Joseph JOANOVICI
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St Ex
stan_hudson
Invité
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Joseph JOANOVICI
Quel homme équivoque ce Joseph Joanovici!
Les époques de grands troubles renversent les échelles de valeur, adoubent volontiers les malfaiteurs, métamorphosent le premier venu en héros, poursuivent de la vindicte populaire les honnêtes gens. L’exemple de Joseph Joanivici, ferrailleur milliardaire et illettré, juif et collabo ou résistant, capable des pires compromissions et d'actes généreux durant l’Occupation, à travers la passionnante étude que lui consacre Alphonse Boudard, illustre parfaitement ce constat de bon sens et montre une fois encore combien la période des années sombres reste difficilement déchiffrable.
Au panthéon de l'ignominie, les initiales W.W.J. méritent de figurer en bonne place. Elles signifiaient wirtschaftlich wertvoller Jude dans le langage technocratique du IIIe Reich, autrement dit «juif utile». De tous ces affairistes qui choisirent de collaborer pendant que leurs frères montaient dans des wagons à bestiaux, le plus fameux est Joseph Joanovici, le «chiffonnier milliardaire». C'est son extraordinaire destinée qu'Alphonse Boudard raconte dans ce bouquin non moins extraordinaire - sans doute l'un des meilleurs qu'il ait jamais écrits. Il était le biographe idéal pour cette prodigieuse crapule qu'il croisa juste après la guerre sur les coursives de la Santé.
Ce juif de Bessarabie à la date de naissance inconnue (1895? 1905?), au passeport tantôt roumain, tantôt soviétique, fait fortune à Clichy sans savoir lire ni écrire. Espion russe pour les uns, agent de l'Abwehr pour les autres, M. Joseph est en tout cas un ferrailleur hors pair, un génie des métaux non ferreux: «Rien qu'avec les dents il devinait la composition d'un morceau d'étain.» En 1940, il met sans hésiter ses compétences à la disposition des Allemands, qui oublient en contrepartie son appartenance à la race maudite. Pendant quatre ans, il accumule des montagnes de biftons, qui lui servent à entretenir des relations aussi nombreuses que peu reluisantes. Il possède le don d'embobiner les gens, qu'ils soient vénaux ou fanatiques, et il sait depuis toujours que les incorruptibles ne courent pas les rues. Il a ses entrées partout: dans les bordels de luxe du genre Chabanais ou One Two Two, dans l'immeuble de l'avenue Foch où Pierre Brossolette et Jean Moulin vécurent leurs dernières heures, dans les restaurants du marché noir où «se retrouvaient aussi bien les Allemands et leurs mercenaires gestapistes français que des gens de cinéma qui par la suite se targueront d'avoir réalisé des films subversifs à la barbe de la censure». A coups d'enveloppes et de soupers fins, il s'assure les bonnes grâces des margoulins et des tueurs. Témoin ce dialogue de comédie avec Lafont. «Après tout, Joseph, tu n'es qu'un sale youpin!» lui lance un soir le bourreau en chef de la Carlingue au milieu d'invités en vert-de-gris. Alors Joanovici lève sa coupe de champagne et réplique: «Ça coûte combien pour ne plus l'être, Hauptsturmführer?»
Deux mots reviennent sous la plume de Boudard pour qualifier le milieu dans lequel patauge son triste héros: marigot, cloaque. Effectivement, le pittoresque le dispute à l'abominable dans cette galerie de trognes: les voyous reconvertis dans Nuit et Brouillard avant de se métamorphoser en épurateurs à la Libération, tel l'illustre Pierrot le Fou; les nazis de service; le W.W.J. Mandel Szkolnikoff, dit M. Michel, qui est au textile ce que M. Joseph est aux métaux; sans oublier la phalange plus discrète des BOF et des champions du retournement de veste. Mais les choses ne sont pas aussi simples avec Joanovici. Lors de son procès, en 1949, de nombreux témoins affirmeront qu'il leur a sauvé la vie: des résistants, des juifs, des aviateurs alliés. Et on sait qu'il arma personnellement les policiers parisiens qui déclenchèrent l'insurrection en août 1944. Bien sûr, les faisans de son acabit ont l'habitude de ménager la chèvre et le chou. Bien sûr, un investisseur aussi avisé se doutait que le vent allait tourner et que ces condamnés à mort rachetés à prix d'or à l'occupant lui tiendraient lieu d'assurance-vie. Mais Boudard cite des exemples d'authentique générosité de la part de ce ferrailleur illettré.
