Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le dimanche 16 juin 1940. Le jour où Paul Reynaud jette l'éponge, remplacé comme Président du Conseil par le Maréchal Pétain.
En ce dimanche 16 juin 1940, 38ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 573 (16 juin 1940 - matin) : « Depuis vingt-quatre heures, la bataille est parvenue à son plus haut point d'intensité.
Jetant toujours dans la lutte de nouvelles réserves appuyées par un matériel considérable et puissant, l'ennemi continue avec violence ses attaques vers le plateau de Langres, et il a réussi à pousser des reconnaissances d'éléments blindés au-delà de Chaumont, dans la région de Gray.
Nos troupes se battent toujours avec la même vaillance, opposant une résistance farouche à l'envahisseur, malgré la supériorité de ce dernier en matériel et en effectifs. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué, du dimanche 16 juin 1940 au matin, se dit qu'il est vraiment grand temps que les opérations militaires cessent avant que toute la France ne soit envahie par les troupes allemandes.
* communiqué n° 574 (16 juin 1940 - soir) : « Les attaques ennemies se sont répétées aujourd'hui sur tout le front de la bataille.
A l'Ouest de Paris, dans la région de Laigle et de la Ferté-Vidame, ses efforts ont été contenus par nos troupes qui ont exécuté des contre-attaques locales.
Au Sud-Est de Paris, l'ennemi a continué sa progression. Il a franchi la Seine aux environs de Melun et de Fontainebleau. Il a, d'autre part, poussé au-delà d'Auxerre des éléments d'avant-garde dans la direction de Clamecy et d'Avallon.
Au Sud du plateau de Langres, ses colonnes blindées et motorisées ont atteint la région au Nord de Dijon et la Saône en amont de Gray. Des éléments légers ont franchi la rivière.
En Lorraine et en Alsace, les mouvements prescrits par le commandement français s'exécutent conformément aux ordres donnés.
Pendant les deux derniers jours, de nombreux combats aériens ont été livrés ; en particulier durant la journée du 15, le sergent-chef Le Gloan a abattu à lui seul, au cours d'une même sortie, cinq avions italiens, dont trois chasseurs et deux bombardiers. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du dimanche 16 juin 1940 au soir, se dit que, hormis l'exploit du sergent-chef Le Gloan, qu'il salue, la situation militaire empire de jour en jour...
Voici maintenant les points importants de cette journée du dimanche 16 juin 1940, la douzième de "la bataille de France". Vu l'importance capitale de cette journée, je ne vais vous relater que la situation politique, car sinon mon message serait beaucoup trop long...
Ce dimanche 16 juin 1940 fut sans doute, comme je lai déjà dit, la journée la plus dramatique de toute l'histoire de la France. Cette journée a vu Paul Reynaud, le Président du Conseil français depuis le vendredi 22 mars 1940 (où il avait remplacé Édouard Daladier) qui portait seul sur ses épaules la responsabilité de la guerre, s'effondrer en fin d'après-midi et laisser la place au Maréchal Pétain, qui n'attendait que cela pour entamer auprès des Allemands des négociations d'armistice.
Cette journée ne peut absolument pas être racontée exhaustivement, il faudrait plusieurs pages de ce forum !… Aussi, je vais seulement décrire quels ont été, selon moi, les principaux moments politiques de ce dramatique dimanche 16 juin 1940.
A dix heures du matin Paul Reynaud reçoit à la Préfecture de la Gironde les deux présidents des Chambres françaises, Jules Jeanneney, le Président du Sénat, et Édouard Herriot, le Président de la Chambre des Députés. Conformément à la Constitution de la Troisième République il leur demande "un avis favorable au transfert du gouvernement en Afrique du Nord". Les deux Présidents ayant donné un avis favorable à ce transfert, Paul Reynaud leur demande de venir le confirmer tout à l'heure devant les ministres. A onze heures du matin s'ouvre, sous la présidence du Président du Conseil, un "Conseil de Cabinet". Les deux Présidents des Chambres y sont introduits. Seul Jules Jeanneney prend la parole au nom des deux : il renouvelle leur avis favorable au départ du gouvernement pour l'Afrique du Nord. Il précise : « Dans notre esprit, il s'agit d'un départ en vue de continuer la guerre. »
Paul Reynaud remercie les deux Présidents au nom du gouvernement. Ceux-ci se retirent, le Président de la République Albert Lebrun entre alors, et un Conseil des Ministres peut valablement délibérer. Paul Reynaud commence par leur lire la réponse du Président Roosevelt à son appel à l'aide lancé le 14 juin : le Président américain l'assure de son soutien, mais refuse d'engager les hostilités contre l'Allemagne et l'Italie… Cette lecture décevante décourage tous les ministres…
Camille Chautemps, Vice-Président du Conseil, demande à Paul Reynaud s'il a reçu une réponse de Winston Churchill à sa demande d'envisager une paix séparée avec l'Allemagne. Paul Reynaud répond qu'il n'a rien encore reçu…
C'est alors que brusquement le Maréchal Pétain, autre Vice-Président du Conseil, se lève et déclare : « Je ne peux demeurer plus longtemps au gouvernement. Plus le temps passe et plus nos armées se désagrègent. L'inévitable solution n'a été que trop retardée. Je ne veux pas m'associer à ce retard dont la France toute entière paye les conséquences. »
Le Président Lebrun et la plupart des ministres le supplient et lui demandent de rester au gouvernement. Le Maréchal accepte, mais, pour marquer sa désapprobation, il refusera de s'asseoir et restera debout jusqu'à la fin du Conseil… Le Maréchal fait savoir à Paul Reynaud qu'il ne reste au gouvernement que jusqu'à la communication de la réponse de Winston Churchill concernant l'autorisation pour la France de s'affranchir de l'accord franco-anglais du 28 mars 1940 qui interdisait toute négociation séparée avec l'Allemagne. Le président Lebrun lève alors ce premier Conseil des ministres de la journée. Un deuxième est prévu pour quinze heures.
Dans la matinée à Londres le général de Gaulle s'entretient avec Messieurs Charles Corbin (Ambassadeur de France à Londres) et Jean Monnet (Chef de la mission économique française à Londres) de leur projet, qui doit être soumis au gouvernement britannique, visant à l'union totale de la France et de la Grande-Bretagne. Selon eux, seul un "coup de théâtre" comme ce projet peut inciter Paul Reynaud et la majorité des ministres à quitter la métropole pour Alger afin de poursuivre la guerre aux côtés de l'Angleterre. Le général de Gaulle les approuve.
Lors du repas, de Gaulle plaide pour cette fusion franco-britannique auprès de Churchill. Celui-ci n'est d'abord pas du tout favorable à cette fusion, mais se laisse finalement convaincre, pour sauver Paul Reynaud.
Après le repas Winston Churchill convoque un Conseil des ministres anglais au 10 Downing Street pour examiner ce projet de fusion franco-britannique.
A 15h30 de Gaulle téléphone depuis Downing Street à Paul Reynaud le suppliant de ne pas démissionner jusqu'à ce que le Cabinet britannique termine de délibérer. Paul Reynaud répond qu'il peut retarder le Conseil des Ministres français jusqu'à 17 heures, mais guère au-delà…
A 16h30 à Downing Street Churchill sort enfin de la sale du Conseil et va immédiatement, très souriant vers de Gaulle :
« Nous sommes d'accord !!!… » et il lui remet un exemplaire, en français, du texte de cet accord de fusion franco-britannique. De Gaulle le lit avec un enthousiasme extraordinaire. Il demande immédiatement à pouvoir joindre par téléphone Paul Reynaud à la préfecture de Bordeaux. Il lui dicte, mot à mot, le texte de cet accord ; Paul Reynaud le recopie en répétant chaque mot au fur et à mesure qu'il le transcrit. Edward Spears (officier de liaison entre les gouvernements français et britannique) déclare à Reynaud qu'il faut immédiatement faire taper ces feuillets à la machine à écrire pour les présenter aux ministres et il se précipite vers une des dactylographes du bureau d'à côté. Il y rencontre la comtesse Hélène de Portes, la maîtresse de Paul Reynaud, qui va tout faire pour ralentir le travail de dactylographie de la secrétaire. La comtesse, en lisant ce texte, ne cache pas, par son regard mauvais, qu'elle y est farouchement opposée !…
A 17h15 s'ouvre, sous la Présidence d'Albert Lebrun, le deuxième Conseil des Ministres de la journée à la préfecture de Bordeaux.
Paul Reynaud commence par dire que le gouvernement britannique refuse que la France puisse ouvrir seule des négociations séparées en vue d'un armistice avec l'Allemagne. Plusieurs ministres protestent et veulent intervenir mais Paul Reynaud leur dit qu'il a une communication de la plus haute importance à leur faire. Il leur lit alors le texte du projet de fusion franco-britannique et déclare que demain matin il doit rencontrer Winston Churchill à Concarneau pour en discuter des modalités d'application.
Les ministres français ont écouté avec une très grande stupéfaction cette lecture du projet de fusion franco-britannique. Le premier à réagir est le Vice-Président du Conseil Camille Chautemps qui déclare aussitôt : « Je ne veux pas que la France devienne un Dominion !!! ». Plusieurs autres ministres s'associent à sa protestation.
A ce moment, entre dans la salle du Conseil un huissier qui apporte à Paul Reynaud un billet griffonné à la hâte par la comtesse Hélène de Portes : « J'espère que vous n'allez pas jouer les Isabeau de Bavière ! ». Isabeau de Bavière, femme du roi de France Charles VI, dit "Le Fol", était à l'origine du honteux traité de Troyes le 21 mai 1420 qui livrait la France aux Anglais…
Paul Reynaud a-t-il lu avec assez de conviction le projet d'union totale franco-britannique ? Toujours est-il que le Conseil est devenu après sa lecture encore plus anti-britannique qu'il l'était avant. De plus, le billet de Madame Hélène de Portes a fini d'achever la résistance de Paul Reynaud.
Camille Chautemps demande la parole et redit son couplet favori : « Il est vraiment impossible de quitter la France sans avoir demandé à l'ennemi ses conditions. ». La plupart des ministres l'approuvent.
C'est alors que Georges Mandel (ministre de l'Intérieur) déclare « Il y a ici des gens qui veulent se battre, et d'autres qui ne le veulent pas ! » Cette accusation publique de lâcheté va être très mal prise par tous les autres ministres, y compris Paul Reynaud, qui s'estiment visés très gravement par cette sentence blessante.
Mais celui qui va moucher publiquement Georges Mandel va être Camille Chautemps. Lequel, venait d'apprendre juste avant l'ouverture du Conseil que la ville de Blois (Loir-et-Cher), dont il était un ancien député, venait d'être bombardée par l'aviation allemande, bombardement qui avait fait 200 victimes !... Camille Chautemps a répondu immédiatement à Georges Mandel :
« Non ! il y a des Français désespérés de la situation dans laquelle se trouve leur pays et qui cherchent le moyen de s'en sortir… D'AILLEURS JE N'AI PAS DE LEÇON A RECEVOIR DE VOUS !!!… ». De nouveau la plupart des ministres apportent leur soutien public à Camille Chautemps. Georges Mandel se sent de plus en plus marginalisé…
Paul Reynaud met fin à la polémique en déclarant que dans ces conditions le Conseil des ministres est terminé. Un nouveau Conseil des ministres (le troisième de cette journée du dimanche 16 juin 1940) va se réunir à dix heures du soir pour démissionner, afin que d'ici-là le Président de la République puisse consulter au préalable les deux Présidents de chambre. A 19h30 la séance est levée… Lorsqu'il sort de la salle du conseil Paul Reynaud rencontre l'ambassadeur des États-Unis en France, Monsieur Drexel Biddle, avec qui il échange quelques mots. L'ambassadeur est péniblement frappé par le changement de l'aspect physique du Président du Conseil français « Il était devenu littéralement gris de panique, et quelqu'un qui l'aurait vu deux semaines auparavant ne l'aurait pas reconnu. » C'est sans doute là l'explication la plus vraisemblable : Paul Reynaud a jeté l'éponge car il a craqué nerveusement. Les charges qui pesaient sur ses seules épaules étaient soudainement devenues trop lourdes à porter…
A 22 heures, lors du troisième Conseil des ministres de la journée, Paul Reynaud confirme la démission de son gouvernement. Albert Lebrun tente de le faire revenir sur sa décision, mais il refuse en disant : « Cela m'est impossible. Pour faire cette politique adressez-vous au Maréchal Pétain. »
A 23 heures, alors que Paul Reynaud s'en est allé de la préfecture de Bordeaux (accompagné de Messieurs Georges Mandel, Louis Marin, Alphonse Rio et César Campinchi ; les derniers "jusqu'au-boutistes"), Albert Lebrun prend le Maréchal Pétain à part et lui demande : « Voulez-vous constituer le gouvernement ? ». Le Maréchal Pétain sort alors une liste de son portefeuille, la tend au Président de la République en lui disant : « Le voici ! ».
A une heure du matin (donc le lundi 17 juin 1940) le maréchal Pétain fait convoquer à la préfecture de Bordeaux Monsieur de Lequerica, l'ambassadeur d'Espagne, pour lui demander de contacter par la voie diplomatique le gouvernement allemand pour lui faire demander "à quelles conditions le Chancelier Hitler serait disposé à arrêter les opérations et à conclure un armistice ?".
Une nouvelle page de l'histoire de France (assez sinistre !…) commence alors…
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
roger15 a écrit:. Tous les membres du gouvernements sont d'accord pour quitter Paris. On communique les itinéraires. L'heure du départ est fixée à minuit.
....
Dans les ministères on cloue des caisses, on emballe des dossiers, il faut organiser à l'improviste, l'évacuation d'une foule de choses et de gens.
Enfin, les ministres s'en vont, et leur départ nocturne prend, quelques efforts qu'ils fassent pour sauver les apparences, l'allure d'un véritable sauve-qui-peut. Dans le trouble de la dernière heure, on néglise d'aviser de cette décision importante le général Héring, gouverneur militaire de Paris.
A 23 heures, brusquement la radio-diffusion française interrompt ses émissions pour diffuser le communiqué suivant : « Le gouvernement est obligé de quitter la capitale, pour des raisons militaires impérieuses. Le Président du Conseil se rend aux Armées. » L'auditeur français se félicite que Paul Reynaud se rende "aux Armées" !... La réalité est hélas toute autre : Paul Reynaud s'embarque en voiture, à minuit, sur la route nationale 20, plein Sud, en direction d'Orléans (il est accompagné du général de Gaulle). Quant au gouvernement, il part pour Tours.
Il manque un élément dans cette excellente narration des faits, quelque chose qui va marquer les Français pendant des années et qui pourtant ne transparait pas tellement dans de nombreux ouvrages sur cette période.
Ce fait capital est qu'il y a de moins en moins de Français chez eux à écouter ces communiqués. La France est sur les routes, encombrant celles-ci et rendant plus difficile les opérations militaires. Mais, les armées montant au front, les ministres et les administrations retraitant vers l'arrière et la masse des Français vont à peine s'apercevoir, ce qui va rendre bien tenace des légendes urbaines qui continuent à se propager, même de nos jours.
Les autorités avaient bien préparé des plans de circulations. Les grands axes et les voies principales sont interdites à la masse des réfugiés. Elles sont réservées aux armées et aux administrations. A chaque carrefour, il y a des gendarmes qui ont pour but d'endiguer le flot des réfugiés. Les soldats qui refluent ne faisant pas partie d'unités constituées vont aussi être dirigés vers ce réseau secondaire.
Que voient les différentes personnes en fonction du réseau sur lequel elles circulent ?
Les personnes des administrations voient quelques unités militaires monter au front, mais le reflux d'unités constituées, et des blessés militaire que l'on va regrouper à l'arrière. Les unités pour les reconstituer autant que faire ce peut, les blessés pour les soigner.
Les militaires des unités constitués voient les convois des personnels administratifs courant se mettre à l'abri à l'arrière. C'est du moins ainsi que de nombreux soldats vont l'interpréter pensant que ces "planqués" auraient mieux fait d'aller ce battre au front.
Les uns et les autres ne vont pas voir l'immense masse des réfugiés qui eux cheminent sur le réseau secondaire.
Sur le réseau secondaire, justement, chemine une foule de plus en plus hétéroclite constituée de personnes qui ont fuit devant l'avance allemande, certains cheminent depuis les Pays-Bas et la Belgique. Souvent, c'est l'arrivée des premiers réfugiés qui incite les gens à se mettre sur les routes pour fuir. Ainsi, il va y avoir des réfugiés provenant de zones dans lesquelles les Allemands n'arriveront que plus tard.
Dans cette masse, il y a bon nombre de soldats qui cherchent soit à retrouver des membres de leur famille, soit leur unités, soit simplement de fuir les Allemands comme tout le monde. Du souvenir de ces soldats débandés va naitre l'impression de débâcle qui va entacher cette période. Ces civils sont sûrs d'avoir vu l'armée française fuir à leurs cotés .... Ils n'ont pas vu ces mêmes soldats mourir lors des grandes batailles du nord de la France !
De plus, des soldats débandés, il y en a de plus en plus, pour une raison toute simple, tout soldat distancé par son unité se retrouve dans le réseau non-prioritaire. On a le témoignage de pas mal de soldats qui pour une raison ou une autre se retrouvent séparé de leur unité. Souvent devant rester en retrait pour remplir une quelconque mission. Ils sont évacués parmi les derniers. Or, suite à la confusion, dès que leur moyen de transport tombe en panne, ils sont refoulés dans le réseau des réfugiés au premier carrefour. Et par voie de conséquence, ils arrivent en retard aux lieux de rassemblements de leurs unités et doivent se rendre à un autre lieu de rassemblement ... et ainsi de suite.
Ce qui rajoute à l'impression de pagaille que ressentent les réfugiés sur les routes.
On perçoit mal cette période si on n'a pas conscience que la France est sur les routes et que certaines villes sont vides à 80-90%.
Narduccio- Général (Administrateur)
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Bonjour Narduccio,
Merci pour tes commentaires, très pertinents.
Je vais te répondre sur deux points de ton analyse :
Tu écris : « Il manque un élément dans cette excellente narration des faits, quelque chose qui va marquer les Français pendant des années et qui pourtant ne transparaît pas tellement dans de nombreux ouvrages sur cette période.
Ce fait capital est qu'il y a de moins en moins de Français chez eux à écouter ces communiqués. La France est sur les routes, encombrant celles-ci et rendant plus difficile les opérations militaires. Mais, les armées montant au front, les ministres et les administrations retraitant vers l'arrière et la masse des Français vont à peine s'apercevoir, ce qui va rendre bien tenace des légendes urbaines qui continuent à se propager, même de nos jours. »
C'est certes vrai pour les habitants des grandes villes et des villes moyennes, surtout celles situées sur les grands axes routiers, très favorables à l'extension du mouvement de panique. En revanche, les Paysans (ne pas oublier quand même qu'à cette époque 80% de la population française est rurale) dans leur très grande majorité resteront dans leurs fermes. Ils ne peuvent en effet pas abandonner leurs animaux qui sont leur seul maigre gagne-pain quotidien...
En revanche, il est vrai que l'énorme masse des civils fuyards qui encombrent les routes va être un allié non négligeable pour l'armée allemande, et une très énorme gène pour l'armée française. La question est de savoir si les responsables militaires allemands l'avaient prévue ou non ? Je crois, mais j'avoue que c'est une opinion toute personnelle, qu'eux aussi ont été très surpris par l'ampleur du nombre de civils français sur les routes.
Tu as raison de souligner (c'est un point qu'on néglige souvent d'aborder) que le très grand nombre de soldats français désappointés car étant séparés de leur unité d'affectation, ne sachant plus très bien où aller, et qui errent tristement sur les routes parmi les civils en fuite, va marquer durablement les esprits des témoins de cette époque : pour eux, très injustement, le soldat français ne se sera pas battu et aura surtout cherché à s'enfuir à la première occasion...
Tu as tout à fait raison, Naduccio, de dire : « Dans cette masse, il y a bon nombre de soldats qui cherchent soit à retrouver des membres de leur famille, soit leurs unités, soit simplement de fuir les Allemands comme tout le monde. Du souvenir de ces soldats débandés va naître l'impression de débâcle qui va entacher cette période. Ces civils sont sûrs d'avoir vu l'armée française fuir à leurs côtés .... Ils n'ont pas vu ces mêmes soldats mourir lors des grandes batailles du nord de la France ! »
C'est hélas à cause de cela que va naître dans le pays la légende, très injuste mais hélas très tenace jusqu'à aujourd'hui, que le soldat français de mai et juin 1940 ne s'est pas battu mais à cherché avant tout à fuir.
Roger le Cantalien.
Merci pour tes commentaires, très pertinents.
Je vais te répondre sur deux points de ton analyse :
Tu écris : « Il manque un élément dans cette excellente narration des faits, quelque chose qui va marquer les Français pendant des années et qui pourtant ne transparaît pas tellement dans de nombreux ouvrages sur cette période.
Ce fait capital est qu'il y a de moins en moins de Français chez eux à écouter ces communiqués. La France est sur les routes, encombrant celles-ci et rendant plus difficile les opérations militaires. Mais, les armées montant au front, les ministres et les administrations retraitant vers l'arrière et la masse des Français vont à peine s'apercevoir, ce qui va rendre bien tenace des légendes urbaines qui continuent à se propager, même de nos jours. »
C'est certes vrai pour les habitants des grandes villes et des villes moyennes, surtout celles situées sur les grands axes routiers, très favorables à l'extension du mouvement de panique. En revanche, les Paysans (ne pas oublier quand même qu'à cette époque 80% de la population française est rurale) dans leur très grande majorité resteront dans leurs fermes. Ils ne peuvent en effet pas abandonner leurs animaux qui sont leur seul maigre gagne-pain quotidien...
En revanche, il est vrai que l'énorme masse des civils fuyards qui encombrent les routes va être un allié non négligeable pour l'armée allemande, et une très énorme gène pour l'armée française. La question est de savoir si les responsables militaires allemands l'avaient prévue ou non ? Je crois, mais j'avoue que c'est une opinion toute personnelle, qu'eux aussi ont été très surpris par l'ampleur du nombre de civils français sur les routes.
Tu as raison de souligner (c'est un point qu'on néglige souvent d'aborder) que le très grand nombre de soldats français désappointés car étant séparés de leur unité d'affectation, ne sachant plus très bien où aller, et qui errent tristement sur les routes parmi les civils en fuite, va marquer durablement les esprits des témoins de cette époque : pour eux, très injustement, le soldat français ne se sera pas battu et aura surtout cherché à s'enfuir à la première occasion...
Tu as tout à fait raison, Naduccio, de dire : « Dans cette masse, il y a bon nombre de soldats qui cherchent soit à retrouver des membres de leur famille, soit leurs unités, soit simplement de fuir les Allemands comme tout le monde. Du souvenir de ces soldats débandés va naître l'impression de débâcle qui va entacher cette période. Ces civils sont sûrs d'avoir vu l'armée française fuir à leurs côtés .... Ils n'ont pas vu ces mêmes soldats mourir lors des grandes batailles du nord de la France ! »
C'est hélas à cause de cela que va naître dans le pays la légende, très injuste mais hélas très tenace jusqu'à aujourd'hui, que le soldat français de mai et juin 1940 ne s'est pas battu mais à cherché avant tout à fuir.
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Date d'inscription : 04/05/2008
Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 17 juin 1940. Le jour où le Maréchal Pétain fait don de sa personne à la France pour atténuer son malheur.
En ce lundi 17 juin 1940, 39ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux traditionnels communiqués quotidiens de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 575 (17 juin 1940 - matin) : « Les combats continuent dans la région de Laigle et Châteaudun, ainsi que sur la ligne de la Loire et au Sud d'Avallon. L'ennemi a franchi la Saône en certains points et progresse dans la direction du Doubs.
La situation est sans changement en Haute-Alsace où l'ennemi n'a pas réussi à franchir le canal du Rhône au Rhin. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué, du lundi 17 juin 1940 au matin, se dit que son audition n'apporte que des mauvaises nouvelles...
* communiqué n° 576 (17 juin 1940 - soir) : « La bataille s'est poursuivie aujourd'hui sur l'ensemble du front, et particulièrement sur le cours moyen de la Loire.
De violents combats ont eu lieu à Orléans et dans la région de La Charité-sur-Loire.
Des détachements ennemis, qui avaient réussi à franchir le fleuve, ont été contenus sur le canal latéral. A l'Est de la Loire, l'ennemi a progressé encore au-delà d'Autun.
