Occultisme Nazi, Racisme & Légendes modernes… #1

Je vous propose quelques notes sur le soit disant « occultisme » (voire Satanisme) Nazi. Je sais, c’est un peu long, mais je pense que c’est intéressant, bon à savoir, et finalement beaucoup plus fou (et plus grave aussi) que toutes les imageries mondaines de « messes païennes » et de « cénacles mystiques » proposées par certains courants et auteurs… Je ne prétends pas faire le tour de la question ; je me borne à une petite (minuscule) introduction de faits ou de personnages marquants, qui peut faciliter la compréhension de ce phénomène particulier (et fort complexe)…

Les légendes « crépusculaires » entourant le nazisme, ainsi que l’idée selon laquelle ses dirigeants furent inspirés et dirigés, de 1920 à 1945, par des « agents occultistes », ne sont pas nées des mouvements
« aryosophistes » (bien réels) qui sévirent durant ces années (et bien avant) mais d’une fascination pour le nazisme, née après la guerre.

Les liturgies de l’Allemagne nazie (serment nocturne des SS devant la Feldherrenhalle, « cathédrales de lumière » à Nuremberg, célébrations Héraldiques etc .), les « Ordenburgen » (Châteaux de l’Ordre), et plus particulièrement la forteresse de Wewelsburg, « Centre du Monde et dernier rempart contre les envahisseurs de l’Est » (selon les dires d’Himmler lui-même), décrits de façon peu documentée et parfaitement fantaisiste tant dans le fond que la forme n’ont fait qu’attiser les légendes d’un satanisme « romantique » tel qu’on le concevait au Moyen-Âge. L’attrait de ce type de littérature à sensation réside dans l’intrusion mystérieuse d’un univers disparu – considéré monstrueux et « interdit » – dans le monde moderne des institutions « libérales ». Cette fascination ne se borne pas non plus au domaine littéraire : insignes et « souvenirs » du 3e Reich sont fréquemment collectionnés, et nombre de groupuscules d’extrême droite et de sectes douteuses n’hésitent pas à endosser l’uniforme et le cérémonial SS.

Depuis les années 60, beaucoup de livres « populaires » ont représenté le nazisme comme le produit d’une influence secrète, implicitement lié à un pouvoir surnaturel. Selon ces élucubrations, le mouvement n’était pas le produit de facteurs socio-économiques et de la haine homicide pathologique d’Adolf Hitler, car aucune thèse sociologique ne pouvait rendre compte des épouvantables exactions commises par le régime, ni de ses succès durables. En réalité, les fondements de la pensée nazie prennent racine dans des thèmes racistes, réactionnaires, et Millénaristes, et non dans la magie. Les « Mythes du Sang » et la « beauté de la Mort », chers à Wagner et à une certaine « élite » nazie, sont issus du Romantisme allemand et d’une conception archaïque et « sentimentale » de l’honneur militaire, non de la nécromancie.

L’avènement de l’occultisme dans l’Allemagne « moderne » est attribuable à la popularité du « Théosophisme », un mouvement ressemblant à une secte formé autour des écrits de l’aventurière et occultiste russe Héléna Petrovna Blavatsky (1831-1891). Son premier livre, « Isis Dévoilée » (1877) était un pamphlet contre la civilisation rationaliste et matérialiste de l’Occident moderne. Son livre est en fait un pot-pourri de concepts pompés dans les religions anciennes, la démonologie, la Franc-Maçonnerie, et le spiritisme. En 1888, elle publie « La Doctrine Secrète », livre sensé décrire l’activité de Dieu. Mme Blavatsky y aborde également la relation de l’homme avec le cosmos. Elle attribuait à l’humanité une origine beaucoup plus ancienne que celle admise par la science, mais l’intégrait dans le processus de l’évolution cosmique, physique, et spirituelle. Les « races-mères » se succèdent au gré des cycles cosmiques, se hissant hors de la matière, se purifiant à chaque étape, jusqu’à atteindre la 5e race… La race Aryenne.