La paix revenue, le personnage reste sordide mais devient pathétique. Son procès est mené sans zèle excessif, car il pourrait éclabousser les plus hautes sphères de la IVe République. Il a tout de même le temps de prononcer une phrase historique: «Je n'étais pas vendu aux Allemands puisque c'était moi qui les payais.» Joanovici écope de cinq ans. Relégué ensuite à Mende, il se lance en octobre 1957 dans une cavale qui le conduit à Haïfa via Genève et Casablanca. L'Etat d'Israël, écœuré par le bonhomme, refuse de le faire bénéficier de la loi du retour, qui s'applique à tous les juifs, et le réexpédie dans les prisons françaises. Il mourra ruiné en 1965.
Pour Alphonse Boudard, qui - rappelons-le - rejoignit le maquis, on aurait tort d'écarter M. Joseph d'un haussement d'épaules. En ces années où de Gaulle n'était encore «qu'un gadget radiophonique», il fallait souvent se compromettre pour survivre. Même si le portrait de Joanovici est un miroir déformant, il nous livre le reflet d'une époque.
Texte dans son contexte original sur: http://andrepousse.free.fr/Joanovici.htm
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Les époques de grands troubles renversent les échelles de valeur, adoubent volontiers les malfaiteurs, métamorphosent le premier venu en héros, poursuivent de la vindicte populaire les honnêtes gens. L’exemple de Joseph Joanivici, ferrailleur milliardaire et illettré, juif et collabo ou résistant, capable des pires compromissions et d'actes généreux durant l’Occupation, à travers la passionnante étude que lui consacre Alphonse Boudard, illustre parfaitement ce constat de bon sens et montre une fois encore combien la période des années sombres reste difficilement déchiffrable.
Au panthéon de l'ignominie, les initiales W.W.J. méritent de figurer en bonne place. Elles signifiaient wirtschaftlich wertvoller Jude dans le langage technocratique du IIIe Reich, autrement dit «juif utile». De tous ces affairistes qui choisirent de collaborer pendant que leurs frères montaient dans des wagons à bestiaux, le plus fameux est Joseph Joanovici, le «chiffonnier milliardaire». C'est son extraordinaire destinée qu'Alphonse Boudard raconte dans ce bouquin non moins extraordinaire - sans doute l'un des meilleurs qu'il ait jamais écrits. Il était le biographe idéal pour cette prodigieuse crapule qu'il croisa juste après la guerre sur les coursives de la Santé.
Ce juif de Bessarabie à la date de naissance inconnue (1895? 1905?), au passeport tantôt roumain, tantôt soviétique, fait fortune à Clichy sans savoir lire ni écrire. Espion russe pour les uns, agent de l'Abwehr pour les autres, M. Joseph est en tout cas un ferrailleur hors pair, un génie des métaux non ferreux: «Rien qu'avec les dents il devinait la composition d'un morceau d'étain.» En 1940, il met sans hésiter ses compétences à la disposition des Allemands, qui oublient en contrepartie son appartenance à la race maudite. Pendant quatre ans, il accumule des montagnes de biftons, qui lui servent à entretenir des relations aussi nombreuses que peu reluisantes. Il possède le don d'embobiner les gens, qu'ils soient vénaux ou fanatiques, et il sait depuis toujours que les incorruptibles ne courent pas les rues. Il a ses entrées partout: dans les bordels de luxe du genre Chabanais ou One Two Two, dans l'immeuble de l'avenue Foch où Pierre Brossolette et Jean Moulin vécurent leurs dernières heures, dans les restaurants du marché noir où «se retrouvaient aussi bien les Allemands et leurs mercenaires gestapistes français que des gens de cinéma qui par la suite se targueront d'avoir réalisé des films subversifs à la barbe de la censure». A coups d'enveloppes et de soupers fins, il s'assure les bonnes grâces des margoulins et des tueurs. Témoin ce dialogue de comédie avec Lafont. «Après tout, Joseph, tu n'es qu'un sale youpin!» lui lance un soir le bourreau en chef de la Carlingue au milieu d'invités en vert-de-gris. Alors Joanovici lève sa coupe de champagne et réplique: «Ça coûte combien pour ne plus l'être, Hauptsturmführer?»