En bourgogne, il est entré dans Dijon. En Franche-Comté, il a atteint le Doubs et a lancé des éléments motorisés vers le Jura.
Sur tous les points de contact, nos troupes se battent toujours avec la même bravoure pour l'honneur du drapeau. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du lundi 17 juin 1940 au soir, se dit qu'il est surpris que les combats continuent entre les Français et les Allemands alors qu'il a entendu le Maréchal Pétain, le nouveau Président du Conseil, déclarer à la TSF à 12h30 : « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat. »
Voici maintenant les points importants de cette journée du lundi 17 juin 1940, la treizième de "la bataille de France" :
Une fois n'est pas coutume je vais commencer par une bonne nouvelle pour les Parisiens et les banlieusards : les quotidiens sont de retour dans les kiosques !... Du moins, deux d'entre eux : "La Victoire" de Gustave André (une feuille au tirage très confidentiel) mais surtout le célèbre "Le Matin" de Maurice Bunau-Varilla. En première page "Le Matin" est désormais obligé de publier le communiqué militaire allemand.
En première page également, une information pratique : « Les horloges sont avancées d'une heure. Rappelons que depuis le 14 juin à 23 heures, les horloges, pendules et montres ont dû être avancées d'une heure. » C'est un aspect peu connu des conséquences de l'Occupation allemande : l'heure légale dans les territoires occupés par l'armée allemande est désormais "l'heure de Berlin" (Temps Universel, l'heure du méridien de Greenwich, plus deux heures), les territoires non occupés conservant "l'heure française" d'été (Temps Universel plus une heure).
Quant à la deuxième page du "Matin" du lundi 17 juin 1940, elle n'est curieusement composée que de "réclames" (comme on appelait alors la publicité).
Curieusement aucune mention n'est faite du changement de Président du Conseil... Ce n'est que "Le Matin" du mardi 18 juin 1940 qui annoncera le changement de ministère. Quant à la déclaration du Maréchal Pétain de la veille, elle ne sera pas reproduite, mais seulement évoquée dans le gros titre de la "une" : « LA FRANCE DOIT METTRE BAS LES ARMES déclare le Maréchal Pétain ».
L'événement le plus important de cette journée du lundi 17 juin 1940 est bien sûr la déclaration, à 12h30, du Maréchal Pétain :
« Français ! A l'appel de Monsieur le Président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France.
Sûr de l'affection de notre admirable armée qui lutte, avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires, contre un ennemi supérieur en nombre et en armes. Sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés. Sûr de l'appui des Anciens Combattants que j'ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude
C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l'Honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'obéir qu'à leur foi dans le destin de la Patrie. »
Pour entendre ce discours : https://www.youtube.com/watch?v=LjsJ716sEkc .
La phrase importante, que tous les auditeurs ont retenu est bien évidemment celle-ci : « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat ». Tout le monde en a déduit que la guerre était terminée...
L'ennui, c'est que Pétain n'a absolument pas averti le Haut Commandement de l'Armée française du texte de son discours, qui est interprété par les soldats comme un ordre de "cessez le feu" immédiat... Dans l'après-midi, le général Georges informe le général Weygand que c'est par régiments entiers que nos troupes cessent de combattre, ce dont, évidemment, les Allemands prennent aussitôt avantage. En fin d'après-midi à la fois le général Weygand (nouveau ministre de la Défense nationale), le général Pujo (nouveau Ministre de l'air) et l'Amiral Darlan (nouveau Ministre de la marine marchande et militaire) font chacun publier un communiqué enjoignant à tous les commandants d'armées, à tous les chefs de l'armée de l'air et à tous les amiraux de continuer la lutte contre les Allemands. Mais, n'est-ce pas déjà trop tard ? Le discours de Pétain a complètement démobilisé les dernières troupes combattantes...
Et le pire, c'est que beaucoup de soldats français qui ont laissé passer les troupes allemandes, conformément à l'ordre du Maréchal Pétain, vont de ce fait être considérés, lorsque l'armistice entrera effectivement en fonction, comme "prisonniers" et devoir passer cinq longues années dans des camps en Allemagne....
Pour que les choses soient bien nettes, Paul Baudouin (nouveau ministre des Affaires Étrangères) prononce à son tour une allocution à la radio à 21h30 : « (...) Voilà pourquoi le gouvernement présidé par le Maréchal Pétain a dû demander à l'ennemi quelles seraient ses conditions de paix ? Mais il n'a pas pour autant abandonné la lutte, ni déposé les armes. Comme l'a dit ce matin le Maréchal Pétain, le pays est prêt à rechercher dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Il n'est pas prêt, et ne sera jamais prêt à accepter des conditions déshonorantes, à abandonner la liberté spirituelle de notre peuple, à trahir l'âme de la France. »
En clair : la guerre continue !... Les Français sont très décontenancés après ce deuxième discours radiophonique de la journée...
Paul Baudouin fait rectifier dans les journaux la phrase malheureuse de Pétain en y ajoutant deux mots : "tenter de". Ainsi, la phrase rectifiée de Pétain (qui sera publiée dans les journaux du lundi 17 juin l'après-midi et du mardi 18 juin 1940) sera celle-ci : « C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut tenter de cesser le combat ».
Paul Baudouin, nouveau Ministre des Affaires Etrangères, s'aperçoit d'une bourde énorme : dans la confusion de la soirée et de la nuit dernière il a omis d'adresser une demande d'armistice aux Italiens, comme il l'a fait aux Allemands. Aussi fait-il venir à la préfecture de Bordeaux Monseigneur Valerio Valeri, le nonce apostolique (donc l'ambassadeur du Vatican), et lui remet à 9h45 une note lui demandant « de faire part au gouvernement italien de son désir de rechercher avec lui les bases d'une paix durable entre les deux pays. »
De 10 heures du matin à midi moins le quart se réunit, sous la présidence d'Albert Lebrun, le premier Conseil des Ministres du gouvernement Pétain.
Le principal événement militaire de cette journée du lundi 17 juin 1940 est le bombardement effroyablement meurtrier de Rennes... Les Allemand poursuivaient en effet depuis Sillé-le-Guillaume (Sarthe) un train de douze wagons de mélinite et de munitions. Ils l'avaient manqué à plusieurs reprises. Au matin du 17 juin, ce convoi se trouve garé - par on ne sait quelle aberration - sur les voies de triage de Rennes, encadré par cinq trains contenant une foule de réfugiés, de blessés, et des troupes françaises rapatriées d'Angleterre (ayant notamment combattu les Allemands à Narvik en Norvège). Touchés par un chapelet de bombes placés au but, les wagons explosent, provoquant un véritable carnage : deux mille morts et neuf cents blessés. Ce fut le bombardement le plus meurtrier de toute la campagne de France.
L'autre événement militaire important est la course de vitesse que vont se livrer toute la journée entre la 7e Panzerdivision de Rommel et les derniers soldats britanniques encore sur le sol français qui tentent, à toute vitesse d'atteindre le port de Cherbourg pour rembarquer vers l'Angleterre. Les Allemands sont favorisés à partir de 12h30 suite au discours du Maréchal Pétain : la 7e Panzerdivision fonce sur Cherbourg, à une vitesse de 40 à 50 kilomètres par heure, sans rencontrer la moindre résistance de la part des troupes françaises. Un peu après minuit, à La Haye-du-Puits les troupes allemandes sont enfin stoppées par un feu nourri d'artillerie et de mitrailleuses. La 7e Panzerdivision avait alors parcouru 240 kilomètres depuis le matin et n'était plus qu'à 45 kilomètres de Cherbourg... A la même heure, les troupes anglaises, qui ont parcouru 320 kilomètres au cours des vingt-quatre dernières heures, arrivent à Cherbourg où elles peuvent in extremis s'embarquer pour l'Angleterre.
Pour ajouter encore un peu plus à la confusion de la situation militaire, le Président de la Chambre des Députés, Édouard Herriot (qui se vante pourtant d'être avec Jules Jeanneney, le Président du Sénat, un des partisans de "la lutte à outrance"...), qui a appris vers minuit par un coup de téléphone émanant de la mairie de Lyon (ville dont il est le maire) que les Allemands approchent de la ville, et que celle ci risque d'être bombardée, fait réveiller en pleine nuit le Maréchal Pétain et le supplie, toute affaires cessantes, d'obtenir du général Weygand qu'il déclare, tout comme il a fait pour Paris, Lyon "ville ouverte" pour éviter "des destructions et des morts inutiles".
Le Maréchal accepte, et demande à Weygand de déclarer Lyon "ville ouverte". Weygand décide alors de déclarer plus largement "villes ouvertes" tous les centres de plus de vingt mille habitants. Leur défense ne doit plus être assurée qu'à leur périphérie. Le général Georges proteste faisant valoir que cette décision est de nature à compromettre gravement la défense des rivières dont les principaux points de passage se trouvent précisément dans les villes de plus de 20 000 habitants.
Apprenant cette décision, les maires des agglomérations au Sud de la Loire demandent alors que l'on tienne compte non de la population de leurs villes en temps normal, mais en recensant tous les très nombreux réfugiés qui y sont regroupés.
La défense du territoire français devient donc quasiment impossible...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 18 juin 1940. Le jour où le général de Gaulle lance son célèbre appel sur les ondes de la BBC.
En ce mardi 18 juin 1940, 40ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce au seul communiqué officiel de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 577 (18 juin 1940) : « L'ennemi est parvenu aujourd'hui, par une action violente contre nos éléments de résistance, à progresser profondément en Normandie et en Bretagne. Ses détachements avancés ont atteint Cherbourg et Rennes.
De violents combats ont lieu également au Sud de Châteaudun.
Sur la Loire moyenne, l'ennemi a pu établir, au cours de la journée, quelques têtes de pont entre Orléans et Nevers.
Entre la Loire et les Vosges, les masses ennemies ont continué à s'avancer vers le Jura.
Des combats se poursuivent en Lorraine et en Alsace où nos troupes contiennent l'ennemi. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du mardi 18 juin 1940, se dit que jamais depuis la guerre de 1870-1871 l'ennemi allemand n'avait pénétré aussi profondément le territoire français.
Voici maintenant les points importants de cette journée du mardi 18 juin 1940, la quatorzième de "la bataille de France" :
Précisons tout d'abord que les deux ordres donnés aux soldats français durant la journée du 17 juin :
-1°) ne pas se battre à l'intérieur des agglomérations de plus de 20 000 habitants ;
-2°) ne pas cesser de combattre partout ailleurs, aussi longtemps que l'armistice ne sera pas conclu ;
bien que très difficilement conciliables, ont été partout respectés.
A l'Ouest, la bataille de Cherbourg commence. Le dernier navire britannique quitte le port à 16 heures. Le lendemain matin les troupes de Rommel prendront le port.
Dans l'après-midi, les blindés de la 5e Panzerdivision foncent simultanément sur Morlaix, Brest et Lorient. Sur la Loire, l'ennemi a conquis une nouvelle tête de pont à Briare, et borde le fleuve de Gien à Digoin. Plus à l'Est, des éléments avancés du Groupement blindé von Kleist ont encerclé Moulins et marchent sur Vichy et Roanne après avoir occupé le centre industriel du Creusot.
Voyant cela, le général Besson, qui commande le IIIe Groupe d'Armées, inquiet de la menace qui se développe sur ses arrières, prescrit d'entamer dans la nuit le replis sur le Cher.
Dans la vallée du Rhône, les divisions motorisées allemandes ayant dépassé Macon s'avancent rapidement dans la direction de Lyon. Encore plus à l'Est, la 1ère Panzerdivision s'empare de Belfort. Guderian dirige personnellement l'attaque contre les forts qui ont refusé de se rendre, et les emporte l'un après l'autre, tandis qu'à sa gauche, les 2e, 6e et 8e Panzerdivisionen franchisse la Meuse du Sud au Nord, entre Remiremont et Charmes.
Le IIe Groupe d'Armées (IIe, IIIe, Ve et VIIe armées françaises) est entièrement encerclé dans les Vosges. La situation est sans issue...
L'Amiral de la Flotte, François Darlan, lance un ordre à toutes les unités navales françaises leur disant : « Le Président du Conseil rappelle à tous les combattants qu'aucun armistice n'est encore intervenu et que leur devoir est de poursuivre la résistance au maximum. Aucun bâtiment de combat ne doit tomber intact aux mains de l'ennemi. En cas de besoin, la ligne de repli de tout bâtiment de combat ou aéronef est l'Afrique du Nord. Tout bâtiment de combat ou aéronef ne pouvant facilement l'atteindre et risquant de tomber aux mains de l'ennemi doit se détruire ou se saborder, suivant ordre de l'autorité supérieure. »
Grâce à cette consigne, quasiment aucun bâtiment de guerre ne tombera intact aux mains des Allemands :
- à Brest : le cuirassé Richelieu (35 000 tonnes), qui vient de terminer ses essais, prend la mer sous le commandement du capitaine de vaisseau Marzin. Il est précédé et suivi par pas moins de quatre-vingts bâtiments, conduits par l'amiral Moreau : contre-torpilleurs, torpilleurs, avisos, sous-marins avec leur ravitailleur Jules Verne, croiseurs auxiliaires, paquebots, chalutiers armés, remorqueurs, transports. Tout ce qui peut voguer par ses propres moyens, fût-ce à six nœuds seulement, file en direction de Casablanca et de Dakar.
- à Saint-Nazaire : le cuirassé Jean-Bart (49 000 tonnes) n'est hélas pas tout à fait terminé. Il risque donc de tomber aux mains des Allemands qui descendent à marches forcées vers l'embouchure de la Loire. Le capitaine de vaisseau Pierre-Jean Ronac'h (c'est le neveu de l'amiral Pierre Alexis Ronac'h qui commandait la célèbre brigade de fusiliers marins à Dixmude, sur l'Yser, en octobre 1914) stimule les équipes qui ne dépensent sans compter jusqu'à l'épuisement de leurs forces pour lui permettre d'échapper aux Allemands.
- à Cherbourg : cinq sous-marins sur cale dans l'arsenal sont sabordés ainsi que des dragueurs de mines et des remorqueurs.
- à Brest : quatre grands sous-marins de 1 500 tonnes sont sabordés ainsi que le torpilleur Cyclone. Le lendemain, le torpilleur Mistral et le sous-marin Surcouf, appareillent pour Plymouth, emmenant l'amiral Cayrol, chef du secteur de Brest et les derniers échelons des services et des équipages de démolition.
Les avisos et patrouilleurs incapables de prendre la mer seront sabordés :
* le 19 juin à Lorient (dont l'héroïque défense sera assurée par l'amiral de Penfentenyo) ;
* le 22 juin à La Pallice ;
* le 24 juin au Verdon ; c'est-à-dire au fur et à mesure que les forces allemandes arrivent à la lisière des ports de l'Atlantique.
L'escadre de la Méditerranée, basée à Toulon, est moins menacée. Aussi reste-telle seulement en alerte.
Ajoutons qu'une fois les navires de la flotte de l'Atlantique évacués ou sabordés, les marins français font sauter à Cherbourg, à Brest, à Lorient, et à La Rochelle, l'arsenal, les réservoirs à mazout, les poudrières, les stocks à munition, les installations portuaires. Tout saute et tout est en flammes !... Les incendies brûleront pendant plusieurs jours.
Mussolini rencontre Hitler à Munich. Il espère obtenir de grosses compensations territoriales au détriment de la France : l'occupation par l'Italie de tous les territoires à l'Est du Rhône, plus la Corse, la Tunisie et la Somalie française. De plus il souhaiterait obtenir les bases navales d'Alger, Oran et Casablanca. Hélas pour le Duce, Hitler a balayé ces plans d'un revers de manche : il espère une paix prochaine avec la Grande-Bretagne et ne désire pas accroître l'hostilité des Français. Mussolini en est tout dépité...
A Bordeaux : nouveau Conseil des Ministres à 11 heures. A son issue, le Maréchal Pétain propose à Paul Reynaud le poste d'ambassadeur de France à Washington. Reynaud refuse d'abord, puis devant l'insistance de Pétain donne son accord de principe, mais demande à ce que cette nomination ne devienne effective que lorsque les conditions d'armistice seront connues.
Les Présidents Jeanneney et Herriot, tentent de convaincre le Maréchal Pétain de transférer le gouvernement français en Afrique du Nord. Devant son refus, ils imaginent un stratagème : scinder le gouvernement en deux, une partie irait à Perpignan, et l'autre directement à Alger. Albert Lebrun y est favorable. Le Maréchal consent à accepter cette solution. Et c'est là qu'entre en scène Pierre Laval. Ayant appris ce projet de scission du gouvernement, il se précipite chez le Maréchal et lui démontre qu'ainsi seul le gouvernement d'Alger sera reconnu par l'étranger et non le sien, resté en France métropolitaine. L'intervention de Pierre Laval laisse le Maréchal Pétain profondément perplexe. La politique, décidément, est un jeu difficile...
La BBC diffuse à 15 heures un grand discours que Winston Churchill prononce devant la Chambre des Communes. A 18 heures elle diffuse le célèbre appel du général de Gaulle (malheureusement il n'a pas été enregistré car tous les magnétophones de la BBC ont été réquisitionnés pour enregistrer le discours de Winston Churchill) :
« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des États-Unis.
Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un
jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.
Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres. »
Cet appel a été en réalité très peu entendu, mais ce qui est très important c'est que beaucoup y ont répondu durant les jours, les semaines, les mois et les années qui ont suivi.
Peu de gens le savent, mais le texte de cet appel a été envoyé à l'agence française d'informations Havas (l'ancêtre de l'actuelle Agence France Presse - AFP), qui l'a reproduit sur ses télescripteurs (en faisant une faute au nom du général, l'appelant "de Gaule") et ainsi certains journaux de la zone non encore occupée ont pu le faire paraître dans leurs éditions du mercredi 19 juin1940. Il a même été reproduit en première page du "Petit Provençal", et en pages intérieures du "Petit Marseillais" et du "Progrès" à Lyon.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mercredi 19 juin 1940. Le jour où les Cadets de Saumur décident de défendre héroïquement les ponts sur la Loire.
En ce mercredi 19 juin 1940, 41ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux habituels communiqués de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 578 (19 juin 1940 - matin) : « L'ennemi a maintenu sa pression sur l'ensemble du front. Il n'a pas réalisé d'avance importante depuis hier soir. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du mercredi 19 juin 1940 au matin, n'en pense pas grand chose...
* communiqué n° 579 (19 juin 1940 - soir) : « En Bretagne, l'ennemi s'efforce de progresser en direction de Nantes.
Au Sud de la Loire moyenne, nos troupes se sont repliées et l'ennemi a atteint le cours du Cher en certains points plus à l'Est, il a lancé des éléments dans la direction de Roanne, Lyon, Ambérieux.
Les opérations se poursuivent en Alsace et au Sud de la Lorraine. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du mercredi 19 juin 1940 au soir, se dit que rien ne semble pouvoir arrêter les Allemands. Il se demande également pourquoi les Italiens n'attaquent-ils toujours pas ?...
Voici maintenant les points importants de cette journée du mercredi 19 juin 1940, la quinzième de "la bataille de France" :
A Cherbourg, les troupes de Rommel reprennent l'attaque à onze heures du matin. La reddition du port aura lieu à 17 heures. L'amiral Abrial (le responsable du camp retrancé de Dunkerque début juin) est fait prisonnier.
En Bretagne, les Panzers du Corps blindé Hoth sont aux lisières de Lorient et de Morlaix. Ils progressent rapidement à Brest, où ils entreront à 19 heures.
Dans le secteur de la Basse-Loire, Nantes, déclarée "ville ouverte" n'est pas défendue. Les Allemands établissent une tête de pont sur la rive gauche du fleuve et marchent sans désemparer sur Saint-Nazaire. Sentant qu'il n'y a plus une minute à perdre, le commandant Ronar'ch décide de faire appareiller le cuirassé Jean-Bart à 3 heures du matin, une heure avant la pleine mer, de manière à être dans le chenal au moment de la marée haute. A 3h30, tiré et poussé par trois puissants remorqueurs, le Jean-Bart quitte le quai. Soudain, trois bombardiers allemands surgissent au Nord et l'attaque avec des bombes, le navire réussit à les éviter. La DCA du cuirassé ouvre alors le feu sur eux. Les trois avions s'éloignent, puis reviennent pour une deuxième attaque. De nouveau les bombes allemandes manquent le navire. Lors d'une troisième attaque, un bombardier réussit à placer une bombe entre deux tourelles de 380. Hélas pour les Allemands, cette bombe n'a pas réussi à percer le blindage en acier du pont, épais de 17 centimètres. Le Jean-Bart vogue sur les eaux de l'Atlantique. Deux escorteurs, venus de Brest, le Hardi (avec à son bord l'amiral Laborde, Commandant en chef des forces françaises maritimes de l'Ouest) et le Mameluk l'accompagnent désormais. Le Jean-Bart se ravitaille en mazout auprès du pétrolier-ravitailleur le Tarn. Un destroyer britannique, le Vanquisher, l'escorte bientôt également. A 11h30, le ravitaillement en mazout étant en cours, le destroyer britannique (qui s'est rendu compte que le convoi ne prenait pas la direction de l'Angleterre...) envoie un message optique demandant "Where are we going ?" (Où allons-nous ?). Le commandant du Jean-Bart ne répond pas, estimant que seul l'amiral Laborde peut répondre à cette question, s'il le juge utile. Le navire britannique s'approche alors de l'escorteur le Hardi et pose la même question. Son commandant lui fait répondre que sa mission est terminée. Déçu, le destroyer britannique s'éloigne vers le Nord-Est. Le Jean-Bart accostera à Casablanca le 22 juin à 16h55, ayant navigué sans compas.
A Saumur, les Allemands vont piétiner pendant 48 heures, les jeunes Cadets de l'école de cavalerie défendant héroïquement leur ville face aux troupes allemandes. Sous l'impulsion d'un chef ardent, le colonel François Michon, les 2 200 Cadets de l'école de cavalerie de Saumur vont défendre la Loire, du pont de Montsoreau au pont de Gennes, sur 25 kilomètres de front. Leur maigre armement est celui de l'instruction : cinq chars Hotchkiss, trois automitrailleuses, quatre canons de 75, dix canons de 25, quelques mortiers de 60 et de 81, et les armes individuelles. Deux jours durant, les 19 et 20 juin, ces 2 200 Cadets vont réussir à arrêter les troupes allemandes sur les ponts de Saumur. Ils ne cesseront le combat qu'une fois leurs munitions épuisées... Le flot des Panzers peut alors franchir les ponts sur la Loire. Mais au moins l'honneur est sauf !...
Des colonnes allemandes occupent Vierzon, Romorantin, Bourges, Vichy, Roanne, et même Lyon.
Dans l'après-midi la Luftwaffe bombarde Poitiers, puis Bordeaux même au cours de la nuit. Le Maréchal Pétain et les membres du gouvernement sont obligés de gagner les abris.
Dans la matinée le Maréchal Pétain demande au général Weygand s'il est prêt à aller lui-même à la rencontre des Allemands pour recevoir leurs conditions d'armistice ? Weygand répond qu'en 1918 ce n'est pas le Commandant en chef de l'armée allemande qui est allé à Rethondes. Pétain décide donc que ce sera le général Huntziger, commandant du Groupe d'Armées n°4. Cinq autres personnes l'accompagneront : les diplomates Léon Noël et François Charles-Roux, le contre-amiral Maurice Le Luc, le général Georges Parisot et le général de l'armée de l'air Jean Bergeret. Cette liste est remise à Monsieur de Lequeria pour qu'il la fasse parvenir au gouvernement allemand ainsi qu'au gouvernement italien.
A Munich, Mussolini demande que les deux délégations d'armistice, l'allemande et l'italienne, fusionnent. Hitler s'y oppose : s'il a admis que les deux armistices entrent en vigueur simultanément, il désire qu'ils soient négociés et signés séparément.
Revenu à Rome, Mussolini prend conscience que le principe de l'entrée en vigueur simultanée des deux armistices lui permet d'en retarder l'effet pendant plusieurs jours. Il décide d'en profiter pour lancer sans délai une offensive dans les Alpes, espérant améliorer ainsi la situation de l'Italie, avant la cessation des hostilités. Prudemment, il décide de limiter son attaque à deux petits secteurs : l'un près de la frontière Suisse, l'autre au Sud, le long du littoral. Mussolini sera très irrité d'apprendre du général Pintor, commandant la 1ère Armée italienne que cette armée ne peut pas encore attaquer la France demain, 20 juin.
