Gerstein et Nuremberg
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Survivor
Lhinz
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Gerstein et Nuremberg
Pourquoi le témoignage Gerstein n'a-t-il pas été retenu à Nuremberg ? Etait-il connu du public à ce moment ?
Lhinz- Soldat 1ère classe
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Re: Gerstein et Nuremberg
Bonsoir,
L'expert de ce forum sur Kurt Gerstein c'est Eddy Marz. Mais en attendant je te conseil vivement de lire ses posts sur le sujet :
Partie I : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/zyklon-b-la-mission-secrete-de-kurt-gerstein-t6300.htm
Partie II : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/mission-gerstein-partie-ii-quelques-heures-en-enfer-t6921.htm
Partie III : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/mission-gerstein-partie-iii-fin-l-espion-de-dieu-t7068.htm
L'expert de ce forum sur Kurt Gerstein c'est Eddy Marz. Mais en attendant je te conseil vivement de lire ses posts sur le sujet :
Partie I : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/zyklon-b-la-mission-secrete-de-kurt-gerstein-t6300.htm
Partie II : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/mission-gerstein-partie-ii-quelques-heures-en-enfer-t6921.htm
Partie III : https://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/crimes-de-guerre-et-contre-l-humanite-f18/mission-gerstein-partie-iii-fin-l-espion-de-dieu-t7068.htm
Survivor- Police militaire (Modérateur)
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Re: Gerstein et Nuremberg
Lhinz a écrit:Pourquoi le témoignage Gerstein n'a-t-il pas été retenu à Nuremberg ? Etait-il connu du public à ce moment ?
Salut Lhinz;
Les raisons pour lesquelles le Rapport Gerstein (document PS 1553), fut « écarté » à Nuremberg sont à la fois le fruit de la désorganisation, de la volonté politique, et de l’ignorance. Elles ne sont pas aisées à expliquer de façon limpide, tant les impressions et témoignages des diverses personnalités impliquées à l’époque divergent… Je vais tout de même tenter de faire court (et clair) :
- Le Procès de Nuremberg débute le 20 novembre 1945, mais le nom de Gerstein n’est pas mentionné avant le mois de janvier 1946. C’est l’avocat général français, Delphin Debenest qui découvre le rapport (annoté PS 1553) dans les documents Américains. Pour des raisons inconnues, l’équipe US ne semble pas vouloir en faire usage. Debenest le fait immédiatement transmettre à Charles Dubost, procureur général adjoint. Le dossier comporte des factures de fourniture de Zyklon B à Oranienbourg et Auschwitz, ainsi que la déposition d’un officier SS, Kurt Gerstein.
- Les liasses de factures prouvent qu’en moins de trois mois, la firme Degesch avait livré 2.236 kg de Zyklon B à Oranienbourg, et 1703 kg à Auschwitz. Le rapport de Gerstein ne laisse planer aucun doute sur l’usage qu’on faisait de ce gaz, ni sur les gaz d’échappements (C02) utilisé pendant Aktion Reinhard.
- Dubost décide de présenter le dossier à la Cour, mais il y a des problèmes : PS 1553 n’est pas publié in extenso dans les documents du procès. Il n’y a que la déposition de Gerstein. Seules deux lignes, en bas de la page 230 du volume 3 de l’accusation française, reproduisent le compte-rendu de l’audience, où rien ne prouve que la déposition de Gerstein fut présentée en même temps que les factures. Dubost termine sa lecture à la Cour par : « Au document PS 1553 est jointe la déposition de Gerstein, et les dépositions du chef de service américain qui a recueilli ce document » (Charles Dubost – interview ; 1967). Pour Dubost les choses sont claires la déposition de Gerstein ne peut être séparée des liasses de factures.
- Le 30 janvier 1946, armé du document PS 1553, Dubost fait son exposé devant la Cour, dans la tentative d’appuyer la déposition de madame Vaillant-Couturier (rescapée d’Auschwitz) sur l’utilisation criminelle du Zyklon B. Mais Francis Biddle, le juge américain, l’interrompt : « Déposez-vous comme preuve les originaux de ces factures auxquelles vous vous référez dans ce document ? » Dubost, qui n’a pas entendu, continue son exposé. Biddle l’interrompt à nouveau : « Je voudrais savoir quelle autorité on peut donner à ce document : vient-il d’une des commissions établies par la République Française ? ». Dubost répond à Biddle que PS 1553 est un document américain, provenant des archives américaines.
- Biddle répond : « Monsieur Dubost, la note en bas du document PS 1553 n’était pas dans l’original qui a été fourni par les USA, n’est-ce pas ? ». Suit une ennuyeuse polémique sur l’authenticité du texte. La Cour l’écarte provisoirement jusqu’à ce qu’un certificat soit fourni. Dubost, fermement décidé à ne pas faire passer le document aux oubliettes, demande aux services américains de lui fournir le certificat.
- Le même jour, le procureur général adjoint britannique, Sir David Maxwell-Fyfe, liquide l’incident en quelques instants, en confirmant qu’après enquête avec ses homologues américains, la série des documents PS a été authentifiée et est donc recevable par la Cour.
Donc, jusqu’à maintenenant, le Rapport Gerstein a été dédaigné par les français (chez qui il fut écrit en premier lieu, puisque Gerstein était leur prisonnier à Rottweil), recueilli par les Anglo-Saxons, occulté par les Américains, et enfin redécouvert par les Français. Jusqu’au jugement de Nuremberg (octobre 1946) le nom de Gerstein n’est plus mentionné. On ne sait même pas si il est vivant ou mort. Or cela fait 1 an et 5 mois que Gerstein est mort, à Paris, dans la prison militaire du Cherche Midi.
Plus tard, nombre d’intervenants exprimeront leurs impressions :
- Charles Dubost pense que les dires de Gerstein étaient de trop. Et que Biddle jugeait qu’il valait mieux enterrer le dossier. Mais Biddle a-t-il agit sur ordre de son gouvernement ?
- Biddle prétendra n’avoir aucun souvenir de PS 1553, ni même de sa présentation au procès.
- Pourquoi Maxwell-Fyfe a-t-il aidé Dubost à faire admettre le dossier ? Avait-il connaissance des mobiles de Biddle, inconnus aux Français ?
- Le Lord Justice Robert H. Jackson tenait à tout prix à son exposé sur les organisations criminelles comme la SS. Or, le Rapport Gerstein faisait état de « bons SS », ce qui allait à l’encontre de sa thèse.
- Philippe Bauchard, de la délégation française, suggère d’autres pistes : « La nécessité de ménager les allemands à cause de la guerre froide ? Je n’en sais rien. Il est tout à fait possible qu’il y ait d’autres causes. Le document, au fond, incriminait la passivité des Alliés, des Neutres, et de Pie XII en particulier ».
- Albert Lantin, également de la délégation française : « C’était la guerre froide. Churchill avait fait en mars son célèbre discours de Fulton sur le Rideau de Fer. Dans le box, les nazis lisaient le journal américain ‘Stars & Stripes’ et se tordaient ; il y avait des envoyés du Vatican… »
Les aventures du Rapport Gerstein s’arrêtent là en ce qui concerne Nuremberg. Mais elles ne font que commencer pour le reste jusqu’à nos jours. En décembre 1947, une ligne dans le Registre Central des Criminels de Guerre et des Suspects (CROWCASS) : Gerstein, Kurt 34893 murder, wanted by France.
1947 ? « L’assassin » recherché par la France est mort depuis deux ans et demi – en France. À partir des années 50 s’ouvrent les divers procès liés à l’Aktion Reinhard. Le Rapport Gerstein réapparaît comme pièce capitale et sera, à ce titre, pris d’assaut (sans succès) par les négationnistes.
Extraits du Rapport Gerstein; tapé de sa main directement en Français. La syntaxe imparfaite ne donne que plus d'intensité à son récit.
Eddy
PS Je pense que tu devrais aller te présenter dans la rubrique appropriée.
eddy marz- Membre légendaire
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Date d'inscription : 24/03/2008
Gerstein et Nuremberg
Bonjour,
Merci à Survivor : j'avais suivi son conseil avant de m'inscrire.
Merci et bravo à Eddy Marz : toujours précis, factuel et passionnant.
Pour lui répondre, en bref. Tout se passe à Nuremberg comme si tout le monde tournait la tête en même temps : les Américains, les Britanniques et les Français (les Russes, non informés n'étant pas partie prenante).