Deux mots reviennent sous la plume de Boudard pour qualifier le milieu dans lequel patauge son triste héros: marigot, cloaque. Effectivement, le pittoresque le dispute à l'abominable dans cette galerie de trognes: les voyous reconvertis dans Nuit et Brouillard avant de se métamorphoser en épurateurs à la Libération, tel l'illustre Pierrot le Fou; les nazis de service; le W.W.J. Mandel Szkolnikoff, dit M. Michel, qui est au textile ce que M. Joseph est aux métaux; sans oublier la phalange plus discrète des BOF et des champions du retournement de veste. Mais les choses ne sont pas aussi simples avec Joanovici. Lors de son procès, en 1949, de nombreux témoins affirmeront qu'il leur a sauvé la vie: des résistants, des juifs, des aviateurs alliés. Et on sait qu'il arma personnellement les policiers parisiens qui déclenchèrent l'insurrection en août 1944. Bien sûr, les faisans de son acabit ont l'habitude de ménager la chèvre et le chou. Bien sûr, un investisseur aussi avisé se doutait que le vent allait tourner et que ces condamnés à mort rachetés à prix d'or à l'occupant lui tiendraient lieu d'assurance-vie. Mais Boudard cite des exemples d'authentique générosité de la part de ce ferrailleur illettré.
La paix revenue, le personnage reste sordide mais devient pathétique. Son procès est mené sans zèle excessif, car il pourrait éclabousser les plus hautes sphères de la IVe République. Il a tout de même le temps de prononcer une phrase historique: «Je n'étais pas vendu aux Allemands puisque c'était moi qui les payais.» Joanovici écope de cinq ans. Relégué ensuite à Mende, il se lance en octobre 1957 dans une cavale qui le conduit à Haïfa via Genève et Casablanca. L'Etat d'Israël, écœuré par le bonhomme, refuse de le faire bénéficier de la loi du retour, qui s'applique à tous les juifs, et le réexpédie dans les prisons françaises. Il mourra ruiné en 1965.
Pour Alphonse Boudard, qui - rappelons-le - rejoignit le maquis, on aurait tort d'écarter M. Joseph d'un haussement d'épaules. En ces années où de Gaulle n'était encore «qu'un gadget radiophonique», il fallait souvent se compromettre pour survivre. Même si le portrait de Joanovici est un miroir déformant, il nous livre le reflet d'une époque.
Texte dans son contexte original sur: http://andrepousse.free.fr/Joanovici.htm
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Dernière édition par le 4/10/2006, 16:33, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Joseph JOANOVICI
Bonjour Joseph,
Interessant, merci !
Comme je le dis souvent ici, il est bel et bon de se plonger dans les poubelles de l'histoire, surtout les plus puantes.
Cela remets les choses en place et evite certaines attirances car, bon sang, qu'est-ce qu'il etait beau et fringant, l'uniforme des SS...
Tu vois ce que je veux dire.
Interessant, merci !
Comme je le dis souvent ici, il est bel et bon de se plonger dans les poubelles de l'histoire, surtout les plus puantes.
Cela remets les choses en place et evite certaines attirances car, bon sang, qu'est-ce qu'il etait beau et fringant, l'uniforme des SS...
Tu vois ce que je veux dire.
Invité- Général de Division
- Nombre de messages : 7342
Date d'inscription : 16/07/2006
Re: Joseph JOANOVICI
Oui je vois parfaitement ce que tu veux dire.Cela remets les choses en place et evite certaines attirances car, bon sang, qu'est-ce qu'il etait beau et fringant, l'uniforme des SS...
Tu vois ce que je veux dire.