A 9 heures du matin un Conseil des Ministres se réunit à la préfecture de Gironde. Il décide, sur l'initiative du ministre de l'Intérieur Charles Pomaret, de quitter assez rapidement Bordeaux pour Perpignan.
A 18 heures, le général de Gaulle prononce un deuxième appel sur les ondes de la BBC :
« A l'heure où nous sommes, tous les Français comprennent que les formes ordinaires du pouvoir ont disparu.
Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d'un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l'impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, général de Gaulle, soldat et chef français, j'ai conscience de parler au nom de la France.
Au nom de la France, je déclare formellement ce qui suit : tout Français qui porte encore les armes a le devoir absolu de continuer la résistance. Déposer les armes, évacuer une position militaire, accepter de soumettre n'importe quel morceau de terre française au contrôle de l'ennemi, ce serait un crime contre la Patrie.
A l'heure qu'il est, je parle avant tout pour l'Afrique du Nord française, pour l'Afrique du Nord intacte.
L'armistice italien n'est qu'un piège grossier.
Dans l'Afrique de Clauzel, de Bugeaud, de Lyautey, de Noguès, tout ce qui a de l'honneur a le strict devoir de refuser l'exécution des conditions ennemies.
Il ne serait pas tolérable que la panique de Bordeaux ait pu traverser la mer.
Soldats de France, où que vous soyez, debout ! »
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 24/6/2009, 15:47, édité 1 fois
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Hommage aux Cadets de l'École de Cavalerie de Saumur, les Premiers Résistants de France, dès le 17 juin 1940 dans l'après-midi, donc un jour avant l'Appel du 18 juin.
Bonjour à toutes et bonjour à tous,
J'interromps un moment la relation chronologique, jour après jour, pour revenir un instant sur la raison qui m'a fait baptiser la journée du mercredi 19 juin 1940 "Le jour où les Cadets de Saumur décident de défendre héroïquement les ponts sur la Loire".
Pourquoi ai-je particulièrement insisté sur cet événement ? Eh bien, tout simplement parce qu'il est je crois l'illustration des causes de la défaite française de mai et juin 1940 : s'il y avait eu davantage de "colonel François Michon", sachant trouver les mots et les actes pour galvaniser les soldats français, l'exploit des jeunes Cadets de l'École de Cavalerie de Saumur aurait été multiplié par mille, les troupes anglaises seraient alors restées aux côtés des troupes françaises et la débâcle n'aurait peut être pas eu lieu, ou alors il n'y aurait eu qu'une simple retraite des armées franco-britanniques, comme en août-septembre 1914, qui tôt ou tard, notamment grâce à l'aviation anglaise utilisée alors sans restriction sur le sol français, auraient réussi à stabiliser l'avance des troupes allemandes.
Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur l'exploit des Cadets de Saumur, je les renvoie à l'excellent témoignage de Jean Zimmerman, colonel de réserve (un des anciens "Cadets de Saumur" en juin 1940, blessé grièvement le 20 Juin 1940, au cours des Combats, au poste de Commandement du Colonel Michon) :
http://www.anac-fr.com/2gm/2gm_99.htm
On y apprend que : « Ce fut ainsi que fin mai 1940, le principe de la défense de la Loire fut décidé.
A l'École de Cavalerie, fut attribué le secteur allant du confluent de la Vienne et de la Loire à 1'Est (au-delà de Montsoreau), au Thoureil (au-delà de Gennes)à l'Ouest, soit un front de 40 kilomètres.
Ce front comprenait quatre points de franchissement de la Loire :
- le pont de Montsoreau ;
- le Viaduc de Chemin de Fer ;
- les deux ponts de Saumur (de part et d’autre de l'Ile) ;
- le Pont de Gennes.
(...)
Le 15 Juin, l'École de Cavalerie, établissement d’instruction relevant directement de la Direction de la Cavalerie, et non des Armées en Campagne, reçut de cette Direction l’ordre de repli à Montauban.
Cette prescription annulait l'ordre de défendre les passages de la Loire dans le secteur imparti à l'École, et son départ créait un trou de 40 kilomètres dans le dispositif de défense de la Loire.
Le Colonel Michon, dont la grandeur d'âme, la flamme et l’esprit de sacrifice étaient indiscutables, n'admit pas que l’École quittât Saumur sans combattre ; il obtint de ne renvoyer à l’arrière que les éléments non susceptibles de combattre (personnel de service, chevaux....) et de maintenir sur place les combattants, notamment les Cadres et les Élèves.
Le lundi 17 juin 1940 à 12 heures 30 : message du Maréchal Pétain donnant l'ordre de cesser les combats, la demande d'armistice étant faite.
Le Colonel Michon et son Chef d'État Major, le Commandant Lemoyne, convinrent que le prestige et l'honneur de l'École de Cavalerie nous commandaient, malgré cet ordre, de nous battre à Saumur pour tenter de nous opposer, bien que n'ayant que de faibles moyens, à la traversée de la Loire par les Allemands dans notre secteur.
Le Colonel Michon convoqua tous les Cadres, leur exposant la situation et sa décision, mais, qu'étant donné les ordres supérieurs, ils étaient libres de ne pas être du même avis : TOUS FURENT VOLONTAIRES.
Les élèves furent ensuite réunis pour leur exposer la situation : TOUS FURENT ÉGALEMENT VOLONTAIRES POUR ENGAGER LE COMBAT.
Ainsi donc, dès le 17 juin 1940, avant que ne retentisse l'appel du 18 Juin, l'École de Cavalerie de Saumur entrait la première dans la Résistance, aussitôt l’armistice demandé. »
Vous lirez ensuite sur ce site Internet le déroulement des combats, heure par heure, pont par pont.
Je voudrais seulement citer trois autres extraits de ce site Internet très intéressant :
* Premièrement la citation du 24 août 1940, signée du Généralissime Maxime Weygand, "Citation à l'ordre de l'armée de l'École Militaire d'application de la Cavalerie et du Train" : « Sous le commandement du colonel Michon, reflétant l'âme de son chef, l'École Militaire et d'Application de la Cavalerie et du Train a combattu les 19, 20 et 21 juin 1940 jusqu'à l'extrême limite de ses moyens de combat, éprouvant de lourdes pertes, prodiguant les actes d'héroïsme et inscrivant dans les fastes de la Cavalerie une page digne entre toutes de son glorieux passé.
A suscité par sa bravoure, l'hommage de son adversaire.
Vichy, le 24 août 1940
Le général Commandant en Chef
Weygand. »
* Deuxièmement ce qui est arrivé aux Cadets faits prisonniers dans la forêt de Fontevraud : « Je dois ajouter que les Allemands qui avaient fait prisonniers les élèves et Officiers de l’École, dans la Forêt de Fontevraud, les escortèrent d’abord à Bourgueil, puis les ramenèrent à l'École de Cavalerie , où ils les internèrent.
Après 15 jours de captivité, en raison de leur résistance opiniâtre sur le Front de Saumur, ils les séparèrent des autres prisonniers. Formant une colonne encadrée par leurs Officiers de l'École et seulement quelques soldats allemands, les élèves se dirigèrent en direction de la Zone libre par Loches, où l'Indre franchie, ils furent libérés et rejoignirent Montauban.
Les Allemands avaient libéré également 749 chevaux de l'École , en même temps que les 218 Élèves et Officiers prisonniers.
Selon le rapport du Colonel Michon, publié à Montauban le 9 août 1940, sur les 560 Élèves-Officiers ayant participé aux combats de Saumur, il n’en restait que 366 :
79 étaient tués ou disparus
32 blessés en traitement
15 en convalescence. »
* Troisièmement l'hommage de l'adversaire ; extrait du rapport, en date du 3 juillet 1940, du général allemand Der Vornach (qui commandait la Première Division allemande de Cavalerie ayant attaqué Saumur) :
« Alors qu’il y a quelques jours les pointes des colonnes allemandes se rapprochent de Saumur, tandis que les restes démoralisés des divisions françaises battues sur la Somme et sur la Seine, traversent sans arrêt les ponts sur la Loire, et, tandis que le Maire de Saumur veut déclarer la ville : "Ville ouverte", le Commandant repousse cette initiative, et place la ville en état de défense avec ses 500 Cadets, élèves de Cavalerie.
Les Ponts sur la Loire sautèrent devant les premiers blindés allemands. Et alors, le crépitement retentit de toutes les maisons du Quartier Sud, de l’Est et de l’Ouest sur plusieurs kilomètres, des coupures et des bastions naturels des hauteurs dont les rocs de craie blanche s'enfoncent ici vers le lit du fleuve.
Au moyen de mitrailleuses, de canons anti-chars, d’obusiers, "les Cadets de l'École de Cavalerie" se battirent ardemment pendant plus de deux jours dans une position sans espoir, tandis qu’à leur droite et à leur gauche, retentissait déjà le chaos de la rupture générale.
Même le feu de notre artillerie allemande ne pouvait ralentir cette vaillante résistance bien voulue reconnue par nous l’adversaire. A peine se taisait-il d’un côté, même un instant seulement, qu'aussitôt reprenait de l’autre côté le crépitement des mitrailleuses.
Elle retarda le passage des éléments allemands sur le fleuve, mais ne put l'empêcher au-delà d'une certaine durée, dès qu’à l'Ouest de Saumur, et à plusieurs kilomètres à l'Est les têtes de ponts allemandes furent établies.
Les attaquants allemands de Saumur sont aussi des Cavaliers. Ils appartiennent à la Première Division Blindée de Cavalerie, qui hier s'est portée à 70 kilomètres au Sud de Saumur, dans la région comprise entre Thouars et Parthenay, en une marche en avant contre un ennemi faiblissant.
Cet épisode n'eut pas la moindre part dans la poursuite de l'adversaire et également dans le succès final allemand en France.
Signé : général Der Vormach
Commandant de la 1ère Division Blindée de la Cavalerie Allemande
le mercredi 3 juillet 1940. »
Il est à noter que le Général Allemand Der Vormach fut le premier à appeler les défenseurs : les Cadets de Saumur et ce nom leur resta par la suite.
Roger le Cantalien.
Bonjour à toutes et bonjour à tous,
J'interromps un moment la relation chronologique, jour après jour, pour revenir un instant sur la raison qui m'a fait baptiser la journée du mercredi 19 juin 1940 "Le jour où les Cadets de Saumur décident de défendre héroïquement les ponts sur la Loire".
Pourquoi ai-je particulièrement insisté sur cet événement ? Eh bien, tout simplement parce qu'il est je crois l'illustration des causes de la défaite française de mai et juin 1940 : s'il y avait eu davantage de "colonel François Michon", sachant trouver les mots et les actes pour galvaniser les soldats français, l'exploit des jeunes Cadets de l'École de Cavalerie de Saumur aurait été multiplié par mille, les troupes anglaises seraient alors restées aux côtés des troupes françaises et la débâcle n'aurait peut être pas eu lieu, ou alors il n'y aurait eu qu'une simple retraite des armées franco-britanniques, comme en août-septembre 1914, qui tôt ou tard, notamment grâce à l'aviation anglaise utilisée alors sans restriction sur le sol français, auraient réussi à stabiliser l'avance des troupes allemandes.
Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur l'exploit des Cadets de Saumur, je les renvoie à l'excellent témoignage de Jean Zimmerman, colonel de réserve (un des anciens "Cadets de Saumur" en juin 1940, blessé grièvement le 20 Juin 1940, au cours des Combats, au poste de Commandement du Colonel Michon) :
http://www.anac-fr.com/2gm/2gm_99.htm
On y apprend que : « Ce fut ainsi que fin mai 1940, le principe de la défense de la Loire fut décidé.
A l'École de Cavalerie, fut attribué le secteur allant du confluent de la Vienne et de la Loire à 1'Est (au-delà de Montsoreau), au Thoureil (au-delà de Gennes)à l'Ouest, soit un front de 40 kilomètres.
Ce front comprenait quatre points de franchissement de la Loire :
- le pont de Montsoreau ;
- le Viaduc de Chemin de Fer ;
- les deux ponts de Saumur (de part et d’autre de l'Ile) ;
- le Pont de Gennes.
(...)
Le 15 Juin, l'École de Cavalerie, établissement d’instruction relevant directement de la Direction de la Cavalerie, et non des Armées en Campagne, reçut de cette Direction l’ordre de repli à Montauban.
Cette prescription annulait l'ordre de défendre les passages de la Loire dans le secteur imparti à l'École, et son départ créait un trou de 40 kilomètres dans le dispositif de défense de la Loire.
Le Colonel Michon, dont la grandeur d'âme, la flamme et l’esprit de sacrifice étaient indiscutables, n'admit pas que l’École quittât Saumur sans combattre ; il obtint de ne renvoyer à l’arrière que les éléments non susceptibles de combattre (personnel de service, chevaux....) et de maintenir sur place les combattants, notamment les Cadres et les Élèves.
Le lundi 17 juin 1940 à 12 heures 30 : message du Maréchal Pétain donnant l'ordre de cesser les combats, la demande d'armistice étant faite.
Le Colonel Michon et son Chef d'État Major, le Commandant Lemoyne, convinrent que le prestige et l'honneur de l'École de Cavalerie nous commandaient, malgré cet ordre, de nous battre à Saumur pour tenter de nous opposer, bien que n'ayant que de faibles moyens, à la traversée de la Loire par les Allemands dans notre secteur.
Le Colonel Michon convoqua tous les Cadres, leur exposant la situation et sa décision, mais, qu'étant donné les ordres supérieurs, ils étaient libres de ne pas être du même avis : TOUS FURENT VOLONTAIRES.
Les élèves furent ensuite réunis pour leur exposer la situation : TOUS FURENT ÉGALEMENT VOLONTAIRES POUR ENGAGER LE COMBAT.
Ainsi donc, dès le 17 juin 1940, avant que ne retentisse l'appel du 18 Juin, l'École de Cavalerie de Saumur entrait la première dans la Résistance, aussitôt l’armistice demandé. »
Vous lirez ensuite sur ce site Internet le déroulement des combats, heure par heure, pont par pont.
Je voudrais seulement citer trois autres extraits de ce site Internet très intéressant :
* Premièrement la citation du 24 août 1940, signée du Généralissime Maxime Weygand, "Citation à l'ordre de l'armée de l'École Militaire d'application de la Cavalerie et du Train" : « Sous le commandement du colonel Michon, reflétant l'âme de son chef, l'École Militaire et d'Application de la Cavalerie et du Train a combattu les 19, 20 et 21 juin 1940 jusqu'à l'extrême limite de ses moyens de combat, éprouvant de lourdes pertes, prodiguant les actes d'héroïsme et inscrivant dans les fastes de la Cavalerie une page digne entre toutes de son glorieux passé.
A suscité par sa bravoure, l'hommage de son adversaire.
Vichy, le 24 août 1940
Le général Commandant en Chef
Weygand. »
* Deuxièmement ce qui est arrivé aux Cadets faits prisonniers dans la forêt de Fontevraud : « Je dois ajouter que les Allemands qui avaient fait prisonniers les élèves et Officiers de l’École, dans la Forêt de Fontevraud, les escortèrent d’abord à Bourgueil, puis les ramenèrent à l'École de Cavalerie , où ils les internèrent.
Après 15 jours de captivité, en raison de leur résistance opiniâtre sur le Front de Saumur, ils les séparèrent des autres prisonniers. Formant une colonne encadrée par leurs Officiers de l'École et seulement quelques soldats allemands, les élèves se dirigèrent en direction de la Zone libre par Loches, où l'Indre franchie, ils furent libérés et rejoignirent Montauban.
Les Allemands avaient libéré également 749 chevaux de l'École , en même temps que les 218 Élèves et Officiers prisonniers.
Selon le rapport du Colonel Michon, publié à Montauban le 9 août 1940, sur les 560 Élèves-Officiers ayant participé aux combats de Saumur, il n’en restait que 366 :
79 étaient tués ou disparus
32 blessés en traitement
15 en convalescence. »
* Troisièmement l'hommage de l'adversaire ; extrait du rapport, en date du 3 juillet 1940, du général allemand Der Vornach (qui commandait la Première Division allemande de Cavalerie ayant attaqué Saumur) :
« Alors qu’il y a quelques jours les pointes des colonnes allemandes se rapprochent de Saumur, tandis que les restes démoralisés des divisions françaises battues sur la Somme et sur la Seine, traversent sans arrêt les ponts sur la Loire, et, tandis que le Maire de Saumur veut déclarer la ville : "Ville ouverte", le Commandant repousse cette initiative, et place la ville en état de défense avec ses 500 Cadets, élèves de Cavalerie.
Les Ponts sur la Loire sautèrent devant les premiers blindés allemands. Et alors, le crépitement retentit de toutes les maisons du Quartier Sud, de l’Est et de l’Ouest sur plusieurs kilomètres, des coupures et des bastions naturels des hauteurs dont les rocs de craie blanche s'enfoncent ici vers le lit du fleuve.
Au moyen de mitrailleuses, de canons anti-chars, d’obusiers, "les Cadets de l'École de Cavalerie" se battirent ardemment pendant plus de deux jours dans une position sans espoir, tandis qu’à leur droite et à leur gauche, retentissait déjà le chaos de la rupture générale.
Même le feu de notre artillerie allemande ne pouvait ralentir cette vaillante résistance bien voulue reconnue par nous l’adversaire. A peine se taisait-il d’un côté, même un instant seulement, qu'aussitôt reprenait de l’autre côté le crépitement des mitrailleuses.
Elle retarda le passage des éléments allemands sur le fleuve, mais ne put l'empêcher au-delà d'une certaine durée, dès qu’à l'Ouest de Saumur, et à plusieurs kilomètres à l'Est les têtes de ponts allemandes furent établies.
Les attaquants allemands de Saumur sont aussi des Cavaliers. Ils appartiennent à la Première Division Blindée de Cavalerie, qui hier s'est portée à 70 kilomètres au Sud de Saumur, dans la région comprise entre Thouars et Parthenay, en une marche en avant contre un ennemi faiblissant.
Cet épisode n'eut pas la moindre part dans la poursuite de l'adversaire et également dans le succès final allemand en France.
Signé : général Der Vormach
Commandant de la 1ère Division Blindée de la Cavalerie Allemande
le mercredi 3 juillet 1940. »
Il est à noter que le Général Allemand Der Vormach fut le premier à appeler les défenseurs : les Cadets de Saumur et ce nom leur resta par la suite.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le jeudi 20 juin 1940. Le jour où la délégation française d'armistice quitte Bordeaux.
En ce jeudi 20 juin 1940, 42ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce au seul communiqué de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 580 (20 juin 1940) : « Au cours de la journée, la situation n'a subi dans l'ensemble aucun changement notable.
L'ennemi a poussé des détachements de reconnaissance au Sud de Nantes, à l'Ouest de Bourges, vers Montluçon et Vichy, au Sud de Lyon et en direction de Nantua. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du jeudi 20 juin 1940, se dit que décidément rien ne va plus...
Voici maintenant les points importants de cette journée du jeudi 20 juin 1940, la seizième de "la bataille de France" :
Après avoir achevé l'occupation de Cherbourg, la 7e Panzerdivision de Rommel est mise au repos.
A 7 heures du matin, le général Georges part pour Montauban, nouveau siège du Quartier Général. Par décision du général Weygand, l'armée des Alpes passe sous ses ordres. On en arrive enfin à la solution qu'on aurait dû adopter dès le début de la guerre : la création d'un théâtre d'opération en France, sous une seule autorité. C'est vrai ; mais il est hélas trop tard. Il n'y a plus d'opérations autres que locales. Et il n'y a pour ainsi dire plus d'armée...
Au cours de la journée, l'ennemi réussit à franchir la Loire, à l'Est de Tours et à Saumur. Sur le Cher, il force le passage à Selles et pousse vers le Sud, rompant la gauche de la Ve Armée, dont quatre divisions disparaissent presque complètement. Plus à l'Est, les Allemands pénètrent dans Montluçon, Riom et Thiers. Dans les Vosges, les blindés de Guderian entrent à Gérardmer.
En revanche, cette journée du jeudi 20 juin 1940 voit une bonne nouvelle pour l'Armée française des Alpes : elle a enfin l'occasion de combattre pour la première fois depuis la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939 !... En effet, l'armée italienne tente quelques escarmouches d'avant-postes en Tarentaise, et une attaque locale sur les positions françaises de défense au col du Mont-Cenis. Toutes ces actions italiennes sont repoussées, sans pertes sensibles pour nous.
A 14h30 la délégation française d'armistice quitte Bordeaux. Elle ignore où exactement elle va aller... Son trajet est : Libourne, Angoulême, Poitiers et Tours. Là elle est très surprise de constater que la préfecture de l'Indre-et-Loire n'est pas encore occupée par l'armée allemande... Ce n'est qu'à 22 heures (alors qu'elle était sensée y arriver à 17 heures) que la délégation arrive à Tours. C'est le Secrétaire Général de la préfecture d'Indre-et-Loire et le Commissaire central qui se présentent à elle et vont l'amener aux avants-postes allemands. La rencontre avec les premières troupes allemandes a lieu à Vendôme, mais le voyage doit continuer vers Chartres, puis Villacoublay et c'est par la porte d'Orléans qu'elle entre à Paris. C'est finalement à 7h30 du matin, le vendredi 21 juin, après un voyage interminable de 17 heures, que la délégation française d'armistice peut prendre un peu de repos à l'hôtel Royal Monceau, avenue Hoche. La destination finale de cette délégation reste toujours un mystère pour elle...
A Bordeaux un Conseil des Ministres se tient à la préfecture de Gironde à 11 heures. Albert Lebrun indique son souhait de partir immédiatement pour l'Afrique du Nord. Camille Chautemps propose un compromis : le départ pour Perpignan. Cette solution est finalement acceptée par le Conseil. L'heure du départ est même fixée à 14h30. Ensuite, un croiseur stationné à Port-Vendres, se tiendra prêt à partir pour emmener le Président de la République, le gouvernement et les Parlementaires qui le souhaiteront pour Alger. Cette solution est également adoptée par le Conseil.
A 12h30, le Maréchal Pétain prononce à la radio un deuxième discours :
« Français ! J'ai demandé à nos adversaires de mettre fin aux hostilités. Le gouvernement a désigné hier, mercredi, les plénipotentiaires chargés de recueillir leurs conditions.
J'ai pris cette décision, dure au cœur d'un soldat, parce que la situation militaire l'imposait. Nous espérions résister sur la ligne de la Somme et de l'Aisne. Le général Weygand avait regroupé nos forces. Son nom seul présageait la victoire. Pourtant, la ligne a cédé, et la pression ennemie a contraint nos troupes à la retraite.
Dès le 13 juin, la demande d'armistice était inévitable. Cet échec vous a surpris. Vous souvenant de 1914 et de 1918, vous en cherchez les raisons : je vais vous les dire.
Le 1er mai 1917, nous avions encore 3 280 000 hommes aux armées, malgré trois ans de combats meurtriers. A la veille de la bataille actuelle, nous en avions 500 000 de moins. En mai 1918, nous avions 85 divisions britanniques ; en mai 1940, il n'y en avait que 10. En 1918, nous avions les 58 divisions italiennes et les 42 divisions américaines.
L'infériorité de notre matériel a été plus grand encore que celle de nos effectifs. L'aviation française a livré à un contre six ses combats.
Moins forte qu'il y a 22 ans, nous avions aussi moins d'amis. Trop pu d'enfants, trop peu d'armes, trop peu d'alliés, voilà les causes de notre défaite.
Le peuple français ne conteste pas ses échecs. Tous les peuples ont connu tour à tour des succès et des revers. C'est par la manière dont ils réagissent qu'ils se montrent faibles ou grands.
Nous tirerons les leçons des batailles perdues. Depuis la victoire, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on n'a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le malheur.
J'ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du Gouvernement, je suis et resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s'agit de la France, de son sol, de ses Fils. »
Un peu avant 14h30, donc à l'heure fixée au Conseil des Ministres de ce matin pour quitter Bordeaux pour Perpignan, Raphaël Alibert, sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil, téléphone à Albert Lebrun pour l'informer qu'un Conseil de Cabinet doit se réunir à 14h30 à la préfecture de Gironde. Albert Lebrun accepte de différer son départ pour Perpignan dans l'attente des décisions qui seront prises.