Né en 1848, Guido Karl Anton List (plus connu sous le nom de Guido von List) était un poète, dramaturge, journaliste, et occultiste Viennois hautement respecté, et considéré comme l’un des plus importants auteurs « Völkisch », prônant le « revivalisme Germanique » et le « Mysticisme Germanique ». List pensait avoir découvert sur toute la surface de l’Autriche des traces d’un culte Armano-Wotaniste et, malgré le passage du temps et de la christianisation, d’une vaste civilisation oubliée. List essayait de convaincre que l’Empire des Habsbourg pouvait revendiquer un passé germanique païen. Il affirmait également que les antiques Germains pratiquaient une religion gnostique qui mettait l’accent sur l’initiation aux mystères de la nature. Cette religion, une fois ressuscitée, servirait de « ciment moral » et de référence pour la création d’un nouvel Empire pangermanique…

Jörg Lanz von Liebenfels, né le 19 juillet 1874, est un disciple de Guido von List. Il devient moine dans l’Ordre Cistercien en 1893, adopte le nom de « Georg », et rejoint le monastère de Heiligenkreuz. Un an plus tard, découvrant la tombe d’un Templier, il est « illuminé », et commence à développer ses théories de « l’Aryanisme Bleu-Blond » et des « races inférieures ». En 1899 il renonce à ses vœux, et quitte l’Ordre Cistercien. Les autorités de l’abbaye estiment qu’il « succomba aux tentations du monde et de la chair » (von Liebenfels se justifia en affirmant que l’ordre Cistercien avait trahi sa doctrine originelle, c’est à dire « raciste »). En 1905, il publie son célèbre « Theozoologie », dans lequel il préconise la stérilisation des malades et races inférieures, ainsi que leur mise au travail forcé, et glorifie la « Race Aryenne » en la dénommant « Gottmenschen » (Hommes-Dieux). Von Liebenfels justifie son idéologie raciale en lui conférant des fondements Bibliques : ÈVE (qu’il considère quasi-divine) eut des relations avec un Démon, et enfanta les « races inférieures » ; ce qui d’après lui démontre pourquoi les femmes blondes succombent souvent au charmes des « hommes sombres » ( !). Cette situation ne peut être résolue que par un « dé-mélange racial », de façon à ce que le « Chrétien Aryen » puisse « dominer à nouveau les hommes-bêtes à peau sombre » et ainsi accéder à la « Divinité ».

La même année, il fonde le magazine « Ostara, Briefbücherei der Blonden und Mannesrechtler », duquel il fut le seul auteur, et unique éditeur à partir de 1908. Von Liebenfels se targuera après-guerre de 100.000 abonnés, mais il semble que ce chiffre soit grossièrement exagéré. Il n’y a aucun doute, en revanche, que le jeune Adolf Hitler et son « mentor », le poète et éditeur « Völkisch » Dietrich Eckart, furent des lecteurs assidus de la revue.

Interviewé après la guerre, von Liebenfels soutiendra que Hitler lui rendit visite une fois, afin de se procurer deux numéros manquants du magazine.


Malgré le contexte de libération intellectuelle de la fin du 18e et début du 19e siècle, un antisémitisme « institutionnel » (pour motifs religieux – les « assassins du Christ » etc.) s’était développé en Allemagne. Petit à petit s’y greffèrent des sentiments nationalistes, en réaction aux divers groupes ethniques sur le sol allemand, et plus précisément aux Juifs, pratiquant une culture et une langue différentes de celle des populations d’origine. En revanche, l’antisémitisme moderne théorisé par Houston Stewart Chamberlain et les délires teutoniques d’Ernst Arndt et de Friedrich Jahn, acheva de cristalliser cette xénophobie en lançant la notion d’un « Volk » mystique dans lequel les Juifs n’avaient pas leur place. L’antisémitisme moderne prenait pied dans un monde où dominaient les notions d’agnosticisme et de darwinisme. Les idées qui se substituèrent à la religion redéfinissaient également l’antisémitisme qui, jusque-là, ne s’intéressait qu’aux dimensions religieuses et culturelles, ignorant totalement l’aspect ethnique.

Dans une société déchirée entre religion, positivisme, et darwinisme, l’apport d’une notion ethnique transforma les Juifs d’un groupe culturo-religieux allochtone en porteurs d’un gène nuisible...


