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Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.

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Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident. - Page 5 Empty Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.

Message  roger15 17/7/2009, 09:03

Le dimanche 7 juillet 1940. Le jour où Pierre-Étienne Flandin tente de neutraliser le projet de Pierre Laval.

A 15 heures le groupe des Sénateurs Anciens Combattants adopte à l'unanimité moins deux voix (une abstention et un vote contre) le contre-projet à celui de Pierre Laval, élaboré par Joseph Paul-Boncour, sénateur du Loir-et-Cher, à la suite de l'entretien qu'il a eu hier, à côté de Jean Taurines, avec le Maréchal Pétain :

«
L'Assemblée Nationale décide :
- 1°) L'application des lois constitutionnelles des 24-25 février et 16 juillet 1875 est suspendue jusqu'à la conclusion de la paix ;
- 2°) Monsieur le Maréchal Pétain a tous pouvoirs pour prendre par décrets ayant force de loi, les mesures nécessaires au maintien de l'ordre, à la vie et au relèvement du pays et à la libération du territoire ;
- 3°) L'Assemblée Nationale confie à Monsieur le Maréchal Pétain la mission de préparer, en collaboration avec les Commissions compétentes, les Constitutions nouvelles, qui seront soumises à l'acceptation de la Nation, dès que les circonstances permettrons une libre consultation.
»

Pierre Laval flaire aussitôt le danger et va s'efforcer d'y parer, en cherchant à isoler le groupe Taurines-Boncour du reste des sénateurs.

A la réunion du Sénat, qui s'ouvre à 15h30, à la salle de la Société Médicale de Vichy, Pierre Laval prononce un discours qui est un chef d'œuvre de souplesse et de savoir-faire. Le 4 juillet il avait annoncé aux sénateurs la suppression pure et simple du régime parlementaire. Cette fois-ci, il leur laisse entendre que le Parlement conservera une partie de ses prérogatives. Rien n'empêchera certains élus de faire partie du nouveau gouvernement. Il ajoute que peut-être le Sénat lui-même sera maintenu en fonction, à défaut de la Chambre des Députés. Enfin, en termes assez voilés pour ne vexer personne, mais suffisamment clairs pour être bien compris de tous, il laisse entendre à ses auditeurs que députés et sénateurs pourront continuer à toucher leurs indemnités parlementaires, même s'ils n'exercent effectivement plus leur mandat.

Joseph Paul-Boncour réagit vigoureusement contre cette manœuvre et déclare aussitôt : « Il ne s'agit pas de cela, mais de savoir si l'on va abdiquer entre les mains d'un homme, quel qu'il soit, le pouvoir constitutionnel qui appartient à la Nation. » Néanmoins, les paroles de Pierre Laval font leur chemin dans les esprits et bien des sénateurs commencent à se demander si les objections de Paul-Boncour sont encore de saison.

Mais, beaucoup plus grave pour Pierre Laval, une offensive anti-Lavalliste se développe à la salle du Petit Casino de Vichy où les députés sont réunis. Cette offensive est menée par un rival très dangereux pour Pierre Laval : l'ancien Président du Conseil Pierre-Étienne Flandin, député de l'Yonne, qui vient d'arriver ce matin même à Vichy. Flandin a quelques atouts face à Laval : d'abord il a un parti, l'Alliance Démocratique, ensuite il n'a pas été mêlé à la déclaration de guerre et personne n'ignore qu'il y a été hostile. Enfin, au lendemain de la conférence de Munich, il a adressé simultanément des télégrammes de félicitations à Chamberlain, à Daladier, à Mussolini et à Hitler. En 1938 la presse l'en a blâmé. A présent, cette initiative est portée à son crédit. Plusieurs fois Président du Conseil, il a participé à plusieurs conférences internationales. On aurait donc tort de croire Laval sur parole lorsqu'il affirme être le seul à pouvoir négocier avec l'Allemagne et l'Italie. Flandin pense pouvoir le faire aussi bien que lui. Mais il faudrait pour cela qu'il soit au pouvoir. Il ne doit donc pas laisser son rival s'y installer à demeure. Or c'est ce qui ne manquera pas d'arriver si son projet est voté.

Lorsque Flandin prend la parole au Petit Casino de Vichy, les députés n'ignorent pas qu'il va tenter de barrer la route à Laval.

Ce qu'il va déclarer en introduction va être une découverte pour la très grande majorité des députés français présents à Vichy : « J'arrive de l'Yonne et viens de passer les dernières semaines au contact des autorités allemandes. Je considère que nous courons un danger mortel. Si le gouvernement n'agit pas sans retard, nous assisterons à une nazification complète de nos populations. Elles manquent de tout, et les Allemands le leur fournissent. Ils se substituent aux autorités françaises qui ont pris la fuite. Il n'existe plus aucun représentant du gouvernement français. Par contre les autorités militaires allemandes multiplient leurs efforts pour assurer le ravitaillement, pour organiser les secours. Cette propagande allemande porte. Les gens qui ont faim suivent ceux qui leur donnent à manger. »

Beaucoup de députés sont stupéfaits d'apprendre ces choses. Ayant quitté la capitale en même temps que le gouvernement (le 10 juin 1940 en soirée), ils n'ont pas assisté à l'arrivée des troupes allemandes. C'est un aspect de la situation auquel ils n'avaient pas songé.

Pierre-Étienne Flandin poursuit : « Tandis que tout est à faire, que fait le gouvernement ? Rien. Ah si, il nous réunit ici, et pourquoi ? Pour nous demander de l'aider dans l'action qu'il entend mener pour organiser la France occupée, pour assurer l'envoi et la répartition des denrées, des secours, pour reprendre le pays en main ? Pas du tout ! Pour modifier ou changer la Constitution. Cela paraît incroyable à ceux qui, comme moi, savent l'urgence du travail à accomplir, parce que, comme moi, ils voient, ils entendent, ils constatent. »

Des applaudissements éclatent. L'opinion de la salle est en train de se retourner. Une voix s'élève pour dire : « Bravo ! Voilà enfin un langage réaliste ! » Beaucoup de députés, qui n'osaient pas l'avouer, sont heureux de voir enfin quelqu'un s'opposer à Laval, et tenter de faire échec à son influence grandissante.

Flandin poursuit : « Changer la Constitution ? Mais pourquoi ? Quel besoin y a t-il de changer des institutions que l'on peut surtout nous faire grief de n'avoir pas respectées ? » Il vise là le fait que la guerre à l'Allemagne a été déclarée sans un vote explicite du Parlement. « En somme que veut le gouvernement, et que voulons nous tous ? Que le Maréchal Pétain soit placé à notre tête, pour négocier avec les Allemands et pour couvrir de son nom et de son prestige, la réorganisation française. Quel besoin y a-t-il, pour cela, de changer la Constitution ? Nous sommes réunis ici, sénateurs et députés. Le Président de la République est également à Vichy. L'Assemblée Nationale est convoquée. Rien de plus simple, dans ces conditions que de demander à Monsieur Lebrun de donner sa démission et de nommer le Maréchal Pétain, Président de la République à sa place. Il suffira ensuite de lui conférer les pleins pouvoirs. Ainsi nous obtiendrons le résultat désiré, tout en respectant la Constitution. »

Des applaudissements nourris saluent cette péroraison. C'est en effet une formule simple et qui donne satisfaction à tous. Comment n'y avait-on pas pensé plus tôt ?

Flandin va donc immédiatement informer Pierre Laval (qui n'était pas présent à cette réunion car il était à ce moment-là en réunion avec les sénateurs) de la décision des députés et lui vanter les avantages de la formule qu'il préconise.

Mais aux yeux de Laval, le projet de Flandin n'offre que des inconvénients. Mais comme il estime qu'il peut avoir besoin de lui, il ne l'affronte pas ouvertement. Il va alors jouer un véritable coup de poker : il déclare à Flandin qu'il est prêt à adopter immédiatement sa façon de voir s'il réussit à convaincre le Président de la République.