A 14h30 le Maréchal Pétain réunit ses ministres en Conseil de Cabinet à la préfecture de Gironde. Le Maréchal leur fait savoir que la délégation d'armistice vient de se mettre en route et qu'elle doit rencontrer les Allemands à Tours, à 19 heures. Il espère en recevoir des nouvelles dans la soirée et demande au gouvernement de surseoir à son départ jusque-là. Les ministres acquiescent. Seul Camille Chautemps n'a pas l'air satisfait.
Les opposants au départ en Afrique du Nord sont sur le point de gagner la partie !...
A minuit le général Émile Laure, adresse l'Ordre général suivant aux officiers, sous-officiers et soldats de la VIIIe Armée : « Nous formons désormais le dernier carré, avec peu de vivres et peu de munitions, autour du Poste de Commandement du Chef de l'Armée.
Pour la presque totalité d'entre vous, vous envisagez la situation avec calme et fermeté : je sais quelle est, dans le fond de votre âme, votre décision et, au nom du Pays qui vous regarde, je vous en remercie.
Quelques-uns s'émeuvent : qu'ils tournent leurs regards vers ceux qui ne savent pas trembler. J'ordonne que toutes les positions confiées à votre garde soient défendues avec une énergie farouche, jusqu'aux dernières vivres, jusqu'à la dernière munition et que, si elles sont cependant perdues, on se resserre avec la même résolution autour du Chef de l'Armée.
J'interdis que qui que ce soit faiblisse ou se rende. Chacun à son poste, nous défendrons l'honneur de l'Armée et de la France, les armes à la main. »
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le vendredi 21 juin 1940. Le jour où l'armée italienne déclenche une grande offensive contre la France dans les Alpes.
En ce vendredi 21 juin 1940, 43ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux communiqués de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 581 (21 juin 1940 - matin) : « Au cours de la journée, la situation n'a subi dans l'ensemble aucun changement notable.
L'ennemi a poussé des détachements de reconnaissance au Sud de Nantes, à l'Ouest de Bourges, vers Montluçon et Vichy, au Sud de Lyon et en direction de Nantua. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du vendredi 21 juin 1940 au matin, s'étonne que les combats continuent, vu la situation géographique des villes mentionnées.
* communiqué n° 582 (21 juin 1940 - soir) : « Dans les Vosges, nos troupes, formées en un vaste carré, soutiennent vigoureusement la lutte. Elles ont, à plusieurs reprises, repoussé les assauts de l'ennemi et contre-attaqué avec succès.
Sur le reste du front, quelques rencontres locales notamment dans la région de Clermont-Ferrand. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du vendredi 21 juin 1940 au soir, plaint sincèrement les pauvres soldats français encerclés dans les Vosges, et se désespère de voir que l'ennemi est aux portes de Clermont-Ferrand !...
Voici maintenant les points importants de cette journée du vendredi 21 juin 1940, la 17ème de "la bataille de France" :
La 7e Panzerdivision de Rommel quitte Cherbourg et se dirige sur Rennes, pour participer aux dernières opérations de Bretagne.
Morlaix et Lorient tombent dans la journée. Brest, où les forces blindées du groupement Horth ont été relevées par des unités d'infanterie ordinaires, offre un spectacle désolé. Le port est vide. Nos bateaux incapables de prendre la mer se sont sabordés. L'arsenal n'est plus qu'un tas de décombres.
Au soir, toute la Bretagne est occupée.
Au Sud de la Loire, l'ennemi fait son apparition à Thouars et à Cholet. Plus à l'Est, il pénètre à Clermont-Ferrand et progresse en direction d'Issoire. Dans la soirée Vienne et Montbrison sont pris.
Mais l'événement le plus important de la journée au point de vue des opérations militaires, est le déclenchement d'une violente offensive italienne dans les Alpes à l'aube : pas moins de 19 divisions italiennes, sur les 32 qui se trouvent massées dans ce secteur, s'élancent à l'assaut des positions tenues par l'Armée française des Alpes.
En face d'elles, notre Armée des Alpes, commandée par le général René Olry (dont le PC se trouve à Valence), se trouve réduite à un état squelettique (trois divisions de montagne seulement !...), par suite des prélèvements successifs effectués par le Haut Commandement français.
Dès le déclenchement des opérations, les troupes françaises se trouvent dans une position difficile. Elles doivent s'opposer, face à l'Est, aux attaques de l'armée italienne, tandis que dans leur dos les formations allemandes descendent la vallée du Rhône.
Devant cette situation périlleuse, le général Olry réagit avec décision : il divise ses forces en deux. Une partie tournée vers le Nord-Ouest, s'opposera à l'avance allemande. L'autre, tournée vers les Sud-Est, fera face aux Italiens.
Pour constituer le Groupement du Nord de l'Armée des Alpes, le général Olry a rassemblé tout ce qu'il a pu trouver dans les dépôts. Sur sa demande, l'armée de l'Air a accepté de lui fournir treize bataillon, et la Marine a également accepté de lui fournir deux bataillons et des canonniers marins prélevés sur le front de mer. Bientôt, grâce à son énergie, pas moins de 25 000 hommes de toute provenance se trouvent massées sur l'Isère et le Haut-Rhône. Tous ces hommes sont prêts à faire face à l'armée allemande sur l'Isère, depuis son confluent avec le Rhône jusqu'à Voreppe, en le continuant par les Échelles, le lac du Bourget et le Rhône de Haute-Savoie.
Depuis hier soir, tous les ponts sur l'Isère ont sauté. De plus, l'ouverture des vannes des deux grands barrages du Sautet (qui retient les eaux de la Romanche) et du Chambon (qui retient les eaux du Drac), situés en amont, augmente considérablement le débit de la rivière et augmente l'obstacle pour l'armée allemande.
Dès le début des opérations, les troupes italiennes se portent partout en avant.
Au Nord, dans la Tarentaise, douze bataillons s'efforcent d'enlever Bourg-Saint-Maurice, en passant par les trois cols de la Seigne, du Petit Saint-Bernard et du Mont. Elles ne réussissent qu'à encercler un petit ouvrage, la "Redoute ruinée", près du col du Petit Saint-Bernard, mais sans pouvoir s'en emparer... Les positions françaises face à ces douze bataillons italiens ne s'élèvent qu'à quatre bataillon et 42 pièces d'artillerie.
En Maurienne, les Italiens attaquent avec des moyens puissants: deux divisions, quatre bataillons d'Alpini, le 11e bataillon de Chemises noires, suivis en deuxième échelon par la division "Brennero". Leur objectif est Modane, qu'ils s'efforcent d'atteindre par les quatre cols du Mont-Cenis, de Sollières, de Bellecombe et du Clapier. A 5h30 du matin, plus de mille obus s'abattent sur le fort de la Turra, sans entamer sa résistance. Plus au Sud, en revanche, nos trois sections d'éclaireurs, débordés par deux bataillons italiens, ne peuvent tenir au Planey. Elles sont refoulées au barrage de la Tuille et la progression italienne, s'avançant de la Belle-Plinier, s'oriente vers le Mont-Rond.
A Briançon, un duel d'artillerie s'engage entre le fort italien du Chaberton et une batterie française de 280. En quelques heures le fort du Chaberton est obligé de cesser le feu, toutes ses pièces d'artillerie ayant été mises hors d'usage par les tirs de l'artillerie française.
En Ubaye, l'ouvrage de Viraysse, un moment encerclé, est dégagé par une contre-attaque française qui permet de faire 334 prisonniers italiens !!!...
A la fin de la journée du vendredi 21 juin, les Italiens sont arrêtés partout devant leurs positions de départ, sauf dans la pointe du Queyras, où ils ont réussi à encercler le village d'Abriès.
Dans la soirée, pour faire face aux conséquences possibles d'actions allemandes s'exerçant de part et d'autre du Massif-Central, le Haut Commandement français prescrit aux 16e et 18e régions de constituer des groupements de défense qui couvriront éventuellement Toulouse face à l'Est, et Bordeaux, face au Nord. Ces groupement agiront :
- pour la 16e région : sur les axes Saint-Pons - Mazamet, et Narbonne - Carcassonne ;
- pour la 18e région : en barrant la Dordogne en aval De Bergerac.
A 13h30 la délégation française d'armistice quitte l'hôtel Royal-Montceau pour la porte de la Villette, Senlis et Compiègne. Les voitures ralentissent, puis s'arrêtent : c'est Rethondes. Le wagon où Foch signa l'armistice du 11 novembre 1918 est à quelques mètres. On aperçoit Hitler à travers la vitre du wagon.
Les plénipotentiaires français montent dans le wagon, Hitler les invite par un geste à s'asseoir. Le général Huntziger prend place face au chancelier allemand. Sans prononcer un mot, Hitler donne la parole au général Keitel. Celui-ci lit, au nom du Führer, une longue déclaration puis il lit le texte des 23 articles de la conventions d'armistice. Adolf Hitler tend alors à chacun des délégués français un exemplaire du texte qui vient d'être lu. Puis il se lève, salue du bras droit en fixant dans les yeux chaque délégué, puis descend du wagon, sans avoir prononcé un mot. On entend dans la clairière s'élever une strophe de l'hymne national allemand.
Des très longues discussions commencent alors entre les délégués français et le général Keitel.
Sur sa demande, la délégation française est autorisée par Keitel à communiquer par téléphone à partir de 20h15 avec le gouvernement de Bordeaux.
Le général Weygand, angoissé, demande au général Huntziger :
« - Où êtes-vous, et quelle est votre impression générale ?
- Je suis sous une tente, à Rethondes, à côté du Wagon...
- Mon pauvre ami...
- Les conditions sont dures, mais elles ne renferment rien qui soit contraire à l'honneur.
- Et la flotte ?
- Les Allemands n'exigent pas qu'elle leur soit remise.
- Et le reste ?
- Nous avons reçu un document qui comporte vingt-quatre articles. Il forme un tout et ne peut être modifié.
- Sur quel ton vous a été faite la communication allemande ?
- Très dur.
- Et les conditions elles-mêmes ?
- Je vais vous les lire.
- Bien. Je les répéterai au fur et à mesure pour que Gasser, qui est à côté de moi, puisse les prendre par écrit. »
Cette dictée a lieu de 20h15 à 21h53.
La dictée étant terminée Weygand appelle le Maréchal Pétain au téléphone pour le prévenir que les conditions d'armistice viennent d'arriver. Celui-ci lui demande : « Comment sont-elles ? ». Weygand lui répond : « Dures, mais non déshonorantes ».
A Bordeaux, à 22h15, le Maréchal Pétain fait prévenir Albert Lebrun qu'un Conseil des Ministres se réunira à une heure du matin.
Le général Huntziger rappelle le général Weygand et lui signale que les Allemands exigent une réponse pour le lendemain à 11 heures, heure allemande (10 heures, heure de Bordeaux).
La délégation française quitte alors Rethondes, et retourne en voiture à Paris, à l'hôtel Royal-Montceau, où elle arrive à 2h30 du matin.
Adolf Hitler fait transmettre à Benito Mussolini, par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Allemagne en Italie, une copie des conditions d'armistice. Mussolini est désespéré de constater que les conditions allemandes sont très légères. Du coup, il revoit ses ambitions territoriales très à la baisse : il se bornera donc à demander la délimitarisation d'une bande de 50 kilomètres de largeur le long de la frontière franco-italienne.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le samedi 22 juin 1940. Le jour où l'armistice franco-allemand est signé.
En ce samedi 22 juin 1940, 44ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux communiqués de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 583 (22 juin 1940 - matin) : « Des rencontres locales ont eu lieu au Sud de la Loire, notamment à Moncontour, à Ligueil et à Châtillon-sur-Indre, ainsi qu'entre Saint-Étienne et Roanne.
Sur le Rhône, à Andance, un détachement de spahis a repoussé, après un vif combat, des éléments ennemis comprenant un bataillon et des chars.
Dans les Alpes, les Italiens ont tenté, sans succès quelques attaques locales. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du samedi 22 juin 1940 au matin, se félicite du succès du détachement de spahis à Andance (Ardèche), et est très content d'apprendre que les troupes italiennes, qui ont enfin osé attaquer les troupes françaises qui gardent la frontière des Alpes, aient été repoussées.
* communiqué n° 584 (22 juin 1940 - soir) : « Au cours de la journée, les Allemands ont poussé des reconnaissances au Sud de la Basse-Loire, en direction de la Roche-sur-Yon et Poitiers. Ils ont accentué légèrement leur poussée dans la vallée du Rhône, vers l'Isère.
Sur le front des Alpes, les Italiens ont attaqué en plusieurs points, du Mont-Blanc à la mer. Ils ont été partout contenus. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du samedi 22 juin 1940 au soir, s'inquiète que ce communiqué ne soit pas plus explicite sur des "points" attaqués par les troupes italiennes.
Voici maintenant les points importants de cette journée du samedi 22 juin 1940, la 18ème de "la bataille de France" :
Sur la côte de l'Atlantique, les Allemands prennent pied jusqu'à la hauteur de La Rochelle.
Dans les Vosges, le cercle s'est rétréci autour des troupes françaises. Tronçonnées en plusieurs groupes isolés les uns des autres, il n'existe plus, pour elles, d'autre alternative que la destruction ou la capitulation. Dans cette situation désespérée, le général Condé (chef de la IIIe Armée française) demande des instructions au général Georges. Les vivres vont manquer et les munitions s'épuisent. Après accord du général Weygand, le général Georges prescrit au général Condé de tenir encore coûte que coûte. La perspective d'un armistice prochain justifiant cet ultime effort. C'est en fait la consigne déjà donnée par le général Laure (chef du IXe Corps d'Armée) dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 juin 1940 (voir à la page du jeudi 20 juin 1940).
Mais, dans la soirée du samedi 22 juin 1940, la situation ayant encore empiré, le général Condé, ayant épuisé ses vivres et ses munitions, est autorisé à demander la cessation des hostilités, à condition qu'on lui rende les honneurs de la guerre. Ceux-ci lui sont accordés par le général List. Toutes les troupes françaises de l'Est (à l'exception de celles encore retranchées dans les forts de la ligne Maginot), soit près de cinq cent mille hommes, sont faites prisonnières après avoir lutté jusqu'à la dernière extrémité.
Que reste-t-il, ce samedi 22 juin 1940 au soir, des forces armées françaises ?
La Xe Armée française, qui a retraité de la Somme à la Bretagne, est capturée presque toute entière.
A l'Est, les IIIe, Ve et VIIIe Armées le sont également, avec une partie de la VIe Armée. Il ne reste que des débris informes de la VIe et de la VIIe Armées, « une misérable fraction de l'armée française, sans matériel, sans une seule division cohérente, qui court vers le Sud, mêlée aux civils. »
Sur les Alpes, tandis que les forces allemandes bordent l'Isère, les Italiens renouvellent leurs attaques sur toute la longueur du front : dans la Tarentaise, par le col du Petit Saint-Bernard ; dans la Maurienne, par le col du Mont-Cenis ; vers l'Ubaye, par le col de Larche. Comme la veille, ils sont bloqués partout sur les avant-postes français, sauf sur le littoral où ils progressent légèrement dans la région Est de Menton.
A une heure du matin, le Conseil des Ministres se réunit à la préfecture de Gironde sous la présidence d'Albert Lebrun. Le général Weygand commence par lire le texte qui lui a été téléphoné par le général Huntziger.
Messieurs Chautemps, Frossard, Rivière et Février ne sont pas favorables à l'acceptation de ces conditions. Le Président Lebrun hésite... Camille Chautemps déclare alors : « Si j'avais pensé qu'on en arriverait là, je ne serais jamais entré dans le ministère. »
Les opposants à l'acceptation des conditions allemandes vont soudainement recevoir l'appui inattendu de l'amiral de la Flotte, François Darlan qui déclare : « Il faut continuer à nous battre. Je vais faire bombarder les pots italiens par la flotte ! » Et il fait porter, sur le champ, le message suivant à l'amirauté : « 22 juin 1940. Je précise que rien n'étant encore conclu, les hostilités continuent. F. Darlan. »
A trois heures du matin le Conseil des Ministres s'achève. Il doit se réunir de nouveau à 8 heures. En fait c'est à 8h45 qu'un nouveau Conseil des Ministres se réunit. La nuit aurait-elle porté conseil ? Camille Chautemps et l'amiral Darlan ne parlent plus de continuer la résistance. Il est visible qu'une partie du Conseil a reporté ses espoirs de rupture sur l'armistice avec l'Italie. Le Conseil estime donc qu'il n'y a rien de déshonorant dans les conditions d'armistice - si dures soient-elles - et par conséquent il examine les articles les uns après les autres. A 10 heures du matin (heure de Bordeaux, soit 11 heure, heure allemande) le Conseil s'interrompt et l'on téléphone au général Huntziger les amendements proposés. A 11h05 (heure allemande) les deux délégations se retrouvent face à face dans le wagon historique de Rethondes. Huntziger demande d'abord au général Keitel que les forces allemandes s'engagent à ne pas attaquer Bordeaux comme le Maréchal Pétain l'a demandé au chancelier Hitler, le temps que les négociations avec l'Italie puissent s'engager. Keitel répond que la demande sera transmise au Führer qui peut seul prendre cette décision.
Le général Huntziger arrive à émouvoir la délégation allemande en lui disant : « L'Italie nous a déclaré la guerre, mais elle ne nous l'a pas faite [le général Huntziger ignore, vu qu'il a quitté Bordeaux depuis plus de 48 heures, que l'armée italienne a attaqué depuis hier la frontière française des Alpes]. Nous n'avons pas besoin d'armistice avec l'Italie, parce que l'armistice a coïncidé avec sa déclaration de guerre... Il y a là une situation qui est ressentie cruellement par le peuple français.
Si à Rome, nous sommes mis en présence d'exigences inacceptables, tout l'édifice de notre convention s'écroulera. Vous nous foulerez aux pieds ; vous nous ferez plus de mal encore ; nous le supporterons, mais nous ne donnerons pas notre signature et nous reprendrons notre liberté d'action. Advienne que pourra ! La France estime que l'honneur est préférable à la vie !
Je rends hommage à l'intention d'adoucir certaines des clauses très dures de la convention, intentions qui s'est exprimée dans certaines déclaration du général Keitel. Si le gouvernement me donne l'ordre de signer, la France s'exécutera loyalement, reconnaissant le fait que la guerre lui a été contraire... Mais cela n'aura pas lieu si nous mis à Rome en présence d'appétits qui ne seraient justifiés par rien... »
Les termes de cette déclaration, le ton sur lequel elle a été faite émeuvent visiblement les officiers allemands. Le général Keitel lui-même ne peut dissimuler qu'il est touché dans sa conscience de soldat. Il ne proteste pas. Il se borne à déclarer : « Je ne suis pas qualifié pour vous répondre, pas plus que je ne suis en mesure de donner des conseils aux Italiens. Tout ce que je puis dire, c'est que la délégation italienne connaîtra nos délibérations et nos accords. »
Jacques Benoist-Méchain déclare dans son ouvrage que le Maréchal Keitel devait lui confier plus tard : « A ce moment-là, le général Huntziger m'a vraiment ému. Si j'avais été à sa place, c'est exactement ce que j'aurais dit. Je ne savais que lui répondre. »
Mais, le temps passe. Les délais prescrits par le Haut Commandement allemand sont écoulés depuis longtemps. Keitel déclare alors : « Il faut aboutir. C'est au gouvernement français de décider s'il veut ou non la cessation des hostilités, ou s'il préfère perdre un temps précieux en délibérations. Le gouvernement du Reich et l'armée allemande n'ont, en ce qui les concerne, aucune raison de désirer la cessation des
hostilités. »
A ce moment, on apporte au général Keitel la réponse de Hitler à la demande du Maréchal Pétain : « Sous condition que la convention d'armistice soit signée dans la journée même, il est du désir du Führer de tenir Bordeaux à l'écart des opérations militaires, tant que durera la négociation avec l'Italie. »
Il est 16 heures. La séance est suspendue, pour permettre au général Huntziger de prendre une dernière fois contact avec le gouvernement français et lui demander ses instructions finales : doit-il ou non signer la convention d'armistice ? A 16h05 le général Huntziger fait connaître par téléphone à Bordeaux le résultat de la négociation sur les amendements, et notamment les avantages obtenus concernant les avions et la flotte. Il signale en même temps qu'il a été convenu de part et d'autre, de tenir le texte de la convention secret, jusqu'au moment où sera signée la convention avec l'Italie - si toutefois elle est signée...
(à suivre...)
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le samedi 22 juin 1940. Le jour où l'armistice franco-allemand est signé (suite).
A Bordeaux, les ministres (réunis en Conseil Des Ministres qui siège en permanence depuis ce matin) décident de délibérer sur les informations que vient de leur transmettre le général Huntziger.
A 16h50 le téléphone sonne dans la tente de la délégation française : le général Weygand fait savoir que les ministres veulent que soient annexées à la convention d'armistice les demandes de la délégation française et les réponses du gouvernement allemand pour qu'il en reste une trace officielle.
La délégation française, après réflexion, estime qu'il serait maladroit de soumettre cette demande à la délégation allemande vu que plusieurs fois le général Keitel a refusé de coucher ses paroles par écrit répétant chaque fois que « la parole d'un soldat allemand valait mieux qu'une feuille de papier. » Revenir là-dessus risquerait de susciter un incident disproportionné avec le résultat escompté par le gouvernement de Bordeaux.
A ce moment (18h34, heure allemande) un aide de camp du général Keitel apporte au général Huntziger une lettre lui disant que si à 19h30 la convention d'armistice n'est pas signée il considérera que les négociations ont échoué. A l'heure dite, il quittera le lieu des négociations et ordonnera que la délégation française soit reconduite au front.
Il ne reste donc plus que 56 minutes pour signer ou non...
A Bordeaux, le Conseil des Ministres semble s'être ravisé puisqu'à 18h36 exactement (heure allemande) le génral Huntziger reçoit par téléphone l'ordre suivant (confirmation est immédiatement envoyée par télescripteur) : « Ordre est donné à la Délégation française de signer la Convention d'armistice avec l'Allemagne.
Rendre compte de l'exécution.
La Délégation se rendra ensuite à Rome où les pouvoirs ont été envoyés par câble. »
A 18h42 les deux délégations se retrouvent dans le wagon historique pour procéder à la signature.
Le général Charles Hunziger déclare dès le début : « D'ordre de mon gouvernement, je déclare que le gouvernement français a décidé de signer la convention d'armistice que nous venons d'élaborer. » Puis, avant d'apposer sa signature au bas de la convention d'armistice, il lit la déclaration suivante : « Au moment d'apposer sa signature au bas de la convention d'armistice, le Chef de la délégation française juge indispensable de faire la déclaration suivante : contrainte par le sort des armes de cesser la lutte dans laquelle elle s'était engagée aux côtés de ses Alliés, la France se voit imposer de très dures exigences, dans des conditions qui en soulignent la rigueur.
Elle est en droit d'attendre que, dans des négociations prochaines, l'Allemagne s'inspirera d'un esprit de nature à permettre à deux grands peuples voisins de vivre et de travailler pacifiquement. »
Après avoir remis une copie de ce texte au général Keitel, le général Huntziger ajoute : « Mon général, vous êtes un soldat et vous savez quelle dure épreuve est, pour un soldat, ce que je viens de faire. Il faut que dans l'avenir nous puissions, nous militaires français, n'avoir pas à nous repentir d'avoir fait le geste que je vais accomplir. » Les généraux allemands sont, eux aussi, visiblement émus. Le général Jold a des larmes aux yeux.
Le général Keitel déclare alors : « Il est honorable pour un vainqueur d'honorer un vaincu. Je tiens à rendre hommage au courage du soldat français. Je demande une minute de silence pour honorer la mémoire de ceux qui, de part et d'autres, ont versé leur sang pour leur Patrie. »
Tous les assistants se lèvent et observent une minute de silence.
Le général Huntziger signe alors la convention d'armistice, puis le général Wilhelm Keitel y appose à son tour sa signature. Il est 18h50 (heure allemande). L'armistice franco-allemand est conclu.
A 19h05 la délégation française remonte en voiture et regagne Paris, où elle attendra l'avion qui doit la conduire à Rome.
A 21h30 (heure française) arrive à Bordeaux l'ordre du Haut Commandement allemand accédant à la demande du Maréchal Pétain qui place Bordeaux en dehors de la zone de guerre. Cette décision est portée à la connaissance de la population bordelaise.
A Rome, Mussolini voudrait retarder le plus possible la signature de l'armistice franco-italien dans l'espoir que l'armée italienne prendra au moins la ville de Nice...