Mme Blavatsky


Guido Von List


Lanz Von Liebenfels

à suivre...

Suite...

Au début du 20e siècle, le Reichshammerbund et le Germanenorden, groupes violemment antisémites (inspirés par Theodor Fritsch – porte drapeau de l’antisémitisme allemand), reprochent de plus en plus ouvertement aux Juifs de ne pas appartenir à la même race que les Allemands.

Fondé en 1912 par un groupe d’occultistes (inclus Theodor Fritsch et Philip Stauff), le Germanenorden était une société secrète Völkisch structurée en chapitres hiérarchiques calqués sur ceux de la franc-maçonnerie, et dont l’emblème était la croix gammée (à crochets courbes). Les divers chapitres de la secte se réunissaient pour célébrer le Solstice d’été, une importante manifestation néo-païenne dans les cercles Völkisch (et plus tard en Allemagne nazie). En plus de l’étude de l’occultisme et des philosophies « magiques », la secte apprenait à ses initiés les idéologies de la supériorité de la race Nordique et entretenait leur antisémitisme. Les membres et candidats étaient priés de fournir les preuves d’une origine aryenne et, liés par le serment, de maintenir la « pureté de la race » par le mariage.

En 1916, pendant la 1e Guerre Mondiale, le Germanenorden se scinde en deux mouvements : la loge « loyaliste », et le « Germanenorden Walvater du saint Graal », auquel se joint un riche aventurier très versé dans l’occultisme et le mysticisme : Rudolf von Sebottendorff (en réalité Rudolf Glauer). Franc-maçon, pratiquant le Soufisme et l’astrologie, Sebottendorff est également un admirateur de Lanz von Liebenfels. Sous sa férule, le nombre de membres du Germanenorden Walvater augmente de moins de 100 en 1917 à plus de 1.500 dès 1918.

Pendant la 1e Guerre, alors que l’effort allemand commence à décliner, un nouveau cycle d’antisémitisme fait surface. Les Juifs sont accusés d’opportunisme, de non-participation aux combats, et de responsabilité dans les carences d’approvisionnement. La littérature antisémite prolifère et, lorsque la défaite survient en 1918, les Juifs et les Socialistes deviennent les boucs émissaires désignés.

La même année, Sebottendorff entre en contact avec Walter Nauhaus, un membre du Germanenorden dirigeant un « groupe d’études Germaniques » nommé Thule Gesellschaft (Société Thulé). Dérivant son idéologie des groupes fondés par Guido von List et Lanz von Liebenfels, la Société Thulé se dédie au culte de la Trinité Walvater (Wotan en triple avatar). Le nom de Thulé (une île localisée par les géographes Grecs de l’Antiquité « à l’extrémité nord du Monde ») fut choisi pour sa signification dans les œuvres de Guido von List. L’île de Thulé serait la capitale d’Hyperborea, une contrée légendaire des régions polaires, mentionnée par Hérodote (d’après des sources égyptiennes), dont les habitants ne seraient autres que les survivants de l’Atlantide. Il est intéressant à noter que Nietzsche débuta son « Der Antichrist » (L’Antéchrist – 1895) par : « Voyons-nous tels que nous sommes. Nous sommes Hyperboréens ».

D’un point de vue historique, l’importance de la Société Thulé réside dans le fait que ce fut elle qui organisa les cercles de discussion qui amenèrent à la création du Parti des Travailleurs Allemands (Deutsche Arbeiter-Partei ou DAP), en 1919. Karl Harrer, de la Société Thulé, en fut le co-fondateur avec Anton Drexler, son Premier Secrétaire.
Plus tard la même année, un certain Adolf Hitler s’inscrit au DAP, qui sera renommé NSDAP le 1er avril 1920.

Les « théoriciens » avides de complots soutiennent que le NSDAP, sous la direction de Hitler, n’était que la vitrine de la Société Thulé. Ils oublient que Harrer et Drexler s’opposèrent à Hitler, et que tous deux démissionnèrent du parti, respectivement en 1920 et 1923.