Les deux hommes sont persuadés chacun qu'ils vont gagner : Flandin est certain qu'il va convaincre Albert Lebrun de démissionner et par là qu'il va barrer définitivement la route à Laval, Laval est au contraire persuadé que Lebrun ne voudra jamais démissionner. L'un des deux va perdre et l'autre va gagner, mais qui sera le gagnant ?...

Pierre-Etienne Flandin se rend donc, avec Gratien Candace (député de la Guadeloupe) et Jean Mistler (député de l'Aude) au pavillon Sévigné, siège de la Présidence de la République à Vichy. Albert Lebrun les écoute courtoisement mais refuse catégoriquement de démissionner ! La combinaison imaginée par Flandin s'écroule... Laval a gagné son coup de poker !...

A 20h30 Jean Taurines, accompagné de Jean Jacquy (sénateur de la Marne), se rendent chez Laval pour lui présenter le texte des sénateurs anciens combattants. Mais, vis-à-vis d'eux Laval n'a pas la même attitude prévenante qu'avec Flandin. Il leur déclare sèchement : « Je n'accepte pas votre texte ! Je ferai à l'Assemblée Nationale une déclaration, au nom du Maréchal, qui vous donnera satisfaction. Que voulez-vous de
plus ?
»

Ce soir-là, en montant dans la voiture qui le reconduit à son domicile personnel de Châteldon (Puy-de-Dôme), le Vice-Président du Conseil se sent envahi par une immense lassitude. Son opération lui paraît dangereusement compromise. Et il ne lui reste plus que trois jours pour la mener à bien.

Roger le Cantalien. Rolling Eyes


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Message  roger15 17/7/2009, 13:05

Le lundi 8 juillet 1940. Le jour où l'Amirauté britannique lance une troisième attaque contre la flotte française, à Dakar au Sénégal.

L'Amirauté britannique lance à la pointe du jour une troisième attaque contre la flotte française, cette fois-ci contre la base navale de Dakar au Sénégal (Afrique Occidentale Française). Cette attaque fut lancée par le porte-avions Hermes, contre le croiseur français Richelieu. Ce grand cuirassé est assez grièvement atteint pour être, pendant longtemps inapte au combat.

A la suite de cette troisième agression, l'Amirauté française fait paraître le communiqué suivant : « Une unité navale anglaise est arrivée dans les eaux de Dakar et y a présenté un ultimatum indigne, auquel l'amiral commandant les forces de l'Afrique Occidentale Française n'a pas cru utile de répondre. Le port a été aussitôt attaqué et bombardé par les aéroplanes du porte-avions britannique Hermes. Le Richelieu est maintenant incliné sur son flanc gauche, avec la poupe plutôt basse sur l'eau. »

A Londres, le général de Gaulle, qui n'avait plus prononcé d'allocution depuis six jours, sortant de son mutisme, commente enfin les événement du 3 juillet 1940 à Mers-el-Kébir : «
Dans la liquidation momentanée de la flotte française, qui fait suite à la capitulation, un épisode particulièrement cruel a eu lieu le 3 juillet. Je veux parler, on le comprend, de l'affreuse canonnade d'Oran.
Je parlerai nettement, sans détour, car dans un drame où chaque peuple joue sa vie, il faut que les hommes de cœur aient le courage de voir les choses en face et de les dire avec franchise. Je dirai d'abord ceci : il n'est pas un Français qui n'ait appris avec douleur et avec colère que des navires de la flotte française avaient été coulés par nos Alliés. Cette douleur, cette colère, viennent au plus profond de nous-mêmes.
Il n'y a aucune raison de composer avec elles ; quant à moi, je les exprime ouvertement. Aussi, m'adressant aux Anglais, je les invite à nous épargner et à s'épargner eux-mêmes, toute représentation de cette odieuse tragédie comme un succès naval direct. Ce serait injuste et déplacé.
Les navires d'Oran étaient hors d'état de se battre. Ils se trouvaient au mouillage sans aucune possibilité de manœuvre, avec des chefs et des équipages rongés, depuis quinze jours, par les pires épreuves morales. Ils ont laissé aux navires anglais les premières salves qui, chacun le sait, sont décisives sur mer. Leur destruction n'est pas le résultat d'un combat glorieux. Voilà ce qu'un soldat français déclare aux alliés anglais avec d'autant plus de netteté qu'il éprouve, à leur égard, plus d'estime en matière navale.
»


A Vichy, Pierre-Étienne Flandin, voyant qu'il a perdu son bras de fer contre Laval, se rapproche maintenant de lui, au point de se faire le défenseur de son projet devant le Parlement !...

A 11 heures, se tient un premier Conseil des Ministres qui adopte le projet de loi de révision constitutionnelle préparé par Pierre Laval. Ce texte est immédiatement déposé sur le bureau des deux chambres et paraîtra demain matin au Journal Officiel. Comme le désirait le Président de la République Albert Lebrun, toutes les règles constitutionnelles ont été respectées.

Dans l'après-midi Pierre Laval se rend au Petit Casino de Vichy où se tient la dernière "réunion d'information" des députés, avant la séance officielle de la "Chambre des députés" qui aura lieu demain. Ensuite, il fera de même avec les sénateurs réunis dans la salle de la Société des Sciences Médicales de Vichy. Dans les deux cas, Pierre Laval prononce un discours qui ralliera la très grande majorité des parlementaires.

Je crois qu'il est nécessaire de faire un ici un peu de terminologie : en 1940 le "Parlement" était composé de deux chambres, le Sénat et la Chambre des députés. Lorsque les deux chambres étaient réunies (dans deux cas : pour élire le Président de la République ou modifier la constitution) c'était alors "l'Assemblée Nationale" (l'équivalent actuel du "Congrès" sous la Cinquième République).

Comment pouvait être révisée, en 1940, la Constitution ?

La révision constitutionnelle était prévue par l'article 8 de la loi du 25 février 1875 :

«
Les chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, de déclarer qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.
Après que chacune des deux chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision.
Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale.
Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne peut avoir lieu que sur proposition du président de la République.
»

Pour avoir le texte complet des trois lois constitutionnelles de la Troisième République, voir :
http://mjp.univ-perp.fr/france/co1875.htm

Dans l'article 8 de la loi du 25 février 1875 ce qui est important c'est qu'une révision constitutionnelle doit franchir trois votes favorables à la majorité absolue (la moitié des voix des votants, plus une) pour être adoptée :
- 1°) un vote favorable de la Chambre des députés à la majorité absolue ;
- 2°) un vote favorable du Sénat à la majorité absolue, sur le même texte qu'a voté la Chambre des députés ;
- 3°) un vote favorable de l'Assemblée Nationale à la majorité absolue, toujours sur le même texte.

Il suffit donc qu'une seule des deux chambres ne vote pas le texte à la majorité absolue pour que le processus de révision constitutionnelle s'arrête.

Dans la soirée, se tient le deuxième Conseil des Ministres de la journée, et le dernier de la Troisième République.

Dans ses Mémoires, Albert Lebrun écrira à propos de cet ultime Conseil des Ministres du régime finissant : « Chacun a le sentiment de l'inutilité d'un débat, car on sait, par les événements de ces jours passés, que les jeux sont faits. Moi-même, j'éprouve une tristesse profonde à présider ce Conseil, qui sera le dernier. »

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Message  roger15 17/7/2009, 23:27

Le mardi 9 juillet 1940. Le jour où chacune des deux assemblées vote séparément le projet de révision de la Constitution de la Troisième République.


Durant la semaine qui a précédé la réunion des deux Assemblées, et plus particulièrement durant les journées du 8, du 9, et même du 10 juillet, on assiste à Vichy, à une véritable prolifération de manifestes, de tracts, de motions, de résolutions et d'ordres du jour. Chacun veut donner son avis sur la réforme constitutionnelle et préconiser son remède.