A Londres, à 18 heures le général de Gaulle prononce sur les ondes de la BBC son troisième appel radiophonique (le deuxième ayant été prononcé le 19 juin 1940 à 18 heures) :
« Un gouvernement de rencontre, cédant à la panique après avoir demandé l'armistice, connaît à présent les conditions de l'ennemi.
Il résulte de ces conditions que les forces françaises de terre, de mer et de l'air seront entièrement démobilisées, que nos armes seront livrées, que le territoire français sera totalement occupé et que le gouvernement français tombera sous la dépendance de l'Allemagne et de l'Italie.
On peut donc dire que cet armistice est non seulement une capitulation, mais encore un asservissement.
Or, beaucoup de Français n'acceptent pas la capitulation ni la servitude, pour des raisons qui s'appellent : l'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la patrie.
Je dis l'honneur, car la France s'est engagée à ne déposer les armes que d'accord avec ses alliés. Tandis que ses alliés continuent la guerre, son gouvernement n'a pas le droit de se rendre à l'ennemi. Le gouvernement polonais, le gouvernement norvégien, le gouvernement belge, le gouvernement hollandais, le gouvernement luxembourgeois, quoique chassés de leur territoire, ont compris ainsi leur devoir.
Je dis le bon sens, car il est absurde de considérer la lutte comme perdue. Oui, nous avons subi une grande défaite. Un système militaire mauvais, les fautes commises dans la conduite des opérations, l'esprit d'abandon du gouvernement pendant ces derniers combats, nous ont fait perdre la bataille de France. Mais il nous reste un vaste Empire, une flotte intacte, beaucoup d'or. Il nous teste des alliés dont les ressources sont immenses et qui dominent les mers. Il nous reste les gigantesques possibilités de l'industrie américaine. Les mêmes conditions de guerre qui nous ont fait battre par cinq mille avions et six mille chars, peuvent donner demain la victoire, par vingt mille chars et vingt mille avions.
Je dis l'intérêt supérieur de la patrie, car cette guerre n'est pas une guerre franco-allemande, qu'une bataille puisse décider ; cette guerre est une guerre mondiale. Nul ne peut prévoir si les peuples qui sont neutres aujourd'hui le resteront demain, et si les alliés de l'Allemagne resteront toujours ses alliés. Si les forces de la liberté triomphaient finalement de celles de la servitude, quel serait le destin d'une France qui se serait soumise à l'ennemi ?
L'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la Patrie commandent à tous les Français libres de continuer le combat là où ils seront et comme ils le pourront. »
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le dimanche 23 juin 1940. L'avant-dernier jour des combats.
En ce dimanche 23 juin 1940, 45ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux communiqués de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 585 (23 juin 1940 - matin) : « La poussée allemande, signalée hier soir, au Sud de la Basse-Loire s'est accentuée en direction de Rochefort.
Les attaques italiennes ont continué dans les Alpes, où elles ont été repoussées sur tous les points en avant de notre position de
résistance. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du dimanche 23 juin 1940 au matin, se dit que si l'armée allemande est aux portes de Rochefort (Charente-Inférieure), rien ne l'empêchera d'occuper très bientôt Bordeaux où siège le gouvernement français...
* communiqué n° 586 (23 juin 1940 - soir) : « Situation sans changement notable dans l'ensemble, sauf le long de la côte Atlantique où les Allemands continuent leur progression en direction de Rochefort, Saintes et Cognac.
Sur le front des Alpes, continuation des tentatives de progression italienne. Dans l'ensemble, nous tenons toujours nos positions avancées. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du dimanche 23 juin 1940 au soir, se dit qu'il grand temps que les combats cessent enfin.
Voici maintenant les points importants de cette journée du dimanche 23 juin 1940, la 19ème et avant-dernière de "la bataille de France" :
Le long de la côte de l'Atlantique, la Wehrmacht continue sa progression en direction du Sud. Elle atteint même dans la matinée Rochefort et Royan, prend possession en force de Poitiers, et progresse en direction d'Angoulême. Plus à l'Est, elle a dépassé Issoudun et Châteauroux, mais n'a pas encore franchi la Creuse. Dans la haute vallée de la Loire, des combats sérieux se déroulent dans la région Nord-Ouest de Saint-Étienne, au barrage de la Fouillouse.
Le général Georges signale, une fois de plus, au Commandant en Chef, le général Weygand, les effets très fâcheux de la décision gouvernementale, déclarant "villes ouvertes" toutes les localités de plus de vingt mille habitants. Celle-ci paralyse la défense et amène des conflits journaliers entre la population civile et les combattants.
Le général Olry proteste lui aussi, contre la non-destruction des ponts de Lyon, qui a permis aux Allemands de descendre rapidement la vallée du Rhône. Il déclare au général Weygand : « On ne peut pas me demander de me déshonorer en sacrifiant mon armée ».
De plus, l'arrivée des blindés allemands à l'estuaire de la Gironde pose un problème au Haut Commandement français. D'accord avec le Commandement allemand, une zone réservée a été tracée autour de Bordeaux, en vue de sauvegarder l'indépendance du gouvernement français, tant que dureront les négociations d'armistice avec l'Italie. De ce fait, on risque de voir la progression ennemie prendre rapidement la direction du Sud-Est, vers Marmande et Agen, compromettant encore davantage le repli de ce qui subsiste du IIIe Groupe d'Armées. Pour parer à cette éventualité, le général Georges demande l'autorisation de faire sauter les ponts de la Dordogne. Il reçoit, en fin de journée, l'autorisation de le faire.
Sur l'Isère, les forces allemandes, comprenant cinq divisions essaient de franchir la rivière à Voreppe, où elle fait un coude. La trouée est défendue par des Marins français servant des batteries antichars et par les Canonniers du 2e Groupe du 104e Régiment d'artillerie sous les ordres du chef d'escadron Azaïs de Vergeron. Les Alemands sont repoussés, laissant sur le terrain trois chars lourds, des batteries, des files de voitures.
Des dépôts d'essence sont incendiés au-delà de Voiron.
ET du côté de l'attaque de l'armée italienne sur notre frontière des Alpes ?
Avant de dire ce qu'il en a été lors de cette journée du dimanche 23 juin 1940, je voudrais revenir sur un point assez peu connu sur "l'élégance" du Commandant Suprême italien, le Duce. Cela s'est déroulé deux jours auparavant (donc le vendredi 21 juin 1940) : voulant améliorer à tout prix la situation militaire de l'Italie avant l'arrivée à Rome de la Délégation française d'armistice, Benito Mussolini a demandé au Haut Commandement allemand de lancer des unités de parachutistes sur les arrières des formations françaises qui tiennent solidement les cols des Alpes.
La réponse du Haut Commandement allemand, approuvée par Adolf Hitler, est cinglante : il refuse catégoriquement et déclare à Mussolini que « Ce ne serait pas chevaleresque ». Le Haut Commandement allemand ne tient absolument pas à assurer in extremis un succès à l'armée italienne, et moins encore un succès remporté à ses dépens.
Dépité, le Duce fait au Haut Commandement allemand une nouvelle demande : que les unités blindés allemandes qui descendent la vallée du Rhône accélèrent leur mouvement en avant. Cette demande lui est cette fois-ci accordée. Le Haut Commandement allemand transmet donc cet ordre au général von Rundstedt, mais avec la recommandation suivante : « Ne vous pressez pas trop. »
Revenons à la journée du dimanche 23 juin 1940, qui verra enfin l'armée italienne occuper une ville française : la cité frontalière de Menton.
Dès le matin l'armée italienne renouvelle encore une fois ses attaques contre les maigres troupes françaises qui défendent la frontière des Alpes, mais sans plus de succès que la veille, bien qu'elle ait augmenté considérablement ses effectifs en ligne. En fin de journée, son opiniâtreté est enfin récompensée : les troupes italiennes parviennent à enlever Menton, mais toutefois sans pouvoir continuer au-delà, car prises sous le feu nourri de la position française de résistance du Cap-Martin qui, elle, reste intacte.
A 5h25 du matin la Délégation française d'armistice se rend à l'aéroport du Bourget (où elle constate que les Allemands sont en train d'installer un formidable matériel de D.C.A.), où elle prend place à bord de trois avions Junkers. A 8h25 elle fait escale à Munich. Le départ pour Rome est fixé à 9h30, mais ce départ est retardé jusqu'à 11h30, afin de permettre aux autorités italiennes de prendre les mesures nécessaires, afin qu'à partir du col du Brenner, les trois avions de la délégation française soient escortés par des appareils militaires italiens. Ce n'est qu'à 15 heures que la Délégation française atterrit sur l'aérodrome de Littorio près de Rome. Elle est conduite à la villa Manzoni. Là les Délégués, très fatigués par les efforts qu'ils ont dû fournir ces derniers jours, prennent un peu de repos bien mérité.
A 19h30 la Délégation est reçue à la villa Incisa, sur la via Cassia. Mussolini s'est abstenu de venir en personne, il s'est fait représenté par son gendre, le comte Galeazzo Ciano, ministre italien des Affaires Étrangères, revêtu d'un uniforme. De part et d'autre il est assisté du maréchal Badoglio, du général Priccolo, de l'amiral Cavagnari et du général Roatta.
Ciano écrira plus tard : « Nous attendons les Français debout et les saluons à la romaine. Ils répondent en inclinant la tête. Ils sont corrects. Ils n'affichent ni dédain, ni abattement. Seul l'ambassadeur Noël est pâle comme un mort. »
Le comte Ciano se lève et ouvre les négociations en déclarant : « Le Duce de l'Italie fasciste, Chef du gouvernement, Commandant supérieur des Forces armées italiennes en opération, a chargé le maréchal Badoglio, Chef d'État-Major Général des Forces armées, de vous faire connaître les conditions de l'armistice entre l'Italie et la France. »
Le maréchal Badoglio se lève à son tour, et remet à chacun des plénipotentiaires français un exemplaire du texte italien, dont il fait lire la traduction française par le général Roatta.
Les délégués français ressentent un immense soulagement en entendant ces conditions. L'Italie ne réclame en effet, comme zone d'occupation, que le territoire occupé par ses troupes, au moment de la signature de l'accord. Or, à la connaissance de la Délégation française, les hostilités n'ont pas encore commencé dans les Alpes. Peu importe d'ailleurs, car cela revient presque au même.
Français et Italiens se serrent la main avec effusion, comme si l'accord était déjà conclu. Ce geste surprend le général Huntziger. La cérémonie a duré en tout vingt-cinq minutes.
Puis, les plénipotentiaires français retournent à la villa Manzoni pour se livrer à un examen approfondi des conditions italiennes. Un fil direct a été aménagé qui les relie à Bordeaux. C'est une attention délicate à laquelle ils sont sensibles.
Rentré au palais Chigi, Ciano téléphone à son beau-père : Mussolini est plein d'amertume car il n'aurait voulu n'arriver à l'armistice qu'après une victoire italienne.
Durant la nuit, les conditions d'armistice italiennes sont téléphonées par le général Huntziger au général Weygand.
A Bordeaux, à 11 heures se tient un Conseil des Ministres sous la Présidence d'Albert Lebrun. Messieurs Pierre Laval (sénateur du Puy-de-Dôme, nouveau Ministre d'État vice-président du Conseil) et Adrien Marquet (député-maire de Bordeaux, nouveau ministre d'État) y assistent pour la première fois.
Le Conseil examine, une dernière fois, les clauses de l'armistice allemand et approuve leur signature. Il est alors sans nouvelles de la Délégation française pour l'armistice italien.
Le gouvernement est unanime à déclarer intolérables les appels à l'insubordination. Le général Weygand fait valoir que le plus coupable, à ses yeux, est le général de Gaulle. Il indique qu'il a pris, par décret, la décision de lui retirer son grade de général (il redevient donc simple colonel d'infanterie) et de le mettre à la retraite d'office pour indiscipline, car il n'a pas obéi à ses chefs hiérarchiques qui lui ont enjoint de regagner immédiatement la France.
A l'issue du Conseil des Ministres, qui prend fin peu avant midi, le général Colson fait signer au Président Albert Lebrun le décret suivant :
Le Président de la République,
Sur le rapport du ministre de la Guerre,
Vu le décret-loi du 8 septembre 1939 suspendant le fonctionnement des conseils d'enquête pendant la durée de la guerre.
Décrète :
Article premier - Est admis à faire valoir ses droits à la retraite, par mesure de discipline, le colonel d'infanterie breveté d'État-Major de Gaulle (Charles, André, Joseph, Marie).
Article 2 - Le ministre de la Guerre est chargé de faire exécuter le présent décret.
Fait à Bordeaux, le 23 juin 1940
Par le Président de la République Albert Lebrun
Le Ministre de la Guerre :
Signé : Colson.
Vers 15 heures, le général de Gaulle, au cours d'une réunion tenue au lycée français de Londres, annonce à la radio anglaise la création du Comité National Français. Il fait savoir qu'il prend sous son autorité
« tous les Français se trouvant en Angleterre ou qui viendraient à s'y trouver ».
Quelques instants plus tard, la BBC publie deux déclarations du gouvernement britannique :
« Première déclaration :
Le gouvernement de Sa Majesté considère que les termes de l'armistice qui vient d'être signé, en violation des accords solennellement conclus entre les gouvernements alliés, place le gouvernement de Bordeaux dans un état d'assujettissement complet à l'ennemi et le prive de toute liberté et de tout droit de représenter de libres citoyens français.
En conséquence, le gouvernement de Sa Majesté ne peut considérer le gouvernement de Bordeaux comme celui d'un pays indépendant.
Première déclaration :
Le gouvernement de Sa Majesté a pris note du projet de formation d'un Comité national français provisoire, qui représenterait pleinement les éléments français indépendants qui sont résolus à poursuivre la guerre afin de remplir les obligations internationales contractées par la France.
Le gouvernement de Sa Majesté déclare qu'il reconnaîtra un Comité français de cette nature et qu'il traitera avec lui, sur toute matière relative à la poursuite de la guerre, tant que le Comité continuera à représenter les éléments français qui sont résolus à lutter contre l'ennemi commun. »
Dans la soirée, le Maréchal Pétain prononce à la radio l'allocution suivante :
« Français !
Le gouvernement et le peuple français ont entendu hier, avec une stupeur attristée, les paroles de Monsieur Churchill.
Nous comprenons l'angoisse qui les guide. Monsieur Churchill redoute, pour son pays, les maux qui accablent le nôtre depuis un mois.
Il n'est pourtant pas de circonstances où les Français puissent souffrir sans protester, les leçons d'un ministre étranger. Monsieur Churchill est juge des intérêts de son pays. Il ne l'est pas des intérêts du nôtre. Il l'est encore moins de l'honneur français.
Notre drapeau reste sans tache. Notre armée s'est bravement et loyalement battue. Inférieure en armes et en nombre, elle a dû demander que cesse le combat. Elle l'a fait, je l'affirme, dans l'indépendance et dans la dignité.
Nul ne parviendra à diviser les Français, au moment où le pays souffre.
La France n'a ménagé ni son sang, ni ses efforts. Elle a conscience d'avoir mérité le respect du monde. Et c'est d'elle-même, d'abord, qu'elle attend le salut. Il faut que Monsieur Churchill le sache. Notre foi en nous-même n'a pas fléchi. Nous subissons une épreuve dure. Nous en avons surmonté d'autres. Nous savons que la patrie demeure intacte, tant que subsiste l'amour de ses enfants pour elle. Cet amour n'a jamais eu plus de ferveur.
La terre de France n'est pas moins riche de promesses que de gloire.
Il arrive qu'un paysan de chez nous voie son champ dévasté par la grêle. Il ne désespère pas de la moisson prochaine. Il creuse avec la même foi, le même sillon pour le grain futur.
Monsieur Churchill croit-il que les Français refusent à la France entière l'amour et la foi qu'ils accordent à la plus petite parcelle de leurs champs ?
Ils regardent bien en face, leur présent et leur avenir.
Pour le présent, ils sont certains de montrer plus de grandeur en avouant leur défaite qu'en lui opposant des propos vains et des projets illusoires.
Pour l'avenir, ils savent que leur destin est dans leur courage et leur persévérance. »
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 24 juin 1940. Le dernier jour des combats..
En ce lundi 24 juin 1940, 46ème jour de l'offensive allemande sur le front Ouest commencée le vendredi 10 mai 1940, voici ce qu'ont pu entendre les auditeurs des postes de TSF français grâce aux deux communiqués de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 587 (24 juin 1940 - matin) : « Dans l'Ouest, aucun événement important.
Dans le centre, de vifs combats ont eu lieu aux environs de Saint-Étienne.
Dans le Sud-Est, les Allemands ont réussi à progresser dans la région de Culoz, en direction du Sud.
Sur la frontière des Alpes, les attaques renouvelées des Italiens, brisées par nos postes avancés, n'ont nulle part entamé notre position de résistance. L'ennemi a subi des pertes sérieuses. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du lundi 24 juin 1940 au matin, se félicite que les soldats français de la frontière des Alpes contiennent si bien les assauts de l'armée italienne.
* communiqué n° 588 (24 juin 1940 - soir) : « Légères progressions allemandes dans les Charentes où l'ennemi a occupé Angoulême, ainsi qu'à l'Est de la vallée du Rhône, où il a atteint Aix-les-Bains et les abords de la Vorette.
Dans les Alpes, les attaques italiennes se sont poursuivies pendant toute la journée. Elles ont été bloquées à proximité de la frontière par nos avants-postes, sauf en Maurienne où l'ennemi a légèrement dépassé Lanslebourg et dans le secteur de la côte où il occupe Menton.
Notre position de résistance est intacte sur tout le front des Alpes. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce communiqué du lundi 24 juin 1940 au soir, se désole que l'armée italienne ait finalement réussi à conquérir deux villes françaises : Lanslebourg (département de la Savoie) et Menton (département des Alpes-Maritimes).
Voici maintenant les points importants de cette journée du lundi 24 juin 1940, la 20ème et dernière de "la bataille de France" :
Saint-Étienne est pris dans la matinée, le barrage de la Fouillouse ayant cédé dans la nuit après une vive résistance. La ligne de défenses doit être reportée au Sud de la région industrielle.
L'armée allemande accentue son effort dans la vallée du Rhône, où elle pousse ses avant-gardes jusqu'aux abords de Tournon (département de l'Ardèche).
Aix-les-Bains (département de la Savoie) est pris. Des menaces inquiétantes pour les communications du front Nord des Alpes se dessinent.
N'ayant pu franchir l'Isère à Voreppe, les Allemands tentent de s'ouvrir, plus loin au Nord-Est, la route de Chambéry, en enlevant le village des Échelles. Celui-ci est défendu par deux compagnies, l'une appartenant au 25e Sénégalais, l'autre au 215e d'Infanterie.
Signalés la veille au soir à Pont-de-Beauvoisin, à 16 kilomètres des Échelles, les Allemands viennent se heurter, aux premières heures du lundi 24 juin 1940, aux forces françaises qui se défendent très brillamment en avant de la ville, à La Croix-de-la-Roche, au Maillet, à la Vielle Poste, tenant toute une journée entière contre un ennemi très supérieur en nombre et reculant pas à pas sur les Échelles mêmes. En fin de journée la ville est débordée à très courte distance. Les routes de repli sont coupées. Le maire des Échelles, Monsieur Viard, fait confectionner un drapeau blanc avec un drap. Précédé par un clairon et accompagné par deux habitants, Messieurs de Vaulxerre et Vigny, il se porte au-devant des Allemands et entame des pourparlers avec eux.
En raison de la belle défense de cette poignée de soldats français, le colonel von Marwitz consent à les laisser se replier. Ils précise que les soldats seuls seront désarmés, mais que les officiers auront le droit de conserver leurs armes.
Les officiers français protestent et repoussent ces conditions. Ils ne veulent pas être traités autrement que leurs hommes. Le combat va donc reprendre...
Pour éviter des morts français inutiles, Monsieur Viard retourne voir le colonel von Marwitz et obtient de sa part l'autorisation pour tous les soldats français qui défendaient les Échelles de pouvoir quitter le village, les armes à la main. C'est à 20h20 que les deux compagnies françaises (du moins ce qu'il en reste…) peuvent quitter les Échelles, en bon ordre, et avec leurs armes, en direction de Chambéry.
Qui a osé prétendre que les soldats français n'ont fait que fuir en mai-juin 1940, et ne se sont pas battus courageusement ?…
Sur la rive droite du fleuve Rhône, les soldats allemands arrivent jusqu'à la bourgade de Andance (département de l'Ardèche), ils lancent leur attaque dès les premières heures de la matinée. Ce secteur est défendu par une brigade de Spahis dirigée par le colonel Jouffrault. Le 6ème Spahis algériens défend les abords de la ville de Andance même, tandis que le 4ème Spahis marocains barre, 14 kilomètres plus loin, la route nationale menant à la ville du Puy-en-Velay (préfecture du département de la Haute-Loire). Cette brigade de Spahis tiendra ses positions toute la journée, et ne cessera le feu qu'à 22 heures, lorsque toutes ses munitions seront épuisées… Ici aussi, sachons reconnaître la bravoure des soldats français de mai-juin 1940…
A 22 heures, ce lundi 24 juin 1940, le général René, Henri Olry, qui commande l'armée des Alpes face aux troupes italiennes, transmet au Haut Commandement français, le bilan des opérations de la journée sur le front des Alpes :
« Sur les trente-deux divisions de l'armée italienne, tout ou partie de dix-neuf d'entre elles ont été engagées contre les avants-postes et quelques éléments de la position de résistance de nos six divisions.
Nous avons lutté à un contre sept en Tarentaise, contre quatre en Maurienne, contre trois en Briançonnais, contre douze en Queyras, contre neuf en Ubaye, contre six en Tinée, contre sept à l'Aution et à Sospel, contre quatre à Menton.
Notre adversaire n'a pris le contact de nos positions de résistance, ou ne s'en est rapproché, qu'en quelques points en Tarentaise et vers Menton. Nos ouvrages d'avant-postes ont tous tenus, même encerclés.
Face à l'Italie, luttant à un contre six, gardant intact au bout de cinq jours sa position de résistance et, par surcroît, une large bande de ses avant-postes, l'Armée des Alpes peut dire qu'elle a gagné sa bataille défensive. ».
A la page 491 du tome II Jacques Benoist-Méchin décrit de la façon suivante la fin des combats en ce soir du lundi 24 juin 1940 :
« A 23 heures, une note, adressée par message, prescrit à tous nos chefs de corps d'arrêter notre mouvement de repli. L'une après l'autre, nos unités, dont certaines sont en mouvement d'une façon ininterrompue depuis quarante-cinq jours, s'immobilisent et posent les armes.
Cependant, quelques régiments de forteresse, serrés dans les ouvrages de la ligne Maginot, notamment au fort du Grand Hohé et de Haguenau, bien que touchés par le message, refusent de cesser le combat et continueront à tirer jusqu'au soir du 30 juin. ».
L'événement le plus important de cette journée du lundi 24 juin 1940 est la reprise à 15h40, à la villa Incisa à Rome, des négociations d'armistice avec l'Italie. La signature de la convention d'armistice avec l'Italie intervient à 19h15, c'est donc à 01h15 du matin, soit six heures après cette signature que les hostilités devraient cesser sur tout le front français, à la fois face aux troupes allemandes et aux troupes italiennes. Mais, pour gagner du temps, le maréchal Pietro Badoglio a télégraphié au Haut Commandement allemand que l'armistice avait été signé à 18h35. C'est donc officiellement le mardi 25 juin 1940 à 00h35 heure française des territoires non occupés, ainsi à Bordeaux (soit 01h35 heure d'été allemande, des territoires occupés, ainsi à Paris) que le cessez-le-feu entre en vigueur.
A 18 heures, à Londres, le général de Gaulle lance sur les ondes de la BBC son quatrième Appel aux Français :
« Ce soir, je dirai simplement, parce qu'il faut que quelqu'un le dise, quelle honte, quelle révolte, se lèvent dans le cœur des bons Français.
Inutile d'épiloguer sur les diverses conditions des armistices franco-allemand et franco-italien. Elles se résument en ceci : la France et les Français sont pieds et poings liés, livrés à l'ennemi.
Mais si cette capitulation est écrite sur le papier, innombrables sont chez nous les hommes, les femmes, les jeunes gens, les enfants, qui ne s'y résignent pas, qui ne l'admettront pas, qui n'en veulent pas.