Mine de rien ca commence a me plaire les sujets "puants" de la DGM.
Sinon je lis le livre "la bande bonny-lafont" et c'est tres interessant.
Concernant Joanovici j'ai lu le livre "l'etrange Monsieur Joseph" qui ma foi laisserai pantois n'importe quel lecteur.
Invité- Invité
Re: Joseph JOANOVICI
Merci Joseph pour la description de cet individu dont j'ignorai l'existence.
Quel médiocre personnage
Quel médiocre personnage
Re: Joseph JOANOVICI
En avant, Joseph, dis-nous tout !joseph porta a écrit:
Mine de rien ca commence a me plaire les sujets "puants" de la DGM.
Sinon je lis le livre "la bande bonny-lafont" et c'est tres interessant.
Concernant Joanovici j'ai lu le livre "l'etrange Monsieur Joseph" qui ma foi laisserai pantois n'importe quel lecteur.
Avoir le courage de lire la saga des ordures demande un estomac solide.
Mais en rendre compte ici, pour nos jeunes membres qui ne savent pas encore, c'est faire oeuvre utile !
Bienvenue au Club des eboueurs de l'Histoire.
La vache, ca pue, mais il faut que cela se saches.
Invité- Général de Division
- Nombre de messages : 7342
Date d'inscription : 16/07/2006
Re: Joseph JOANOVICI
Daniel Laurent a écrit:En avant, Joseph, dis-nous tout !joseph porta a écrit:
Mine de rien ca commence a me plaire les sujets "puants" de la DGM.
Sinon je lis le livre "la bande bonny-lafont" et c'est tres interessant.
Concernant Joanovici j'ai lu le livre "l'etrange Monsieur Joseph" qui ma foi laisserai pantois n'importe quel lecteur.
Avoir le courage de lire la saga des ordures demande un estomac solide.
Mais en rendre compte ici, pour nos jeunes membres qui ne savent pas encore, c'est faire oeuvre utile !
Bienvenue au Club des eboueurs de l'Histoire.
La vache, ca pue, mais il faut que cela se saches.
J'espere uniquement que vous gardez un oeil critique sur ces lectures . Tout comme la propagande nazie n'est pas bonne , il faut tout de meme croiser les lectures sur le sujet delicat les concernant , juste par correction .
Pour ma part, je ne prefere pas trop en lire, car rien que ce que j'ai lu m'a gonflé a bloc pour des decennies . A l'age de 60 ans , si je suis encore de ce monde, je me ferais une piqure de rappel .
Somua- Invité
Re: Joseph JOANOVICI
Je garde TOUJOURS un oeil critique sur les livres que je lis.J'espere uniquement que vous gardez un oeil critique sur ces lectures .
Disons aussi que le motif de l'evasion en bouquinant pour "la bande a bonny lafont" ne peut etre exploité vu que j'ai plutot envie de gerber en voyant leurs activitées...
jp
Invité- Invité
Re: Joseph JOANOVICI
Lors de son enterrement, Monsieur Joseph eut une couronne "Honneur de la Police" amené par 2 ou 3 huiles de la P.P.P. Comme quoi!!!
St Ex
PS: pour les djeun's, "Honneur de la Police" est le réseau de résistance de la maison poulaga.
Sinon le book de Boudart se trouve facilos chez les bouquinistes de 2 à 10 roros à la louche: à lire, très bon compte rendu de la vie de l'époque (y compris 4 ème République).
St Ex
PS: pour les djeun's, "Honneur de la Police" est le réseau de résistance de la maison poulaga.
Sinon le book de Boudart se trouve facilos chez les bouquinistes de 2 à 10 roros à la louche: à lire, très bon compte rendu de la vie de l'époque (y compris 4 ème République).
St Ex- Caporal
- Nombre de messages : 15
Date d'inscription : 06/10/2006
Re: Joseph JOANOVICI
St Ex a écrit:PS: pour les djeun's, "Honneur de la Police" est le réseau de résistance de la maison poulaga.
Réseau qui aurait été financé en grande partie grace aux "magouilles" de Monsieur Joseph.