Il existe cependant un article de Florent Brayard (Bulletin du CRFJ numéro 6, printemps 2000) qui démontre que le témoignage Gerstein a été transmis à Londres par la résistance hollandaise, qui le tenait de J.H. Ubbink, industriel hollandais, ami de Gerstein. Le document arriva à Londres en avril 1943. (J'ai bien lu : quarante-trois). En août, il était question d'en transmettre une copie à New York, en vue de publication. Puis retournement : "Dans l'année 1943, la Résistance hollandaise me fait dire par Ubbink que j'étais prié de ne pas fournir d'atrocités inventées, mais de me contenter de produire la stricte vérité", conclut amèrement Gerstein le 6 mai 1945, qui écrit vers la même période à Ubbink, sans doute de sa cellule du Cherche-Midi : "Demande à tes amis si à présent, au moins, ils y croient, à ce qui s'est passé à Belzec".
L'escamotage du témoignage Gerstein à Nuremberg n'est-il pas à mettre au compte soit de la gêne des vainqueurs, soit du secret scientifique à préserver de la curiosité possible des Russes ? (On sait que le partage des scientifiques allemands entre Américains et Russes ne s'embarrassa pas d'excessive publicité, lorsque le sujet d'étude pouvait donner un avantage). Avez-vous un avis sur ce point ?
Cet escamotage modifie la tournure du procès de Nuremberg, que Gerstein appelait de ses voeux (sans savoir bien sûr qu'il allait se dérouler à Nuremberg). "...je dois comparaître devant la Cour internationale de Justice en qualité de témoin capital dénonçant les crimes de guerre", écrivait Gerstein à sa femme le 26 mai 1945.
Si la chose s'était réalisée, le procès de Nuremberg aurait pris un autre sens, et la partie aurait été rude pour tous les bancs : Allemands, qui avaient commis, Américains et Britanniques, qui avaient su, et Français, qui tenaient là un témoin bien difficile à produire, et pour tout dire, embarrassant pour tout le monde. Partagez-vous cette analyse ?
Cordialement
PS à votre PS : je n'ai pas trouvé la rubrique appropriée en question !
Merci à Survivor : j'avais suivi son conseil avant de m'inscrire.
Merci et bravo à Eddy Marz : toujours précis, factuel et passionnant.
Pour lui répondre, en bref. Tout se passe à Nuremberg comme si tout le monde tournait la tête en même temps : les Américains, les Britanniques et les Français (les Russes, non informés n'étant pas partie prenante).
Il existe cependant un article de Florent Brayard (Bulletin du CRFJ numéro 6, printemps 2000) qui démontre que le témoignage Gerstein a été transmis à Londres par la résistance hollandaise, qui le tenait de J.H. Ubbink, industriel hollandais, ami de Gerstein. Le document arriva à Londres en avril 1943. (J'ai bien lu : quarante-trois). En août, il était question d'en transmettre une copie à New York, en vue de publication. Puis retournement : "Dans l'année 1943, la Résistance hollandaise me fait dire par Ubbink que j'étais prié de ne pas fournir d'atrocités inventées, mais de me contenter de produire la stricte vérité", conclut amèrement Gerstein le 6 mai 1945, qui écrit vers la même période à Ubbink, sans doute de sa cellule du Cherche-Midi : "Demande à tes amis si à présent, au moins, ils y croient, à ce qui s'est passé à Belzec".
L'escamotage du témoignage Gerstein à Nuremberg n'est-il pas à mettre au compte soit de la gêne des vainqueurs, soit du secret scientifique à préserver de la curiosité possible des Russes ? (On sait que le partage des scientifiques allemands entre Américains et Russes ne s'embarrassa pas d'excessive publicité, lorsque le sujet d'étude pouvait donner un avantage). Avez-vous un avis sur ce point ?
Cet escamotage modifie la tournure du procès de Nuremberg, que Gerstein appelait de ses voeux (sans savoir bien sûr qu'il allait se dérouler à Nuremberg). "...je dois comparaître devant la Cour internationale de Justice en qualité de témoin capital dénonçant les crimes de guerre", écrivait Gerstein à sa femme le 26 mai 1945.
Si la chose s'était réalisée, le procès de Nuremberg aurait pris un autre sens, et la partie aurait été rude pour tous les bancs : Allemands, qui avaient commis, Américains et Britanniques, qui avaient su, et Français, qui tenaient là un témoin bien difficile à produire, et pour tout dire, embarrassant pour tout le monde. Partagez-vous cette analyse ?
Cordialement
PS à votre PS : je n'ai pas trouvé la rubrique appropriée en question !
Lhinz- Soldat 1ère classe
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Date d'inscription : 16/02/2009
Re: Gerstein et Nuremberg
Bonsoir Lhinz (et vous autres aussi), désolé du retard;
C’est une histoire très touffue ; pas tant pour l’ambiguïté qu’elle semble traduire, mais simplement par l’absence de preuves concrètes. Trop de pièces ont flambées, ou se sont égarées dans le chaos de l’immédiat après-guerre. Tout d’abord, je me dois de préciser que je ne suis pas toujours d’accord avec Florent Brayard (avec qui j’ai été en contact il y a quelques années) et, plus particulièrement, concernant ses analyses des motivations de Gerstein à travers la lentille du philosophe Emmanuel Levinas. Elles ne font partie, pour moi, que des « vues de l’esprit », propres à certains cercles intellectuels français. Je pense honnêtement que de nombreux épisodes, fonctionnements, ou aspects psychologiques, de l’aventure de Gerstein ne seront jamais élucidés tant que sa personnalité et son « identité chrétienne » très particulière ne seront pas comprises. D’une certaine manière, croyant moi-même à la rectitude des intentions de Gerstein (même si j’admet la « non-orthodoxie » de ses méthodes), je préfère lui garder sa part de mystère… Un homme éclairé est toujours un homme trahi.
Brayard commet aussi des erreurs dans ses évaluations des dépositions de Wilhelm Pfannenstiel, et a une connaissance approximative du fonctionnement de l’Aktion Reinhard. Bien qu’admiratif de l’intelligence et de la densité de son travail (et de son remarquable livre sur Paul Rassinier), j’ai toujours le sentiment que ses obsessives extrapolations à partir de détails (importants, disons-le) et de leur interprétation, embrouille la situation plus qu’elle ne la clarifie et, finalement, nuit à la compréhension globale de la situation. Les recherches de Brayard sont approfondies et sérieuses, nous expliquent le pourquoi du comment de certains rouages mais, dans ce cas précis, ne nous emmènent pas plus loin que leur prémisse de départ, à savoir que le rapport ne fut ni particulièrement apprécié, ni jugé à sa juste valeur par les Hollandais, ni réellement communiqué avant qu’il ne soit trop tard (ils ne sont pas les seuls en cela).
Quoi qu’il en soit, en ce qui me concerne, le véritable Rapport Gerstein fut écrit en avril 1945, en plusieurs versions, en français et en allemand. Une copie de ce rapport fut également remise, par Gerstein lui-même, lors de sa période de semi captivité à Rottweil, à deux officiers-chimistes Anglo-Saxons, le 5 mai 1945 ; c’est-à-dire durant la période de rédaction de ses divers rapports, du 21 avril au 26 mai 1945. Les deux officiers en question, le colonel américain John W. Haught, et le major britannique Derek Evans, étaient tous deux attachés au Combined Intelligence Objective sub-Committee (CIOS) ; leur mission consistant à identifier les centres de fabrication des gaz de combat (Sarin, Tabun). Evans témoigna en février 1968 : « J’ai pris les papiers et promis de les acheminer à Londres sans faute. Deux jours plus tard, je crois, je les ai envoyés à notre QG où ils sont bien arrivés ».
Revenons à J.H. Ubbink (ex compagnon d’étude de Gerstein, fréquentant les Bibelkreise), et aux Hollandais. Nous savons que le récit (pas le rapport) de Gerstein de sa visite dans deux camps d’AR (Belzec, Treblinka) fut transmis à J.H. Ubbink par Gerstein lui-même, dans son appartement berlinois, en février 1943 (soit 6 mois après son retour de Pologne) : « Lorsque je rendis visite à Gerstein en février 1943 à Berlin, je le trouvais bouleversé […] Il me décrivit en détail comment il avait finalement réussi à pénétrer les activités secrètes des nazis, et même à voir les camps d’extermination… » (Lettre de Ubbink – 14/9/1949 ; Département de Justice de Bavière). Selon toute vraisemblance Gerstein lui fit un récit verbal qu’Ubbink notait très certainement. À son tour, Ubbink transmit le récit à Cornelius Van der Hooft (sans doute par communication radio) qui en rédigea une version présentable – le « Tötungsanstalten in Polen », sans pour autant être le moins du monde convaincu de son contenu. À ce qu’il semblerait, le document n’aurait pas été communiqué aux organes de presse clandestins (mis à part de vagues remarques dans un article ou deux) mais, au contraire, aurait été caché par Van der Hooft lui-même (qui mourut environ 1 an plus tard). D’autres copies furent faites et transmises ; leurs incroyables pérégrinations à travers le dédale des administrations et liaisons Hollandaises, des doutes, et des refus, pour finalement n’aboutir à rien, sont trop complexes pour aborder ici. Comme pour la Suisse, lorsque Gerstein alerta le diplomate Paul Hochstrasser, que ce dernier fit un rapport à son gouvernement, et que Fröhlicher le mit de côté, la Hollande ne fit ni mieux ni pire que les autres : elle douta, et se ressaisit trop tard – tandis que l’extermination continuait.