Tous ne sont pas d'égale tenue. Il est un texte, cependant, qui mérite l'attention en raison de son contenu et de la qualité de ses signataires. Il est connu sous le nom de "Motion des 27" ou "Motion Vincent Badie". Voici ce texte :
«
Les parlementaires soussignés, après avoir entendu la lecture de l'exposé des motifs du projet concernant les pleins pouvoirs à accorder au Maréchal Pétain,
Tiennent à affirmer solennellement qu'ils n'ignorent rien de tout ce qui est condamnable dans l'état actuel des choses et des raisons qui ont entraîné la défaite de nos armées,
Qu'ils savent la nécessité impérieuse d'opérer d'urgence le redressement moral et économique de notre malheureux pays et de poursuivre les négociations en vue d'une paix durable dans l'honneur.
A cet effet, estiment qu'il est indispensable d'accorder au Maréchal Pétain, qui en ces heures graves incarne si parfaitement les vertus traditionnelles françaises, tous les pouvoirs pour mener à bien cette oeuvre de salut public et de paix.
Mais, se refusant à voter un projet qui aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain,
Les soussignés proclament qu'ils restent plus que jamais attachés aux libertés démocratiques, pour la défense desquelles sont tombés les meilleurs des fils de notre Patrie.
»

Vincent Badie, qui a rédigé ce texte, est un jeune député radical courageux et sympathique. Agé de presque 38 ans (il est né le 16 juillet 1902 à Béziers dans l'Hérault) il a été élu en mai 1936 comme député Radical-Socialiste de l'Hérault. Il revient de la IIIe Armée Française, où il a vaillamment combattu les Allemands depuis le premier jour de l'offensive. Il est arrivé à Vichy la veille au soir, il a été consterné de voir l'esprit qui y règne. D'emblée, sa position est prise : s'il est prêt à accorder les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain "dont le glorieux passé mérite l'estime du pays", pour poursuivre des négociations qui semblent déjà amorcées, il se refuse en revanche "à s'associer à une réforme constitutionnelle qui aboutira inéluctablement à la disparition du régime républicain". Aussi, le groupe de parlementaires qui a signé sa motion le charge-t-il d'en donner lecture et de la défendre devant l'Assemblée Nationale.

L'un des 27 signataire, Philippe Serre, propose de mettre Jules Jeanneney (le Président du Sénat, qui doit présider demain l'Assemblée Nationale) au courant de ce projet. Un groupe de quatre parlementaires (Messieurs Vincent Badie, Philippe Serre, Gaston Manent et Jean Audeguil) se rendent donc à la villa où réside le Président du Sénat. Jules Jeanneney les reçoit avec une parfaite courtoisie. Vincent Badie lui donne lecture du texte qu'il a rédigé. Jules Jeanneney l'écoute en silence, ne fait aucune espèce d'objection et semble même l'approuver. Un des parlementaires présents lui demande s'il consentira à donner la parole à Vincent Badie et si celui-ci peut se faire inscrire comme orateur dans la discussion, pour donner lecture de cette motion ? Jules Jeanneney y acquiesce formellement. Le groupe des quatre parlementaires se retire, fort satisfait de cette démarche.

Comme il n'y a qu'une seule salle à Vichy qui soit suffisamment assez grande pour contenir les parlementaires et le public, celle du Grand Casino, la Chambre des députés il y siègera d'abord ce matin, puis le Sénat cet après-midi.

A 9h30, la première réunion, celle de la Chambre des députés s'ouvre avec le cérémonial d'usage. Auprès du portillon d'entrée, des fonctionnaires de l'Assemblée vérifient les cartes. Dans la salle de théâtre, où doivent se dérouler les séances, on a tenté de reconstituer le décor du Palais-Bourbon. Sur la scène, une large table surélevée et recouverte d'un tapis vert fait office de tribune. Derrière elle, près de la toile de fond, le personnel administratif. De chaque côté de la scène, des escaliers permettent aux orateurs de franchir la rampe sans encombre, pour passer de la salle sur le plateau.

A l'heure dite, le Président Edouard Herriot apparaît dans le hall qu'il traverse selon le rite habituel. Les gardes lui présentent les armes. Les 398 députés rentrent en séance. Le Président et les secrétaires s'installent sur la scène, tandis que le public envahit les loges et les balcons. On dirait une session ordinaire de rentrée du Parlement.

Édouard Herriot ouvre la séance en saluant la mémoire de trois députés, décédés depuis la dernière séance (le 16 mai 1940), qui sont tombés au champ d'honneur. Ensuite, le Président annonce qu'il est saisi d'une proposition du gouvernement tendant à réviser les lois constitutionnelles. Il déclare : « Conformément au règlement, le projet de résolution doit être renvoyé à la Commission du suffrage universel. En conséquence, la séance va être interrompue pendant une heure. »
- Non, non, toute de suite ! s'exclament plusieurs députés parmi lesquels on distingue les voix de Jean Montigny, de Xavier Vallat et de Jean-Louis Tixier-Vignancourt.
Jean Mistler, rapporteur de la dite Commission, se lève au quatrième rang de l'orchestre et crie lui aussi : « Assez de votre règlement ! Ce temps-là est passé !... Aux voix, aux voix... Nous sommes tous d'accord !... » Le public des balcons le soutient par ses applaudissements. Mais, Édouard Herriot demeure catégorique !... Le règlement sera respecté !... Et il suspend la séance...
Au retour, Jean Mistler déclare que les vingt-trois membres présents ont donné à l'unanimité un avis favorable au projet de révision constitutionnelle.

Pierre Laval intervient alors pour remercier la Commission de sa décision unanime. Il ajoute : « J'espère que la même unanimité des députés se réalisera encore dans l'intérêt de la Nation. Aujourd'hui nous délibérons sur la forme. Je demande que la discussion sur le fond soit renvoyée à demain. Je propose qu'avant de procéder au vote définitif, le Sénat et la Chambre réunis siègent en séance secrète, groupant tous les parlementaires, afin que chacun puisse donner son opinion, à cœur ouvert, sans souci des indiscrétions de la presse, ni des répercussions sur la puissance occupante. » Cette proposition est adoptée à mains levées.

Après une ultime déclaration d'Édouard Herriot, le projet de résolution est alors mis au voix par scrutin public. Les résultats sont les suivants :
* Pour : 395 voix ;
* Contre : 3 voix.

Oui, vous avez bien lu : seuls trois députés sur les 398 qui ont pris part au vote ont osé dire "NON" aux pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Ces trois députés sont :
* Jean Biondi (socialiste), député-maire de Creil (Oise) ;
* Alfred Margaine (radical), député de la Marne (Sainte-Menehould) ;
* Léon Roche (socialiste), député de la Haute-Vienne (Oradour-sur-Vayres).

On évoque trop souvent des "quatre-vingts" du 10 juillet 1940, mais il est très injuste d'oublier les "quatre" (car nous verrons que cet après-midi il y a aussi un sénateur qui a voté contre) du 9 juillet 1940...

A 16 heures c'est au tour du Sénat de se réunir sous la présidence de Jules Jeanneney. La procédure, quoi que "plus solennelle" est la même que celle du matin.

Le rapporteur de la "Commission de la Législation", Jean Boivin-Champeaux (sénateur du Calvados - Lisieux) déclara : « Ce n'est pas sans tristesse que nous dirons adieu à la Constitution de 1875. Elle a fait de la France un pays libre, un pays où l'on respirait à l'aise, où l'on se sentait à la fois fort et dispos. Elle meurt moins de ses imperfections que de la faute des hommes qui avaient été chargés d'en assurer la marche et le fonctionnement. On peut se demander même si la Constitution de 1875 ne meurt pas de n'avoir pas été plus strictement appliquée. »

Il ajouta : « Votre Commission de la Législation vous demande encore un geste : celui d'adopter le texte proposé. Ce ne sera pas payer trop cher la sauvegarde et le relèvement de la Patrie. »

Pierre Laval remercie la Commission de la Législation au nom du gouvernement. Après quoi il informe les sénateurs que la Chambre des députés a accepté de se réunir demain matin en séance secrète, pour la discussion sur le fond et demande au Sénat d'accepter de son côté cette procédure. Cette demande est agréée.

Jules Jeanneney prononce ensuite une courte déclaration, puis on passe au vote, également par scrutin public. Les résultats sont les suivants :
* Pour : 229 voix ;
* Contre : 1 voix.