Narduccio- Général (Administrateur)
- Nombre de messages : 4976
Age : 65
Localisation : Alsace
Date d'inscription : 05/10/2006
Joanovici
Lors de son jugement , Joano regalait l'assistance de ses bons mots:
Comme le president lui faisait remarquer que pendant l'occupation , on le voyait souvent circuler à bord de camions allemands
Joano , hilare et avec son accent inimitable :
" Mais , Monsieur le president , c'est qu'a l'époque c'etait difficile de circuler dans des camions anglais !
Comme le president lui faisait remarquer que pendant l'occupation , on le voyait souvent circuler à bord de camions allemands
Joano , hilare et avec son accent inimitable :
" Mais , Monsieur le president , c'est qu'a l'époque c'etait difficile de circuler dans des camions anglais !
lebel- Adjudant
- Nombre de messages : 96
Date d'inscription : 07/09/2006
Re: Joseph JOANOVICI
Fournisseur des nazis, commanditaire du réseau de Résistance « Honneur de la police », Joanovici, dit Monsieur Joseph, constitua un Etat dans l'Etat. Mais le 21 juillet 1949, ce chiffonnier milliardaire... apatride, écopa de la dégradation nationale à vie !
Le 18 juillet au soir, tout semblait aller pour le mieux. Me Henri Torrès, l'un de ses défenseurs, n'avait-il pas lancé dans le prétoire une adresse aux jurés qui avait fait mouche : « Gardez-vous de faire de cet Israélite un nouveau Dreyfus ! » Certes Galtier-Boissière, toujours caustique, avait eu ce commentaire lapidaire : « Ce qui, on l'avouera, n'était pas très gentil pour le capitaine. » Mais les jurés, au terme d'une douzaine de jours de procés ininterrompu, avaient semblé ébranlés dans leurs éventuelles préventions à l'égard de Monsieur Joseph... Que celui-ci ait joué sur tous les tableaux pendant la guerre, n'était contesté par personne. Mais, comme l'avait affirmé avec une tranquille assurance « Franc-Tireur », le journal du tout-puissant Albert Bayet, président de la Fédération de la presse, « Joanovici (n'avait-il pas fait) bon usage d'une fortune mal gagnée ? » (12 juillet 1949).
Joanovici était un tendre, un sentimental
D'entrée, on avait tout appris de la fulgurante ascension de Monsieur Joseph, juif bessarabien, né le 20 février 1905 à Kichinev. La Bessarabie était alors une province russe qui, en 1918, passa sous le contrôle de la Roumanie, qui avait eu le bon esprit de rejoindre le camp des Alliés. À l'âge de 20 ans, il vient en France, s'installe à Clichy dans une vieille baraque et commence par faire les poubelles.
Première rencontre : un vague cousin, le chiffonnier Krug, « un as du métier ». Joanovici lui raconte son enfance malheureuse (vraie ou fausse ? allez savoir) : « Mes parents sont morts tous les deux l'année de ma naissance. À 12 ans je trimais déjà à l'usine. J'ai été métallo, serrurier, cheminot... » Il a tout connu : pogroms, massacres, misère. Krug fond en larmes et l'engage. Le futur Monsieur Joseph excelle déjà à attendrir les coeurs les plus secs... Comme le confiera à la barre un autre de ses vieux amis : « Joanovici était un tendre, un sentimental. Il était extraordinairement fleur bleue. » N'empêche, le tendre-sentimental-fleur bleue deux ans après son embauche élimine son patron-bienfaiteur à la faveur de difficultés financières de celui-ci, fait main basse sur son appartement et se retrouve, en 1939, à la tête d'une entreprise de récupération de ferraille, qui déclare 5 millions de chiffre d'affaire et 130 000 F de bénéfice en 1939. Mais, dès 1933 soit huit ans après son arrivée en France Joanovici fait son entrée dans le saint des saints de son unique passion, à savoir la préfecture de police. Il n'y va pas par quatre chemins, fait irruption dans le bureau du sous-directeur de la police parisienne, Henri Verdier, et lui tient l'émouvante déclaration suivante : « Ma réussite honnête fait des envieux. J'ai refusé de tremper dans des affaires louches, par respect