Je suis d’accord avec Brayard lorsqu’il dit que le rapport de Gerstein rédigé en 1945 était plus détaillé et plus cohérent. Cela semble logique. Comme il est logique que la relation faite à Ubbink soit moins détaillée et/ou réfléchie. Je suspecte que Gerstein était toujours sous le choc, et qu’il n’a fourni que l’essentiel. Il est évident que dans le récit à Ubbink, puis de ce dernier à Van Hooft, qu’il n’y ait nulle mention que Gerstein était présent à Lublin et Belzec en qualité d’officier sanitaire de la Waffen-SS livrant du Zyklon B. Le fait de le publier aurait, sans aucun doute, détruit sa couverture au sein de l’Institut d’Hygiène de la Waffen-SS, et parue pour le moins délicate aux Alliés. D’autres différences évidentes concernant le nombre de morts (16,5 millions dans le texte Van Hooft ; 20 millions dans le Rapport de 1945), la méthode de comptes de Gerstein, ses exagérations etc sautent immédiatement aux yeux, mais c’est là une autre discussion.
Je pense qu’à Nuremberg, les choses étaient déjà embarrassantes pour tout le monde. La collaboration Alliée, remarquable par certains aspects, était aussi plombée de soupçons, et de stratégies. Une tension palpable s’était ressentie lorsque les Russes avaient amené Katyn dans les débats ; des conflits existaient sur les aveux de Rudolf Höss, sur les jugements des Einsatzgruppen, l’Industrie allemande, et j’en passe. Je pense que le rapport Gerstein n’était plus nécessaire à Nuremberg. Les Alliés avaient ce qu’ils voulaient. Auschwitz, les déportations, les expériences, le pillage étaient un fait. Le rapport de Gerstein, et ses efforts depuis 1942 pour enrayer la Solution Finale, n'ont pas abouti. Les Alliés, le Vatican, les églises Protestantes "savaient" depuis 1942, mais rien de concret ne fut fait. Il y avait les impératifs de guerre bien sûr; puis il a fallu reconstruire l'Europe. C’est seulement lorsque l’Aktion Reinhard sera sérieusement enquêtée, dans les années 50-60, que le rapport de Gerstein prendra sa véritable importance, à juste titre d'ailleurs – car, impuissant à l'arrêter lors de son déroulement, c’est surtout sur Aktion Reinhard, l’opération la plus secrète de la Solution Finale, qu’il nous renseigne.
Eddy
C’est une histoire très touffue ; pas tant pour l’ambiguïté qu’elle semble traduire, mais simplement par l’absence de preuves concrètes. Trop de pièces ont flambées, ou se sont égarées dans le chaos de l’immédiat après-guerre. Tout d’abord, je me dois de préciser que je ne suis pas toujours d’accord avec Florent Brayard (avec qui j’ai été en contact il y a quelques années) et, plus particulièrement, concernant ses analyses des motivations de Gerstein à travers la lentille du philosophe Emmanuel Levinas. Elles ne font partie, pour moi, que des « vues de l’esprit », propres à certains cercles intellectuels français. Je pense honnêtement que de nombreux épisodes, fonctionnements, ou aspects psychologiques, de l’aventure de Gerstein ne seront jamais élucidés tant que sa personnalité et son « identité chrétienne » très particulière ne seront pas comprises. D’une certaine manière, croyant moi-même à la rectitude des intentions de Gerstein (même si j’admet la « non-orthodoxie » de ses méthodes), je préfère lui garder sa part de mystère… Un homme éclairé est toujours un homme trahi.
Brayard commet aussi des erreurs dans ses évaluations des dépositions de Wilhelm Pfannenstiel, et a une connaissance approximative du fonctionnement de l’Aktion Reinhard. Bien qu’admiratif de l’intelligence et de la densité de son travail (et de son remarquable livre sur Paul Rassinier), j’ai toujours le sentiment que ses obsessives extrapolations à partir de détails (importants, disons-le) et de leur interprétation, embrouille la situation plus qu’elle ne la clarifie et, finalement, nuit à la compréhension globale de la situation. Les recherches de Brayard sont approfondies et sérieuses, nous expliquent le pourquoi du comment de certains rouages mais, dans ce cas précis, ne nous emmènent pas plus loin que leur prémisse de départ, à savoir que le rapport ne fut ni particulièrement apprécié, ni jugé à sa juste valeur par les Hollandais, ni réellement communiqué avant qu’il ne soit trop tard (ils ne sont pas les seuls en cela).
Quoi qu’il en soit, en ce qui me concerne, le véritable Rapport Gerstein fut écrit en avril 1945, en plusieurs versions, en français et en allemand. Une copie de ce rapport fut également remise, par Gerstein lui-même, lors de sa période de semi captivité à Rottweil, à deux officiers-chimistes Anglo-Saxons, le 5 mai 1945 ; c’est-à-dire durant la période de rédaction de ses divers rapports, du 21 avril au 26 mai 1945. Les deux officiers en question, le colonel américain John W. Haught, et le major britannique Derek Evans, étaient tous deux attachés au Combined Intelligence Objective sub-Committee (CIOS) ; leur mission consistant à identifier les centres de fabrication des gaz de combat (Sarin, Tabun). Evans témoigna en février 1968 : « J’ai pris les papiers et promis de les acheminer à Londres sans faute. Deux jours plus tard, je crois, je les ai envoyés à notre QG où ils sont bien arrivés ».
Revenons à J.H. Ubbink (ex compagnon d’étude de Gerstein, fréquentant les Bibelkreise), et aux Hollandais. Nous savons que le récit (pas le rapport) de Gerstein de sa visite dans deux camps d’AR (Belzec, Treblinka) fut transmis à J.H. Ubbink par Gerstein lui-même, dans son appartement berlinois, en février 1943 (soit 6 mois après son retour de Pologne) : « Lorsque je rendis visite à Gerstein en février 1943 à Berlin, je le trouvais bouleversé […] Il me décrivit en détail comment il avait finalement réussi à pénétrer les activités secrètes des nazis, et même à voir les camps d’extermination… » (Lettre de Ubbink – 14/9/1949 ; Département de Justice de Bavière). Selon toute vraisemblance Gerstein lui fit un récit verbal qu’Ubbink notait très certainement. À son tour, Ubbink transmit le récit à Cornelius Van der Hooft (sans doute par communication radio) qui en rédigea une version présentable – le « Tötungsanstalten in Polen », sans pour autant être le moins du monde convaincu de son contenu. À ce qu’il semblerait, le document n’aurait pas été communiqué aux organes de presse clandestins (mis à part de vagues remarques dans un article ou deux) mais, au contraire, aurait été caché par Van der Hooft lui-même (qui mourut environ 1 an plus tard). D’autres copies furent faites et transmises ; leurs incroyables pérégrinations à travers le dédale des administrations et liaisons Hollandaises, des doutes, et des refus, pour finalement n’aboutir à rien, sont trop complexes pour aborder ici. Comme pour la Suisse, lorsque Gerstein alerta le diplomate Paul Hochstrasser, que ce dernier fit un rapport à son gouvernement, et que Fröhlicher le mit de côté, la Hollande ne fit ni mieux ni pire que les autres : elle douta, et se ressaisit trop tard – tandis que l’extermination continuait.
Je suis d’accord avec Brayard lorsqu’il dit que le rapport de Gerstein rédigé en 1945 était plus détaillé et plus cohérent. Cela semble logique. Comme il est logique que la relation faite à Ubbink soit moins détaillée et/ou réfléchie. Je suspecte que Gerstein était toujours sous le choc, et qu’il n’a fourni que l’essentiel. Il est évident que dans le récit à Ubbink, puis de ce dernier à Van Hooft, qu’il n’y ait nulle mention que Gerstein était présent à Lublin et Belzec en qualité d’officier sanitaire de la Waffen-SS livrant du Zyklon B. Le fait de le publier aurait, sans aucun doute, détruit sa couverture au sein de l’Institut d’Hygiène de la Waffen-SS, et parue pour le moins délicate aux Alliés. D’autres différences évidentes concernant le nombre de morts (16,5 millions dans le texte Van Hooft ; 20 millions dans le Rapport de 1945), la méthode de comptes de Gerstein, ses exagérations etc sautent immédiatement aux yeux, mais c’est là une autre discussion.