Seul, parmi les 230 sénateurs qui ont pris part au vote, le Marquis Pierre de Chambrun (sénateur de la Lozère) a osé dire "NON" aux pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

En conséquence, le projet de résolution est adopté par le Sénat.

Tous les parlementaires, sauf quatre, sont d'accords pour réviser la Constitution. Ces majorités impressionnantes étonnent ceux-là même qui faisaient, à ce sujet, les pronostics les plus optimistes. Soutiendra-t-on que députés et sénateurs ignoraient dans quel sens se ferait la révision demandée ?

Albert Lebrun écrira dans ses mémoires : « Ce fut le 9 juillet que les deux chambres, à l'unanimité moins trois voix pour les députés et une voix pour les sénateurs, décidèrent de réviser la Constitution. J'avoue que ce fut pour moi une petite surprise. Cette révision, on savait en quoi elle consisterait. C'est donc ce jour-là que les membres des assemblées qui lui étaient hostiles auraient dû voter : Non. »

Jacques Benoist-Méchin termine cette journée du mardi 9 juillet 1940 en écrivant : «
Mais s'il a été convenu de réviser la Constitution, les Assemblées n'ont pas encore décidé comment et par quoi elle doit être remplacée. Cette discussion "sur le fond" a été réservée pour le lendemain.
C'est donc à la séance de l'Assemblée Nationale, que va se jouer la partie. Celle-ci peut encore ménager bien des surprises.
Et Laval le sait bien.
»

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Message  roger15 18/7/2009, 23:03

Le mercredi 10 juillet 1940. Le jour où l'Assemblée Nationale enterre la constitution de la Troisième République.

Cette journée du mercredi 10 juillet 1940 marque l'aboutissement de la période commencée le vendredi 10 mai 1940 avec la fin de la "drôle de guerre" pour passer à la "guerre" tout court et très vite à la "défaite" des armées françaises et britanniques, et enfin aux deux armistices de fin juin 1940 avec l'Allemagne puis l'Italie.

Cette journée verra le triomphe incontestable de Pierre Laval !... Triomphe qui lui sera fatal dans cinq mois (très précisément le vendredi 13 décembre 1940), où ses adversaires, de plus en plus nombreux, Pierre-Étienne Flandin le premier, réussiront à obtenir sa tête !...

Cette journée du mercredi 10 juillet 1940 est si capitale dans l'histoire de France qu'il faudrait plusieurs dizaine de pages de ce forum pour la raconter exhaustivement... Je vais seulement m'efforcer de vous en décrire les points qui sont, selon moi, les plus importants.

L'Assemblée Nationale doit se réunir à 10 heures 30 du matin au grand Casino de Vichy, sous la présidence de Jean Valadier, sénateur d'Eure-et-Loir, vice-président du Sénat, pour une séance "secrète". Mais, avant cette heure là, Pierre Laval va essayer de neutraliser ses deux adversaires qu'il juge les plus dangereux, afin de les empêcher de s'exprimer à la tribune : le sénateur de la Loire Jean Taurine et surtout le jeune député de la l'Hérault Vincent Badie !...

Pierre Laval commence par utiliser l'arme de la séduction envers eux deux : il va trouver Jean Taurines en personne et lui fait savoir qu'il serait disposé à accepter la partie du texte des sénateurs anciens combattants (entendez par là, ceux de la guerre 1914-1918) relative à la ratification par la Nation, de la nouvelle Constitution. Laval espère ainsi qu'il renoncera à s'exprimer à la tribune de l'Assemblée Nationale...

Envers Vincent Badie, un tout jeune "ancien combattant" (mais de la campagne mai-juin 1940), il charge le ministre de l'Intérieur, Adrien Marquet (le maire de Bordeaux) de le neutraliser en lui faisant une proposition alléchante. Adrien Marquet va le trouver et le flatte en lui disant : « Vous êtes un garçon plein de qualités, avec lequel j'ai toujours entretenu d'excellentes relations. J'aurais peut-être besoin de vous. Je vais avoir à désigner des préfets régionaux. Vous seriez certes qualifié pour un tel poste. Réfléchissez donc bien avant de vous lancer dans une opération dont l'échec est certain... »

Hélas pour Laval, tant Jean Taurines que Vincent Badie confirment leur intention de s'exprimer publiquement à la tribune de l'Assemblée Nationale. Aussi, va t-il lui même s'occuper du cas de Jean Taurines lors de la séance secrète du matin, et va charger certains de ses amis de surveiller très étroitement le jeune Vincent Badie et l'empêcher, par la contrainte physique, d'arriver à monter à la tribune !... Il charge expressément pour cela Fernand Bouisson, député de Marseille et ancien président de la chambre des députés... Le pauvre Vincent Badie, trop confiant envers ses collègues députés, ne se doutera pas une seconde qu'il sera étroitement surveillé et qu'on osera l'empêcher physiquement de s'exprimer !...

A propos de Vincent Badie, je vous conseille vivement de lire l'article suivant, sur le site Internet de l'Assemblée Nationale :

[url=http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/badie-vincent-henri-16071902.asp] ; article dont j'extrais le passage suivant :
«
Vincent Badie est né en 1902 à Béziers. Sa famille paternelle est originaire des Pyrénées-Orientales et sa famille maternelle de l'Alsace. Il entre comme boursier national au lycée de Montpellier où il fait ses études secondaires, après quoi il s'inscrit à la faculté de droit, où il passe sa licence et son doctorat avec un diplôme d'études pénales. Il est lauréat du prix Verrières de l'ordre des avocats à la Cour d'appel de Montpellier. En 1923, il devient avocat au barreau de cette ville.
Mais dès l'âge de 18 ans, Vincent Badie s'est inscrit au Parti radical-socialiste dont il devient un militant actif. Il mène de front une carrière d'avocat et d'homme politique. En 1927, il publie un ouvrage sur le Procès des "Fleurs du Mal". En 1931, il consacre une étude à Alexandre Millerand, socialiste réformiste : son œuvre sociale. La même année, il conquiert son premier mandat électif en devenant conseiller général du 3e canton de Montpellier. Il est élu député aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936 dans l'arrondissement de Lodève, au deuxième tour de scrutin. En 1937, il est élu maire de Paulhan, et en 1938, retrouve un siège de conseiller général dans le canton de Gignac.
A la Chambre des députés, Vincent Badie montre son intérêt pour les questions coloniales. En 1939, il effectue un voyage en Afrique du Nord. En 1940, dans plusieurs interventions, il manifeste sa volonté de voir la guerre conduite avec énergie ; après le pacte germano-soviétique, il approuve les mesures de déchéance proposées contre les élus communistes. En juillet, à Vichy, Vincent Badie, sans s'opposer au principe d'une révision des lois constitutionnelles de 1875, refuse une délégation au maréchal Pétain qui ruinerait le régime républicain. Le 8 juillet, il dépose en ce sens une motion que vingt-sept parlementaires cosignent. Le 10, il est parmi les quatre-vingts opposants au vote de la loi portant délégation du pouvoir constituant au maréchal Pétain.
Le gouvernement de Vichy le suspend de ses fonctions de maire. Il se consacre de nouveau à ses études juridiques et publie en 1942 "La hausse illicite". Mais ses activités dans la Résistance lui valent d'être arrêté par la Gestapo le 25 novembre 1943, d'être déporté à Dachau où il reste jusqu'au 30 avril 1945. Chevalier de la Légion d'honneur à son retour, il est décoré de la Croix de guerre avec palme, le 7 octobre 1947. Il est également titulaire de la médaille de la Résistance, de la médaille des Déportés et Résistants. Membre du Comité français des internés de Dachau, il est appelé à siéger, au titre des "prisonniers et des déportés", à l'Assemblée consultative provisoire.
Aux élections du 21 octobre 1945 à l'Assemblée nationale Constituante, Vincent Badie se représente dans l'Hérault à la tête d'une liste radicale-socialiste. Il est élu à la plus forte moyenne, sa liste obtenant 30 761 suffrages sur 208 516 exprimés. Il en va de même le 2 juin 1946, avec une liste du Rassemblement des gauches républicaines qui regroupe 36 130 voix sur 219 990 suffrages exprimés.
»

A 10h30, sous un soleil éclatant, députés et sénateurs se réunissent au Grand Casino de Vichy, où les deux chambres réunies doivent tenir une réunion secrète, c'est-à-dire hors la présence de la presse et du public. La salle et les loges ont été passées au peigne fin par le personnel administratif des deux assemblées pour vérifier qu'elles sont effectivement vides.