La France est comme le boxeur qui a reçu un coup terrible qui l'a terrassé. Elle gît à terre. Mais elle sait, elle sent, qu'elle vit toujours d'une vie profonde et forte. Elle sait, la sent, que l'affaire n'est pas finie, que la cause n'est pas entendue.
Elle sait, elle sent, qu'elle vaut beaucoup mieux que la servitude acceptée par le gouvernement de Bordeaux.
Elle sait, elle sent, que dans son Empire, des forces puissantes de résistance sont debout pour sauver son honneur. Déjà, en beaucoup de points des terres françaises d'outre-mer, s'est affirmée la volonté de poursuivre la guerre.
Il est nécessaire de grouper, partout où cela se peut une force française aussi grande que possible. Tout ce qui peut être réuni, en fait d'éléments militaires français et de capacités françaises de production d'armement doit être organisé, partout où il y en a.
Moi, général de Gaulle, j'entreprends, ici, en Angleterre, cette tâche nationale.
J'invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l'air, j'invite les ingénieurs et les ouvriers français spécialistes de l'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient y parvenir, à se réunir à moi.
J'invite les chefs et les soldats, les marins, les aviateurs, des forces françaises de terre, de mer, de l'air, où qu'ils se trouvent actuellement, à se mettre en rapport avec moi.
J'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre.
Vive la France Libre dans l'honneur et dans l'indépendance. »
Demain matin, mardi 25 juin 1940, l'auditeur français entendra le 589ème et dernier communiqué émanant de l'État-Major de l'armée française :
* communiqué n° 589 (25 juin 1940 - matin) : « Dans la soirée d'hier, les attaques italiennes ont continué et ont toutes été repoussées. Nos avants-postes, dans les régions du col de la Seigne, du Petit Saint-Bernard, du Mont-Cenis, d'Abries, du Pilon, de Pierre-pointue et de Coletta ont résisté à tous les assauts.
Nulle part notre position de résistance n'a été entamée.
En avant de cette position, une contre-attaque nous a permis de reprendre la moitié Ouest de Menton.
Les hostilités ont cessé sur tous les fronts à 0h35. »
L'auditeur français, après avoir entendu ce 589ème et dernier communiqué du mardi 25 juin 1940 au matin, se félicitera que les soldats français de la frontière des Alpes aient réussi à terminer la guerre par un succès : reprendre la moitié de Menton aux Italiens !...
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 28/6/2009, 23:06, édité 3 fois
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Bonjour à toutes et bonjour à tous,
Voilà, avec ce lundi 24 juin 1940 a pris fin l'offensive allemande qui avait commencé le vendredi 10 mai 1940. Après 46 jours de combat, l'armée française est vaincue, la France va être occupée pour 60 % de son territoire...
Il nous reste encore seize jours à évoquer jusqu'au mercredi 10 juillet 1940, qui vit la fin de la Troisième République, pour achever ces "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident".
Mais, maintenant que les combats sont terminés, il est bon que je vous laisse la parole afin que vous nous fassiez part de vos commentaires sur les 46 jours de combat de l'armée française du 10 mai au 24 juin 1940.
Donc, à vous la parole...
Roger le Cantalien.
Voilà, avec ce lundi 24 juin 1940 a pris fin l'offensive allemande qui avait commencé le vendredi 10 mai 1940. Après 46 jours de combat, l'armée française est vaincue, la France va être occupée pour 60 % de son territoire...
Il nous reste encore seize jours à évoquer jusqu'au mercredi 10 juillet 1940, qui vit la fin de la Troisième République, pour achever ces "Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident".
Mais, maintenant que les combats sont terminés, il est bon que je vous laisse la parole afin que vous nous fassiez part de vos commentaires sur les 46 jours de combat de l'armée française du 10 mai au 24 juin 1940.
Donc, à vous la parole...
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 25 juin 1940. Le jour où les armes se sont enfin tues.
En écoutant la radio ou en lisant leurs quotidiens ce mardi 25 juin 1940 au matin les Français sont partagés par deux sentiments :
-1°) ils sont soulagés que les combats aient enfin pris fin, car il était évident pour tout le monde que la France avait perdu la guerre sur le sol métropolitain. Fallait-il poursuivre la lutte en Afrique du Nord et dans l'Empire colonial, voilà une interrogation qui divisera profondément les Français pendant quatre ans...
-2°) ils sont littéralement assommés par le fait que l'armée française se soit si facilement fait battre par l'armée allemande et un si peu de temps... Ils vont rechercher les "coupables" de cette défaite et vont rapidement les désigner : le régime politique de la Troisième République, et plus particulièrement le "Front Populaire" qui n'a rien trouvé de mieux que de créer durant l'été 1936 un "sous-secrétariat d'État aux Sports et à l'organisation des Loisirs " alors que l'armée allemande ne cessait de se renforcer... Et un moment, au début de l'été 1940, certains vont demander que l'on juge le Sous-Secrétaire d'État "à l'organisation des loisirs" lors du Front Populaire, un certain Léo Lagrange !... Mais, très vite les accusations contre Léo Lagrange cesseront lorsqu'on apprendra qu'il est tombé au champ d'honneur, face aux troupes allemandes, le dimanche 9 juin 1940 à Évergnicourt (département de l'Aisne) à l'âge de 39 ans et demi...
A 8 heures du matin, le chancelier Adolf Hitler adresse au peuple allemand la proclamation suivante :
« Peuple Allemand !
Nos soldats, après une vaillante lutte de six semaines, ont conduit à son terme la guerre en Occident contre un ennemi courageux. Leurs actions héroïques resteront dans l'histoire comme la victoire la plus glorieuse de tous les temps. Nous remercions le Seigneur pour sa bienveillance.
J'ordonne le pavoisement de tout le Reich pour dix jours, et la volée des cloches pour sept jours. »
Le général Erwin Rommel écrit le même jour à sa femme : « Enfin, l'armistice est entré en vigueur. Nous sommes maintenant à moins de 320 kilomètres de la frontière d'Espagne, et nous espérons aller droit jusque-là, de façon à prendre tout le littoral de l'Atlantique entre nos mains.
Que tout cela a été merveilleux ! »
Le Général Weygand adresses à l'armée française cet ultime ordre du jour :
« Officiers, sous-officiers et soldats des armées françaises !
Après une suite ininterrompue de batailles acharnées, l'ordre vous est donné de cesser la lutte.
Si le sort des armes nous a été contraire, au moins avez-vous tous répondu magnifiquement aux appels que j'ai adressés à votre patriotisme, à votre bravoure, à votre ténacité.
Nos adversaires ont tenu à rendre hommage à vos vertus guerrières, dignes de nos gloires et de nos traditions.
L'honneur est sauf.
Soyez fiers de vous. Puisez dans la satisfaction du devoir accompli une confiance indéfectible dans les destinées de la France, qui au cours des siècles passés a surmonté d'autres revers.
Demeurez unis et confiant dans vos chefs. Continuez à vous soumettre à une stricte discipline. A ces conditions, ni vos souffrances, ni le sacrifice de nos camarades tombés au champ d'honneur, n'auront été vains.
Où que vous soyez, votre mission n'est pas terminée. Émanation la plus pure de la patrie, vous demeurerez son armature. Son relèvement moral et matériel sera votre œuvre de demain.
Haut les cœurs, mes amis !
Vive la France ! »
Charles Pomaret, ministre de l'Intérieur, prononce à la TSF l'allocution suivante :
« Aujourd'hui, 25 juin, est pour nous tous une journée de deuil national.
Mais demain, 26 juin, une nouvelle vie commencera pour la France. Chaque homme, militaire ou civil, sera remis à sa place. Aussitôt, il reprendra le travail. Le souci essentiel du gouvernement est d'assurer à chacun du travail, donc du pain. Les labeurs de la France sont indéfinis.
Nous tournons une sombre page d'Histoire vers de nouveaux destins. La patrie blessée, douloureuse, va mettre de l'ordre dans ses affaires.
Le Maréchal Pétain a fait don de sa personne à la France. Autour de lui, le gouvernement constitutionnel résolu et digne, se dévouera pour le salut du pays qui va continuer à vivre, l'âme haute et libre. »
Enfin, à 21h30 (heure de Bordeaux, soit 22h30 heure de Paris) le Maréchal Pétain prononce à son tour une importante allocution à la TSF :
« Français,
Je m'adresse aujourd'hui à vous, Français de la métropole et Français d'outre-mer, pour vous expliquer les motifs des deux armistices conclus, le premier avec l'Allemagne, il y a trois jours, le second, hier, avec l'Italie.
Ce qu'il faut d'abord souligner c'est l'illusion profonde que la France et ses alliés se sont faite sur la véritable force militaire de l'Allemagne et sur l'efficacité de l'arme économique : liberté des mers, blocus, ressources dont ils pouvaient disposer. Pas plus aujourd'hui qu'hier on ne gagne une guerre uniquement avec de l'or et des matières premières. La victoire dépend des effectifs, du matériel et des conditions de leur emploi. Les événements ont prouvé que l'Allemagne possédait en mai 1940 dans ce domaine, une écrasante supériorité à laquelle nous ne pouvions plus opposer, quand la bataille s'est engagée, que des mots d'encouragement et d'espoir.
La bataille des Flandres s'est terminée par la capitulation de l'armée belge en rase campagne et l'encerclement des divisions anglaises et françaises. Ces dernières se sont battues bravement. Elles formaient l'élite de notre armée ; malgré leur valeur, elles n'ont pu sauver une partie de leurs effectifs qu'en abandonnant leur matériel.
Une deuxième bataille s'est livrée sur l'Aisne et sur la Somme. Pour tenir cette ligne soixante divisions françaises sans fortifications, presque sans chars, ont lutté contre cent cinquante divisions d'infanterie et dix divisions cuirassées allemandes. L'ennemi, en quelques jours, a rompu notre dispositif, divisé nos troupes en quatre tronçons et envahi la majeure partie du sol français.
La guerre était déjà gagnée virtuellement par l'Allemagne lorsque l'Italie est entrée en campagne, créant contre la France un nouveau front en face duquel notre armée des Alpes a résisté.
L'exode des réfugiés a pris, dès lors, des proportions inouïes. Dix millions de Français, rejoignant un million de Belges, se sont précipités vers l'arrière de notre front, dans des conditions de désordre et de misère indescriptibles.
A partir du 15 juin, l'ennemi franchissait la Loire, se répandait à son tour sur le reste de la France.
Devant une telle épreuve, la résistance de l'armée devait cesser. Le gouvernement était acculé à l'une des ces deux décisions : soit demeurer sur place, soit prendre la mer. Il en a délibéré et s'est résolu à rester en France pour maintenir l'unité de notre peuple et le représenter en face de l'adversaire. Il a estimé qu'en de telles circonstances son devoir était d'obtenir un armistice acceptable, en faisant appel, chez l'adversaire, au sens de l'honneur et de la raison. L'armistice est conclu. Le combat a pris fin.
En ce jour de deuil national, ma pensée va à tous les morts, à tous ceux que la guerre a meurtris dans leur chair et dans leurs affections. Leur sacrifice a maintenu haut et pur le drapeau de la France. Ils demeureront dans nos mémoires et dans nos cœurs.
Les conditions auxquelles nous avons dû souscrire sont sévères. Une grande partie de notre territoire va être temporairement occupée. Dans tout le Nord et dans l'Ouest de notre pays, depuis le lac de Genève jusqu'à Tours, puis le long de la côte, de Tours jusqu'aux Pyrénées, l'Allemagne tiendra garnison. Nos armées devront être démobilisées, notre matériel remis à l'adversaire, nos fortifications rasées, notre flotte désarmée dans nos ports. En Méditerranée, des bases navales seront démilitarisées. Du moins, l'honneur est-il sauf. Nul ne fera usage de nos avions et de notre flotte. Nous gardons les unités terrestres et navales nécessaires au maintien de l'ordre dans la métropole et dans nos colonies.
Le gouvernement reste libre. La France ne sera administrée que par des Français.
Vous étiez prêts à continuer la lutte. Je le savais. La guerre était perdue dans la métropole. Fallait-il la prolonger dans nos colonies ?
Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j'avais accepté de répandre le sang français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte. Je n'ai voulu placer hors du sol de France, ni ma personne, ni mon espoir.
Je n'ai pas été moins soucieux de nos colonies que de la métropole. L'armistice sauvegarde les liens qui l'unissent à elle. La France a le droit de compter sur leur loyauté.
C'est vers l'avenir que, désormais, nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence.
Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Certains auront à le reconstruire. Vous avez souffert. Vous souffrirez encore. Beaucoup d'entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n'est pas moi qui vous bercerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal.
La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la Patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c'est une portion de la France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c'est une portion de France qui renaît.
N'espérez pas trop de l'État. Il ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez, pour le présent, sur vous-mêmes, et, pour l'avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.
Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité.
Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié.
C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie.
Français, vous l'accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de votre ferveur. »
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 21/7/2009, 10:41, édité 1 fois
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mercredi 26 juin 1940. Le jour où le général de Gaulle répond à la BBC au Maréchal Pétain.
En application de la convention d'armistice avec l'Allemagne, des unités d'infanterie motorisées allemandes occupent Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, ainsi que toute la côte Atlantique allant de la Gironde à la Bidassoa. Seule la ville de Bordeaux, où siège le gouvernement français, n'est pas encore occupée par l'armée allemande. Les troupes allemandes n'y entreront que le dimanche 30 juin 1940, après le départ du gouvernement français pour Clermont-Ferrand.
En revanche, une partie des troupes allemandes font marche arrière vers la ligne de démarcation et évacuent les villes de Châteauroux, Montluçon, Clermont-Ferrand, Thiers, Vichy, Saint-Étienne, Roanne, Annonay, Vienne, Lyon, Grenoble et Mâcon.
A Londres, sur les antennes de la BBC, le général de Gaulle répond ce soir au message prononcé la veille par le Maréchal Pétain :
« Monsieur le Maréchal,
Par les ondes, au-dessus de la mer, c'est un soldat français qui va vous parler.
Hier, j'ai entendu votre voix que je connais bien, et non sans émotion, j'ai écouté ce que vous disiez aux Français pour justifier ce que vous avez fait.
Vous avez d'abord dépeint l'infériorité militaire qui a causé notre défaite. Puis, vous avez dit qu'en présence d'une situation jugée désespérée, vous avez pris le pouvoir, pour obtenir des ennemis un armistice honorable.
Vous avez ensuite déclaré que, devant les conditions posées par l'ennemi, il n'y avait pas eu d'autre alternative que de les accepter en restant à Bordeaux ou de les refuser et passer dans l'Empire pour y poursuivre la guerre et que vous avez cru devoir rester à Bordeaux.
Enfin, vous avez reconnu que le sort du peuple français allait être très cruel, mais que vous avez convié ce peuple à se relever malgré tout, par le travail et la discipline.
Monsieur le Maréchal, dans ces heures de honte et de colère pour la Patrie, il faut qu'une voix vous réponde. Ce soir, cette voix sera la mienne.
En effet, notre infériorité, à quoi tenait-elle ? Elle tenait à un système militaire mauvais. La France a été foudroyée, non point du tout par le nombre des effectifs allemands, non point du tout par leur courage supérieur, mais uniquement par la force mécanique offensive et manœuvrière de l'ennemi. Cela, tous les combattants le savent. Si la France n'avait pas cette force mécanique, si elle s'était donnée une armée purement défensive, une armée de position, à qui la faute, Monsieur le Maréchal ?
Vous qui avez présidé à notre organisation militaire après la guerre de 1914-1918, vous qui fûtes généralissime jusqu'en 1932, vous qui fûtes ministre de la Guerre en 1935, vous qui étiez la plus personnalité militaire de notre pays, avez-vous jamais soutenu, demandé, exigé, la réforme indispensable de ce système mauvais ?
Cependant, vous appuyant sur les glorieux services que vous avez rendu pendant l'autre guerre, vous avez revendiqué la responsabilité de demander l'armistice à l'ennemi.
On vous a fait croire, Monsieur le Maréchal, que cet armistice demandé à nos soldats par le grand soldat que vous êtes, serait honorable pour la France. Je pense que maintenant vous êtes fixé. Cet armistice est déshonorant. Les deux tiers du territoire livrés à l'occupation de l'ennemi, et de quel ennemi ! Notre armée toute entière démobilisée. Nos officiers et nos soldats prisonniers maintenus en captivité. Notre flotte, nos avions, nos chars, nos armes, à livrer intacts, pour que l'adversaire puisse s'en servir contre nos propres alliés. La Patrie, le gouvernement, vous-même, réduits à la servitude. Ah ! pour obtenir et pour accepter un pareil acte d'asservissement, on n'avait pas besoin de vous, Monsieur le Maréchal, on n'avait pas besoin du vainqueur de Verdun. n'importe qui aurait suffit.
Mais vous avez jugé, dites-vous, que vous pouviez, que vous deviez y souscrire. Vous avez tenu pour absurde toute prolongation de la résistance dans l'Empire. Vous avez considéré comme dérisoire l'effort que nous fournit et celui que nous fournira notre allié l'Empire britannique. Vous avez renoncé d'avance aux ressources offertes par l'immense Amérique. Vous avez joué, perdu, jeté vos cartes, fait vider vos poches, comme s'il ne vous restait aucun atout. Il y a là l'effet d'une sorte de découragement profond, de scepticisme morose qui aurait été pour beaucoup dans la liquéfaction des suprêmes résistances de nos forces métropolitaines.
Et c'est du même ton, Monsieur le Maréchal, que vous conviez la France pillée, la France asservie, à reprendre son labeur, à se refaire, à se relever. Mais dans quelle atmosphère, par quels moyens, au nom de quoi voulez-vous qu'elle se relève sous la botte allemande et l'escarpin italien ?
Oui, la France se relèvera ! Elle se relèvera dans la liberté. Elle se relèvera dans la victoire. Dans l'Empire, dans le monde, ici même, des forces françaises se forment et s'organisent. Un jour viendra où nos armées reforgées au loin, mais bien aiguisées, se joignant à celles que se feront nos alliés et peut-être à d'autres encore, reviendront triomphantes sur le sol national.
Alors, oui, nous referons la France ! »
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le jeudi 27 juin 1940. Le jour où Winston Churchill obtient de ses ministres leur accord unanime pour l'opération "Catapulte" visant à détruire la flotte française.
La guerre semble être sur le point de toucher à sa fin en Europe puisqu'en Allemagne et dans les territoires occupés par l'armée allemande, la Wehrmacht démobilise une partie de ses troupes. Toutes les divisions d'infanterie, formées à l'automne de 1939, sont renvoyées dans leurs foyers. De plus, un certain nombre d'unités motorisées retournent à leurs garnisons du temps de paix, à l'intérieur du Reich.
Ces mesures confirment les généraux allemands dans le sentiment que les hostilités approchent de leur terme. Le général Albert Kesselring écrira dans ses mémoires : « Quand j'appris la démobilisation de certaines unités de l'armée de terre, mon espoir de voir Hitler mettre fin à la guerre parut se confirmer, car je savais que ses actes étaient dictés autant par la prévoyance politique que par une secrète prédilection pour l'Angleterre. »
Mais, en Grande-Bretagne, l'obsession de Winston Churchill et des hauts responsables de la Royal Navy est de tout faire afin que la flotte française ne tombe pas, malgré les assurances du gouvernement français et de l'amiral Darlan, prochainement aux mains des Allemands...
La position de Churchill est des plus délicates, et malgré l'indomptable optimisme dont il fait preuve en public, il doit connaître, quand il est seul, bien des moments d'angoisse. Le bouclier de l'île gît à terre, brisé, et il n'a presque plus rien pour défendre le Royaume-Uni contre l'invasion qui le menace : deux ou trois divisions régulières et quelques milices territoriales. Aucun plan d'évacuation n'a été prévu au-delà des mers, son intention, en cas de désastre, étant « de mourir enseveli sous les ruines de la capitale ». Cet holocauste qui éclipsera aux yeux de la postérité l'écroulement de Ninive et Babylone, ne lui inspire d'ailleurs aucune crainte. Il flatte plutôt son imagination, que rien ne saurait contenter en dehors d'un triomphe éclatant ou d'une fin sublime.
Ce qu'il ne peut tolérer, par contre, c'est l'idée que ses compatriotes puissent refuser de le suivre. Les Anglais se sentent seuls ? Mais n'est-ce pas leur tradition de ne se fier à personne, et ne se rendent-ils pas compte que jamais leur isolement n'a été plus splendide ?
Pourtant, il a encore dans les oreilles le murmure de la foule, priant dans la cathédrale de Westminster au matin du 26 mai 1940, pour que la destruction soit épargnée à l'Angleterre. L'expression inquiète qu'il a remarquée dans certains yeux lui a fait pressentir que ses compatriotes n'étaient pas encore mûrs pour les grandes décisions. Si le peuple anglais allait se montrer inférieur aux événements ? Si la Chambre le renversait et l'obligeait à démissionner ? Alors sa vie n'aurait plus de sens, et l'Angleterre, du même coup, cesserait d'être l'Angleterre. Ne dit-on pas déjà, à mots couverts, que l'Allemagne serait disposée à offrir aux Anglais des conditions de paix inespérées, s'ils se séparaient de lui et déposaient les armes ? Voilà l'éventualité qu'il redoute par-dessus tout, le pire danger qu'il puisse courir. Le tonnerre du Blitz l'effraie bien moins que ces rumeurs insidieuses. Même l'Amérique semble croire qu'il a perdu la partie puisqu'elle lui demande d'envoyer la flotte anglaise aux États-Unis, avant qu'il ne soit trop tard.
Cette seule pensée suffit à le remplir de rage. Le croit-on donc capable de capituler ? Non ! Cela ne sera pas. Le vieux lutteur qu'il est, relève le défi. Mais pour être en mesure de poursuivre la lutte, il faut qu'il donne un choc au peuple britannique, qu'il le réveille de sa torpeur, qu'il lui prouve que ce n'est pas le moment de songer à la paix, mais exclusivement à la guerre. Il lui faut, pour cela, frapper son imagination par quelque geste spectaculaire, par quelque acte irrémédiable qui l'oblige à persévérer. Il a besoin de lui fournir un bulletin de victoire, un succès - n'importe lequel.
Or ce succès est là, à portée de sa main. Puisque la flotte française a refusé de rallier les ports anglais, puisqu'il ne peut s'en emparer par la scission de l'Empire colonial français, cette flotte, il la détruira...
Sitôt sa décision prise, Churchill convoque ses ministres à Downing Street et leur dévoile son projet. Les membres du Cabinet britannique demeurent pétrifiés par une telle annonce !... Ils lui répondent que l'Angleterre n'est pas en guerre avec la France ; la destruction de la flotte française sera donc une violation flagrante des lois internationales. Mais Churchill explique à ses ministres que cet acte, de quelque nom qu'on le qualifie, est une nécessité. Bien plus : il exige que le War Cabinet se solidarise avec lui et que la décision soit prise à l'unanimité. Plus tard, dans ses mémoires, Churchill avouera : « Ce fut une décision odieuse, la plus inhumaine, la plus pénible que j'ai eu à prendre au cours de ma vie. » Mais ne faut-il pas que tout s'incline, quand l'existence du pays est en jeu ?
Un silence angoissé succède à ces paroles. Puis on procède au vote : la décision est prise à l'unanimité...
Churchill expose alors, à ses collègues les grandes lignes du plan qu'il a échafaudé. L'Amirauté britannique sera chargée de mettre au point l'opération. Celle-ci sera désignée sous le nom de "Catapulte". Les préparatifs se poursuivront dans le plus grand secret. Il est d'une importance capitale que nul n'en soit informé, pas même le général de Gaulle, dont il est impossible de prévoir quelle sera sa réaction.
Une fois ces explications fournies, Churchill lève la séance. Les ministres se retirent sans ajouter un mot. Un témoin qui les vit sortir ce jour-là, de Downing Street, déclare que plusieurs d'entre eux étaient pâles et que leur visage avait une expression atterrée.
L'opération "Catapulte" se déroulera le mercredi 3 juillet 1940, nous en reparlerons bien sûr alors longuement...
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le vendredi 28 juin 1940. Le jour où Churchill ordonne à l'Amirauté britannique, sidérée, de préparer l'opération "Cataplute".
Dès les premières heures de la matinée du vendredi 28 juin 1940 , le Premier Ministre britannique transmet à l'Amirauté l'ordre de préparer l'opération "Catapulte".