Je pense qu’à Nuremberg, les choses étaient déjà embarrassantes pour tout le monde. La collaboration Alliée, remarquable par certains aspects, était aussi plombée de soupçons, et de stratégies. Une tension palpable s’était ressentie lorsque les Russes avaient amené Katyn dans les débats ; des conflits existaient sur les aveux de Rudolf Höss, sur les jugements des Einsatzgruppen, l’Industrie allemande, et j’en passe. Je pense que le rapport Gerstein n’était plus nécessaire à Nuremberg. Les Alliés avaient ce qu’ils voulaient. Auschwitz, les déportations, les expériences, le pillage étaient un fait. Le rapport de Gerstein, et ses efforts depuis 1942 pour enrayer la Solution Finale, n'ont pas abouti. Les Alliés, le Vatican, les églises Protestantes "savaient" depuis 1942, mais rien de concret ne fut fait. Il y avait les impératifs de guerre bien sûr; puis il a fallu reconstruire l'Europe. C’est seulement lorsque l’Aktion Reinhard sera sérieusement enquêtée, dans les années 50-60, que le rapport de Gerstein prendra sa véritable importance, à juste titre d'ailleurs – car, impuissant à l'arrêter lors de son déroulement, c’est surtout sur Aktion Reinhard, l’opération la plus secrète de la Solution Finale, qu’il nous renseigne.
Eddy
eddy marz- Membre légendaire
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Date d'inscription : 24/03/2008
gerstein et Nuremberg
Bonjour,
La réponse d'Eddy Marz me facilite une meilleure compréhension du contexte de Nuremberg : il y avait assez de chefs d'accusation et de crispations pour ne pas en rajouter. Il ne faut donc pas surinterpréter l'évacuation du Rapport Gerstein de Nuremberg, en pesant cette éviction d'un point de vue contemporain.
Je partage au mot près l'opinion d'Eddy Marz sur l'article de Florent Brayard relatif à l'analyse philosophique (via Levinas) des options choisies par Gerstein, et j'ai été choqué par l'article en question, où M. Brayard porte un jugement (philosophique) fondé sur des arguments scientifiques, dont l'assise n'est pas assurée si j'ai bien compris. Il faudrait qu'Eddy Marz explique clairement ce point, qui est assez étrange et fort compliqué.
Quoi qu'il en soit, cet article contribue à faire de Gerstein un monstre très particulier, qui aurait oeuvré, pour "adoucir" le crime, à favoriser (pardon pour l'expression qui va choquer) une Shoa "light". C'est du moins l'impression que j'en retire, et ce point de vue, qui a ses admirateurs, n'est pas le mien.
C'est ce point de vue de l'Histoire qui a été retenu dans la question du tableau de Matisse, qui a défrayé récemment la chronique, et par laquelle Gerstein vient d'être posthumément requalifié de coupable par la France.
Au fait, pourquoi n'existe-t-il pas d'édition pour le grand public du témoignage Gerstein (excusez-moi, Eddy Marz, je préfère parler de témoignage Gerstein et non de Rapport Gerstein, en raison des motivations religieuses qui l'ont mû).
Cela fait beaucoup de questions.
Lhinz
La réponse d'Eddy Marz me facilite une meilleure compréhension du contexte de Nuremberg : il y avait assez de chefs d'accusation et de crispations pour ne pas en rajouter. Il ne faut donc pas surinterpréter l'évacuation du Rapport Gerstein de Nuremberg, en pesant cette éviction d'un point de vue contemporain.
Je partage au mot près l'opinion d'Eddy Marz sur l'article de Florent Brayard relatif à l'analyse philosophique (via Levinas) des options choisies par Gerstein, et j'ai été choqué par l'article en question, où M. Brayard porte un jugement (philosophique) fondé sur des arguments scientifiques, dont l'assise n'est pas assurée si j'ai bien compris. Il faudrait qu'Eddy Marz explique clairement ce point, qui est assez étrange et fort compliqué.
Quoi qu'il en soit, cet article contribue à faire de Gerstein un monstre très particulier, qui aurait oeuvré, pour "adoucir" le crime, à favoriser (pardon pour l'expression qui va choquer) une Shoa "light". C'est du moins l'impression que j'en retire, et ce point de vue, qui a ses admirateurs, n'est pas le mien.
C'est ce point de vue de l'Histoire qui a été retenu dans la question du tableau de Matisse, qui a défrayé récemment la chronique, et par laquelle Gerstein vient d'être posthumément requalifié de coupable par la France.
Au fait, pourquoi n'existe-t-il pas d'édition pour le grand public du témoignage Gerstein (excusez-moi, Eddy Marz, je préfère parler de témoignage Gerstein et non de Rapport Gerstein, en raison des motivations religieuses qui l'ont mû).
Cela fait beaucoup de questions.
Lhinz
Lhinz- Soldat 1ère classe
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Date d'inscription : 16/02/2009
Re: Gerstein et Nuremberg
Bonjour à tous; je répond avec un peu de retard... désolé.
Effectivement, selon le Dr. Peters, gérant de la Degesch, Gerstein serait venu le voir aux environs de juin 1943 pour lui demander (entre autre) de faire retirer l’irritant du Zyklon B pour le but d’éviter des souffrances inutiles aux victimes. Ce serait du moins le prétexte invoqué par Gerstein. Je ne vais pas m’enfoncer dans une analyse pointilleuse des positions de Brayard via Lévinas, mais me borner à soulever le point central. Brayard écrit :
« Le souci d’humanité de Gerstein ne peut pas être considéré comme douteux. Nous disposons des déclarations de Peters et de Pfannenstiel, mais également des témoignages, nombreux, de ses amis ou de ceux qu’il avait rencontrés une fois seulement. Qui plus est, Gerstein avait, d’une manière répétée, essayé d’avertir les autorités religieuses et les Alliés du génocide en cours – non sans succès d’ailleurs. Ce souci, cependant, n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Gerstein s’est expliqué lui-même sur la question de l’humanité dans l’une des versions de son rapport :
« Dans l’ensemble, on ne s’est pas plus que ça donné la peine de mener à bien les mises à mort de quelque façon “humaine” si tant est que l’on puisse jamais employer ce mot dans ce contexte ! – Et ce, sans doute, moins par sadisme que par une indifférence totale et une paresse vis-à-vis de ces choses. »
Cette réflexion d’un témoin impliqué recoupe sans doute certaines analyses de Levi sur la violence inutile – et sa réserve même à employer ce mot d’humanité dans un tel contexte dissipe l’ambiguïté que nous avions jusqu’alors rencontrée. L’implication de Gerstein lui-même pourrait d’ailleurs être considérée, à bien des égards, comme une illustration de cette « responsabilité pour l’autre homme, sans souci de réciprocité », cette « asymétrie de la relation de l’un à l’autre » de Lévinas. Gerstein avait fait ses choix en sachant que son gain personnel, égoïste, serait nul de toute manière alors que le risque personnel qu’il encourrait serait, lui, plus grand. Et ces choix étaient arrêtés pour le seul bénéfice de l’autre, le condamné, le Juif dans la chambre à gaz. Cependant, si cette démarche relève indubitablement d’un souci d’humanité, elle s’inscrit, de toutes les manières, dans un contexte d’inhumanité absolue, avec lequel, de quelque façon, elle s’accommode. Force est de constater, en effet, que jamais ni Gerstein, ni Peters, ni Pfannenstiel, ni tant d’autres, n’ont imaginé raisonner en dehors du cadre inhumain, criminel, dans lequel ils s’inscrivaient ou qui leur était imposé. L’amélioration proposée par Gerstein se situait très exactement à la marge d’un projet auquel elle participait néanmoins : il s’agissait de tuer les Juifs sans les faire souffrir mais de les tuer tout de même. C’est une question pour Levi et Lévinas, le survivant hanté par la question de l’éthique et le philosophe, qui peuvent répondre d’autorité : un bien relatif au sein d’un mal absolu est-il toujours un bien ? À titre personnel, cependant, je préciserai ici qu’il me semble que la réponse soit non ».