Dehors, un cordon d'agents de police contient la foule venue voir passer les notabilités dont le nom a défrayé la chronique de ces dernières années. On voit successivement arriver Léon Blum, Paul Reynaud, Pierre-Étienne Flandin, Louis Marin, Joseph Paul-Boncour, Édouard Herriot, Jules Jeanneney et bien d'autres. Le public espère voir passer également le Maréchal Pétain et le Président de la République Albert Lebrun, mais les deux plus hauts personnages de l'État n'assisteront pas à la séance...

Pierre Laval a tenu à ce que cette séance du matin soit "secrète" afin de déblayer le terrain et de permettre à l'opposition de formuler ses critiques. Il souhaiterait que la séance de l'après-midi, publique celle-là, ne soit plus qu'une grande manifestation d'unanimité nationale autour du texte conférant les pouvoirs constituants au Maréchal Pétain. Soucieux cependant de la postérité, il a décidé que les débats seront sténographiés et leur texte sera déposé aux Archives Nationales.

La séance secrète du matin est présidée par Jean Valadier, sénateur d'Eure-et-Loir, vice-président du Sénat. Le nombre de parlementaires présents dépasse de beaucoup ce que l'on pouvait espérer. Malgré les difficultés du trajet à travers la zone occupée, malgré l'obligation d'obtenir des laissez-passer pour franchir la ligne de démarcation, ils sont 666 à être présents.

Laval sait que quatre interventions sont prévues : celle de Jean Taurines au nom des sénateurs anciens combattants qui tiennent, envers et contre tous, à présenter leur texte ; celle de Vincent Badie qui entend défendre la "motion des 27" ; celle de Pierre-Étienne Flandin, dont nul ne sait encore ce qu'elle contiendra ; enfin une déclaration de Jean Bergery, député radical-socialiste de Mantes (Seine-et-Oise) qui tient à lire une motion signée par 17 parlementaires et à laquelle 51 autres ont donné leur adhésion, cette motion vise à donner un contenu doctrinaire contre Laval.

Jean Valadier ouvre la séance et donne lecture du projet de révision constitutionnelle du gouvernement :

«
L'Assemblée Nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous la signature et l'autorité du Maréchal Pétain, Président du Conseil, à l'effet de promulguer, par un ou plusieurs actes, la nouvelle Constitution de l'Etat français.
Cette Constitution sera ratifiée par les Assemblées qu'elle aura
créées.
»

Tout de suite après, Jean Taurines se lève et dépose sur le bureau le texte d'un contre-projet des sénateurs anciens combattants, ainsi conçu :

«
L'Assemblée Nationale décide :
Article unique :
- 1°) L'application des lois constitutionnelles des 24, 25 février et 16 juillet 1875 est suspendue jusqu'à la conclusion de la paix.
- 2°) Monsieur le Maréchal Pétain a tous pouvoirs pour prendre par décrets ayant force de lois, les mesures nécessaires au maintien de l'ordre, à la vie et au relèvement du pays et à la libération du territoire.
- 3°) L'Assemblée Nationale confie à Monsieur le Maréchal Pétain la mission de préparer, en collaboration avec les commissions compétentes, les constitutions nouvelles qui seront soumises à l'acceptation de la nation dès que les circonstances permettront une libre consultation.
»

Pierre Laval, qui sent le danger de ce contre-projet, déclare alors immédiatement : « Par déférence envers les Anciens Combattants du Sénat, j'accepte de modifier le projet gouvernemental. La version actuelle stipule que "la Constitution sera ratifiée par les Assemblées qu'elle aura créées". Je propose de substituer à cette phrase la formule suivante : "la Constitution sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées". Voilà qui doit vous donner entière satisfaction. »

Si le sénateur de la Seine-et-Oise Maurice Dormann, grand mutilé de la guerre 1914-1918, remercie Pierre Laval "de cette preuve de bonne volonté", Jean Taurines insiste pour que l'Assemblée Nationale vote sur son contre-projet « qui a reçu l'approbation du Maréchal Pétain au cours d'une entrevue où il nous a lui-même déclaré qu'il ne voulait être "ni un dictateur, ni un César" ».

Nous voilà tout d'un coup au cœur du débat. Va-t-on opposer un "projet du Maréchal", favorable au maintien de la République, à un "projet Laval" qui tend à l'abolir ? Si Laval laisse la discussion s'engager sur ce terrain, il risque d'être battu. Sentant grandir cette menace, il décide d'y parer sur le champ.

A suivre...

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Message  roger15 19/7/2009, 11:53

Le mercredi 10 juillet 1940. Le jour où l'Assemblée Nationale enterre la constitution de la Troisième République.
(Suite)


Nous voilà tout d'un coup au cœur du débat. Va-t-on opposer un "projet du Maréchal", favorable au maintien de la République, à un "projet Laval" qui tend à l'abolir ? Si Laval laisse la discussion s'engager sur ce terrain, il risque d'être battu. Sentant grandir cette menace, il décide d'y parer sur le champ.

Pierre Laval surprend tout le monde par la remarque qu'il fait alors préalablement sur le ton de la plus parfaite bonhomie : « Je vais rester assis. Le débat prendra ainsi un caractère plus familier. » Puis, il assène le coup de grâce au contre-projet défendu par Jean Taurines au nom des sénateurs anciens combattants en déclarant : « J'ai répondu tout à l'heure à vos objections, en vous faisant connaître le texte qu'acceptait le Maréchal. Pour éviter tout malentendu, je veux placer ces observations sous le signe du Maréchal lui-même, en vous lisant la lettre qu'il m'a remise le 7 juillet dernier. » Pierre Laval sort alors de sa poche un papier qu'il lit d'un ton détaché, presque indifférent :
«
Monsieur le Président,
Le projet d'ordre constitutionnel déposé par le gouvernement que je préside viendra en discussion le mardi 9 et le mercredi 10 juillet devant les assemblées.
Comme il m'est difficile de participer aux séances, je vous demande de m'y représenter.
Le vote du projet que le gouvernement soumet à l'Assemblée Nationale me paraît nécessaire pour assurer le salut de notre pays.
Veuillez agréer, mon cher Président, l'expression de mes sentiments bien cordiaux.
»

Onze lignes, pas une de plus, mais tout le monde a compris. Les Parlementaires restent abasourdis devant ce coup de théâtre. Malgré le laconisme de cette lettre, ils en saisissent parfaitement le sens : le Maréchal Pétain proclame que le projet de Pierre Laval est également bien le sien, qu'il n'en reconnaît point d'autre, et que son adoption lui paraît "indispensable à l'œuvre qu'il veut accomplir". Autant dire que le Maréchal quitterait le gouvernement si ce projet était repoussé, or c'est là une éventualité qu'aucun des parlementaires présents ne veut envisager.