Les amiraux anglais sont stupéfaits d'apprendre la décision à laquelle s'est arrêté Churchill, car la mission qu'on leur impose leur semble devoir entraîner des conséquences incalculables pour l'Angleterre. Cordell Hull (Secrétaire d'État du Président Roosevelt) dira plus tard : « Je me suis laissé dire que la marine britannique était opposée à cette attaque. »
Mais le Premier Ministre britannique n'admet aucune objection. Il fait valoir « qu'il s'agit d'une décision politique prise à l'unanimité par le Cabinet de Sa Majesté ». Dans ces conditions les Lords de la Mer ne peuvent que s'incliner.
Mais la destruction de la flotte française risque de produire des remous fâcheux parmi les milieux résistants français de Londres. Ne serait-il pas prudent de les lier plus étroitement aux autorités britanniques avant le déclenchement de l'opération "Catapulte" ?
Au début de l'après-midi, le mémorandum qu'a remis au gouvernement britannique le général de Gaulle, le 26 juin 1940, est ratifié par le Foreign Office. Accord politique et accord financier entrent immédiatement en vigueur.
Le même soir, le communiqué suivant est publié dans la presse anglaise : « Le gouvernement de Sa Majesté reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres, où qu'ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée. »
Simultanément, le général de Gaulle annonce sur les ondes de la BBC :
« L'engagement que vient de prendre le gouvernement britannique en reconnaissant dans ma personne le Chef des Français Libres, a une grande importance et une profonde signification.
Cet engagement permet aux Français Libres de s'organiser pour continuer la guerre aux côtés de nos Alliés.
Cet engagement signifie que l'effort des Français Libres et celui de nos Alliés ne forment qu'un jusqu'à la Victoire.
Je décide ce qui suit :
- 1°) Je prends sous mon autorité tous les Français qui demeurent en territoire britannique ou qui viendraient à y demeurer.
- 2°) Il sera formé sans délai une Force française terrestre, aérienne et naval, composée pour l'instant de volontaires. Cette force concourra d'abord à toute résistance française qui se fera, où que ce soit, dans l'Empire français.
J'appelle tous les militaires français de terre, de mer et de l'air à venir s'y joindre. J'invite à s'y enrôler tous les jeunes gens et tous les hommes en âge de porter les armes.
- 3°) Tous les officiers, soldats, marins, aviateurs français, où qu'ils se trouvent, ont le devoir absolu de résister à l'ennemi. Si les circonstances les mettent dans le cas d'avoir à livrer leurs armes, leur avion, leur navire, ils doivent rejoindre immédiatement avec leurs armes, leur avion, leur navire, la résistance française la plus proche. S'il n'y a pas, à leur portée, de résistance française, ils doivent rejoindre immédiatement le territoire britannique, où ils se trouveront sous mes ordres.
Généraux, Commandants supérieurs, Gouverneurs dans l'Empire, mettez-vous en rapport avec moi pour unir nos efforts et sauver les terres françaises. Malgré les capitulations déjà faites par tant de ceux qui sont responsables de l'Honneur du Drapeau et de la Grandeur de la Patrie, la France Libre n'a pas fini de vivre. Nous le prouverons par les armes. »
Ce même jour Paul Reynaud, l'ancien Président du Conseil est victime d'un terrible accident d'automobile, tandis qu'il se rendait avec sa maîtresse depuis 1938, la comtesse Hélène de Portes, au Grès dans l'Hérault. A Sète, Hélène de Portes lui a passé le volant pour le distraire de ses soucis. Mais à deux kilomètres de là, au milieu du bourg de La Peyrade, Paul Reynaud, par une maladresse inexplicable, vient heurter violemment un des platanes qui bordent la route. La comtesse Hélène de Portes est tuée sur le coup. Paul Reynaud, blessé à la tête, doit être transporté d'urgence dans une clinique de Montpellier.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le samedi 29 juin 1940. Le jour où le gouvernement français quitte Bordeaux pour Clermont-Ferrand et où Pierre Laval commence son travail de sape pour liquider la Troisième République française.
La délégation française auprès de la commission italienne d'armistice s'installe à Turin. Elle est présidée par le vice-amiral Duplat, qui a commandé jusqu'à ces jours derniers l'escadre de Toulon.
Dès la première séance, la délégation française demande à ce que nos navires de guerre soient désarmés dans des ports non-occupés de la Méditerranée (Provence et Afrique du Nord). Les Italiens y consentent sans difficulté.
A 18h50, l'amiral Duplat fait téléphoner à Bordeaux, par le commandant de Larozière : « Pour le désarmement des bâtiments de la flotte, les Italiens acceptent le projet de répartition par ports proposé par l'Amirauté française, sous réserve d'une acceptation par l'Allemagne. » Comme l'acceptation de l'Allemagne ne fait guère de doute, l'amiral Duplat ajoute : « Donc, ne pas déplacer les bâtiments. »
Les délais durant lesquels les Allemands se sont engagés à respecter la neutralité de Bordeaux expirent le 30 juin. En conséquence, le gouvernement français quitte les bords de la Gironde pour Clermont-Ferrand. Le Président de la République, Albert Lebrun, s'installe à Royat (Puy-de-Dôme).
Depuis son arrivée à Bordeaux, Pierre Laval a acquis la conviction qu'il fallait réviser la constitution de la Troisième République, donc les trois lois constitutionnelles de 1875 (la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat, la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics, et la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics). Cette révision lui paraît la conclusion logique du drame qui vient d'ensanglanter la France. Comment le régime responsable de la défaite pourrait-il survivre au désastre qu'il n'a pas su empêcher ?
Pour les négociations qui vont s'ouvrir avec l'Allemagne et l'Italie, il faut en outre que le gouvernement soit maître de ses mouvements et ne soit pas paralysé par la lenteur des procédures habituelles. Dans son message radiophonique du mardi 25 juin 1940 le Maréchal Pétain a annoncé la création d'un "ordre nouveau". Pense-t-il pouvoir l'instaurer dans le cadre des institutions existantes ?
Toutes ces idées sont dans l'air et Pierre Laval s'en empare plus qu'il ne les crée. Mais il va leur donner forme, les traduire en actes et assurer leur victoire sur le plan constitutionnel.
On s'étonne aujourd'hui des efforts qu'il lui en a coûté, car dans l'esprit de presque tous les Français de cette époque, le Parlement s'est disqualifié et tout l'édifice de nos institutions est à terre. Seuls le prestige du Maréchal Pétain et l'autorité du général Weygand ont empêché la liquéfaction totale de l'État.
Mais si telle est la conviction profonde du pays, celle-ci n'a pas encore pénétré le corps législatif. Les parlementaires se considèrent toujours comme les seuls mandataires qualifiés de la nation. Quelle que soit l'opinion du "pays réel", ils n'en demeurent pas moins le "pays légal" et ne sont pas encore conscients du discrédit dans lequel ils sont tombés.
Rien ne serait plus aisé de les balayer par un coup de force, et nombreux sont ceux qui applaudiraient à cette solution. Mais Pierre Laval estime que ce serait une faute. Modifier le régime ? Certes. Sur ce point, il ne saurait y avoir de discussion. Mais il vaut mieux que le Parlement soit associé à cet acte et que la liquidation de la Troisième République s'effectue dans les formes légales.
Toutes ces notions, encore en gestation, Pierre Laval les expose pour la première fois aujourd'hui à ses collègues au cours d'un conseil restreint qui réunit, ce matin-là, outre le Maréchal Pétain et lui, Messieurs Raphaël Alibert (Sous-Secrétaire d'État à la présidence du Conseil), Paul Baudouin (Ministre des Affaires Étrangères) et Yves Bouthillier (Ministre des Finances et du Commerce). Les cinq ministres sont d'ailleurs loin d'être d'accord sur la décision qu'il convient de prendre.
Curieusement c'est Raphaël Alibert, pourtant un juriste (spécialiste du droit administratif, il a été Maître des Requêtes au Conseil d'État et sera le futur garde des Sceaux du gouvernement de Vichy entre le 12 juillet 1940 et le 27 janvier 1941), qui se montre partisan de la manière forte. Toutes les précautions dont veut s'entourer Pierre Laval lui semblent appartenir à une époque révolue. Ce juriste n'a pas un respect excessif pour les lois. Selon lui, l'heure n'est plus aux discours, ni aux procédures compliquées : il faut déblayer les décombres et relever les ruines. Le pays a fait confiance au Maréchal Pétain parce qu'il en attend autre chose que ce qu'ont fait ses prédécesseurs. Le vainqueur de Verdun n'a qu'à parler : tout le monde lui obéira.
Yves Bouthillier, en revanche, est hostile à toute solution extrême. Proclamer la déchéance de la République lui paraît alourdir inutilement la tâche du gouvernement. Il déclare : « Pourquoi soulever d'autres problèmes que ceux qui se posent à nous d'une façon inévitable ? N'y en a-t-il pas bien assez comme cela ? J'entrevois, pour ma part, une autre solution. Que le Maréchal puisse gouverner sans être harcelé par le Parlement ? Sur ce point, nous sommes tous d'accord. Mais il suffit pour cela de différer jusqu'au 15 janvier 1941, la réunion des Chambres. D'ici là, la situation aura évolué, et l'on y verra plus clair. A ce moment, Monsieur le Maréchal, vous pourrez exposer au Parlement non point ce que vous voulez faire, mais ce que vous aurez fait. » Le Maréchal n'est pas contraire à cette manière de voir.
Mais, au cours d'une deuxième réunion qui a lieu dans l'après-midi, Pierre Laval et Raphaël Alibert proposent une troisième formule : pourquoi ne pas convoquer le plus tôt possible les sénateurs et les députés et leur faire voter un texte autorisant le Maréchal à promulguer, en un ou plusieurs actes, une nouvelle loi constitutionnelle ? Tant Paul Baudouin qu'Yves Bouthillier jugent ce plan irréalisable. Yves Bouthillier déclare :
- Il faudrait que le Parlement se dessaisisse lui -même de ses pouvoirs,
- Assurément, lui répond Raphaël Alibert.
- Et vous croyez que vous trouverez une majorité dans les Assemblées pour accepter ce suicide ? demande Paul Baudouin.
Le Maréchal Pétain intervient alors :
- Il ne paraît guère possible de réformer la constitution dans les circonstances actuelles. Il faudrait pour cela être à Paris, et dans un Paris libre. Nous verrons cela plus tard...
Alors, Pierre Laval s'emporte contre ces hommes de bonne volonté, mais novices en politique, qui ignorent la versatilité des milieux parlementaires. Lui, parle en homme d'expérience, qui a pratiqué depuis près de trente ans les couloirs de la Chambre et du Sénat. Il s'exclame alors :
- Il ne s'agit pas de tergiverser, ni d'attendre un miracle ! C'est immédiatement qu'il nous faut choisir. Sinon, nous serons devancés une fois de plus par les événements comme nous l'avons été depuis des mois et des années. Voulez-vous que la France souffre davantage ?
- Je ne dis pas non, déclare le Maréchal après un moment de réflexion, mais votre projet ne peut se réaliser qu'avec le consentement du Président de la République.
- Vous l'avoir ? s'écrit Pierre Laval. Qu'à cela ne tienne ! Je me fais fort de l'obtenir sans difficulté !
Avant même que le Maréchal ait pu donner son accord, Pierre Laval saute dans sa voiture et se fait conduire à Royat, où se trouve Albert Lebrun. Les deux hommes ont un court entretien dans le parc de l'Hôtel des Bains. Très facilement le Président de la République donne son accord pour une réunion du Sénat et de la Chambre des députés, afin que la constitution de la Troisième République soit réformée.
Une heure plus tard, Pierre Laval rentre à Clermont-Ferrand et retrouve ses collègues toujours réunis autour du Maréchal, à qui il déclare :
- Eh bien, vous l'avez !
- Quoi donc ? lui répond le Maréchal.
- L'accord du Président Lebrun ! dit Laval avec un sourire.
Le Maréchal est stupéfait par tant de rapidité. Il pensait qu'il faudrait faire successivement le siège du Président de la République et des Présidents des deux Chambres. Voici qu'on lui apporte en un tournemain ce qu'il croyait n'obtenir qu'au prix de négociations laborieuses. Il doit reconnaître que le Vice-Président du Conseil est un virtuose...
- Alors, essayez, lui dit laconiquement le Maréchal en levant la séance.
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le dimanche 30 juin 1940. Le jour où Winston Churchill, sentant qu'il est de plus en plus menacé en Angleterre, décide de hâter la mise en œuvre de l'opération "Catapulte".
La Wehrmacht, en ce dimanche 30 juin 1940, poursuit le licenciement de certaines de ses unités, notamment les 19e et 41e Corps d'armée blindés. Avant de prendre congé de ses soldats, le général Heinz Guderian leur adresse l'ordre du jour suivant :
« Besançon, le 30 juin 1940,
Aux officiers, sous-officiers et soldats du Groupe blindé Guderian !
Au moment où notre groupe va être dissous, je tiens à adresser mes meilleurs vœux à tous les commandants d'unités et à leurs hommes.
L'avance victorieuse de l'Aisne à la Suisse entrera dans l'Histoire comme le plus bel exemple d'une percée accomplie par des troupes motorisées.
Je vous remercie de ce que vous avez accompli. J'y vois le couronnement des luttes et des travaux que j'ai poursuivis pendant plus de dix ans.
En avant, pour des tâches nouvelles, exécutées dans un esprit et avec un succès identiques, jusqu'à ce que la victoire de la Grande Allemagne soit définitivement acquise.
Vive Hitler ! »
Benito Mussolini se rend à Lanslebourg, en Maurienne (département de la Savoie), pour féliciter les troupes italiennes qui ont combattu sur le front des Alpes. En descendant la route du col du Mont-Cenis (qui culmine à
2 082 mètres), il aperçoit, sur sa gauche un ouvrage fortifié qui a refusé de se rendre et sur lequel flottent toujours les trois couleurs du drapeau français. Il fait arrêter sa voiture et se renseigne. On lui répond que c'est le fort de la Terra, situé à 2 770 mètres d'altitude. Sa garnison, commandée par les sous-lieutenants Prudhon et Chandesris, comprend quatre sous-officiers, un caporal-chef, quatre caporaux et quarante et un chasseurs alpins et canonniers. Ces cinquante-deux soldats français, bien qu'encerclés par plusieurs divisions italiennes, ont repoussé pendant dix jours toutes les attaques italiennes.
Mussolini donne l'ordre de les libérer, avec les honneurs de la guerre. Le lendemain, lorsque la garnison quittera la Turra en emportant ses armes, les Italiens seront stupéfaits d'apprendre que l'artillerie de l'ouvrage ne comportait en tout que deux pièces de 75.
La délégation française d'armistice auprès de la Commission allemande s'installe à l'Hôtel Rose, à Wiesbaden. Elle comprend, outre le général Huntziger, qui la préside, l'amiral Michelier, le général d'aviation Mouchard, le préfet Carles, l'inspecteur des Finances Aris, et plusieurs autres hauts-fonctionnaires.
Dès son arrivée, le général Huntziger entame les négociations sur le stationnement de notre flotte. Il demande que ses ports d'attache soient tous choisis en dehors de la zone d'occupation allemande (ce qui exclut nos ports de l'Atlantique : Cherbourg, Brest, Lorient et Saint-Nazaire).
Le chef de la délégation française fait valoir que les Italiens sont d'accord avec cette répartition, et que cette demande, déjà formulée à Rethondes, a été virtuellement acceptée par le général Keitel. Après une courte délibération les Allemands y consentent.
En conséquence, les vaisseaux français seront rassemblés dans les ports français de la Méditerranée et d'Afrique.
Cette importante nouvelle est immédiatement communiquée à l'amiral Odend'hal, chef de la Mission navale française à Londres, pour qu'il la porte à la connaissance de l'Amirauté britannique. Celle-ci a tout lieu d'être définitivement rassurée. Exception faite des unités stationnées sur les côtes de Provence, tous les autres navires de guerre français, soit 9 bâtiments de ligne, 14 croiseurs, 14 contre-torpilleurs, 36 torpilleurs et 48 sous-marins, se trouvent dans des ports d'Afrique, d'Extrême-Orient, des Antilles, du Levant, d'Égypte, d'Angleterre ou à la mer, ce qui exclut absolument que l'Allemagne puisse s'en saisir. Quant à l'hypothèse d'une attaque italienne, personne n'y songe sérieusement.
L'offensive de paix allemande en Angleterre s'intensifie. Au cours d'un déjeuner privé le duc d'Albe (ambassadeur d'Espagne en Angleterre) laisse entendre à Lord Halifax (Ministre des Affaires Étrangères britannique) qu'Hitler serait disposé à mettre fin aux hostilités. Le Reich ne réclamera à l'Angleterre que la restitution des colonies qui lui ont été enlevées par le Traité de Versailles. Une seule condition : que Churchill s'efface.
Des bruits étranges commencent à circuler dans les milieux de la City. On répète de bouche à oreille que si ces propositions allemandes ne sont pas acceptées, Hitler fera son entrée à Londres le 15 août. On assure que l'aristocratie, que la City, et qu'une importante fraction de la population estiment qu'il serait raisonnable de négocier avant que la Grande-Bretagne ne soit couverte de ruines. On prétend aussi que le duc de Windsor (l'ancien roi d'Angleterre Édouard VIII entre le 20 janvier et le 11 décembre 1936) aurait envoyé une lettre à son frère, le roi d'Angleterre George VI, lui conseillant vivement de conclure la paix et de ne pas se laisser influencer par l'obstination aveugle de Churchill. Le gouvernement anglais déclare n'avoir eu connaissance d'aucune communication de cette nature, mais la radio allemande tire argument du fait que ni le roi d'Angleterre George VI, ni son frère le duc de Windsor n'ont publié de démenti.
Toutes ces rumeurs risquent de saper la volonté combattive du peuple anglais, aussi Winston Churchill en conclut qu'il faut hâter l'exécution de l'opération "Catapulte".
Le gouvernement français quitte Clermont-Ferrand (département du Puy-de-Dôme) pour Vichy (département de l'Allier). Au cours de ce déplacement, le Maréchal Pétain et Pierre Laval font un crochet par Royat, afin de rendre visite au Président de la République Albert Lebrun. Pierre Laval met Albert Lebrun brièvement au courant du projet de loi constitutionnelle qu'il a commencé à préparer. Albert Lebrun, qui depuis hier a réfléchi et est beaucoup moins favorable à ce projet que la veille, lui répond : « Nous verrons cela. Préparez-moi les textes ; nous en discuterons... »
Pierre Laval, bien trop fin pour ne pas sentir d'où vient le vent, comprend que la partie qu'il vient d'engager sera plus dure à gagner qu'il ne le pensait tout d'abord.
Quant au Maréchal Pétain, il demeure silencieux. Il se demande si le Vice-Président du Conseil n'a pas abusé de sa crédulité, lorsqu'il lui a affirmé, la veille, que tous les obstacles étaient aplanis du côté du Président de la République. Une méfiance instinctive s'éveille en lui contre ces politiciens trop habiles dont les méthodes le déconcertent, et chez qui les mots semblent comporter des nuances imperceptibles aux militaires. A vrai dire, le Maréchal ne croit guère à l'adoption par les Chambres d'une "loi constitutionnelle". Mais il laissera agir Laval, quitte à le désavouer si l'affaire tourne court...
En ce dimanche 30 juin 1940 le général de Gaulle (qui a reçu aujourd'hui une citation à comparaître devant le Tribunal Militaire de la 17e région pour "crime de refus d'obéissance en présence de l'ennemi et de délit d'excitation de militaires à la désobéissance") reçoit enfin une recrue de poids pour la France Libre : l'Amiral Émile Muselier. C'est à 22 heures que l'amiral Muselier rencontre pour la première fois, à Stephen House à Londres, le général de Gaulle. Le moins qu'on puisse dire c'est que son aspect physique lui fait une très mauvaise impression. Il décrira ainsi le général de Gaulle dans ses mémoires :
« Il est de très haute taille, avec une petite tête disproportionnée, le front trop bas ; ses yeux petits et gris ne soutiennent pas franchement le regard et se détournent toujours avant de répondre aux questions précises. Le menton, de forme très spéciale, n'indique pas la volonté ; la prononciation est lente, comme s'il s'écoutait parler ; et sa bouche moyenne s'ouvre parfois sur une denture irrégulière. Le nez est puissant, presque bourbonien. Les oreilles, mal formées, sont largement décollées. »
L'amiral Émile Muselier sera l'instigateur de l'adoption, dès le lundi 1er juillet 1940, de l'emblème de la croix de Lorraine comme symbole de la France Libre.
Roger le Cantalien.
Dernière édition par roger15 le 21/7/2009, 10:57, édité 2 fois
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le lundi 1er juillet 1940. Le jour où l'opération "Catapulte" est fixée au 3 juillet.
A 2h25 du matin, l'Amirauté britannique câble à Gibraltar : « Préparez-vous à exécuter "Catapulte" le 3 juillet. »
L'opération ayant pour objectif la destruction de la flotte française a été confiée à une escadre spéciale, dite Force H, commandée par le vice-amiral Somerville. Au reçu de cet ordre, l'amiral Somerville télégraphie à Londres : « A la suite d'entretiens qu'il a eus avec le commandant Holland et certains autres officiers, le vice-amiral commandant la force H est impressionné par l'opinion qu'ils ont exprimée, à savoir qu'une quelconque opération offensive doit être évitée à tout prix. Holland estime qu'une action de ce genre nous aliénerait tous les Français où qu'ils soient. »
A 18h30, l'Amirauté britannique répond à l'amiral Somerville :
« L'intention formelle du gouvernement de Sa Majesté est la suivante : si les Français ne veulent accepter aucune de nos offres, leurs navires doivent être détruits. »
A Plymouth, nos bateaux de guerre sont remorqués un à un, à l'intérieur de l'Arsenal. Le Paris y est amené à quai dans la soirée. L'amiral Cayrol, qui a pris les fonctions de Commandant supérieur de ce groupe de bâtiments, demande aux Anglais les raisons de cette manœuvre. Les explications qu'on lui fournit lui paraissant peu satisfaisantes, il monte à bord de toutes les unités pour donner aux commandants les instructions suivantes : « Ayez en permanence une équipe prête à saborder vos bateaux, et sabordez-les à la moindre tentative d'une force étrangère pour s'en emparer. » Au capitaine de corvette des Moutis, qui lui demande si cette mesure est à exécuter même en cas de tentative anglaise, l'amiral répond : « L'Angleterre n'est plus notre alliée, mais notre ex-alliée. »
Le général de Gaulle publie l'ordonnance suivante :
« Londres, le 1er juillet 1940,
Le vice-amiral Muselier est nommé au commandement des Forces Maritimes Françaises restées libres, quelles qu'elles soient et quel que soit l'endroit où elles se trouvent.
Il assure provisoirement le commandement des Forces Aériennes Françaises, dans les mêmes conditions. »
Le vice-amiral Muselier se met aussitôt au travail. Il propose au général de Gaulle de prendre comme emblème la Croix de Lorraine. Puis, dans sa chambre de Grosvenor Hotel, il rédige, à l'intention de notre marine et de notre aviation, l'ordre du jour n°1, que voici :
« Officiers généraux, officiers, officiers mariniers, quartiers-maîtres et gradés, marins et soldats des Armées françaises de l'Air et de Mer !
Jamais heure n'a sonné plus solennelle et plus opportune de vous rappeler que vous devez obéir à vos commandants pour tout ce qu'ils vous commanderont pour le bien du service et le succès des armes de la France.
Vous êtes donc déliés de toute obligation d'obéissance à l'égard de ceux qui acceptent de rendre sans combat aux ordres de l'ennemi les unités de notre flotte, fait unique dans notre glorieuse Histoire
Je donne l'ordre aux bâtiments de guerre et de commerce français et aux forces aériennes françaises de rallier sans délai les bases françaises libres ou alliées les plus proches, en vue d'opérations immédiates contre l'ennemi.
Je prends l'entière responsabilité personnelle des ordres que je viens de donner.
Vice-amiral Muselier. »
Comme le remarque, assez narquois, Jaques Benoist-Méchin : « Cet appel à la désobéissance, enrobé dans un appel à l'obéissance, ne peut manquer de laisser rêveurs nos équipages. »
Roger le Cantalien.
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mardi 2 juillet 1940. Le jour où l'Amirauté britannique se met en place pour l'opération "Catapulte".