Certains affirment également que nombre de hauts dignitaires nazis – Max Amann, Dietrich Eckart, Rudolf Hess, Alfred Rosenberg, Gottfried Feder, Himmler, Hans Frank, parmi d’autres – étaient membres de la Société Thulé. Dietrich Eckart, riche éditeur du journal « Auf gut Deutsch » (En Bon Allemand), a souvent été représenté comme un grand occultiste ayant exercé une « profonde influence » sur Hitler, et l’ayant instruit de nombre de techniques de persuasion. Son influence aurait été telle que Hitler lui aurait dédié Mein Kampf. En réalité, si Eckart participa à plusieurs réunions de la Société Thulé, il n’en était pas membre, et absolument rien ne permet d’affirmer qu’il forma Hitler à des techniques « d’ordre mystique ». Quant à la soi-disant liste des membres de la Société Thulé, s’il est avéré que Hess et Rosenberg répondirent à certaines invitations en 1918, ils n’en étaient pas membres pour autant. Quant aux présences actives d’Hans Frank et Heinrich Himmler, elles relèvent de la fiction pure et simple.

Il n’existe non plus aucune preuve que Hitler ait eu un contact quel qu’il soit avec la Société Thulé, ni en associé ni même en simple visiteur. Il convient toutefois de noter que ce fut le dentiste Friedrich Krohn, membre de la société, qui choisit la croix gammée comme symbole du NSDAP (par la suite, le sigle fut revu et corrigé sur l’insistance de Hitler).
En 1923, Sebottendorff, considéré « étranger indésirable », est expulsé d’Allemagne. En 1925, la Société Thulé est dissoute. En 1933, Sebottendorff revient en Allemagne et publie « Bevor Hitler kam : Urkundliches aus der Frühzeit der nationalsozialistischen Bewegung von Rudolf von Sebottendorff ». Le livre est censuré par les nazis en mars 1934, Sebottendorff est arrêté par la Gestapo, placé en camp de concentration puis expulsé en Turquie. En 1945, lors de l’invasion Alliée, Sebottendorff se suicide en se jettant dans les eaux du Bosphore.

L’idée d’une convergence idéologique entre Lanz von Liebenfels et Hitler ne peut être considéré qu’en termes d’une vision manichéenne du monde, commune aux deux : Le monde divisé entre « héros aryens » (valeureux, constructif, blond, yeux bleus) et la brute brune non aryenne (acharnée à semer la confusion, la subversion et la corruption). On peut également ressentir les effets des théories raciales de von Liebenfels dans les décrets du IIIe Reich concernant les mariages interraciaux (interdits), prolifération des Germains de sang pur grâce à la polygamie, assistance apportée aux mères célibataires dans les maternités SS du Lebensborn…

Mais Hitler n’a certainement pas accepté les autres aspects (particulièrement les rituels liturgiques) de l’idéologie de von Liebenfels. Ce dernier fut interdit de publication pendant le IIIe Reich, et ses organisations (l’Ordre du Nouveau Temple et le Lumenclub) furent dissoutes par la Gestapo. Cette mesure était probablement le résultat de la politique anti-maçonnique et anti-sectes du Reich, mais peut être que Hitler avait voulu aussi éviter que l’on fasse le lien entre ses propres concepts politiques et la doctrine sectaire de von Liebenfels. Hitler n’est pas du tout attiré par les cénacles mystiques, au contraire ; dans Mein Kampf, il dénonce les « clercs Völkisch gyrovagues » et les amateurs de rituels comme des combattants inefficaces, et méprise leur archaïsme et leur cérémonial. Hitler fut sûrement sensible aux thèmes millénaristes de l’Aryosophie, mais les notions « d’âge d’Or préhistorique », de clergé gnostique, et d’un « héritage secret » conservé dans les runes, n’avaient aucune place dans ses concepts politiques ou culturels.

En clair, Guido von List, Lanz von Liebenfels, Rudolf Sebottendorff et quelques autres, contribuèrent sûrement à l’ambiance « mythologique » du IIIe Reich, mais il serait exagéré de dire qu’ils eurent une influence directe sur les actions politiques du régime.





buste de Sebottendorff


Symboles de la Société Thulé

à suivre...
Eddy