Comment Pierre Laval a-t-il réussi à obtenir cette lettre décisive du Maréchal Pétain ? Il faut pour cela faire un petit retour en arrière, et revenir au dimanche 7 juillet 1940. Vous vous souvenez peut être que j'ai terminé le récit de cette journée en disant : « Ce soir-là, en montant dans la voiture qui le reconduit à son domicile personnel de Châteldon (Puy-de-Dôme), le Vice-Président du Conseil se sent envahi par une immense lassitude. Son opération lui paraît dangereusement compromise. Et il ne lui reste plus que trois jours pour la mener à
bien.
»
Cependant, avant de repartir pour Châteldon, Pierre Laval, énervé par les acquiescements que le Maréchal vient de donner coup sur coup au projet de Pierre-Étienne Flandin (obtenir la démission du Président de la République Albert Lebrun et son remplacement par le Maréchal) et au projet de Jean Taurines au nom des sénateurs anciens combattants, lui a carrément demandé ce qu'il voulait au juste et a menacé de ne plus défendre le projet gouvernemental si le Maréchal ne s'engageait pas à fond en le prenant à son compte. C'est alors que le Maréchal Pétain lui a rédigé et signé ce document. Pierre Laval l'a donc en poche lorsqu'il regagne, exténué, son domicile personnel de Châteldon, au soir d'une journée qui ne lui a valu que des déboires. Cette lettre du Maréchal explique son euphorie du lendemain, lundi 8 juillet 1940, et la fougue avec laquelle il a mené à bien son offensive.

Revenons à la matinée du mercredi 10 juillet 1940. Mesurant au désarroi général des parlementaires tout l'effet que vient de produire la lecture de la lettre du Maréchal Pétain, Pierre Laval sent que le moment est venu pour qu'il sexplique sur le fond. Il commence par déclarer : « Rassurez-vous, je vais vous faire une déclaration. Je vais vous exposer la position du Maréchal, celle du gouvernement, la mienne. » Il monte alors à la tribune et va prononcer un des plus beaux discours de sa carrière, c'est un véritable chef-d'œuvre d'éloquence. Il commence ainsi : «
Je ne sais pas si vous mesurez la difficulté de notre tâche. Des problèmes tragiques se dressent chaque jour devant nous. Après une défaite sans précédent dans toute notre Histoire, tout est à refaire, tout est à réorganiser. Nos moyens de transport sont désarticulés ; nos stocks d'essence quasi épuisés et il nous est impossible de les réapprovisionner ; les trois quarts de nos mines de charbon sont en pays occupé. On mesure qu'elle devra être la tâche du gouvernement pour s'efforcer, dans le moindre délai possible, de pallier la misère, conséquence de la catastrophe qui s'est abattue sur le pays.
Le Maréchal Pétain inspire toute l'activité du gouvernement ; rien n'est négligé pour que dans le minimum de temps, nous puissions aboutir à des résultats : pour remettre en place notre administration ; pour que notre gouvernement affirme son autorité.
(ce passage répond aux critiques formulés par Pierre-Étienne Flandin le dimanche 7 juillet 1940) Le plus grand crime qui ait été commis dans notre pays depuis longtemps est d'avoir déclaré la guerre - et d'avoir déclaré la guerre sans l'avoir préparée, ni militairement, ni diplomatiquement. »

Il n'est pas question de reproduire in-extenso le discours de Laval, il est beaucoup trop long !... Je vais simplement vous en indiquer la conclusion :
«
Sentez-vous que le malheur est sur la France ? Sentez-vous comme tout cela est triste et douloureux ?
Certains déclarent que le projet du gouvernement c'est la condamnation du régime parlementaire. Je proclame qu'il n'en est rien, car c'est la condamnation, non pas seulement du régime parlementaire, mais de tout un monde qui a été et ne peut plus être.
La France était heureuse, elle usait et abusait de la liberté. Dans certaines de nos écoles, un mot était trop souvent proscrit du vocabulaire, c'est le mot "Patrie".
Eh bien ! Il faudra le faire revivre, il faudra le restaurer, il faudra qu'il soit la foi de demain.
Un grand désastre comme celui que nous venons de subir ne peut pas laisser survivre les institutions qui l'ont amené. C'est un fait.
Je ne peux accepter aucun amendement au texte proposé part le gouvernement, et je ne veux prendre devant l'Assemblée que les engagements autorisés par les entretiens que j'ai eu avec le Maréchal Pétain. Mais il est un engagement que je prends au nom du Maréchal : les Chambres subsisteront jusqu'à ce que soient créées les Assemblées prévues par la Constitution nouvelles. J'ai préféré dire : "jusqu'au moment où seront créées les Assemblées" plutôt que de dire "jusqu'au traité de paix" comme certains le demandaient, car ainsi il n'y aura pas un hiatus entre le moment où d'autres Chambres entreront en fonction, et le moment où celles-ci disparaîtront. Les Chambres - je le dis pour qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous - auront une activité nécessairement réduit. Je le dis au nom du Maréchal Pétain pour qu'il n'y ait pas chez nous le moindre doute que l'engagement que je prends sera tenu.
(...)
Nous avons la chance, le bonheur d'avoir en France, à travers ce malheur que nous vivons, un soldat victorieux, un Maréchal de France.
L'univers entier a du respect pour cet homme qui incarne la plus belle page de notre Histoire. Nous avons la bonne fortune de l'avoir, de pouvoir nous abriter derrière lui, pour essayer d'assurer le salut de la patrie. C'est à cela que je vous convie et, ce soir, j'en suis sûr, il ne manquera pas un suffrage pour l'adoption du projet, parce que c'est à la France que vous le donnerez.
»

Cette péroraison est accueillie par un tonnerre d'applaudissements.
Que pèsent, en face de cela, les opposants, dont Laval n'a même pas daigné prendre en considération les textes ? Après de telles paroles, seul Pierre-Étienne Flandin peut encore monter à la tribune pour prononcer un discours.
Le député de l'Yonne commence par analyser les causes de la défaite, dans un langage qui paraît un peu pâle, après ce qu'on vient d'entendre. Mais, assez rapidement, l'émotion le gagne et sa pensée s'élève. Les parlementaires l'écoutent avec d'autant plus d'attention que beaucoup d'entre eux se rappellent son intervention du dimanche 7 juillet 1940 devant les députés, et s'attendent à le voir réfuter les arguments de Laval.
Mais, trois jours se sont écoulés depuis lors, trois jours durant lesquels il a beaucoup réfléchi. Il sait que depuis son échec à tenter d'obtenir la démission du Président de la République Albert Lebrun plus rien ne peut mettre Laval en difficulté. Mais, en entrant dans la majorité, il pourra encore y exercer une influence. Aussi, demande-t-il à l'Assemblée Nationale «
de voter en faveur du texte gouvernemental et de donner à Laval l'autorité nécessaire pour négocier avec les vainqueurs.
Si le projet était repoussé, que se passerait-il en France ? Que dirait-on à l'étranger ? Un terrible dommage serait causé au pays. Je considère donc son adoption comme nécessaire.
»

Un tel revirement surprend énormément certains députés de l'opposition. En revanche, les partisans, toujours plus nombreux, du texte gouvernemental en éprouvent un véritable soulagement.

Mais, après avoir ainsi apporté publiquement son adhésion à Pierre Laval, Pierre-Étienne Flandin va poursuivre son intervention en s'adressant beaucoup plus à lui-même qu'à l'Assemblée Nationale.

Au fur et à mesure qu'il s'exprime, ses paroles vont de plus en plus toucher les parlementaires. Il termine ainsi son intervention :
« Il y a dans la liberté de nos villages et de nos villes, quelque chose qui enchante celui qui met les pieds sur la terre de France. Il faut que la terre de France reste la terre de France. Si vous voulez conquérir et mériter l'estime de ceux avec qui vous traiterez demain, il faut que vous vous présentiez avec cette fierté de la liberté que nous devons conserver au fond de nous-mêmes. Supprimez ces libertés de propagande qui ont tant affaibli l'État, certes ; mais ne portez jamais atteinte à la liberté de pensée qui a fait le rayonnement de la France dans le monde. Des applaudissements de plus en plus nourris fusent de toutes parts.
C'est au nom de cette sorte de remontée des sentiments profond de l'âme française que je supplie mes collègues de songer à ceux à ceux qui, comme moi et comme tant d'autres, vont rentrer demain dans les régions occupées. Ils se trouveront, pendant des jours et des semaines, sous la menace constante de l'occupation étrangère. Ayant rempli notre devoir, nous devons être assurés que nous laissons ici, pour nous remplacer, un gouvernement qui nous rendra notre pays libre, notre pays fort, notre pays vivant !
Vive, vive la France !
»

Et alors, pour la première fois depuis le début des débats de cette matinée, tous les parlementaires de l'Assemblée Nationale, sans exception, se lèvent et acclament très longuement l'orateur qui reçoit, en descendant de la tribune, les félicitations chaleureuses de ses collègues !... Même Pierre Laval est obligé de lui serrer longuement la main...