Adolf Hitler fait venir le général von Manstein et lui demande de dresser les plans pour l'invasion de l'Angleterre. Il lui dit : « Je vous donnerai le commandement des opérations initiales de débarquement. »
Von Manstein tente de se dérober à cette mission "aussi honorifique que peu enviable", mais Hitler maintient son ordre. L'inventeur de la percée de Sedan s'étonne de se voir attribuer une tâche qui contredit les rumeurs de paix qui circulent un peu partout. Il demande à Hitler si tout espoir de conclure un accord amiable avec l'Angleterre doit être abandonné ? Hitler lui répond : « Non. Mais je n'ai guère confiance dans le succès des tractations diplomatiques. Je le regrette d'ailleurs. Comme je l'ai déjà dit, on n'a jamais vu deux peuples sortir vainqueurs d'une guerre. L'Histoire du monde a très souvent constaté en revanche qu'il n'y avait que des vaincus. C'est au peuple britannique de prendre à présent la parole. La condition d'une prise de contact serait évidemment le départ de Churchill. Mais ceci ne se produira pas et le choc sera inévitable, décisif... »
Et Hitler ajoute, après avoir médité un long moment : « Je comprends qu'il faut que l'un des deux adversaires disparaisse... Un grand empire sera détruit que je n'avais pas l'intention d'abattre. »
L'Amirauté française donne l'ordre à tous nos bâtiments réfugiés à l'étranger de rallier les ports français de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée.
A Portsmouth, l'amiral James, commandant la base navale britannique, monte à bord des bateaux français et passe en revue leurs équipages, accompagné par l'amiral Gaudin de Villaine. Il leur adresse un petit "speech" dans lequel il leur garantit la sollicitude des autorités anglaises, "quoi qu'il advienne".
Presque en même temps, le Paris est halé dans le port intérieur de Plymouth et amené à quai, sous prétexte de faciliter l'embarquement du charbon.
A Alexandrie, en Égypte, l'amiral Cunningham fait porter dans la soirée la lettre suivante à l'amiral Godfroy, à bord du Duquesne :
« Mon cher Amiral,
J'ai reçu les instructions de l'Amirauté britannique de vous soumettre certaines propositions. Seriez-vous assez aimable pour venir me voir à bord du Warspite à 9 heures, demain mercredi. Amenez avec vous un officier d'Etat-Major ou votre capitaine de pavillon, si vous le désirez.
A vous très sincèrement. »
A Londres, Winston Churchill adresse à 22h45, le télégramme suivant à l'amiral Somerville, commandant "l'escadre spéciale" de Gibraltar :
« Vous êtes chargé de l'une des missions les plus désagréables et les plus pénibles qu'un amiral britannique ait jamais eu à remplir, mais nous avons la plus entière confiance en vous, et comptons que vous l'exécuterez rigoureusement. »
De 11 heures à 13h15 se tient à Vichy un Conseil restreint auquel prennent part Pierre Laval, le général Maxime Weygand, Yves Bouthillier, Paul Baudouin et Adrien Marquet. Après avoir expédié quelques affaires courantes, les ministres présents reviennent sur le projet de loi constitutionnelle élaboré par Pierre Laval.
Le Maréchal Pétain, qui a eu dans l'intervalle plusieurs entretiens avec Raphaël Alibert, se montre plus favorable à ce projet qu'il n'avait paru l'être au cours des conversations précédentes. En fait, Raphaël Alibert se montre, à ce moment, partisan du projet de loi constitutionnelle parce qu'il pense qu'une fois le Maréchal débarrassé du Parlement, il lui sera plus facile de se débarrasser également de Laval. Raphaël Alibert appuie donc le Président Pierre Laval et consent à ce que la réforme de la constitution soit proposée au Parlement. Le principe est donc adopté. Mais aucune discussion ne s'engage sur le fond, celle-ci, d'un commun accord, étant remise au lendemain.
A l'issue de ce Conseil restreint, Pierre Laval remet un communiqué à la presse, convoquant les parlementaires à Vichy : « Le Sénat et la Chambre tiendront sous peu de courtes séances, au cours desquelles serait votée une résolution de convocation de l'Assemblée Nationale. Celle-ci serait saisie des modifications aux institutions que la situation impose, afin que le gouvernement jouisse de l'autorité indispensable à la reconstruction du pays, dans l'ordre et le travail. » Cet entrefilet, publié dans les journaux du soir de la zone non-occupée, sera repris le lendemain, dans la presse de la zone occupée.
A 18 heures, le général de Gaulle prononce l'allocution suivante à la radio de Londres :
« Il y a aujourd'hui neuf jours que le Gouvernement qui fut à Bordeaux a signé la capitulation exigée par l'Allemagne. Il y a sept jours que le même Gouvernement a signé la capitulation exigée par l'Italie. Inutile d'énumérer de nouveau les conséquences affreuses de cette double capitulation. Mais il y en a une qu'un soldat a le devoir de souligner. Et je la souligne. Cette conséquence c'est la crise des consciences françaises.
Après l'effondrement moral du commandement et du gouvernement sous l'action foudroyante de la force mécanique allemande, deux voies se sont ouvertes :
L'une était la voie de l'abandon et du désespoir. C'est celle qu'a choisie le gouvernement de Bordeaux. Rompant l'engagement qui liait la France à ses alliés, ce gouvernement s'est, suivant le mot de Tacite "rué à la servitude".
L'autre voie est celle de l'honneur et de l'espérance. C'est cette voie-là qu'ont choisi mes compagnons et moi-même.
Mais beaucoup de Français se trouvent déchirés entre les deux chemins. D'une part l'appel des Gouvernants tombés au pouvoir de l'ennemi ; d'autre part, l'appel de la France qui crie vers la délivrance.
Ces bons Français, ces simples Français, ces Français qui font passer la France avant la cause de l'orgueil, de la terreur, ou des intérêts, je les adjure de se demander ceci : Jeanne d'Arc, Richelieu, Louis XIV, Carnot, Napoléon, Gambetta, Poincaré, Clemenceau, le Maréchal Foch, auraient-ils jamais consenti à livrer toutes les armes de la France à ses ennemis pour qu'ils puissent s'en servir contre ses alliés ? Duquesne, Tourville, Suffren, Courbet, Guépratte auraient-ils jamais consenti à mettre à la discrétion de l'ennemi la flotte française ? Dupleix, Montcalm, Bugeaud, le Maréchal Lyautey auraient-ils jamais consenti à évacuer sans combattre les points stratégiques de l'Empire, auraient-ils jamais supporté, sans même avoir livré combat, le contrôle de l'ennemi sur l'Empire ?
Que de bons Français se posent ces questions. Ils comprendront aussitôt où est l'honneur, où est l'intérêt, où est le bon sens.
L'âme de la France est avec ceux qui continuent le combat. »
A la tombée de la nuit, tous les équipages français qui se trouvent dans des camps anglais, sont consignés "par ordre supérieur" et gardés à vue.
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Bonjour Roger, je réitère le fait que les paragraphes que tu mets sur la toile, sont particulièrement agréables à lire, ils font participer le lecteur à cette tragédie que fût, la déroute de notre armée lors de la campagne menée par les allemands en 1940, ils montrent les lamentations de ceux qui refusèrent l'adoption d'une armée mécanisée alors que le temps le permettait, confiant dans une stratégie résolument défensive d'un autre âge , ils ont eu beau jeu de dire que l'armée adverse était "supérieure" en moyens, les diplomates en poste en Allemagne avaient probablement averti du danger qui se préparait, surtout que l'Allemagne Nazie était particulièrement adepte des défilés militaires, mais la ligne Maginot...Tout un programme!.Par la suite lors des combats, il est vrai que certains secteurs ont vu des militaires Français exemplaires, mais ces résistances sparodiques et disséminées, n'étaient pas suffisantes pour enrayer l'inexorable avance de l'armée adverse , par ailleurs il est vrai que dans d'autres secteurs certaines unités ont eut un comportement désastreux, j'ai déjà raconté dans un post traitant de la bataille de France, par exemple comment mon beau père a été fait prisonnier avec son régiment en attendant dans la cour d'une ferme sur ordre , et ce sont les allemands qui étaient venu les chercher -5 années de captivité quand même- sans combattre, et des exemples il y en a eu plein .Quant à ce que les Anglais préparaient au sujet de la flotte Française, c'est une autre histoire que j'ai hâte de lire .
Amicalement .
Le ronin.
....Tout homme, une arme! ...
Semper fidelis.
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le ronin- Police militaire (Modérateur)
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Même impression chez moi,mon père a vu des Français courageux mais aussi des gens qui renonçaient de manière délibérée à résister,à combattre.....qui,par exemple ,au lieu de franchir la Loire abandonnaient des matériels de 155 tout neufs avec leurs tracteurs sans même ôter les culasses et se dirigeaient volontairement vers les allemands pour se constituer prisonniers.....Incitant par la parole les hommes de la troupe de mon père à en faire autant......A côté il y avait les chasseurs portés de sa division qui avaient repris des villages à la baïonnette comme en 1914......
Major cowburn- Général de Division
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Re: Soixante jours qui ébranlèrent l\'Occident.
Le mercredi 3 juillet 1940. Le jour où l'Amirauté britannique attaque, sur l'ordre formel de Winston Churchill, la marine française dans le cadre de l'opération "Catapulte".
Un peu avant l'aube, les Anglais s'emparent par la force des vaisseaux français réfugiés dans les ports britanniques de Plymouth, Falmouth, Portsmouth et Sheerness. L'opération "Catapulte" est commencée.
A Plymouth, se trouvent un cuirassé de 22 000 tonnes, le Paris, le contre-torpilleur Triomphant, trois torpilleurs (dont le Mistral), quatre avisos, le grand sous-marin Surcouf et trois sous-marins plus petits. Le tout est placé sous le commandement de l'amiral Cayrol.
A Portsmouth, se trouvent le cuirassé Courbet, le contre-torpilleur Léopard, les trois torpilleurs Chevreuil, Savorgnan de Brazza et Pollux, deux torpilleurs de 600 tonnes, trois avisos, deux sous-marins en réparation, l'Orion et l'Ondine, douze chasseurs de sous-marins, et enfin quelques patrouilleurs. Le tout est placé sous le commandement de l'amiral Gaudin de Villaine.
A Falmouth, se trouvent trois avisos et deux sous-marins.
A Sheerness, se trouvent deux avisos et plusieurs unités de "servitude" (remorqueurs, dragueurs, pontons, etc.).
Dans ces quatre ports anglais, à 3h45 du matin, brusquement des détachements de soldats anglais en armes, chaussés de pantoufles feutrées qui les rendent silencieux, montent à bord des bâtiments de la marine nationale française, immobilisent les sentinelles, matraquent les marins français qui veulent se défendre, et se saisissent violemment des officiers et des matelots français endormis. La surprise est si complète que toute résistance est pratiquement impossible.
Plusieurs bâtiments français réussiront cependant à se saborder au nez à la barbe des Anglais.
Nulle part les officiers de la Royal Navy n'essayent de justifier, ni même d'expliquer leur acte. Les matelots sont séparés brutalement de leurs officiers. Les Anglais font miroiter aux hommes d'équipage les avantages financiers qu'ils tireraient d'un engagement dans la marine de guerre britannique. Comme ils refusent, on les embarque de force pour les conduire à terre, où ils sont aussitôt internés.
A Alexandrie, en Égypte, la force maritime française, dite "Force X" comprend le cuirassé Lorraine, trois croiseurs de 10 000 tonnes : le Suffren, le Tourville et le Duquesne, un croiseur de 8 000 tonnes : le Duguay-Trouin, trois torpilleurs : le Fortuné, le Basque et le Forbin, et enfin un sous-marin de 1 500 tonnes : le Protée. Le tout est placé sous le commandement de l'amiral Godfroy.
Mouillés dans le bassin fermé du port d'Alexandrie, les bateaux français sont cernés par le cuirassé Warspite, battant pavillon de l'amiral Sir Andrew Cunningham, ainsi que par quatre autres cuirassés britanniques : le Malaya, le Barham, le Ramilliers, et le Royal Sovereign, le porte-avions Eagle et une flottille de torpilleurs.
A neuf heures du matin, l'amiral français Godfroy se rend, comme convenu la veille, à bord du cuirassé anglais Warspite, en compagnie de son chef d'État-Major, le capitaine de vaisseau Tisserand. L'amiral Cunningham vient les accueillir à la coupée et les fait descendre dans le salon. Là, l'amiral Cunningham sort de sa poche un papier sur lequel est dactylographié un texte, qu'il remet, d'un air soucieux, à l'amiral Godfroy. Ce texte contient trois propositions, qui peuvent se résumer ainsi :
- 1°) soit l'amiral Godfroy accepte de mettre les bâtiments français de la "Force X", armés par des volontaires, à la disposition des Britanniques ;
- 2°) soit l'amiral Godfroy accepte que les bâtiments français soient désarmés sous la surveillance britannique, c'est-à-dire par la contrainte ;
- 3°) soit les Anglais les couleront !...
L'amiral Godfroy, après avoir pris connaissance de ces trois propositions, retourne à bord du Duquesne pour rédiger une réponse. Celle-ci est prête à 11h30, heure à laquelle le contre-amiral Willis et le capitaine de vaisseau Dick viennent la chercher pour la transmettre à l'amiral Cunningham.
L'amiral Godfroy lui répond :
« Dans la mise en demeure inattendue qui m'est signifiée, j'écarte la première solution qui n'est pas actuellement conciliable avec mon devoir militaire.
Je serai enclin à accepter la deuxième si je pouvais la recommander à mes chefs qui, seuls, peuvent m'autoriser à désarmer mes navires dans un port étranger, sous la contrainte d'une autorité étrangère.
S'il m'est interdit d'en discuter avec eux, je m'en vois réduit à choisir la troisième solution, si regrettable qu'elle puisse être pour l'avenir, parce qu'elle peut seule, dans ces conditions se concilier avec notre sens moral de l'honneur. »
Mais l'amiral Cunningham espère encore pouvoir éviter le pire. Un échange de messages a lieu par signaux entre le Warspite et le Duquesne, demandant à l'amiral Godfroy de ne pas créer l'irrémédiable par une décision prématurée.
Au début de l'après-midi, le commandant de la "Force X" consent à prendre quelques dispositions conciliantes : débarquement du mazout et dévissage des pointes percutantes des torpilles.
Mais soudain on apporte à l'amiral Godfroy des messages qui ont été captés par le service de radio du Duquesne : la flotte française de Mers-el-Kébir a subi le feu des navires de guerre de la Royal Navy. Ulcéré, l'amiral Godfroy se rend immédiatement à bord du Warspite pour exprimer son indignation à l'amiral Cunningham !.. Il lui déclare, que vu l'attitude de la Royal Navy à Mers-el-Kébir il révoque toutes les décisions conciliantes qu'il a prises au début de l'après-midi. En repartant, il entend des officiers anglais (qui viennent eux aussi d'apprendre le drame de Mers-el-Kébir) dirent : « It is simply madness !... » (« c'est simplement de la folie !... »)
Revenu à bord du Duquesne l'amiral Godfroy trouve enfin un message de l'amiral Le Luc à l'Amirauté française : « Appareillez immédiatement, par la force si nécessaire. »
Mais, étant donné la situation de nos navires pris sous le feu des canons anglais, toute tentative d'appareillage ne peut aboutir qu'à un massacre. Aussi, répond-il à l'amiral Le Luc : « Nos conditions d'amarrage dans le port d'Alexandrie ne permettent pas d'en sortir, même en combattant. Nous nous défendrons simplement sur place si nous sommes attaqués, en restant prêts à nous saborder si cela devient nécessaire. » Toute la nuit, les deux flottes s'observent de part et d'autre, tandis que le commandant de la "Force X" fait prendre des dispositions de combat.
A la base navale de Mers-el-Kébir, en Algérie, à l'Ouest d'Oran, se trouve concentrée, en ce mercredi 3 juillet 1940 la flotte française de l'Atlantique, qui a pu échapper aux Allemands. On y trouve les plus belles unités de la marine de guerre française : les quatre cuirassés Dunkerque, Strasbourg, Provence et Bretagne, ainsi que les six contre-torpilleurs Volta, Mogador, Terrible, Lynx, Tigre et Kersaint. Il y a également le porte-avions Commandant Teste, plusieurs torpilleurs, des avions, et quatre sous-marins, placés sous le commandement de l'amiral Jarry, commandant la marine d'Oran.
La structure de la rade de Mers-el-Kébir impose aux cuirassés de s'amarrer l'arrière à la digue, où se trouvent alignés, à intervalles de 120 mètres, le Dunkerque, la Provence, le Strasbourg, la Bretagne et le Commandant Teste. Cette disposition est très défavorable à la défense. Les seize canons de 330 du Dunkerque et du Strasbourg, sont tournés vers la côte et ne peuvent tirer ni vers le large, ni vers la passe.
La journée est splendide, pas un nuage dans le ciel. Au large, l'horizon est légèrement voilé de brume. Au mât du cuirassé Dunkerque flotte la marque de l'amiral Gensoul, commandant en chef de l'escadre ; à celui de la Provence, celle du contre-amiral Bouxin, commandant la division des Provence-Bretagne ; à celui du Mogador, celle du contre-amiral Lacroix, commandant les divisions de contre-torpilleurs.
Tous ces bâtiments ne sont plus sur le pied de guerre depuis l'armistice. La démobilisation des équipages a même commence la veille.
A 7 heures du matin, les timoniers de veille signalent qu'un torpilleur anglais, le Foxhound, vient de mouiller à un mille nautique environ de l'entrée de la passe et qu'apparaissent peu après, au large, les silhouettes de trois navires de lignes anglais : le Hood (42 000 tonnes), battant pavillon de l'amiral Somerville, le Resolution et le Valiant, escortés par deux croiseurs et des torpilleurs, bientôt rejoints par l'Ark Royal, le plus moderne des porte-avions anglais.
Les marins français pensent d'abord que cette escadre britannique fait route en Méditerranée à la recherche des forces navales italiennes.
Mais soudain, il y a une allée et venue de vedettes entre le Foxhound et le Dunkerque. L'amiral Gensoul a reçu de l'amiral Somerville le message suivant : « Envoie le commandant Holland conférer avec vous. La Marine royale espère que ses propositions vont permettre à la marine française, vaillante et glorieuse, de se ranger à mes côtés. En ce cas, vos bâtiments resteront toujours les vôtre et personne n'aura besoin d'aucune anxiété dans l'avenir. La flotte britannique est au large d'Oran pour vous accueillir. »
Ce message étrange, où la menace est à peine déguisée derrière les flatteries, ne dit rien qui vaille à l'amiral Gensoul. Il n'y a qu'un point rassurant dans toute cette affaire : le choix du commandant Holland comme négociateur. Celui-ci a été jusqu'à la guerre attaché naval à Paris, et ensuite au G.Q.G. de l'amiral Darlan à Maintenon, où il a vécu fraternellement avec les officiers français. De plus, il parle le français à la perfection.
L'ultimatum que Holland apporte à l'amiral Gensoul est formulé à peu près comme celui d'Alexandrie. Le commandant Holland essaiera bien d'éviter l'épreuve de force, mais hélas en vain... Bien que l'ultimatum anglais n'expire qu'à 14h30, dès 12h30 cinq hydravions de l'Ark Royal larguent des mines magnétiques pour fermer la passe. C'est un acte de guerre caractérisé contre la marine française. La DCA française aurait pu abattre ces cinq hydravions, mais l'amiral Gensoul veut éviter que ce soit la France qui tire le premier coup de canon.
A l'amirauté britannique à Londres, à Whitehall, les lords de la mer sont réunis dans la salle du conseil de l'Amirauté. Il y a là Lord Alexander, Sir Dudley Pound, Sir Francis Little, et bien d'autres amiraux chamarrés d'aiguillettes et de décorations. Mais, comme il craint malgré tout leur manque de fermeté dans cette affaire, Winston Churchill y est également venu en personne. Il est ainsi présent quand arrive la première dépêche de l'amiral Somerville. Les visages des Lords de la mer sont graves ; leur expression est tendue. Leur silence traduit éloquemment leur état d'esprit : ils voudraient s'en tenir là et ne pas pousser à fond l'opération "Catapulte". Etant marins eux-mêmes, ils comprennent la perplexité de l'amiral Somerville. Mais Churchill ne fléchira pas !... Il écrira dans ses mémoires : « Tandis que les négociations se poursuivaient, à l'Amirauté l'émotion était intense. Le tourment de l'amiral Somerville et de ses principaux officiers nous était bien visible à travers les télégrammes échangés. Il ne fallut rien de moins que les ordres les plus péremptoires pour les contraindre à ouvrir le feu. »
L'amiral Gensoul a informé l'amirauté française par un premier message à 8h45, puis par un second à 12h20. A ce moment l'Amirauté française se trouve à Nérac (Lot-et-Garonne) et est dirigée par l'amiral Le Luc, car l'amiral Darlan est en route pour Vichy. A 12h50 l'amiral Le Luc télégraphie à l'amiral Duplat à Toulon et à l'amiral Bourragé à Alger d'appareiller immédiatement en tenue de combat et de rallier Oran pour soutenir l'amiral Gensoul. Celui-ci va donc tout tenter pour faire prolonger les négociations afin que la flotte d'Alger et celle de Toulon puissent arriver jusqu'à Oran.
A 16h56 la flotte britannique ouvre le feu sur les bâtiments de la marine française au mouillage à Mers-el-Kébir. La flotte française réplique alors. Les combats durent 1h30 environ. En effet, à 18h30 l'amiral Gensoul, pour éviter un bain de sang inutile, adresse par radio un message à l'amiral Somerville : « Vous demande de cesser le feu. » A 18h35 l'amiral Somerville lui répond : « J'ouvre le feu encore, si je vois que vos bateaux ne sont pas coulés. » L'amiral Gensoul lui répond alors :
« Bâtiments de combat de Mers-el-Kébir hors de combat. Je fais évacuer les bâtiments par leur personnel. » Le bilan humain de l'agression anglaise contre Mers-el-Kébir est de 1 297 tués chez les matelots français (2 seulement chez les britanniques) ; quant au bilan des pertes en navires français il est de deux cuirassés, un croiseur, un destroyer, un aviso. Chez les anglais il y a eu deux torpilleurs de coulés et quatre avions de détruits.
A Vichy, la nouvelle de l'ultimatum anglais a éclaté en début d'après-midi, elle a fait l'effet d'un véritable coup de tonnerre. Du coup, le projet de réforme constitutionnelle est rapidement mis de côté...
A Londres c'est l'amiral Émile Muselier qui apprend la nouvelle le premier, alors qu'il mettait sur pied un projet d'accord naval franco-britannique. Il écrira dans ses mémoires : « C'est alors que j'éprouvais une des crises de conscience les plus dures de ma vie. Je considérai que le gouvernement britannique venait de commettre une faute énorme. » L'amiral Muselier se rend aussitôt chez le général de Gaulle pour lui faire part de son émotion. Il écrit à ce sujet : « De Gaulle était effondré. Nous abordâmes immédiatement le problème qui se posait pour nous et nous envisageâmes de demander au gouvernement britannique de nous faire transporter dans une partie de l'Empire français, non soumise en fait aux Allemands. De Gaulle songeait alors à Pondichéry ou à Saint-Pierre et Miquelon. »
Hélas, le gouvernement britannique s'y oppose catégoriquement. Il refuse tout moyen de transport au général de Gaulle et à ses collaborateurs.
Comprenant le danger de voir de Gaulle soit quitter l'Angleterre, soit cesser de diriger la "France Libre", Winston Churchill s'empresse d'envoyer le général Spears le trouver à Stephen House. Le général Spears lui déclare que s'il comprend sa réaction au point de vue humain, il la trouve injustifiée du point de vue politique. Il lui explique en effet que la condition essentielle du succès de son mouvement est la victoire de l'Angleterre. Que ferait-il sans elle ?
Le général de Gaulle tirera ainsi dans ses mémoires le bilan de l'agression contre la marine française : « C'était dans nos espoirs un terrible coup de hache. Le recrutement de nos volontaires s'en ressentit immédiatement. Beaucoup de ceux, civils ou militaires, qui s'apprêtaient à nous rejoindre tournèrent alors les talons. En outre, l'attitude adoptée à notre égard par les autorités dans l'Empire français, ainsi que par les éléments navals et militaires qui le gardaient, passa, la plupart du temps, de l'hésitation à la
réprobation. »
Roger le Cantalien.
roger15- Commandant
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