Foutaise intellectuelle ; discours de l’éthique dégagée de la réalité. Il suffit de s’imaginer les victimes, nues, compressées les unes contre les autres, dans la panique et l’angoisse mortelle, griffant, étouffant, grimpant les unes sur les autres, pour trancher. Il est évident que n’importe quelle mesure – aussi infime soit-elle – susceptible d’adoucir leur martyre est la bienvenue. Gerstein ne peut pas « stopper » les exterminations. Il le sait, et nous le savons aussi. Est-ce donc un crime, dans l’impossibilité de les arracher à la mort, que de vouloir aider les victimes en atténuant leurs souffrances ? Il n’y a pas de doute possible en ce qui me concerne. Il n’a en rien « amélioré » les tueries, même si l’on peut argumenter que le résultat est le même. Ce qui compte c’est l’intention. Gerstein a tenté quelque chose, et je suppose que les bien-pensants auraient préféré qu’il ne fasse rien… Ne faites rien, vous pourriez vous salir les mains. Mais il n’y a pas que les victimes ; Gerstein ne perd pas sa « mission » de vue, et fait d’une pierre deux coups :
- En faisant retirer l’irritant, il peut à tout moment, en qualité d’expert, décréter une fuite nécessitant une destruction du lot. Le retrait de l’irritant lui fournissant une marge de manœuvre ainsi qu’une sérieuse caution technique.
- Atténuer le martyre des victimes
Article :
« Autre cas, très différent : Paysage, le mur rose, d'Henri Matisse (1869-1954), actuellement au Centre Pompidou. Les débuts de la toile sont bien connus : peinte en 1898, elle a figuré à la vente de la collection de la Peau de l'Ours à Drouot le 2 mars 1914. On la retrouve en Allemagne en 1948, à Talheim, dans les biens appartenant à un officier SS, Kurt Gerstein, suicidé en juillet 1945. Le tableau porte un cachet des douanes françaises et a été, à ce titre, réclamé par la France en 1949. On sait seulement qu'un ami de Gernstein a déclaré que l'officier SS, notamment chargé d'assurer les livraisons de gaz Zyklon B dans les camps d'extermination, l'avait acheté "chez un camarade d'école" à Berlin. Tout laisse à penser qu'il avait fait partie d'une collection française. A-t-il été saisi ou vendu ? Est-il passé par l'ERR ? Ou par une salle de ventes ? Ou par un marchand qui l'aurait cédé à un acheteur allemand ? Le marché de l'art parisien a été extrêmement actif pendant l'Occupation, alimenté en grande partie par des oeuvres pillées et remises sur le marché par les nazis, ou achetées à bas prix par des marchands peu scrupuleux à des propriétaires menacés de mort. »
La belle affaire… Comme toujours, chaque fois que surgit en France quelque chose ayant trait à l’Holocauste (et donc à la Collaboration, et donc au négationnisme, et donc à l’extrême droite, et donc à l’ultra-gauche, etc.), immédiatement des groupes d’experts bon ton officiellement infaillibles s’érigent en détenteurs de la vérité, tentant de trancher pour nous ce qui ne peut l’être. Dans une société à la fois partisane, complexée, embourbée dans la correction politique, et extrêmement polarisée sur cette question, il leur faut arriver à une conclusion manichéenne, conforme à leur vision, moralement satisfaisante, et ce quelles que soient les entorses faites à l’instrument que tout historien intègre se doit de respecter : l’analyse contradictoire. Typiquement, la plupart de ces sommités ne réussissent qu’à mettre en exergue leur méconnaissance de l’histoire de Gerstein. Ils ne connaissent souvent que son rapport, les polémiques et jeux intellectuels qui en découlent, et la violente controverse négationniste qui y est liée. Ceux qui en savent plus n’osent pas à franchir le cap des conventions (de peur de se faire taper sur les doigts par les gardiens de l’orthodoxie), et juger la singularité de Gerstein comme autre chose que la preuve de sa culpabilité ou d’un dérèglement mental. Et voilà maintenant qu’ils veulent en faire un voleur ; comme si le simple fait d’avoir découvert le tableau de Matisse dans
« ses biens » pouvait qualifier Gerstein de « coupable », annuler son rapport sur Belzec, et même remettre en doute ses motivations chrétiennes et humanistes. Il s’agit d’autre chose :
Pourquoi donc Gerstein a-t-il acheté ce Matisse « chez un camarade d'école », alors que tout porte à croire que cette œuvre avait fait partie d'une collection française ? Pour ceux qui ont étudié l’histoire de Kurt Gerstein de près, sa corruption permanente de membres de l’Institut d’Hygiène de la Waffen-SS, ou d’autres agences, et son aide à plusieurs personnes démunies, ne sont pas un secret. Par le biais de « cadeaux », de soirées, de vivres et de babioles coûteuses et difficiles à se procurer en temps de guerre, Gerstein se constituait au sein même de l’Institut un cercle « d’obligés » ; d’individus susceptibles de le couvrir, de lui faciliter la tâche, ou même de se taire (en effet, pourquoi se passer de cette manne providentielle ?). Gerstein ne garde rien de ce qu’il achète. Il achète pour offrir et, en offrant… il achète. Tel collègue reçoit une bouteille de Cointrau, telle secrétaire un manteau de fourrure, tel autre encore un service en porcelaine… Il achète des wagons entiers de marchandise ; des milliers de litres d’alcool et des kilos de tabac avec la complicité de Walter Eckhardt (qui en témoigne en 1949). Son adjudant/instructeur , Robert Weigelt, témoigna en 1967 « Il avait toujours une serviette pleine d’argent ». Tout son argent y passe, d’ailleurs. En 1968, son ex-assistant et protégé, Horst Dickten, raconte que suite à un voyage à Paris, Gerstein avait invité l’état-major de l’Institut à une « Soirée Française » organisée chez son beau-père (le Pasteur Bensch) ; le champagne coulait à flots ; il y avait une profusion de cadeaux : alcools, objets d’art, livres, bas de soie, cigares, café, chemises, chaussures… Gerstein achète les gens, achète la bienveillance des SS. Il corrompt ; et se rend utile, aussi. Loin de choquer, cette stratégie correspond parfaitement avec le camouflage/maquillage nécessaire à une mission d’espionnage. Il ne fait que protéger ses arrières, tisser ses réseaux, et défricher la route pour avoir les coudées franches dans son travail de sabotage. Gerstein n’est pas un « Saint », pas plus qu’un monstre (aussi particulier soit-il) ; c’est un provocateur antinazi infiltré dans la Waffen-SS, travaillant sur des Secrets d’État, ralentissant du mieux qu’il peut des opérations criminelles, essayant de communiquer l’information au monde au risque de sa vie, fabriquant des faux papiers, truquant des ordres… C’est la guerre, et tous les moyens sont bons ; une fausse évaluation de cette réalité serait une lourde erreur.
Gerstein manie des sommes d’argent considérables, nous n’en connaissons pas réellement la source, et il est peu probable que nous la découvrions un jour. Ses propres ressources (salaire SS, héritage partiel de la société de sa mère), les subsides de l’église Confessante, et les commissions, dessous-de-table, et pots-de-vin qu’il s’arrangeait pour toucher n’auraient certainement pas suffit à financer ses menées… Nous savons qu’il voyageait beaucoup à l’étranger, et notamment en France, à Paris, au Creusot, et à Asnières, pour le compte de l’Institut et des entreprises françaises sous-traitant avec la SS (De Souza, Lucanes). Nous savons aussi qu’il avait de nombreux contacts, y compris ceux fournis par les réseaux de l’église Confessante… Un témoin allemand travaillant à Paris pour la firme Goedecker affirme qu’il procura de faux papiers à une secrétaire demi-Juive. À l’aide faux papiers encore, Gerstein aide des ouvriers de la firme De Souza (à Pantin) à échapper au Service du Travail en Allemagne…
Donc, en ce qui me concerne, « l’affaire » du tableau de Matisse est une baudruche dégonflée. Primo, Gerstein n’a pas volé le tableau, mais l’a acheté. Deuxièmement, s’il est possible (probable) que « l’ami » en question se soit procuré le tableau à partir d’un stock d’œuvres d’art pillées, cela ne fait pas de Gerstein un voleur pour autant (ou alors accessoirement). Pour moi, le Matisse fait tout simplement partie d’un stock d’objets de luxe que Gerstein destinaient comme « remerciements » ou comme carottes pour arroser ses divers contacts ou endormir ses possibles délateurs. Il n’y a donc, toujours selon moi, ni polémique, ni ambiguïté, ni esprit de lucre…
Je n’en ai pas la moindre idée. Cela dit, le témoignage est facilement trouvable, aux Archives Nationales, au CDJC et, bien entendu, sur les sites de la Harvard Law School.
Eddy
Je partage au mot près l'opinion d'Eddy Marz sur l'article de Florent Brayard relatif à l'analyse philosophique (via Levinas) des options choisies par Gerstein, et j'ai été choqué par l'article en question, où M. Brayard porte un jugement (philosophique) fondé sur des arguments scientifiques, dont l'assise n'est pas assurée si j'ai bien compris. Il faudrait qu'Eddy Marz explique clairement ce point, qui est assez étrange et fort compliqué.