Dans ce brillant discours de Pierre-Étienne Flandin, d'un anti-lavalisme a peine déguisé, Pierre Laval ne retiendra qu'une chose : il lui assure la majorité !... Tout le reste, en ce moment, lui paraît secondaire...

Il est midi, et Gaston Bergery, le député radical-socialiste de Mantes (Seine-et-Oise), monte à son tour à la tribune. Il tient quelques feuillets à la main. C'est le texte d'une déclaration signée par soixante-neuf parlementaires, dont il entend donner lecture. Mais des voix s'élèvent de divers côtés :
« Pas après Flandin ! Pas après Flandin ! »
Nullement impressionné par ces exclamation, Gaston Bergery qui ne parle pas en son nom propre, mais en celui du groupe qui l'a mandaté, fait mine de vouloir poursuivre sa lecture.
A ce moment, Jules Jeanneney, le Président du Sénat, se tourne vers lui et lui déclare : « Mais, Monsieur Bergery, ces messieurs connaissent déjà ce texte, qui est d'ailleurs fort intéressant. Il sera joint aux débats et versé, comme convenu, aux Archives Nationales. » C'est exact, mais Gaston Bergery l'ignorait à ce moment car ce texte a été imprimé durant la nuit par l'Imprimerie Nationale, et Pierre Laval l'a fait distribuer aux parlementaires, à l'entrée de l'Assemblée Nationale. Estimant, dans ces conditions, que son intervention est superflue, Georges Bergery range ses feuilles et redescend de la tribune...

Remarquons ici un détail important : contrairement à ce qu'il essaiera de faire croire après la Libération, le Président du Sénat, Jules Jeanneney, se comportera comme un allié objectif de Pierre Laval en ce mercredi 10 juillet 1940... En voici la confirmation : Vincent Badie, député de l'Hérault, veut lui succéder, pour lire à la tribune la "Motion des 27". Jules Jeanneney l'en dissuade également en lui faisant remarquer que l'heure avance et qu'il aura toute latitude de défendre son texte au cours de la séance, publique, de l'après-midi.

Enfin, Marcel Hérault, député de Paris, fait une courte intervention, au cours de laquelle il fait allusion à un discours que le général Weygand aurait prononcé, quelques jours auparavant, devant la division militaire de Clermont-Ferrand, et qui contiendrait des menaces voilée à l'égard du pouvoir civil.

Comme personne d'autre ne demande la parole, le moment semble venu de clôturer la séance secrète du matin. Mais Pierre Laval ne veut pas laisser le dernier mot à Pierre-Étienne Flandin. Cette journée est la sienne, et il entend le marquer. Aussi, remonte-t-il à la tribune, pour s'annexer en quelque sorte le discours de son rival, en y apposant le sceau de son approbation : «
J'ai écouté, comme vous tous, avec une émotion profonde, la péroraison de notre ami Flandin. J'accepte, sans rien y changer, la conclusion de ce discours.
Je suis monté à cette tribune pour souligner un argument de Monsieur Flandin, qui a déclaré "Si vous ne votiez pas ce projet que se passerait-il ?" Je n'en sais rien. Plus exactement, ce serait la porte ouverte à toutes les aventures, et je sais, comme vous, que je suis là pour défendre le pouvoir civil.
Je suis là pour vous dire que, sous la haute autorité du Maréchal, nous referons une âme à la France, et qu'à la jeunesse, nous donnerons des raisons d'espérer.
Savez-vous ce qu'il y a au fond de tout ce que je vous ai dit ? Savez-vous pourquoi, surtout, nous avons déposé ce projet ?
Retenez bien ce propos, méditez-le avant de venir en séance publique : c'est pour apporter à la France la paix la moins mauvaise possible.
»

Jean Valadier, sénateur d'Eure-et-Loir, vice-président du Sénat, qui préside la séance secrète du matin, lève alors cette séance. Députés et sénateurs se dirigent alors vers les issues en commentant les discours qu'ils viennent d'entendre.

A suivre...

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Dernière édition par roger15 le 24/7/2009, 12:43, édité 2 fois
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Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident. - Page 5 Empty Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.

Message  roger15 19/7/2009, 15:52

Le mercredi 10 juillet 1940. Le jour où l'Assemblée Nationale enterre la constitution de la Troisième République. (Suite et fin)


L'après-midi, députés et sénateurs se réunissent dans la même salle du Grand Casino de Vichy. Cette fois-ci, le public est admis à assister aux débats.

Dès 13 heures, les loges et les balcons ont été envahis par la foule. Mais le début de la séance, prévu pour 14 heures, ne commencera que beaucoup plus tard.

C'est Jules Jeanneney, le Président du Sénat, qui la préside de droit. Il commence par lire le projet gouvernemental dans la version modifiée par Pierre Laval au cours de la séance du matin. Puis, il donne la parole à Edouard Herriot, le Président de la Chambre des députés. Il lit une communication relative aux parlementaires embarqués sur le Massilia, dont il déplore l'absence, et laisse entendre qu'on les a empêchés de regagner à temps la métropole pour prendre part au vote. Il souligne que leur départ a eu lieu sur instruction précise du gouvernement, et "avec des bons d'embarquement en règle" et que leur passage en Afrique du Nord s'est donc fait dans des conditions absolument régulières. Ce dernier point est exact et Laval ne le conteste pas, mais il ne peut s'empêcher de remarquer que d'autres ne sont pas partis, notamment ceux qui sont dans la salle.

Fernand Bouisson, député républicain-socialiste de Marseille et ancien Président de la Chambre des députés, demande que l'on donne la priorité au texte gouvernemental. Cela signifie en pratique que l'Assemblée Nationale devra d'abord se prononcer sur le projet de révision constitutionnelle du gouvernement, et que les autres textes (contre-projet Boncour-Taurines, et "Motion des 22" de Vincent Badie) ne pourront être examinés que si le texte gouvernemental est rejeté. L'Assemblée se prononce à mains levées pour cette procédure. Fernand Bouisson donne ainsi un sacré coup de pouce à Pierre Laval !...

Mais, c'est sur Jules Jeanneney que vont s'abattrent les critiques de Pierre Laval et de ses partisans. Le Président de l'Assemblée Nationale fait observer que la loi constitutionnelle du 25 février 1875 exige que la majorité soit calculée d'après le nombre légal de sièges des deux chambres. Le nombre total des sièges de députés et de sénateurs est de 932. Donc la majorité absolue est de : 932 / 2 = 466 + 1 = 467 suffrages.

Émile Mireaux, sénateur radical indépendant des Hautes-Pyrénées, s'élève contre cette manière de voir : « Un certain nombre de nos anciens collègues ont été déchus de leur mandat (il vise les députés communistes, déchus de leur mandat par un vote de la Chambre le 16 janvier 1940). S'ils devaient être comptés dans le calcul de la majorité absolue, il faudrait admettre qu'ils ont encore le droit d'intervenir dans nos délibérations. Vous ne le voulez certainement pas. » Pierre Laval approuve l'intervention d'Émile Mireaux en déclarant : « Les Constituants de 1875 n'auraient jamais pu supposer que nous aurions un jour à nous réunir, alors que les deux tiers de la France seraient occupés par l'ennemi. Dans ces conditions, il appartient à la présente Assemblée d'interpréter l'article 8 de la loi constitutionnelle de 1875. Au reste, le quorum est largement assuré. Il ne s'agit que du calcul de la majorité. N'est-il pas souhaitable qu'il se dégage, de vos débats, une majorité imposante ? »

Jules Jeanneney reconnaît la validité de cet argument. Mais, après un bref calcul, il déclare qu'en tenant compte des observations de Monsieur Mireaux, le nombre des parlementaires en exercice est de 546 députés et 304 sénateurs, donc la majorité absolue de l'Assemblée Nationale serait de 546 + 304 = 850 / 2 = 425 +1 = 426.

