations terrestre et maritime s'exerce à tout instant.
Sur le front de la Somme, une attaque opiniâtre de nos troupes a permis aujourd'hui de réduire une tête de pont qu'occupait l'ennemi au sud de la rivière. Nous avons fait plusieurs centaines de prisonniers.
Rien d'important à signaler sur le reste du front. »
L'auditeur français se sent très perplexe après avoir entendu ce communiqué du mercredi 29 mai 1940 au soir. D'abord, il est surpris par la longueur, très inhabituelle, de ce communiqué... Ensuite, il constate que, contrairement aux communiqués précédents, celui de ce soir nomme les responsables de l'armée française et de l'armée britannique encerclées dans Dunkerque : les généraux Blanchard et Prioux, le général britannique Gort, l'amiral Abrial... Cette précision soudaine lui semble curieuse... N'est-ce pas pour préparer la nation française à un prochain désastre ?...
La réalité, si elle était connue, paniquerait véritablement l'auditeur français...
Au cours de la matinée, les Allemands entrent à Gravelines et enlèvent le mont des Cats, qui domine toute la plaine flamande. Conformément aux prévisions du général Blanchard, les forces françaises opérant dans la région sont encerclées. La plus grosse parie de la Première armée française, notamment le IVè et le Vè Corps, ne peuvent traverser la Lys et gagner Dunkerque. Le général Prioux, qui commande la Première armée, est resté à son poste de chef durant la retraite, c'est-à-dire à l'arrière-garde, avec le général commandant le IVè Corps. Tous deux sont faits prisonniers, à Steenwerck, sur la Lys, avec leurs États-Majors, par un détachement blindé allemand.
Dans le secteur d'Abbeville, le général de Gaulle a repris l'attaque vers quatre heures du matin. Les chars survivants des 46è et 47è bataillons, réunis en un groupement de marche, franchissent la route nationale Rouen-Abbeville. Ils arrêtent successivement, à partir de 10h30, deux contre-attaques allemandes qui dévalent du mont-Caubert. Le 4e bataillon de chasseurs progresse jusqu'au bois de Villers et à Bienfay, tandis que le 3è cuirassiers et le 1er bataillon du 7è Dragons arrivent aux pentes qui couronnent la Somme. Au soir, les Français ont fait quelques prisonniers allemands. Le communiqué de ce soir indique "plusieurs centaines de prisonniers", en réalité il semble que le chiffre de 250 soit plus près de la vérité. Les troupes allemandes ont beaucoup souffert, mais elles conservent l'essentiel de leurs positions tandis que la IVè Division cuirassée se trouve littéralement à bout de souffle... Cependant, son Chef, le général de Gaulle, va lui demander de faire un nouvel effort le lendemain.
Lord Gort, trouvant que les opérations de rembarquement ne se font pas assez vite, va trouver l'amiral Abrial pour se plaindre de la situation. Visiblement, les deux hommes n'ont pas la même vision de la situation... L'amiral français croyait en effet que seules les formations de l'arrière s'embarqueraient et que les troupes anglaises resteraient pour défendre le camp retranché de Dunkerque jusqu'au bout.
C'est aujourd'hui que commence vraiment l'opération de rembarquement de Dunkerque. 300 bâtiments de guerre ou de commerce français y participent. De nombreux navires seront coulés par les attaques incessantes de la Luftwaffe...
Des bâtiments légers de la Royal Navy et deux contre-torpilleurs français, "L'épervier" et "Le Léopard" (trop gros pour aller à Dunkerque) tentent de couvrir, par leurs puissants canons, les trop nombreuses attaques aériennes allemandes contre les navires d'évacuation.
Mais, la seule chance de sauver l'opération d'évacuation du camp retranché de Dunkerque consisterait à ce que la Royal Air Force y intervienne directement... Lord Gort adresse une demande pressante de secours à la RAF, demande qui est immédiatement accordée !... Et le ciel de la Flandre voit apparaître, pour la première fois, les Spitfires britanniques qui vont neutraliser énormément d'appareils allemands... Toutefois, Lord Gort et l'amiral Abrial, pour une fois sur la même longueur d'onde, vont tomber d'accord sur le fait les opérations d'embarquement ne doivent plus avoir lieu que de nuit, les embarquements de jour étant jugés trop meurtriers...
Au soir du mercredi 29 mai 1940 le périmètre de la tête de pont de Dunkerque s'est beaucoup rétréci : il ne mesure désormais plus que 24 kilomètres de long et 16 kilomètres de profondeur. Il est constamment sous le pilonnage des canons allemands.
Adolf Hitler réunit ce jour tous les commandants en chef de l'aile droite des armées allemandes dans la salle de contrôle de l'aérodrome de Cambrai pour leur faire part de ses intentions pour les jours à venir. Kesserling a noté : « Il parla avec une gravité mesurée, mentionnant ses craintes d'une forte attaque de flanc du gros des forces françaises qui nécessiterait un regroupement rapide de nos unités mécanisées. Son examen de la situation fut sobre. Il nous mit en garde contre un excès d'optimisme et spécifia minutieusement les dates et les lieux. Nous nous séparâmes l'esprit à l'aise, sentant qu'il avait apporté beaucoup de soin à la mise au point des prochaines opérations et qu'il escomptait des difficultés que nous-mêmes, éclairés par nos expériences avec les Français, et par nos propres performances militaires, n'attendions point dans une pareille mesure. »
Le même jour, Hitler fait savoir à Guderian qu'il lui confie le commandement d'un puissant groupe blindé, qui portera son nom, et dont le point de rassemblement immédiat est Signy-le-Petit. Cette localité, située au sud-ouest de Charleville, est à 250 kilomètres du littoral. Avant même que le sort de Dunkerque soit réglé, Hitler prépare déjà la deuxième phase de la bataille : il compte prendre d'abord à revers les débris de nos armées du front nord et couper ensuite de l'arrière les défenseurs de la ligne Maginot, quasi intacte.
Ce même jour, à Rome, Benito Mussolini réunit dans son bureau du palais de Venise les chefs d'État-Major des armées italiennes et leur annonce officiellement sa décision d'entrer en guerre à une date qui reste encore à fixer, à partir du 5 juin.
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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