Quoi qu'il en soit, cet article contribue à faire de Gerstein un monstre très particulier, qui aurait oeuvré, pour "adoucir" le crime, à favoriser (pardon pour l'expression qui va choquer) une Shoa "light". C'est du moins l'impression que j'en retire, et ce point de vue, qui a ses admirateurs, n'est pas le mien.
Effectivement, selon le Dr. Peters, gérant de la Degesch, Gerstein serait venu le voir aux environs de juin 1943 pour lui demander (entre autre) de faire retirer l’irritant du Zyklon B pour le but d’éviter des souffrances inutiles aux victimes. Ce serait du moins le prétexte invoqué par Gerstein. Je ne vais pas m’enfoncer dans une analyse pointilleuse des positions de Brayard via Lévinas, mais me borner à soulever le point central. Brayard écrit :
« Le souci d’humanité de Gerstein ne peut pas être considéré comme douteux. Nous disposons des déclarations de Peters et de Pfannenstiel, mais également des témoignages, nombreux, de ses amis ou de ceux qu’il avait rencontrés une fois seulement. Qui plus est, Gerstein avait, d’une manière répétée, essayé d’avertir les autorités religieuses et les Alliés du génocide en cours – non sans succès d’ailleurs. Ce souci, cependant, n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Gerstein s’est expliqué lui-même sur la question de l’humanité dans l’une des versions de son rapport :
« Dans l’ensemble, on ne s’est pas plus que ça donné la peine de mener à bien les mises à mort de quelque façon “humaine” si tant est que l’on puisse jamais employer ce mot dans ce contexte ! – Et ce, sans doute, moins par sadisme que par une indifférence totale et une paresse vis-à-vis de ces choses. »
Cette réflexion d’un témoin impliqué recoupe sans doute certaines analyses de Levi sur la violence inutile – et sa réserve même à employer ce mot d’humanité dans un tel contexte dissipe l’ambiguïté que nous avions jusqu’alors rencontrée. L’implication de Gerstein lui-même pourrait d’ailleurs être considérée, à bien des égards, comme une illustration de cette « responsabilité pour l’autre homme, sans souci de réciprocité », cette « asymétrie de la relation de l’un à l’autre » de Lévinas. Gerstein avait fait ses choix en sachant que son gain personnel, égoïste, serait nul de toute manière alors que le risque personnel qu’il encourrait serait, lui, plus grand. Et ces choix étaient arrêtés pour le seul bénéfice de l’autre, le condamné, le Juif dans la chambre à gaz. Cependant, si cette démarche relève indubitablement d’un souci d’humanité, elle s’inscrit, de toutes les manières, dans un contexte d’inhumanité absolue, avec lequel, de quelque façon, elle s’accommode. Force est de constater, en effet, que jamais ni Gerstein, ni Peters, ni Pfannenstiel, ni tant d’autres, n’ont imaginé raisonner en dehors du cadre inhumain, criminel, dans lequel ils s’inscrivaient ou qui leur était imposé. L’amélioration proposée par Gerstein se situait très exactement à la marge d’un projet auquel elle participait néanmoins : il s’agissait de tuer les Juifs sans les faire souffrir mais de les tuer tout de même. C’est une question pour Levi et Lévinas, le survivant hanté par la question de l’éthique et le philosophe, qui peuvent répondre d’autorité : un bien relatif au sein d’un mal absolu est-il toujours un bien ? À titre personnel, cependant, je préciserai ici qu’il me semble que la réponse soit non ».
Foutaise intellectuelle ; discours de l’éthique dégagée de la réalité. Il suffit de s’imaginer les victimes, nues, compressées les unes contre les autres, dans la panique et l’angoisse mortelle, griffant, étouffant, grimpant les unes sur les autres, pour trancher. Il est évident que n’importe quelle mesure – aussi infime soit-elle – susceptible d’adoucir leur martyre est la bienvenue. Gerstein ne peut pas « stopper » les exterminations. Il le sait, et nous le savons aussi. Est-ce donc un crime, dans l’impossibilité de les arracher à la mort, que de vouloir aider les victimes en atténuant leurs souffrances ? Il n’y a pas de doute possible en ce qui me concerne. Il n’a en rien « amélioré » les tueries, même si l’on peut argumenter que le résultat est le même. Ce qui compte c’est l’intention. Gerstein a tenté quelque chose, et je suppose que les bien-pensants auraient préféré qu’il ne fasse rien… Ne faites rien, vous pourriez vous salir les mains. Mais il n’y a pas que les victimes ; Gerstein ne perd pas sa « mission » de vue, et fait d’une pierre deux coups :
- En faisant retirer l’irritant, il peut à tout moment, en qualité d’expert, décréter une fuite nécessitant une destruction du lot. Le retrait de l’irritant lui fournissant une marge de manœuvre ainsi qu’une sérieuse caution technique.
- Atténuer le martyre des victimes
C'est ce point de vue de l'Histoire qui a été retenu dans la question du tableau de Matisse, qui a défrayé récemment la chronique, et par laquelle Gerstein vient d'être posthumément requalifié de coupable par la France.
Article :
« Autre cas, très différent : Paysage, le mur rose, d'Henri Matisse (1869-1954), actuellement au Centre Pompidou. Les débuts de la toile sont bien connus : peinte en 1898, elle a figuré à la vente de la collection de la Peau de l'Ours à Drouot le 2 mars 1914. On la retrouve en Allemagne en 1948, à Talheim, dans les biens appartenant à un officier SS, Kurt Gerstein, suicidé en juillet 1945. Le tableau porte un cachet des douanes françaises et a été, à ce titre, réclamé par la France en 1949. On sait seulement qu'un ami de Gernstein a déclaré que l'officier SS, notamment chargé d'assurer les livraisons de gaz Zyklon B dans les camps d'extermination, l'avait acheté "chez un camarade d'école" à Berlin. Tout laisse à penser qu'il avait fait partie d'une collection française. A-t-il été saisi ou vendu ? Est-il passé par l'ERR ? Ou par une salle de ventes ? Ou par un marchand qui l'aurait cédé à un acheteur allemand ? Le marché de l'art parisien a été extrêmement actif pendant l'Occupation, alimenté en grande partie par des oeuvres pillées et remises sur le marché par les nazis, ou achetées à bas prix par des marchands peu scrupuleux à des propriétaires menacés de mort. »
La belle affaire… Comme toujours, chaque fois que surgit en France quelque chose ayant trait à l’Holocauste (et donc à la Collaboration, et donc au négationnisme, et donc à l’extrême droite, et donc à l’ultra-gauche, etc.), immédiatement des groupes d’experts bon ton officiellement infaillibles s’érigent en détenteurs de la vérité, tentant de trancher pour nous ce qui ne peut l’être. Dans une société à la fois partisane, complexée, embourbée dans la correction politique, et extrêmement polarisée sur cette question, il leur faut arriver à une conclusion manichéenne, conforme à leur vision, moralement satisfaisante, et ce quelles que soient les entorses faites à l’instrument que tout historien intègre se doit de respecter : l’analyse contradictoire. Typiquement, la plupart de ces sommités ne réussissent qu’à mettre en exergue leur méconnaissance de l’histoire de Gerstein. Ils ne connaissent souvent que son rapport, les polémiques et jeux intellectuels qui en découlent, et la violente controverse négationniste qui y est liée. Ceux qui en savent plus n’osent pas à franchir le cap des conventions (de peur de se faire taper sur les doigts par les gardiens de l’orthodoxie), et juger la singularité de Gerstein comme autre chose que la preuve de sa culpabilité ou d’un dérèglement mental. Et voilà maintenant qu’ils veulent en faire un voleur ; comme si le simple fait d’avoir découvert le tableau de Matisse dans
« ses biens » pouvait qualifier Gerstein de « coupable », annuler son rapport sur Belzec, et même remettre en doute ses motivations chrétiennes et humanistes. Il s’agit d’autre chose :
Pourquoi donc Gerstein a-t-il acheté ce Matisse « chez un camarade d'école », alors que tout porte à croire que cette œuvre avait fait partie d'une collection française ? Pour ceux qui ont étudié l’histoire de Kurt Gerstein de près, sa corruption permanente de membres de l’Institut d’Hygiène de la Waffen-SS, ou d’autres agences, et son aide à plusieurs personnes démunies, ne sont pas un secret. Par le biais de « cadeaux », de soirées, de vivres et de babioles coûteuses et difficiles à se procurer en temps de guerre, Gerstein se constituait au sein même de l’Institut un cercle « d’obligés » ; d’individus susceptibles de le couvrir, de lui faciliter la tâche, ou même de se taire (en effet, pourquoi se passer de cette manne providentielle ?). Gerstein ne garde rien de ce qu’il achète. Il achète pour offrir et, en offrant… il achète. Tel collègue reçoit une bouteille de Cointrau, telle secrétaire un manteau de fourrure, tel autre encore un service en porcelaine… Il achète des wagons entiers de marchandise ; des milliers de litres d’alcool et des kilos de tabac avec la complicité de Walter Eckhardt (qui en témoigne en 1949). Son adjudant/instructeur , Robert Weigelt, témoigna en 1967 « Il avait toujours une serviette pleine d’argent ». Tout son argent y passe, d’ailleurs. En 1968, son ex-assistant et protégé, Horst Dickten, raconte que suite à un voyage à Paris, Gerstein avait invité l’état-major de l’Institut à une « Soirée Française » organisée chez son beau-père (le Pasteur Bensch) ; le champagne coulait à flots ; il y avait une profusion de cadeaux : alcools, objets d’art, livres, bas de soie, cigares, café, chemises, chaussures… Gerstein achète les gens, achète la bienveillance des SS. Il corrompt ; et se rend utile, aussi. Loin de choquer, cette stratégie correspond parfaitement avec le camouflage/maquillage nécessaire à une mission d’espionnage. Il ne fait que protéger ses arrières, tisser ses réseaux, et défricher la route pour avoir les coudées franches dans son travail de sabotage. Gerstein n’est pas un « Saint », pas plus qu’un monstre (aussi particulier soit-il) ; c’est un provocateur antinazi infiltré dans la Waffen-SS, travaillant sur des Secrets d’État, ralentissant du mieux qu’il peut des opérations criminelles, essayant de communiquer l’information au monde au risque de sa vie, fabriquant des faux papiers, truquant des ordres… C’est la guerre, et tous les moyens sont bons ; une fausse évaluation de cette réalité serait une lourde erreur.