Pierre Laval, assez irrité, reprend la parole : « Me serai-je mal exprimé ? Ce que demande le gouvernement, c'est de considérer que l'Assemblée Nationale se compose uniquement des membres présents, de sorte que la majorité soit calculée en tenant compte seulement de ces membres. »

L'Assemblée Nationale adopte le point de vue de Laval et décide que la majorité sera calculée, non d'après le nombre légal des sièges de députés et de sénateurs, mais d'après celui des suffrages exprimés, ce qui ramène la majorité absolue à 334 voix (666 / 2 = 333 +1 = 334).

La discussion préliminaire étant close, le projet est renvoyé, pour examen, devant une commission spéciale, formée par la réunion de la Commission de la Législation du Sénat et de la Commission du Suffrage Universel de la Chambre. Le sénateur gauche démocratique des Basses-Alpes Pierre de Courtois en est élu Président et le sénateur union républicaine du Calvados Jean Boivin-Champeaux rapporteur.

Jules Jeanneney suspend alors la séance une heure. Pierre Laval se rend devant cette Commission pour y apporter des précisions.

A 17h15, la séance publique reprend. Jean Boivin-Champeaux déclare alors : « Le texte soumis à L'assemblée donne au gouvernement du Maréchal Pétain les pleins pouvoirs constituants, exécutifs et législatifs, sans aucune restriction et de la façon la plus étendue. L'acte que va accomplir l'Assemblée Nationale, elle l'accomplit librement, parce qu'elle a la conviction qu'une réforme est indispensable aux intérêts de la Patrie. »

Une dernière fois Jules Jeanneney lit le texte (modifié) sur lequel députés et sénateurs vont avoir à se prononcer :
«
Projet de loi constitutionnelle.
Le Président de la République Française,
Vu l'article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 ;
Vu les résolutions adoptées par le Sénat et la Chambre des Députés,

Décrète :
Le projet de loi constitutionnelle dont la teneur suit sera présenté à l'Assemblée Nationale par le Maréchal de France, Président du Conseil, qui est chargé d'en soutenir la discussion :

Article unique : L'Assemblée Nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du Maréchal Pétain, à l'effet de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle Constitution de l'État français. Cette Constitution devra garantir les droits du travail de la famille et de la patrie.
Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées.

Fait à Vichy, le 10 juillet1940.

Par le Président de la République, Albert Lebrun ;


Par le Maréchal de France, Président du Conseil, Philippe Pétain.
»

Comme aucun des président de groupe, aucune personnalité marquante ne demande la parole, l'Assemblée décide de clôturer la discussion et de passer immédiatement au vote.

A ce moment, Vincent Badie escalade la scène pour défendre la "Motion des 27". Jules Jeanneney ne lui a-t-il pas promis la veille, puis ce matin même, qu'elle serait discutée à la séance de l'après-midi ? Mais, Fernand Bouisson, député de Marseille, prend Vincent Badie vivement à partie. Le saisissant par les revers de son veston, il le bouscule et le force à redescendre de la scène avec l'aide de deux huissiers, en lui rappelant que l'Assemblée a accordé la priorité au texte gouvernemental.

Vincent Badie proteste à haute voix, mais Jules Jeanneney se déshonore en ne désapprouvant pas ce coup de force, et en se hâtant de mettre aux voix le projet constitutionnel du gouvernement...

Le résultat du scrutin est le suivant :
* Votants : 666 ;
* Majorité absolue : 334 ;
* Pour l'adoption : 569 ;

* Contre l'adoption : 80 ;
* Se sont abstenus : 17.

Jules Jeanneney déclare alors : « En conséquence, la loi constitutionnelle est adoptée par l'Assemblée Nationale. »

Un tonnerre d'applaudissements salue la proclamation du scrutin.

Pierre Laval se lève, et se tournant vers l'Assemblée il déclare : « Un seul mot, au nom du Maréchal Pétain : je vous remercie pour la France. »

Des cris s'élèvent : « Vive la France ! »

Alors, à la surprise générale, Marcel Astier, sénateur de l'Ardèche, qui fait partie des quatre-vingts qui ont refusé les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, crie : « Vive la république quand même ! »

Voilà, s'en est fini des "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident". Je vais cependant rajouter, dans un dernier message, quelques précisions intéressantes sur la journée qui a immédiatement suivi ce 10 juillet 1940.

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Dernière édition par roger15 le 24/7/2009, 12:49, édité 1 fois
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Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident. - Page 5 Empty Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.

Message  roger15 19/7/2009, 23:58

Le jeudi 11 juillet 1940. Le jour où le Maréchal Pétain promulgue les trois premiers "Actes Constitutionnels" de "l'État français".

La première décision de Philippe Pétain sera de prendre, dès le premier jour du nouvel "État français", trois actes constitutionnels :

Acte constitutionnel n° 1 du 11 juillet 1940.
Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,
Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Déclarons assumer les fonctions de chef de l'État français.
En conséquence, nous décrétons :
L'article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé.

=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=

Acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940.
Nous, maréchal de France, chef de l'État français ;
Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Article premier.

§ premier. Le chef de l'État français a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui.

§ 2. Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres :
1° Jusqu'à la formation de nouvelles Assemblées ;.
2° Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d'ordre budgétaire et fiscal.

§ 3. Il promulgue les lois et assure leur exécution.

§ 4. Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n'a pas prévu d'autre mode de désignation.

§ 5. Il dispose de la force armée.

§ 6. Il a le droit de grâce et d'amnistie.

§ 7. Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.
Il négocie et ratifie les traités.

§ 8: Il peut déclarer l'état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.

§ 9. Il ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des Assemblées législatives.

Article 2.
Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et l6 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte.

=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=

Acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940,
prorogeant et ajourant les chambres.
Nous, maréchal de France, chef de l'État français;
Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Décrétons :

Article premier. Le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu'à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.

Article 2. Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu'à nouvel ordre.
Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l'État.

Article 3. L'article 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé.
=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=
Ce même jour Philippe Pétain va trouver Albert Lebrun dans son bureau et lui dit :
« Monsieur le Président, le moment pénible est arrivé ; vous avez toujours bien servi le pays. L'Assemblée Nationale a créé une situation nouvelle. D'ailleurs je ne suis pas votre successeur ; un nouveau régime commence. »

Oui, un nouveau régime commence...

=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=

Voilà, vous savez tout (ou presque) sur les soixante jours à compter du 10 mai 1940 qui ont amené une défaite sans précédent dans l'histoire récente de la France et qui ont entraîné la disparition de la République française remplacée par le sinistre "État français".

A vous la parole maintenant... Wink

En tout cas, merci à toutes et à tous de m'avoir lu. Smile

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Message  Hamilcar 29/7/2009, 22:02

Bravo Une question : Pourquoi passez autant de temps à enterrer la République alors qu'il était (il me semble) possible de continuer de l'autre côté de Marseille ? mitraillette2

Amicalement

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Message  roger15 6/1/2017, 10:38

Bonjour à toutes Smile  et bonjour à tous  Smile ,

En consultant sur Internet le site
Gallica de la bibliothèque numérisée de la BNF (Bibliothèque Nationale de France) j’ai trouvé ce lien très intéressant : la numérisation du numéro du “Journal Officiel de la République Française” du jeudi 11 juillet 1940 qui est consacré entièrement au comte rendu officiel de la séance de l’Assemblée Nationale (composée de la Chambre des Députés et du Sénat) du mercredi 10 juillet 1940 déclarant « qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles » ; ce que l’on traduit le plus souvent par « le vote de l’Assemblée Nationale réunie au casino de Vichy qui a accordé les pleins pouvoir au Maréchal Pétain ».

Ce compte rendu officiel comporte huit pages, que vous pourrez consulter ici :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6449165r/f1.item.zoom.

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Message  le ronin 6/1/2017, 10:47

Bonjour Roger. Enorme travail que représente toutes ces pages, fort intéressante, je te remercie , pour le temps que tu y a consacré.


Amicalement, 



le ronin.

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