de la loi et par amour de la France. C'est pourquoi on cherche à me tuer. Je demande la protection de la police. » Naturellement, contre cette protection, le sympathique jeune homme est tout disposé à rendre des services... comme indicateur. La police parisienne n'est pas seule à bénéficier des services de Monsieur Joseph. À la même époque, il commence par le truchement de sa société de récupération à ravitailler l'Allemagne nazie en laiton, plomb et cuivre, tous métaux fort utiles à une industrie d'armement. De surcroît, il reçoit la fréquente visite de « touristes allemands », bardés d'appareils photo, chargés de « missions spéciales ». C'est lui qui les approvisionne en devises : l'indicateur de la police française est aussi le banquier de la « cinquième colonne ». Après la déclaration de guerre, cet as du double jeu semble rompre ses relations avec l'Allemagne et se présente spontanément devant un conseil de révision, le 1er mai 1940. C'est du moins ce qu'il raconte lors de son procès neuf ans plus tard : « Je m'étais épinglé des cocardes jusque dans le dos, avec un tas d'autres trucs qui brillaient... » Le président du tribunal : « Vous vouliez donc vous battre ? ». Joanovici : « Euh... c'est-à-dire que je voulais faire quelque chose pour la France. Seulement, après cela, je n'ai jamais été mobilisé. Sans ça, croyez-moi, ça aurait bardé. » Et Monsieur Joseph de rouler furieusement des yeux.
Description de Monsieur Joseph par le journaliste Philippe Bernert : « C'est un petit homme au poitrail de taureau, avec des jambes et des bras de lutteur de foire. Le visage est charnu et vulgaire, taché de son, figé dans sa graisse comme un masque bouffon. Tapis dans les trous du masque, deux yeux de chasseur perpétuellement à l'affût, glissant d'un visiteur à l'autre avec une mobilité surprenante (...). Pour en atténuer l'éclat coupant comme un scalpel, Joanovici les voile par instants de ses paupières bridées, à l'asiatique, ce qui lui donne l'air faussement bonhomme d'un Bouddha hilare. » La débâcle et l'Occupation font de Monsieur Joseph le récupérateur en chef des Allemands. Leurs services secrets le qualifient d'ailleurs, dans leurs rapports, de « tüchtig und brauchbar » (actif et utile). Quoi qu'il en soit, cumulant business et trahison, Monsieur Joseph perfectionne son négoce avec un talent tel qu'il devient rapidement milliardaire. Analyse clinique du négoce par Pierre Boutang : « Joanovici payait avec les billets ses trafics, dont les Allemands lui allouaient une quantité d'autant plus considérable qu'ils nous les volaient. Joanovici payait les boches avec nos métaux ; le boche le payait avec nos billets. L'opération était complète, réversible et aurait duré indéfiniment, sans l'arrivée des blindés de Leclerc... » Au demeurant, Monsieur Joseph, qui disposait d'une solide assurance allemande qui lui avait, moyennant cinq millions, permis d'obtenir un certificat d'aryanisation (!), s'était littéralement payé un réseau de Résistance avec... l'argent des Allemands. « Honneur de la police », grâce à Monsieur Joseph, était un vrai réseau, le plus riche de France et le mieux armé. C'est d'ailleurs avec du matériel fourni gratuitement par Monsieur Joseph que les policiers purent contribuer à la libération de Paris ! Au passage, Monsieur Joseph avait alors fait liquider ses anciens amis de la Gestapo française, était redevenu juif et avait été promu « combattant sans uniforme », portant fièrement son pseudo de la Résistance « Spass », alias « Le Sauveur ». « Spass », félicité par le préfet de police, avait même son bureau à la préfecture, prêtait son parc de véhicules aux policiers et leur payait le carburant nécessaire pour circuler. Ses activités de mécène ne s'arrêtaient pas là : cet ami du genre humain finançait les campagnes des démocrates-chrétiens du MRP, en même temps qu'un journal communiste, « L'Action ».