Gerstein manie des sommes d’argent considérables, nous n’en connaissons pas réellement la source, et il est peu probable que nous la découvrions un jour. Ses propres ressources (salaire SS, héritage partiel de la société de sa mère), les subsides de l’église Confessante, et les commissions, dessous-de-table, et pots-de-vin qu’il s’arrangeait pour toucher n’auraient certainement pas suffit à financer ses menées… Nous savons qu’il voyageait beaucoup à l’étranger, et notamment en France, à Paris, au Creusot, et à Asnières, pour le compte de l’Institut et des entreprises françaises sous-traitant avec la SS (De Souza, Lucanes). Nous savons aussi qu’il avait de nombreux contacts, y compris ceux fournis par les réseaux de l’église Confessante… Un témoin allemand travaillant à Paris pour la firme Goedecker affirme qu’il procura de faux papiers à une secrétaire demi-Juive. À l’aide faux papiers encore, Gerstein aide des ouvriers de la firme De Souza (à Pantin) à échapper au Service du Travail en Allemagne…
Donc, en ce qui me concerne, « l’affaire » du tableau de Matisse est une baudruche dégonflée. Primo, Gerstein n’a pas volé le tableau, mais l’a acheté. Deuxièmement, s’il est possible (probable) que « l’ami » en question se soit procuré le tableau à partir d’un stock d’œuvres d’art pillées, cela ne fait pas de Gerstein un voleur pour autant (ou alors accessoirement). Pour moi, le Matisse fait tout simplement partie d’un stock d’objets de luxe que Gerstein destinaient comme « remerciements » ou comme carottes pour arroser ses divers contacts ou endormir ses possibles délateurs. Il n’y a donc, toujours selon moi, ni polémique, ni ambiguïté, ni esprit de lucre…
Au fait, pourquoi n'existe-t-il pas d'édition pour le grand public du témoignage Gerstein (excusez-moi, Eddy Marz, je préfère parler de témoignage Gerstein et non de Rapport Gerstein, en raison des motivations religieuses qui l'ont mû).
Je n’en ai pas la moindre idée. Cela dit, le témoignage est facilement trouvable, aux Archives Nationales, au CDJC et, bien entendu, sur les sites de la Harvard Law School.
Eddy
eddy marz- Membre légendaire
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Localisation : England/France/Italia
Date d'inscription : 24/03/2008
Gerstein et Nuremberg
Bonjour,
Une nouvelle fois, merci Eddy Marz. Je suis en accord complet avec vous. La fortune de Gerstein, et ses trafics divers pour corrompre les nazis et agir en "résistant" de l'intérieur n'ont pas du tout été pris en compte dans l'affaire du Matisse. Je résume les choses : un Matisse a été retrouvé dans un des appartements de Gerstein, en 1947 (Corrigez-moi si je me trompe). Ce tableau a été confisqué par la France, parce qu'il portait au dos un tampon de sortie du territoire (vraisemblablement en 1914, avant la guerre). Ce tableau était conservé à Beaubourg.
Le gouvernement a voulu faire un geste : une exposition a été montée : elle regroupait 52 toiles résultant de spoliations réelles des nazis. Le Matisse a été ajouté à cet ensemble. L'exposition a été présentée à Jérusalem, du 18 février au 3 juin, puis à Paris, du 24 juin au 28 septembre 2008. Une véritable campagne de presse a été organisée à cette occasion : Le 18 février, dans le Figaro, première salve. Le Matisse est en pleine page, sous le titre : "L'Odyssée des tableaux volés par les nazis", avec un long article de Patrick Saint-Paul, complété d'un article d'Eric Bietry-Rivière intitulé : "Le Matisse de Kurt Gerstein, officier nazi chargé des livraisons du Zyklon B". Le Monde daté du 19 février ajoute : "Tableaux cherchent propriétaires". Deux illustrations : un Peter Binoit, et le Matisse. Article de Philippe Dagen et Emmanuel de Roux. Le 27 juin, Le Monde reprend l'information : long article de Philippe Dagen, sous le titre "53 tableaux pillés par les nazis sont exposés à Paris". Rappelons que si le fait est exact pour 52 tableaux, cela reste à prouver pour le dernier. Le 24 novembre, nouvel article d'Eric Bietry-Rivière dans le Figaro : la France restitue un Matisse volé par les nazis". Nouvelle illustration par le Matisse. Le 28 novembre, nouvel article de Philippe Dagen, dans le Monde, titré La longue odyssée d'un Matisse disparu, avec illustration du Matisse en pleine page. On lit notamment dans cet article cette phrase insoutenable : "Gerstein est donc un complice de la Shoa".
Je ne développe pas ici sur l'histoire du tableau, mais j'accepte d'en discuter ultérieurement. Je dirai seulement que le catalogue ne définit Gerstein que comme fournisseur de Zyklon B. Aucun mot sur sa personnalité, sur son action, sur le "rapport Gerstein". Rien. La presse reprend dans le même sens, en disant que si Gerstein s'était intéressé à la peinture, cela se saurait. Et justement, c'est connu (mais sauf des journalistes cités, qui n'officient pourtant pas dans une presse mineure) : il suffit d'ouvrir le bouquin de Pierre Joffroy sur Gestein pour découvrir p.170 que son appartement en désordre contient meubles, tableaux, victuailles, antiquités... Et pourquoi des tableaux ? La réponse est p. 184. Un témoin, Jean-Germain Descombes, décrit Gerstein à Paris, pendant la guerre : "Ce monsieur venait très souvent. Toujours seul. Il était toujours en civil. Il venait déjeuner ou dîner. Il achetait des tableaux".
Là pourrait bien être une des clés de compréhension : en faisant du commerce d'art, Gerstein brassait des fortunes. Personne n'a relevé non plus le risque qu'il y aurait eu pour lui de détourner des tableaux volés par le Reich. Et détenir un Matisse n'était pas un signe d'allégeance aux principes esthétiques nazis. Je crois me souvenir que Gerstein fit graver à Paris un disque où il déclamait l'Iliade en grec, geste de culture assez peu en rapport avec la mentalité nazie, mais assez significatif de sa personnalité.
Conclusion : le tableau n'est plus à Beaubourg : il a été solennellement remis par Mme Albanel à une Fondation caritative britannique, la Magen David Adom. Dans un communiqué à l'AFP du 25 novembre 2008, Stuart Glyn, chairman de cette Fondation, remercie, mais signale au passage que... Gerstein a fort bien pu acquérir le tableau ! La Fondation a d'ailleurs décidé de le mettre en vente au plus vite. Il est estimé entre 100 et 150 000 $.
Le plus triste dans cette histoire, c'est que cette "restitution" précipitée fait fi de la décision qui a été prononcée sur Gerstein, en 1965, par le ministre-président du Bade-Wurtemberg, classant Gerstein parmi les "non-coupables", à la demande de plusieurs, dont sa veuve, et des Juifs.
En organisant cette mascarade pour édifier les masses sur des idées reçues, la ministre précitée a montré sa méconnaissance de l'Histoire. Il est vrai que les historiens d'art et les historiens tout court ne communiquent pas assez.