Il y avait bien quelques nuages de temps à autre : un court séjour en prison, en 1944, pour avoir vendu aux Allemands des responsables du réseau « Honneur de la police » (ce qui lui avait permis d'en devenir l'un des chefs) et d'en avoir fait assassiner d'autres ; les accusations de l'authentique résistant qu'était le colonel Rémy et puis le 17 mars 1947 cette conférence de presse du ministre de l'Intérieur Depreux : « Joanovici a su se créer une police personnelle, dont il recrute dans les rangs de la police officielle ses meilleurs éléments. Il constitue pratiquement un Etat dans l'Etat. Désormais, c'est la lumière qui doit être faite, quelle que soit la hauteur ou la distance où nous devons la porter. »
J'ai essayé de reconstituer les comptes de l'accusé
Monsieur Joseph, devenu fournisseur exclusif pour l'Europe des surplus américains, se retrouve, après bien des péripéties, devant la Cour de justice, le 6 juillet 1949. Et il donne toute sa mesure pour la plus grande joie des spectateurs et des lecteurs des quotidiens. Le président : « Vous faisiez circuler vos camions avec des laissez-passer allemands... » Joanovici : « M. le président, s'ils avaient eu des laissez-passer anglais, ils n'auraient pas pu rouler. » Rires. Le juge Fayon : « J'ai essayé de reconstituer les comptes de l'accusé, comme les paléontologues ont refait les squelettes en partant d'un os... » Joanovici : « Vrai ! et c'est même malheureux que cet homme soit encore juge d'instruction, il mérite au moins d'être ministre ! » La salle est pliée de rire. Le président : « Vous n'allez quand même pas nier vos relations avec l'occupant ! C'est même pour cela que vous êtes là. » Joanovici : « Aloré, pourquoi yé souis lé soul ? Si on avait laissé faire les Allemands, ils auraient pris la marchandise sans rien payer. Autant leur prendre un peu d'argent ! » Le commissaire du gouvernement : « Avec quoi payiez vous vos fameux petits copains ? » Joanovici : « Avec n'importe quoi : du café, de l'argent, des cigarettes anglaises... » Le commissaire : « Et pouvez-vous nous dire comment vous les aviez ? » Lui : « Au marché noir, M. le commissaire du gouvernement, comme tout le monde... » On lui reproche (à juste titre) d'avoir été un agent des Allemands. Joanovici : « Moi, un agent de l'ennemi ? Si je l'avais été, j'aurai touché. Or c'est toujours moi qui payais. » Comme il a décidément réponse à tout, le président de la Cour lui en fait la remarque. L'un de ses avocats s'écrie alors : « Il ne faudrait tout de même pas le condamner pour être trop intelligent ! »
Une multitude de témoins viennent témoigner en faveur de Monsieur Joseph, qui a décidément « arrosé » beaucoup de monde... Seule deux voix discordantes un membre des services secrets de Londres d'une part, un agent de la Gestapo française condamné à mort d'autre part viennent ternir l'image de Monsieur Joseph. Le 18 juillet au soir, les amis de Monsieur Joseph sont optimistes. Mais l'obstination du juge d'instruction Fayon, lequel menace de rendre public le dossier explosif qu'il a constitué sur Joanovici, douche bientôt ce bel enthousiasme. Finalement, Monsieur Joseph écope de oh pas grand'chose cinq ans de prison, indignité nationale à vie (un comble pour un apatride !), confiscation des biens jusqu'à concurrence de 50 millions. C'est peu mais c'est trop pour Monsieur Joseph. Celui-ci sort de prison en 1951, passe cinq ans en résidence forcée à Mende, en Lozère où, d'une chambre d'hôtel, il reconstitue une incroyable fortune.
Il ne faut jamais croire aux hommes
C'est le fisc qui aura sa peau. Joanovici s'enfuira en Israël en octobre 1957, sera extradé 11 mois plus tard, échouera à la prison des Baumettes à Marseille, où il aura pour voisin de cellule Gaston Dominici (le patriarche de Lurs accusé d'un triple meurtre), sera libéré en mai 1962, après une longue grève de la faim. Il doit encore au fisc plus d'un milliard de francs. À 60 ans, il revient à Clichy. Malade, ruiné, oublié de tous et surtout de ses anciens amis, il meurt le 7 février 1967. Le jour de son enterrement au petit cimetière juif de Bagneux, quatre hommes silencieux restent à l'écart, puis déposent discrètement une immense gerbe sur la tombe de Joanovici, avec cette inscription : « À notre camarade : Honneur de la police. Ses amis reconnaissants. » Et les quatre policiers anonymes s'en vont comme ils sont venus, évitant les photographes... Monsieur Joseph, lui, durant ses misérables dernières années, confiait : « Il ne faut jamais croire aux hommes ; si je n'avais pas été naïf, j'aurais pu aller tranquillement chez Staline et devenir son conseiller financier : mon oncle était d'ailleurs son camarade d'école. »
Texte : Edouard Boeglin
Invité- Invité
Re: Joseph JOANOVICI
Lire sur ce sujet,je parle de l'affaire Joanovici ,le livre de André Goldschmidt "L'affaire Joanovici" au éditions Privat 2002 qui donne d'autres perspectives basé sur une enquête très sérieuse et qui fait de Joano un bon bouc émissaire pour d'autres personnes qui n'ont jamais été inquiétées .
Dom- Major
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Localisation : France
Date d'inscription : 06/11/2008
Re: Joseph JOANOVICI
JOINOVICI Joseph
( Il sait que son sort ne sera le même que d'autres.
C'est bon enfant...les copains sont des 2 bords.)
Né le 4 Juin 1902 à Kichinev en Bessarabie.
Se fait chiffonnier en 1920 à Saint-Ouen , il ne sait alors ni lire
ni écrire.
Il devient propriétaire d'une entreprise de chiffons et de ferraille.
En 1939 il se trouve parmi les cinq premiers ferrailleurs de France.
Parmi ses amis il y a Henri Laffont , le Docteur Pétiot ,
Pierrot le fou .
Il est dans la collaboration économique et parallèlement il finance un réseau de résistance: "Honneur de la Police" .
Le 5 Mars 1947 il se réfugie à Munich et en Novembre
il se constitue prisonnier.
Le 21 Juillet 1949 il est condamné à 5 ans de prison, il est libéré
en 1951 il est assigné à résidence à Mende.
S'enfuit en Octobre 1957 en Israël, qui le réexpédie en France
où il est incarcéré aux Baumettes.
Libéré en Mai 1962 , va finir ses jours à Clichy où il meurt
le 7 Février 1965.
sur lui:
"Joinovici , l'Empire souterrain du chiffonnier milliardaire"
(Le Carroussel 1986 par Henry Sergg. )
"L'étrange Monsieur Joseph"
(Robert Laffont 1998 par Alphonse Boudard .)
( Il sait que son sort ne sera le même que d'autres.
C'est bon enfant...les copains sont des 2 bords.)
Né le 4 Juin 1902 à Kichinev en Bessarabie.
Se fait chiffonnier en 1920 à Saint-Ouen , il ne sait alors ni lire
ni écrire.
Il devient propriétaire d'une entreprise de chiffons et de ferraille.
En 1939 il se trouve parmi les cinq premiers ferrailleurs de France.
Parmi ses amis il y a Henri Laffont , le Docteur Pétiot ,
Pierrot le fou .
Il est dans la collaboration économique et parallèlement il finance un réseau de résistance: "Honneur de la Police" .
Le 5 Mars 1947 il se réfugie à Munich et en Novembre
il se constitue prisonnier.
Le 21 Juillet 1949 il est condamné à 5 ans de prison, il est libéré
en 1951 il est assigné à résidence à Mende.
S'enfuit en Octobre 1957 en Israël, qui le réexpédie en France
où il est incarcéré aux Baumettes.
Libéré en Mai 1962 , va finir ses jours à Clichy où il meurt
le 7 Février 1965.
sur lui:
"Joinovici , l'Empire souterrain du chiffonnier milliardaire"
(Le Carroussel 1986 par Henry Sergg. )
"L'étrange Monsieur Joseph"
(Robert Laffont 1998 par Alphonse Boudard .)
Toine- Télétubbé
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