C'est pourquoi Gerstein est à mon sens une "pierre de touche". Quiconque approche son histoire peut se brûler. Pour ma part, je m'en tiens à l'opinion de Saül Friedlander, auteur d'un livre récemment traduit sur la Shoa, qui le qualifie de Juste. L'opinion d'un homme respectable me paraît valoir plus que trente avis sans intérêt (J'insiste ici sur le caractère non politique de ce post. La question dépasse les générations : elle les interroge).
Lhintz
Une nouvelle fois, merci Eddy Marz. Je suis en accord complet avec vous. La fortune de Gerstein, et ses trafics divers pour corrompre les nazis et agir en "résistant" de l'intérieur n'ont pas du tout été pris en compte dans l'affaire du Matisse. Je résume les choses : un Matisse a été retrouvé dans un des appartements de Gerstein, en 1947 (Corrigez-moi si je me trompe). Ce tableau a été confisqué par la France, parce qu'il portait au dos un tampon de sortie du territoire (vraisemblablement en 1914, avant la guerre). Ce tableau était conservé à Beaubourg.
Le gouvernement a voulu faire un geste : une exposition a été montée : elle regroupait 52 toiles résultant de spoliations réelles des nazis. Le Matisse a été ajouté à cet ensemble. L'exposition a été présentée à Jérusalem, du 18 février au 3 juin, puis à Paris, du 24 juin au 28 septembre 2008. Une véritable campagne de presse a été organisée à cette occasion : Le 18 février, dans le Figaro, première salve. Le Matisse est en pleine page, sous le titre : "L'Odyssée des tableaux volés par les nazis", avec un long article de Patrick Saint-Paul, complété d'un article d'Eric Bietry-Rivière intitulé : "Le Matisse de Kurt Gerstein, officier nazi chargé des livraisons du Zyklon B". Le Monde daté du 19 février ajoute : "Tableaux cherchent propriétaires". Deux illustrations : un Peter Binoit, et le Matisse. Article de Philippe Dagen et Emmanuel de Roux. Le 27 juin, Le Monde reprend l'information : long article de Philippe Dagen, sous le titre "53 tableaux pillés par les nazis sont exposés à Paris". Rappelons que si le fait est exact pour 52 tableaux, cela reste à prouver pour le dernier. Le 24 novembre, nouvel article d'Eric Bietry-Rivière dans le Figaro : la France restitue un Matisse volé par les nazis". Nouvelle illustration par le Matisse. Le 28 novembre, nouvel article de Philippe Dagen, dans le Monde, titré La longue odyssée d'un Matisse disparu, avec illustration du Matisse en pleine page. On lit notamment dans cet article cette phrase insoutenable : "Gerstein est donc un complice de la Shoa".
Je ne développe pas ici sur l'histoire du tableau, mais j'accepte d'en discuter ultérieurement. Je dirai seulement que le catalogue ne définit Gerstein que comme fournisseur de Zyklon B. Aucun mot sur sa personnalité, sur son action, sur le "rapport Gerstein". Rien. La presse reprend dans le même sens, en disant que si Gerstein s'était intéressé à la peinture, cela se saurait. Et justement, c'est connu (mais sauf des journalistes cités, qui n'officient pourtant pas dans une presse mineure) : il suffit d'ouvrir le bouquin de Pierre Joffroy sur Gestein pour découvrir p.170 que son appartement en désordre contient meubles, tableaux, victuailles, antiquités... Et pourquoi des tableaux ? La réponse est p. 184. Un témoin, Jean-Germain Descombes, décrit Gerstein à Paris, pendant la guerre : "Ce monsieur venait très souvent. Toujours seul. Il était toujours en civil. Il venait déjeuner ou dîner. Il achetait des tableaux".
Là pourrait bien être une des clés de compréhension : en faisant du commerce d'art, Gerstein brassait des fortunes. Personne n'a relevé non plus le risque qu'il y aurait eu pour lui de détourner des tableaux volés par le Reich. Et détenir un Matisse n'était pas un signe d'allégeance aux principes esthétiques nazis. Je crois me souvenir que Gerstein fit graver à Paris un disque où il déclamait l'Iliade en grec, geste de culture assez peu en rapport avec la mentalité nazie, mais assez significatif de sa personnalité.
Conclusion : le tableau n'est plus à Beaubourg : il a été solennellement remis par Mme Albanel à une Fondation caritative britannique, la Magen David Adom. Dans un communiqué à l'AFP du 25 novembre 2008, Stuart Glyn, chairman de cette Fondation, remercie, mais signale au passage que... Gerstein a fort bien pu acquérir le tableau ! La Fondation a d'ailleurs décidé de le mettre en vente au plus vite. Il est estimé entre 100 et 150 000 $.
Le plus triste dans cette histoire, c'est que cette "restitution" précipitée fait fi de la décision qui a été prononcée sur Gerstein, en 1965, par le ministre-président du Bade-Wurtemberg, classant Gerstein parmi les "non-coupables", à la demande de plusieurs, dont sa veuve, et des Juifs.
En organisant cette mascarade pour édifier les masses sur des idées reçues, la ministre précitée a montré sa méconnaissance de l'Histoire. Il est vrai que les historiens d'art et les historiens tout court ne communiquent pas assez.
C'est pourquoi Gerstein est à mon sens une "pierre de touche". Quiconque approche son histoire peut se brûler. Pour ma part, je m'en tiens à l'opinion de Saül Friedlander, auteur d'un livre récemment traduit sur la Shoa, qui le qualifie de Juste. L'opinion d'un homme respectable me paraît valoir plus que trente avis sans intérêt (J'insiste ici sur le caractère non politique de ce post. La question dépasse les générations : elle les interroge).
Lhintz
Lhinz- Soldat 1ère classe
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Re: Gerstein et Nuremberg
Bonjour Lhinz;
Je suis parfaitement d'accord avec votre analyse, et rafraîchi de savoir que d'autres partagent ma réflexion. Comme je le disais plus haut, je pense que Gerstein restera toujours un cas "borderline" et ambigu pour les masses. La correction de mise exige de ses apôtres un recul outré et satisfait de soi devant tant d'anticonformisme. Joffroy, qui a rencontré le plus de témoins (SS, voisins, Von Otter, Mochalsky, militaires français etc) est le premier (le seul à mon sens) à avoir tenté une approche psychologique de Gerstein libérée du carcan de la psychiatrie. Les historiens conventionnels n'ont pas traîné pour lui faire savoir dans quel mépris ils tenaient son analyse trop "émotionnelle" des faits; oubliant leur propre émotivité révélatrice lorsque leur vision orthodoxe de l'Histoire est remise en question ("pourquoi remuer toute cette fange?"). Nous n'y pouvons rien...
Eddy
Je suis parfaitement d'accord avec votre analyse, et rafraîchi de savoir que d'autres partagent ma réflexion. Comme je le disais plus haut, je pense que Gerstein restera toujours un cas "borderline" et ambigu pour les masses. La correction de mise exige de ses apôtres un recul outré et satisfait de soi devant tant d'anticonformisme. Joffroy, qui a rencontré le plus de témoins (SS, voisins, Von Otter, Mochalsky, militaires français etc) est le premier (le seul à mon sens) à avoir tenté une approche psychologique de Gerstein libérée du carcan de la psychiatrie. Les historiens conventionnels n'ont pas traîné pour lui faire savoir dans quel mépris ils tenaient son analyse trop "émotionnelle" des faits; oubliant leur propre émotivité révélatrice lorsque leur vision orthodoxe de l'Histoire est remise en question ("pourquoi remuer toute cette fange?"). Nous n'y pouvons rien...
Eddy
Dernière édition par eddy marz le 12/3/2009, 13:00, édité 1 fois
eddy marz- Membre légendaire
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Re: Gerstein et Nuremberg
Eddy perhaps you are "refreshed" in english, but in french it does not mean anything, but you have been long time in the fridge....
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Re: Gerstein et Nuremberg
ghjattuvolpa* a écrit:Eddy perhaps you are "refreshed" in english, but in french it does not mean anything, but you have been long time in the fridge....
Bon sang, ça m'arrive tout le temps. En fait je voulais dire que je "trouve rafraîchissant que..." (c'est ça, non?) Thanks ghjattuvolpa*
Eddy
eddy marz- Membre légendaire
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Re: Gerstein et Nuremberg
Well, I am refreshed to see I am not the only one to fall into the pitfalls usually known as "false friends".
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Toutes les vertus secondaires comme le courage, la discipline, la fidélité, l'endurance n'ont un effet positif qu'aussi longtemps qu'elles servent une cause positive. Si une cause positive devient négative, les vertus secondaires deviennent problématiques
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